Algérie / De l’action populaire pacifique


Tribune



« Ceux qui tuent, viendra le jour où ils s’entre-tueront. Partout et toujours, l’histoire a donné la leçon. Celui qui vainc sans armes et sans tuer, montre ainsi la puissance de sa raison et de ses pensées. »

« Al hanana, ya ouled ! » (La tendresse, les enfants !)

En 2012, lors de mon retour au pays, après une quarantaine d’années d’exil volontaire, le « commissaire » (quelle appellation !) du Festival International de Théâtre de Bejaïa me « permit » de réaliser une pièce de théâtre à présenter lors de cet événement. Son thème fondamental était la non-violence, inspirée de l’action et de la théorie de Gandhi, comme stratégie défensive victorieuse. La citation en exergue ci-dessus vient de la pièce

La plupart des « bien-pensants » d’Algérie m’objectèrent que cette idée de non-violence ne pouvait être que d’un Algérien totalement déconnecté des « réalités » de l’Algérie, parce que vivant depuis trop longtemps à l’étranger ; certains osèrent jusqu’à parler de « mièvrerie » et d’une personne qui vit dans la planète Mars.

Enfin, pour enterrer l’idée de résistance pacifique comme stratégie, les plus malhonnêtes déclarèrent, contre toute évidence du contenu de la pièce, que l’œuvre que je présentais était un éloge de la … « réconciliation nationale » de l’ex-président Bouteflika. Ce fut le motif pour que le « commissaire » du Festival, nommé par l’oligarchie bouteflikiste, après une unique représentation, a interdit définitivement d’autres représentations de l’œuvre (1). Quant à l’argent employé pour la réalisation de la pièce, le « commissaire » ne s’en désola même pas, puisque « ‘Ammi Messaoud » (Oncle Messaoud), autrement dit les puits de pétrole de Sidi Messaoud permettaient tous les gaspillages. C’est dire combien large, profonde et nocive est la « issaba » (bande de mafieux) dominant le pays des chouhadas.

Et voilà que sept années après, en 2019, le peuple choisit, contre toute attente des mêmes « bien pensants », la stratégie gandhienne de non violence pour exprimer publiquement ses revendications sociales. Le groupe de personnages incarné dans la pièce, hommes et femmes, appelés « hmamât » (colombes, en référence au symbole de la paix) devint des millions d’Algériens et d’Algériennes, manifestant pacifiquement et joyeusement dans les rues d’Algérie. À la hogra dont je fus victime de la part du « commissaire » du Festival, et de ses compères dans une certaine presse, le peuple m’a libéré. Et je l’en remercie de tout cœur !

Il faut plus de courage et d’intelligence pour affronter un adversaire pacifiquement.

Pouvoir de l’intelligence

Certains voient dans l’emploi de la méthode pacifiste gandhienne une inspiration néo-impérialiste manipulant le peuple par l’intermédiaire de harkis indigènes. En effet, des motifs sérieux constituent des preuves irréfutables de cette visée manipulatrice.

Néanmoins, cette tactique pacifique peut être une arme efficace au service du peuple, à condition qu’il sache comment l’employer à son bénéfice. Martin Luther King l’employa avec succès, même s’il fut assassiné (d’ailleurs, Gandhi le fut également), pour la conquête sociale des droits civiques aux États-Unis (2).

Quant à l’intifadha populaire actuelle en Algérie, ses résultats si pas encore totalement concluants, ils ne sont toutefois pas négligeables. Certes, vues les difficultés rencontrées, – notamment l’incapacité d’auto-organisation et d’élection de représentants adéquats (3) -, des doutes persistent, un certain pessimisme est compréhensible quant au succès final de l’intifadha populaire algérienne. Il reste à ses activistes de trouver comment poursuivre efficacement l’action pour l’obtention de leurs buts légitimes : liberté, égalité et solidarité collectives. Uniquement ainsi, à l’Algérie et à son peuple sera redonnée la dignité exemplaire que lui avaient conférée ses chouhadas, et dont veulent, depuis lors, se venger les oligarchies vaincues, avec l’habituelle complicité de leurs harkis locaux, constituant la fameuse « issaba

