Algérie / Académie de la langue amazighe / La parole aux experts

Enquête réalisée par Brahim Taouchichet   02.04.2018
C’est quoi une académie ? En définition standard, il s’agit d’une institution qui est chargée d’améliorer et de normaliser la langue. Une académie est une assemblée de gens de lettres, de savants ou d’artistes reconnus par leurs pairs. Lesdites assemblées ont pour mission de veiller aux règles, codes et usages dans leurs disciplines. Pour ce faire, les académies publient des ouvrages tels que des dictionnaires, des grammaires, etc. En Algérie, la loi organique de l’Académie algérienne de la langue amazighe est en passe d’être publiée dans le Journal officiel et d’entrer en vigueur. Tout nouveau, tout beau, un débat souterrain a déjà lieu depuis quelques années, les protagonistes, toutes sensibilités confondues, sont d’accord quant au fonctionnement et au rôle fondamental que doit jouer la nouvelle institution dans la normalisation de tamazight pour ne pas tomber dans la cacophonie et les dérapages, comme le souligne le professeur Abderrezak Dourari. Ce dernier précise que les prérogatives de l’académie n’entrent pas en conflit avec le Haut-Commissariat à l’amazighité. Si El Hachemi Assad, responsable de cette instance, préfère parler de complémentarité et d’interaction. Au demeurant, les deux structures sont rattachées directement à la présidence de la République comme stipulé par la Constitution de 2016. S’il y a débat précoce et légitime sur le mode électif ou de désignation du président de cette académie, unanimement l’on estime que le poste doit revenir à un scientifique, comme c’est le cas partout ailleurs. Mais, déjà, ce poste suprême attiserait les convoitises parmi la communauté de chercheurs et professeurs versés dans la question de tamazight. Mouloud Lounouaci, avec lequel nous nous sommes entretenu, en a fait les frais (voir entretien). Et pour mettre fin à tout «fake», l’ex-militant du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) nous dit qu’il n’est pas intéressé par l’académie. Il s’en explique au demeurant.

Si El Hachemi Assad, Secrétaire général du HCA :
«L’académie pour le premier semestre en cours»

C’est imminent, l’académie est un grand acquis qui se concrétisera au cours du premier semestre de cette année. Il soulagera le HCA, car cette académie prendra en charge les autres aspects qu’assurait le Haut-Commissariat à l’amazighité selon les orientations des pouvoirs publics, c’est-à-dire le travail académique et universitaire. Il existe en son sein une direction de la recherche. Entre l’Académie de la langue amazighe et le HCA prévaudront des relations de complémentarité et d’interaction. Je rappelle que tamazight est entré à l’université en 1990.
D’ailleurs, c’est dans cet esprit que nous avons proposé l’ouverture à Tamanrasset d’un institut des langues et culture amazighes et d’une section d’enseignement de tamazight dans le cycle primaire et à l’Institut supérieur des enseignants à Ouargla.

Abderrezak DOURARI, Directeur du CNPLET :
«L’Académie de tamazight, c’est l’autorité de coordination des différentes langues parlées»


Le Soir d’Algérie : Où en est le projet d’Académie de la langue berbère ?
Abderrezak Dourari 
: En janvier dernier, une commission a été constituée auprès du Premier ministre pour mettre en chantier la loi organique prévue dans l’article 4 de la Constitution de 2016 qui stipule que tamazight est langue nationale et officielle dans ses différentes variantes parlées sur le territoire national.

Quelles sont les personnes qui ont travaillé sur cette loi ?
Une telle loi implique bien évidemment les politiques, c’est-à-dire les différents ministères dont ceux de l’Education, la Culture, l’Enseignement supérieur, la Formation professionnelle, le Premier ministère et de l’autre côté, le Haut- Commissariat à l’amazighité (HCA), ainsi que des experts linguistes et sociolinguistes, lesquels, d’une manière ou d’une autre, devront être de futurs membres de cette académie. Le groupe a travaillé durant un mois pour un cadrage juridique global de cette loi qui n’existait pas. Après cela il était nécessaire de passer à une autre étape au niveau du secrétariat général du gouvernement avec des représentants des secteurs concernés par la naissance d’une nouvelle entité qui s’appelle l’Académie de la langue amazighe.
C’est ainsi que l’on est parvenu à un accord sur la définition de ses différents organes, ses différentes missions, de même pour les différents partenaires et enfin son mode de fonctionnement.

