Algérie / Gouvernance : Le vrai bilan de l’ère bouteflikienne

Par Mohamed Maïz * 

C’est de l’angle macropolitique et macroéconomique, et non de la juxtaposition mécanique des actions sectorielles, d’ailleurs à faible incidence sur la croissance, que se doit d’être évalué le vrai bilan de la gouvernance de ces quatre dernières mandatures.

Les camelots du landernau politique, missionnés en cette fête foraine préélectorale pour vanter à la criée les atouts de leur camelote, qu’est le 5e mandat, développent leur marketing politique autour d’un argumentaire élogieux de “l’œuvre” accomplie sous le règne d’une gouvernance spectacle. Le galimatias égrène la liste, invérifiable, des réalisations à inscrire à l’indicatif du génie providentiel qui préside aux destinées du pays. C’est de l’angle macropolitique et macroéconomique et non de la juxtaposition mécanique des actions sectorielles, d’ailleurs à faible incidence sur la croissance, que se doit d’être évalué le vrai bilan de la gouvernance de ces quatre dernières mandatures. Hautement plus stratégique qu’un quantitatif à usage interne, l’enjeu est au niveau de la logique de fonctionnement des relations internationales qui pousse au délestage des éléments fragilisés par leur moindre compétitivité.
La férocité de la compétition qui se joue à l’international dans les domaines économique, technologique, militaire et diplomatique fait peu de cas des anachronismes, mus par de quelconques considérations, empreintes d’un humanisme déclassé par la realpolitik. Les États redoublent de prospectives, de stratégies, et d’efforts, de construction et de consolidation de leur économie pour se hisser au niveau du peloton de tête qui mène à un rythme soutenu, et fatal pour les retardataires, la course effrénée au développement. À l’inverse, comme happée par une fatalité irréversible, l’Algérie éprouve visiblement la plus grande peine à se désembourber des sables mouvants du sous-développement. La difficulté d’endosser la responsabilité de la réalité économique et de l’assumer, non pas à des fins de culpabilisation, mais dans un souci de rectification des erreurs commises, fait place dans une espèce de politique de l’autruche à un état d’esprit peu constructif. Le recours à la gymnastique dialectique et à la trituration des chiffres pour l’étalage de bilans, invérifiables, dévie le débat. La centralité et la finalité de l’action gouvernementale ne sauraient être autre chose que l’émergence de l’Algérie, en tant que puissance : force est de reconnaître que le pays est très loin de cette perspective.
L’insertion marginale du pays dans la concurrence mondiale engendre de lourdes conséquences. En raison de la fragilité, de la déstructuration, de la mono-dépendance et de la pollution de son économie par nombre de fléaux, l’Algérie est éjectée à la périphérie du cercle autour duquel gravitent les pays voués à être les réceptacles à l’écoulement des surproductions étrangères. L’efficacité et la pertinence d’une gouvernance s’évaluent à l’aune de la diversification des sources créatrices de richesses, hors celle que la générosité divine a daigné enfouir dans le sous-sol.
Pour une gouvernance éclairée, vingt ans constituent une période suffisante, eu égard à la manne financière, à la mise en place de la base matérielle nécessaire au décollage économique. Davantage focalisée sur la conquête de pans de pouvoir et sur la consolidation d’un système qui fonctionne à la dévitalisation des institutions, à l’annihilation des contre-pouvoirs démocratiques et à l’allégeance des personnels politiques, la gouvernance actuelle condamne l’Algérie à végéter dans le sous-développement, à constater, impuissante, sa régression par rapport aux pays qui progressent, à se soumettre à sa marginalisation internationale et à exposer souveraineté et pouvoir de décision à tous les périls. À ce stade de l’exposé, il n’est pas inutile de se rappeler le triple engagement du candidat à la présidentielle qui, en 1999, déclarait : “J’éteindrai les feux de la fitna. Je m’engage à relancer l’économie nationale et je rendrai à l’Algérie sa place dans le concert des nations.” Vingt ans après cette promesse, une évaluation succincte s’impose.