Devant des adversaires capables de recourir à la violence physique, sous prétexte de violences de la part des manifestants, et sachant que ce genre de violence, d’où qu’elle vienne, est absolument néfaste tant pour le peuple que pour la nation algérienne, ce même peuple contestataire a su jusqu’ici maintenir le principe pacifique dans la revendication de ses légitimes droits bafoués par un régime mafieux, répétons-le. Et ce pacifisme est maintenu, malgré les tentatives, de la part du régime contesté, de manipuler de diverses manières la situation à son profit. Pour l’intifadha populaire, quelques soient par ailleurs ses carences, le maintien jusqu’ici de la pratique pacifiste est la démonstration d’une intelligence aiguë en matière d’action sociale.

Force et faiblesse

Partout dans le monde, les diverses expériences de rupture sociale radicale, au bénéfice du peuple, ont démontré ceci : le recours à la violence, de la part du peuple, pour éliminer une oligarchie trop prédatrice, n’a conduit jusqu’à présent à rien d’autre qu’à l’instauration d’une oligarchie de forme nouvelle. Elle parvient à récupérer l’action contestataire radicale du peuple, et  s’empare du pouvoir, d’une manière ou d’une autre. Cette caste victorieuse prend soit la forme d’une « démocratie », en réalité capitaliste (donc exploiteuse), soit la forme d’une « démocratie populaire », en réalité capitaliste étatique (exploiteuse d’une autre manière, qui peut être même pire, voir les soit disant « camp de travail », l’interdiction de syndicats autonomes ou de s’expatrier, une police politique interdisant au peuple tout forme de contestation, même pacifique, etc. (4)

C’est que ce genre de rupture sociale, – élitiste, hiérarchique et autoritaire -,  s’opère par le recours à la violence. Or, ce mème recours à la violence, qui a servi à éliminer un système social honni, continue à servir pour créer et maintenir la nouvelle oligarchie dominante. La citation en exergue l’affirme.

Toutefois, il est vrai que la stratégie pacifiste, elle aussi, peut aboutir au même résultat non désiré par le peuple, à savoir la naissance d’une nouvelle oligarchie dominatrice. Le cas exemplaire est celui de l’Inde. Une fois obtenue l’indépendance par l’action pacifique gandhienne, le pays a vu s’établir une oligarchie inédite autochtone, dominatrice-exploiteuse, où les castes sociales perdurent, sans parler de l’obtention de la bombe nucléaire.

Ceci étant exposé, voici les avantages de la stratégie pacifiste, en constatant les résultats des diverses expériences historiques mondiales.

D’abord, contrairement à ce qu’affirment certains, il faut beaucoup plus de courage et d’intelligence pour affronter un adversaire de manière pacifique que de manière violente. Ensuite, la pratique pacifiste écarte, tout au moins par principe, toute velléité d’élitisme et d’autoritarisme hiérarchique totalitaire. Enfin, la pratique pacifiste opère sur les consciences citoyennes de la manière la plus large, la plus profonde, à long terme (5). C’est ainsi que les peuples, partout dans le monde, furent conscientisés et préparés aux actions de rupture sociale. Dans ces cas-là, le temps se compte en décennies. Ce qui n’est pas un motif individuel pour renoncer à l’éthique citoyenne d’ajouter sa propre contribution, selon les possibilités disponibles, y compris dans l’incertitude de voir se réaliser l’idéal espéré.

Cependant, hélas !, les « Grands Soirs » de révolution violente n’ont jamais concrétisé leurs belles promesses. Au contraire, le travail de « taupe » patiente du pacifisme a permis de concrétiser sinon tous ses objectifs, tout au moins certains, par exemple les droits de vote pour les femmes dans certaines nations « démocratiques » cependant machistes (les « suffragettes » en Angleterre), l’indépendance de l’Inde, les droits civiques dans les nations « démocratiques » cependant racistes (États-Unis). Aujourd’hui, par exemple, l’État colonialiste d’Israël craint moins l’action armée du peuple palestinien que son action pacifique de boycott des productions réalisés illégalement sur la partie du territoire de Palestine revenant de droit, reconnu par les Nations Unis, au peuple palestinien. Rappelons, également, dans le passé, l’impact très important qu’eut le boycott économique pour l’élimination de l’apartheid en Afrique du Sud.

