Algérie : L’élection présidentielle à l’heure de l’opacité et des incertitudes

Pour de nombreux avis, parfois officiels, l’idée d’un consensus sur le 5e mandat, lancée par les marionnettistes de l’ombre, s’apparente à de la poudre aux yeux. L’enjeu est ailleurs. Analyse.

Elles sont, pour le moins, affligeantes, ces images rapportées par les médias télévisuels, de la décrépitude et de la déchéance d’un autocrate, devenu, au crépuscule de sa vie, l’otage de son propre égocentrisme, et de sa passion, psychopathologique du pouvoir, dans un système pseudo-démocratique dont il aura, au temps de sa superbe, parachevé, méthodiquement, la monstruosité. Par une centralisation, outrancièrement, monopolistique de la décision, le dévoiement de la Constitution, l’annihilation de tout contrepouvoir démocratique, l’assujettissement des institutions républicaines et la prostitution des consciences d’une partie de la classe politique, il se sera évertué, peu soucieux de la légitimité populaire, à favoriser à la faveur de ses mandatures à répétition, l’émergence d’un mode de gouvernance adapté à sa conception, absolutiste, de l’exercice du pouvoir. Rusant avec les lois et la Constitution pour régner à vie, refusant toute alternance, bâtissant un pouvoir autocratique, écrasant tous ceux qui refusent la génuflexion et permettant à une caste d’hommes proches du pouvoir, sans scrupules, de construire des fortunes colossales par l’obtention de faveurs, de monopoles commerciaux ainsi que des contrats sans aucune forme de légalité et tout cela dans un climat d’affaires teint par des scandales financiers et de corruptions jamais égalés. Plus un régime viole les lois et la Constitution, plus il se voit contraint de rester au pouvoir. Il se compromet de telle sorte qu’il ne peut plus ou qu’il a peur de quitter le pouvoir.
Et comme pour rester, il faut continuer à violer les lois et la Constitution ; l’épisode de l’Assemblée nationale en est un exemple parmi tant d’autres. Au-delà de son évident handicap démocratique, cette boulimie de pouvoir, qui sert des intérêts stratégiques, immédiats et personnels, présente le lourd désavantage au plan de la gouvernance, de véhiculer, intrinsèquement, les conditions potentielles d’un blocage institutionnel, préjudiciable au fonctionnement de l’État.
Plausible est, par ailleurs, la conclusion qui ressort d’un faisceau de faits, selon laquelle la sournoise et imperceptible translation vers le modèle monarchique devait, à terme, conduire vers une passation successorale quasi dynastique, sous le couvert d’artifices pseudo-démocratiques. Tel est le sens, semble-t-il, à donner au projet, reporté sine die suite au tollé général et au refus des centres de décision qui comptent, de création d’un parti politique, dont la direction devait échoir à la fratrie. Un programme, durablement, contrarié par le grain de sable, inattendu, que fut la lourde et subite maladie du compositeur de la partition. Fidèle à une culture sociétale qui prône la commisération à l’endroit de la souffrance humaine, et au delà de la divergence des appréciations et des positionnements politiques, l’opinion publique, outrée par le constat d’une maltraitance, aura eu tout le loisir de mesurer le degré d’insensibilité et de monstruosité des marionnettistes qui, embusqués derrière le rideau, dirigent le dernier acte de la dramatique pantomime et actionnent le réseau, prêt à l’emploi, des servilités de service, sommées, pour la circonstance, d’user de leur organe vocal, pour clamer, haut et fort, leur adhésion et leur soutien à une prorogation à l’ère bouteflikienne de momification du pouvoir. Jusque-là circonscrites, par la pratique systémique de l’omerta, dans les limites consensuellement définies, les dissensions, au sommet, débordent, désormais, en crues, de leur lit, pour se déverser sur la voie publique. Ces débordements, inhabituels, dénotent la violence du choc frontal entre les rapports de force, intra-systémiques, dominants. L’opacité qui régente ces frictions trouve sa pleine expression dans le processus, réfléchi, de marginalisation de l’opinion publique, confinée par décret unilatéral d’infantilisme politique, dans le carcan de la supputation. Cette mise à l’écart du peuple est la traduction gravissime, et, ouvertement, assumée, du déni, par la violence systémique, de la souveraineté populaire et de sa qualité de source exclusive du pouvoir. Dans le contexte de vide informatif, et, bien