Quel serait le profil des personnes susceptibles de faire partie de l’académie ?
Le profil est défini avec le rang professoral, de directeur de recherche ou de sciences connexes et qui est lié de par sa fonction à la langue amazighe. Chez nous, ce n’est pas nouveau puisqu’en 1986 a été créée l’Académie de la langue arabe et en 2016 l’Académie des sciences.

L’Académie de la langue amazighe dépendra de quelle tutelle ?
Elle relèvera, comme le stipule la Constitution, de la présidence de la République.

Quel serait le rôle du HCA ?
Le HCA a des activités qui n’ont rien à voir avec l’académie. Le HCA est aussi une instance auprès de la Présidence chargée de la promotion de la langue amazighe pour une plus grande visibilité, la médiatisation de la culture, du patrimoine, etc.
L’activité de l’académie est purement scientifique. Elle ne peut pas être le prolongement du HCA mais il est évident qu’il va y avoir des interactions et des complémentarités.
L’académie devrait être entendue comme l’instance de normalisation de la langue. Cela dit, le projet de loi organique définit clairement ce que sera cette académie.

Celui qui sera porté à la tête de l’académie le sera-t-il par mode électif ou par nomination directe ?
Une académie ne peut pas être dirigée par un politique.
A sa tête, il faudra un scientifique de renom, comme je viens de le signaler, et qui devra avoir certainement nombre de qualifications. Cela est mon opinion. Il reste que l’on peut s’inspirer du décret de création de l’Académie de la langue arabe présidée par Abderrahmane El Hadj Salah aujourd’hui décédé.
Elle peut être ainsi constituée d’un conseil de 30 à 40 membres qui élisent un bureau. Les candidatures pour le poste de président d’académie sont libres et ouvertes.
Le principe est que c’est le conseil qui vote, comme c’est la tradition dans toutes les académies du monde. Il reste que dans le cas de l’Académie de la langue arabe, El Hadj Salah a été désigné comme autorité de référence.

Désignation, élection ? 
On ne peut pas anticiper car il faut aussi savoir comment seront désignés les membres du conseil. Cela pose un problème parce que c’est une première expérience. Si le président venait à être nommé, ce n’est pas un problème dans une période inaugurale car il s’agit de lancer le travail et constituer le conseil.

Y a-t-il une échéance quant à la date de la mise en place de l’Académie de la langue amazighe ?
Je ne saurais le dire, cela relève du gouvernement.

Que dites-vous du timing imprimé au dossier de tamazight car cela semble aller très vite : tamazight langue nationale puis officielle, Yennayer fête nationale chômée et payée, et aujourd’hui l’académie ?
ll n’y a pas précipitation. 

La Constitution a été promulguée en 2016 et nous sommes en 2018.
Qu’est-ce qui peut changer avec toutes ces mesures en faveur de tamazight ?
S’agissant de l’académie, sa nécessité m’est apparue dans mes recherches que j’ai entamées par ailleurs dès 1990. C’est une réalité plurielle. Il n’y a pas une langue unique qui s’appelle tamazight. Cela est vrai quand on regarde les identités structurales entre les différentes variétés. Dans la linguistique interne, celles-ci se ressemblent effectivement. Mais au plan sociolinguistique c’est complètement différent de l’Egypte, des Iles Canaries, du Mali, au Niger, etc. Elles se ressemblent au plan structural mais cela ne permet pas d’établir l’intercommunication de ces langues. Jusqu’à aujourd’hui, les gens l’ont normalisé comme ils ont voulu et cela a provoqué une véritable foire d’empoigne. J’ai signalé le danger de tamazight, langue artificielle, créée dans différents laboratoires sans coordination. Cela risquait de devenir le mal et non la solution pour la préservation de ces langues car elles pouvaient ainsi les effacer au profit de la langue dominante.
Il faut par conséquent une autorité de coordination dans le domaine de la normalisation, et c’est le rôle de l’académie, un projet que je défends depuis 2006.