La méthode pacifiste en est venue à être considérée par les agences des oligarchies impérialistes, néo-colonialistes et colonialiste sioniste comme un instrument fondamental de manipulation des peuples dominés-exploités, pour le changement de régimes politiques, mais au profit de ces mêmes oligarchies impérialistes, néo-colonialistes et colonialiste sioniste. C’est dire l’importance de cette stratégie, puisque les ennemis des  peuples, eux-mêmes, y recourent. Dès lors, comme déjà dit auparavant, cette méthode d’action pacifique, même dans le cas de violence manifestée par l’adversaire dominateur, devrait se maintenir coûte que coûte (rappelons-nous les massacres des colonialistes anglais en Inde, durant la revendication d’indépendance), car la stratégie pacifiste peut se révéler victorieuse au bénéfice des peuples. Tout le problème est d’éviter les tentatives oligarchiques de diviser pour dominer le peuple, que celui-ci donc doit maintenir son union solidaire. Cela ne veut pas dire qu’en son sein des contradictions n’existent pas, mais qu’il lui faut  leur trouver des solutions de manière démocratique, selon la loi de la majorité, quand l’unanimité se révèle impossible.

Encore de l’intelligence !

Reste au peuple d’empêcher la naissance d’une oligarchie nouvelle, pour réussir à construire le système social au bénéfice du peuple tout entier. Tout est là : vaincre par l’action pacifique et, par elle encore, établir la démocratie dans sa forme la meilleure (d’autres disent la moins mauvaise), à savoir celle où réellement nous avons affaire à « houkm a chaab »[1] (le pouvoir du peuple), par et pour le peuple. Cela signifie, – répétons-le tant qu’il sera nécessaire – : liberté, égalité et solidarité collectives, seule manière d’éliminer toute forme d’exploitation de l’être humain par son semblable, sans oublier l’exploitation criminelle des ressources naturelles de la planète.

Utopie ?… Elle ne l’est que tant qu’elle ne sera pas réalisée. Comme l’utopie qui élimina l’esclavagisme, puis le féodalisme. Pourquoi donc le capitalisme, privé ou étatique, serait-il éternel ? Quant à croire le « moins mauvais » le système « libéral », n’est-il pas oligarchique ? Le « moins mauvais » son système économique capitaliste, n’est-il pas monopoliste, fauteur de guerres pour la conquête des marchés mondiaux et destructeur des ressources naturelles de la planète ? Le « moins mauvais » son système démocratique, n’est-il pas oligarchique ? La « moins mauvaise » sa civilisation, ne produit-elle pas les ravages écologiques et le conditionnement idéologique transformant les êtres humains, individus et peuples, en ennemis engagés dans un féroce et impitoyable « struggle for life », en robots travaillant uniquement pour le profit de la caste oligarchique, en âmes mortes dévoreuses d’anxiolytiques, au profit des multinationales de médicaments, en mercenaires en uniforme d’armées d’agressions au profit des usines d’armement, en des animaux dont le comportement est inférieur à celui des bêtes sauvages, réduisant la planète à un asile de dérangés mentaux, dirigés par des psychopathes diplômés, cravatés, au sourire aussi grimaçant qu’hypocrite, où tout est publicitaire, donc mensonger et manipulateur, dans le seul but d’enrichir une minorité d’obsédés de compte en banque, pour lesquels « après moi, le déluge ! » ?

Dès lors, pourquoi ne pas essayer, de manière pacifique, avec la patience et l’intelligence nécessaires, l’instauration d’une démocratie de type populaire, laquelle est autogestionnaire, c’est-à-dire auto-gouvernée par des institutions reflétant réellement la volonté populaire la meilleure ? Et que veut tout peuple, enfin conscient, débarrassé de tout conditionnement oligarchique, sinon la liberté, l’égalité et la solidarité pour toutes et tous sans exclusion aucune, au sein et entre les nations de cette planète ?