1-L’extinction des feux de la fitna
1.1 L’islamisme armé est né en réaction à l’interruption du processus électoral. La confrontation a opposé le pouvoir, détenu par l’armée, et les groupes armés.
Prise dans l’engrenage des événements et des manipulations, la quasi-globalité du peuple a été une victime collatérale.
1.2 Le président Zeroual est venu à bout du terrorisme islamiste. Sa politique du “tout sécuritaire” a contribué à l’anéantissement des groupes armés. Sa loi sur la rahma a ouvert la voie à leur reddition sans conditions, et avec tarif spécial pour ceux d’entre eux qui ont du sang sur les mains. À son départ ne subsistait qu’un “terrorisme résiduel”.
1.3  Vaste manœuvre politicienne, la concorde civile s’est inscrite dans une démarche d’auto-légitimation, a posteriori, d’une présidence issue de la fraude électorale et discréditée par le retrait des principaux candidats en lice.
1.4  Se sentant dans la perspective politique d’une amnistie touchant tous les belligérants, quel que soit leur camp, la réconciliation nationale n’a jamais réconcilié, de fait, personne, car le pardon ne procède pas de l’unilatéralisme magique d’une loi.
1.5  La fitna armée, qui a opposé le terrorisme islamiste au pouvoir des janviéristes, a laissé place à une fitna pacifique entre le peuple et le pouvoir actuel. Cette profonde discorde s’est traduite par une fracture sociale entre un pouvoir illégitime, car issu de la trituration de la Constitution, et discrédité par la corruption et l’affairisme malsain, et une population qui a pris le parti d’exprimer son rejet de l’illégalité et de l’opportunisme, en prenant la route de l’exil ou en traitant, comme le font les supporters dans les stades, les dirigeants politiques de tous les noms d’oiseaux. Tout comme sont significatifs les slogans scandés par les réactions populaires au 5e mandat. Bien que non sanglante, cette fitna qui vide l’Algérie de son peuple et de ses élites intellectuelles n’en est pas moins alarmante que la première.
Elle a fini par creuser un fossé entre, d’une part, une minorité politico-financière, prédatrice, amorale et maffieuse, et, d’autre part, une majorité populaire qui ne pense qu’à fuir le pays par dépit et par colère. Plutôt affronter les monstres de la mer que de subir les affres des dinosaures de la terre.

2-La relance de l’économie nationale
Point n’est besoin de revenir sur la dégradation des grands équilibres macroéconomiques et budgétaires et sur les indicateurs économiques principaux, dont la plupart sont au rouge. Les analystes ont, à ce propos, tout dit. L’échec, en ce domaine, renvoie à l’inconstance d’une politique économique caractérisée par des approches conceptuelles approximatives, éphémères et inabouties.
Au début de son premier mandat, l’Algérie était dépendante à 98% de ses recettes des hydrocarbures, vingt ans après, le pays dépend toujours à 98% de ses recettes des hydrocarbures. Plus de 1000 milliards de dollars que le pays a engrangés durant ces 20 dernières années, l’Algérie s’est retrouvée à recourir à de la fausse monnaie pour arrondir son déficit budgétaire. Faillite économique et déroute financière ont marqué les 4 mandatures de Bouteflika.

3-Le repositionnement international de l’Algérie
Au terme de ces deux dernières décennies, la diplomatie algérienne est devenue quasiment inaudible et d’une efficacité très moyenne sur la scène politique mondiale. Non pas faute de talents en la matière, mais essentiellement en raison de l’absence et de la défection du pays dans les rencontres présidentielles à un haut niveau. Les positions diplomatiques algériennes relatives aux grands dossiers de l’heure ne rencontrent pas toujours auprès des instances onusiennes, européennes, continentales, régionales et des organisations arabes le succès qui, jadis, était le leur.
Résultat direct des incohérences politiques et économiques internes, cette régression diplomatique lèse les intérêts géostratégiques nationaux. Ainsi, au terme de quatre mandatures, les grandes lignes macroéconomiques et macropolitiques du bilan s’établissent comme suit :
1- Perpétuation de l’anachronisme d’un système politique dont les blocages et les dysfonctionnements ont conduit à l’impasse du 5e mandat et à l’échec économique et social.
2- Précarisation de l’économie nationale, marquée par l’impact négatif de la discontinuité des visions, options et programmes, faute de planification à long terme, et le report des réformes structurelles, dont la non mise en œuvre prolonge la mono-dépendance aux hydrocarbures, et les déséquilibres macroéconomiques et budgétaires.
3- Déclassement du pays dans la hiérarchie mondiale et son cantonnement comme déversoir des surproductions étrangères.
4- Ratage du décollage économique dû à l’impréparation de la base matérielle et des conditions nécessaires, et prolongement de la stagnation dans le sous-développement.
5-Fracture sociale entre le peuple et le pouvoir qui pousse les élites intellectuelles à l’exil et la jeunesse à fuir le pays par tous les moyens.
6- Régression de l’efficacité de l’action diplomatique en raison, principalement, de la défection présidentielle des grandes rencontres internationales, de la dérision dont est l’objet le pays, et de son statut de sous-développé.
Ce faisceau d’éléments négatifs a concouru à la dévalorisation de la respectabilité et de la valeur du passeport algérien, soumis quasiment à tous les visas à travers le monde.
7-Inaptitude à protéger la citoyenneté algérienne : impact collatéral subséquent à la régression globale qu’a connue le pays, la déconsidération, à l’international de la citoyenneté algérienne, a atteint des proportions qui ne sont pas sans rappeler le funeste code de l’indigénat.
L’épisode de ministres de la République, en exercice, dévêtus, fouillés et humiliés à Orly  montre qu’il y a encore loin entre la promesse de redonner à l’Algérie sa place dans le concert des nations et la réalité.
(*) Universitaire


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