Rabhi ALLAOUA, Maître de conférences à l’université de Béjaïa :
«Il faut éviter de donner naissance à un monstre linguistique»

«Cela fait 20 ans que nous attendons la mise en place de ce concept d’académie qui prend en charge la standardisation de la langue amazighe capable d’être enseignée et d’être présente dans la communication. Il y a une décennie, les départements de langue et de culture amazighes étaient déjà ouverts. Nous étions pour l’émergence d’une académie à partir de la base, contre le parachutage. Aujourd’hui, il y a évolution, nous sommes à même de proposer une composante répondant à des critères clairs qui puisse concrétiser dignement ces objectifs. Une académie est une structure pérenne, plutôt technique, ni idéologique ni politique, et qui peut mener un débat sur les aspects sociolinguistiques. Quant à la composante, j’insiste sur les compétences dont le grade d’enseignant universitaire, la maîtrise de la langue pour un enseignant universitaire à l’oral et à l’écrit. Quant à la promulgation de la loi organique de l’académie, ça se discute, même si ç’est urgent. Toutefois, il faut donner le temps au temps. Cela dit, il y a visiblement une volonté politique manifeste de l’Etat sur cette question. Je signale que l’encadrement à l’université est suffisamment étoffé. D’autre part, il faut sauvegarder les langues maternelles — ce lien affectif — qui permet d’acquérir les autres langues. Sur le long terme, il faut réfléchir dans un premier temps à enseigner les dialectes, chacun dans sa région, encourager et inciter la société de façon à ce qu’un Chaoui apprenne le kabyle, le tamachek, le targui, les autres dialectes et inversement.
A long terme, cela permettra de faciliter l’intercompréhension et on tendra ainsi vers un standard qui nous appartiendra à tous. C’est important et j’insiste : il nous faut éviter de donner naissance à un monstre linguistique.»

Mouloud LOUNAOUCI, linguiste :
«Je ne suis pas candidat à l’académie»

Le Soir d’Algérie : Selon certaines sources médiatiques, votre candidature à la tête de l’Académie de la langue amazighe qui aurait été proposée par le SG du FLN, Ould Abbès, a été sèchement rejetée en Conseil de gouvernement par le Premier ministre Ouyahia au motif que vous êtes un ex- militant extrémiste du RCD…
Mouloud Lounaouci 
: Je voudrais rappeler que ce n’est pas la première fois que je fais l’objet de rumeurs. Vous m’offrez l’occasion de dire que je n’ai pas formulé la moindre demande. Je suis médecin et j’exerce ce métier que j’aime à ce jour. La politique a toujours été pour moi une conviction et je n’en ai jamais fait une carrière. J’ai poliment refusé tous les postes qui m’ont été proposés. Je pense que le propre du citoyen est de s’impliquer dans la vie publique et c’est dans ce sens que j’ai eu à donner mes avis et opinions sur les grandes questions du pays, principalement celles qui touchent à la nature de l’Etat et celles liées à l’amazighité. Les études que j’ai entreprises en linguistique ne sont pour moi qu’un outil pour mieux m’armer et mieux défendre ce à quoi je crois profondément.
La défense de la liberté, la justice et la pleine citoyenneté qui restent pour moi mon carburant. L’amazighité entre dans ce cadre. De là à savoir si mon nom a été proposé en Conseil de gouvernement, franchement je ne suis pas dans le secret des dieux et cela ne change rien pour moi, sur le plan personnel. Quant à être un militant extrémiste du RCD, je rappelle que j’ai démissionné de ce parti pour des raisons personnelles depuis de nombreuses années. Je n’ai pas été exclu et donc je n’ai pas eu à être réhabilité. Par contre, le terme extrémiste est une chemise qui me va trop grand. J’ai toujours dénoncé la violence et les atteintes à la personne. Par principe, je respecte toujours les gens respectables, y compris mes adversaires politiques. Cela ne m’empêche pas de défendre avec véhémence mes convictions.