[1]    Que penser des linguistes arabes qui ont la fainéantise intellectuelle de traduire « démocratie » par cet affreux mot « dimocratiya », au lieu d’agir comme les linguistes chinois ? Ces derniers, au lieu de s’abaisser à être de piètres suivistes néo-colonisés, disent « mín zŭ », textuellement « peuple maître », ou, traduit de manière plus libre mais fidèle : gouvernement (administration, gestion) [du, par] le peuple. Sur le problème linguistique, voir « DEFENSE DES LANGUES POPULAIRES : Le cas algérien », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-defense_langues_populaires.html

Kaddour Naïmi

[email protected]


(1) Détails sur l’affaire in « Éthique et esthétique au théâtre et alentours », LIVRE 4 : « Retour en zone de tempêtes », librement disponibe https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-theatre-oeuvres-ecrits%20sur%20theatre_ethique_esthetique_theatre_alentours.html La pièce est visible ici : https://www.youtube.com/watch?v=YhW3_B6UDto

(2) Voir « Des adversaires du mouvement populaire et comment les neutraliser » in « Vers l’intifadha populaire en Algérie 2019 », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-vers-intifadha-algerie-2019.html

(3) Voir « Des représentants du mouvement populaire : 1. Sont-ils inutiles ? 2. Sont-ils nécessaires ? » in « Vers l’intifadha… », o. c.

(4) Voir « Démocratie, mais laquelle ? » in « Sur l’intifadha populaire en Algérie 2019 », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-sur-intifadha-algerie-2019.html

(5) Voir « La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?… », chapitre « Pacifisme », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-guerre-paix.html


[1]    Que penser des linguistes arabes qui ont la fainéantise intellectuelle de traduire « démocratie » par cet affreux mot « dimocratiya », au lieu d’agir comme les linguistes chinois ? Ces derniers, au lieu de s’abaisser à être de piètres suivistes néo-colonisés, disent « mín zŭ », textuellement « peuple maître », ou, traduit de manière plus libre mais fidèle : gouvernement (administration, gestion) [du, par] le peuple. Sur le problème linguistique, voir « DEFENSE DES LANGUES POPULAIRES : Le cas algérien », librement disponible ici : https://www.editionselectronslibres-edizionielettroniliberi-maddah.com/ell-francais-sociologie-oeuvres-defense_langues_populaires.html


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03.07.2019

Quinze partis et organisations appellent les Algériens à marcher massivement le 5 juillet

Par Mounir Serraï − Des partis et des organisations, quinze au total, appellent le peuple algérien à se mobiliser et à participer massivement à la marche du vendredi 5 juillet, qui coïncide avec la fête de l’Indépendance nationale.

«Dans quelques jours, nous célébrerons le 57e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Ce couronnement de 132 ans de lutte et de sacrifices, de 7 ans de révolution de tout un pays contre le colonialisme, ne saurait être effectif sans l’instauration d’un véritable Etat démocratique et social, tel que préconisé par le Congrès de la Soummam», soulignent ces partis et organisations, pour lesquels «un Etat démocratique et social ne peut se construire sans la libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus d’opinion. Un Etat démocratique et social ne peut se construire sans une transition constituante pour une totale rupture avec ce système rentier et corrompu».

Ces partis et organisations annoncent ainsi un rassemblement, jeudi 4 juillet à partir de 18h, sur l’esplanade de la liberté d’expression Saïd-Mekbel, à Béjaïa. Ils appellent les Algériens à rejoindre massivement, la marche du vendredi 5 juillet pour notamment «rendre hommage aux martyrs de la Révolution de 1954, exiger la libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus d’opinion, et pour réclamer une transition constituante.

Parmi les signataires de cet appel, l’Association des victimes d’Octobre 88, le Comité de solidarité avec les travailleurs (CST), le Groupe Algérie algérienne (GAA), la Ligue algérienne de la défense des droits de l’Homme (LADDH), le Rassemblement action jeunesse (RAJ), le Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (Satef),  le Syndicat national des travailleurs de l’éducation (SNTE), le Syndicat national des travailleurs des postes, le Front des forces socialistes, Jil Jadid, le Parti social des travailleurs (PST),  le Parti des travailleurs (PT) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD).

M. S.


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