que sujettes à un déficit de transparence des données de l’analyse, les appréciations de la scène politique sont unanimes à rendre compte des conflits d’intérêts, claniques, qu’abrite, en cette tumultueuse fin de règne de l’ère bouteflikienne, la foire d’empoigne qui se déroule dans les hautes sphères. Les échanges Louh-Ouyahia sont la parfaite illustration de cette lutte et surtout de cette guerre de positions à visée électorale. Les causes de la mêlée, au demeurant, prévisible au regard de l’appropriation excessive de tous les leviers de commandement de la machine de l’État, se trouvent être dans l’anesthésie des institutions républicaines, dévitalisées, par la poigne de l’autocratie régnante, de leur énergie fonctionnelle, et, rendues amorphes, inopérantes et inaptes à assurer les conditions d’une alternance, démocratique, soucieuse de la légitimité populaire. De part et d’autre de la ligne de démarcation entre partisans de la continuité pour le parachèvement de “l’œuvre”, entamée en 1999, et ceux du changement dans le strict respect de la continuité systémique, s’affrontent de violentes ambitions. L’élimination, à la faveur de l’affaire de la cocaïne, d’éléments clés du pôle présidentiel, le désaveu, public, et, sans précaution juridique des décisions d’incarcération prononcée par la justice militaire, et, qui sonne comme un cinglant rappel de l’omniprésence et de l’omnipotence de l’épée de Damoclès ou du “Seïf elhadjadj”, les tirs croisés que s’échangent les partis dominants de la majorité présidentielle, malgré leur lénifiantes déclarations d’amitié, le débarquement sans ménagement, de l’ex-président de l’APN, et, l’irruption, inopportune de la “famille révolutionnaire” dans cette affaire de limogeage, la fin de mission du chef de file des thuriféraires, les dernières précisions à peine voilées quant aux possibilités d’un cacique, assassin de l’espoir, d’opérer “sa rencontre avec son destin”, et, enfin, les déclarations publiques d’un membre de la future coalition présidentielle affirmant que celle-ci n’a pas pour objet le soutien au 5e mandat, fournissent un début d’éclairage sur les protagonistes du pugilat. Au delà de la symbolique du 1er Novembre et, du traditionnel protocole qui lui est lié, tout porte à croire que l’éprouvante sortie du chef de l’État se veut être une affirmation, péremptoire, de la prééminence constitutionnelle, représentée par le clan présidentiel, avec lequel il faudra compter, tel semble être le message, dans le sprint final. À travers cette opération de marketing politique, les bénéficiaires, extra-constitutionnels, de la vacance du pouvoir ont, probablement, cherché à rappeler la qualité de leur “produit”, à une opinion publique médusée par l’immoralité de la démarche. Pour de nombreux avis, parfois officiels, l’idée d’un consensus sur le 5e mandat, lancée par les marionnettistes de l’ombre, s’apparente à de la poudre aux yeux. L’enjeu est ailleurs. Il s’agirait d’une manœuvre visant à faire diversion, et, à multiplier les supputations, de telle sorte à désorienter les plus avertis, pendant que se préparerait, dans le secret d’un cercle restreint, une alternance, coupée, sur mesure, aux mensurations des intérêts vainqueurs. La disqualification du régime autocratique, tapi dans le système pseudo-démocratique, que les rapports de force, même dans leur antagonismes, semblent pouvoir pérenniser, est prononcée par la contre productivité qui a, toujours, été la sienne, et, par son incapacité, et, son inaptitude à produire, et, à mettre en œuvre des schémas et des solutions, de nature à extraire le pays du cercles vicieux du sous-développement. La persistance, contre vents et marées, dans une voie systémique et dans un mode de gouvernance qui ont mené à un échec multidimensionnel, patent, à l’obturation des horizons, et, à l’évanescence de l’espoir d’un mieux-être, procède, à tout le moins, d’une inconscience politique, obnubilée par la longévité politique, et, d’un mépris du peuple, qui risquent d’hypothéquer, très dangereusement l’avenir. Qu’il soit clair, il n’y aura pas de salut pour nous tant que nous n’aurons pas reconnu et fait admettre à tous que nul n’est au dessus de la loi, que le vie et la dignité humaine sont sacrées et que nul n’a le droit de régner à vie sur un peuple.

Dr. Mohamed Maiz
Universitaire, membre de l’Observatoire citoyen algérien (OCA)

Liberte Algérie  10.11.2018

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