Cela pose par conséquent le problème du profil de l’éventuel candidat…
J’ai eu à m’exprimer sur le profil du président de cette institution. Compétence et militantisme sont les maîtres- mots. Un haut diplôme n’implique pas nécessairement une haute compétence. Il s’agit de trouver la personne experte dans un des domaines qui touchent à l’amazighité mais qui ait également une expérience réussie dans la gestion d’une institution d’une même envergure. Il s’agit aussi de trouver la personne qui accepte de donner de son temps et de ses efforts. Un président militant est, tout simplement, celui qui est capable de travailler plus de temps que celui pour lequel il est rémunéré. Les problèmes techniques peuvent être aisément réglés par les nombreux spécialistes qui exerceront au sein de cette institution s’ils sont bien encadrés. Nous n’avons plus de temps pour gérer les «tire-au-flanc».

Allez-vous vous porter candidat à la tête de cette instance ?
Pour les raisons dont j’ai parlé plus haut, je ne suis pas candidat pour diriger l’académie. J’espère qu’on trouvera quelqu’un de bien plus compétent et qui donnera tout son temps à cette institution.

Par quel mode doit être porté le candidat à la tête de l’académie : mode électif par ses pairs ou peut-il être désigné ?
L’important est qu’il réponde aux vœux des locuteurs. S’il ne répond pas au profil attendu, le mode de désignation ne changera rien. La désignation pose évidemment problème mais le mode électif par les pairs n’a de sens que si ceux-ci répondent, eux-mêmes, au profil désiré.
Nous connaissons tous les méfaits du centralisme démocratique.

Quel devrait-être son statut par rapport aux autres institutions, selon vous ?
N’exagérons rien. L’académie est une institution parmi d’autres. Notre académie doit être une institution dynamique au service du développement et de la modernisation de la langue amazighe, qui doit se battre pour son implantation dans tous les domaines de la vie publique, qui encouragera les travaux de recherche et la production littérature. Mais aussi elle devra s’impliquer dans la réécriture de l’histoire.

Quels seraient ses rapports avec le HCA ?
Le HCA était une institution rattachée à la Présidence. J’emploie l’imparfait puisque depuis de nombreuses années elle n’a plus de cadre juridique.
Pourquoi ce dernier n’a pas été reconduit ? La question reste posée. Un Conseil supérieur de l’amazighité devait voir le jour (promesse du président de la République), peut-être en remplacement du HCA, mais on ne voit rien venir.
Je crains donc que les relations dont vous parlez ressemblent à celles qui existent déjà avec le CNPLET, c’est-à-dire pas grand-chose.

Que peut-on attendre de cette académie dans la promotion des langue et culture berbères ?
Cette institution aura, avec d’autres institutions existantes ou à venir, à se consacrer à la défense des langue, culture et identité amazighes. Forcément elle aura à travailler en lien serré avec les universités et autres instituts de recherche. L’académie sera obligatoirement un lieu privilégié de défense de l’amazighité. Elle aura donc à assumer, prioritairement, les choix des locuteurs (notamment la graphie, la langue à enseigner, le contenu pédagogique) même si la question amazighe, dans toutes ses composantes, reste le patrimoine de tous les Nord-Africains.
Elle se chargera de la coordination des travaux de recherche des sections régionales (notamment de dialectologie), de la mise en place d’un centre de terminologie disposant d’un service de réponse ponctuelle pour aider les citoyens à participer à l’amazighisation de l’environnement.
Elle entrera en relation avec les institutions similaires des autres pays nord-africains pour travailler dans le sens d’une unification progressive de la langue, mais aussi avec les centres de recherche au niveau mondial afin de capitaliser leurs expériences. Ce ne sont là que les grandes lignes qui attendent les futurs académiciens.
Mission ardue, difficile, prenante, mais passionnante pour les passionnés. C’est pourquoi je disais au tout début qu’il fallait aussi être militant de la cause.
B. T.


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