Algérie / Les engagements de Tebboune

05.05.2020

    par Ghania Oukazi

Abdelmadjid Tebboune a affiché, vendredi face à la presse, un optimisme «à toute épreuve» post-Covid-19, en répondant aux questions avec une assurance qui contredit la forte incertitude dans laquelle évoluent l’Algérie et le monde dans sa globalité.

  Ses réponses à la limite de certitudes ont laissé de nombreuses interrogations en suspens. Dont synthèse.« Nous disposons de moyens d’évaluation et de contrôle. Nous prendrons en charge toute personne ayant perdu sa source de revenu, notamment les journaliers», promet-il à propos des conséquences de la pandémie. Il indique qu’il a déjà instruit le gouvernement pour procéder à «un véritable recensement des personnes touchées». Il avoue cependant implicitement l’imprécision de toute donnée économique et financière en notant que «nous avons des statistiques qui concernent 50% uniquement de l’économie, à savoir les chiffres du circuit passant par le réseau bancaire et les services de douanes». C’est quand même un écart de 50% d’imperceptibilité qui laisse sceptique quant à une bonne reprise en main par l’Etat de ses équilibres budgétaires et les dépenses qu’il peut se permettre.

Plus, il déplore «l’absence de statistiques précises sur le secteur privé qui emploie un total de 1,5 million de travailleurs». Et relève que celui non structuré représente»quelque 6.000 milliards de DA à 10.000 milliards de DA de fonds à injecter(…)», un écart entre les deux estimations qui brouille les calculs. Avec ça, il évoque «une politique bien ficelée à laquelle s’attèle le gouvernement pour aider les industriels et les commerçants ayant enregistré des pertes importantes du fait de la pandémie». La LFC 2020 permettra, selon lui, «d’accroître les recettes fiscales à travers l’élargissement de l’assiette fiscale et l’allégement d’une partie des impôts comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de la suppression de certains impôts». Et comprend «des dispositions visant à resserrer le contrôle sur les opérations d’importation pour éviter la surfacturation».

Une cadence «moins rapide»

«Tout produit pouvant être fabriqué localement sera interdit à l’importation», dit-il, soulignant qu’ «uniquement l’importation des intrants utilisés par les opérateurs dans la production de produits à des taux d’intégration locale élevés sera autorisée». Il indique qu’»on œuvrera également à lutter contre le phénomène de monopole par les exportateurs des matières dont l’Etat subventionne les matières premières sur les produits de ces opérations d’exportation en plafonnant leur part à 50%, soit uniquement la valeur ajoutée de leurs activités». Il lie «ce resserrement» à la cadence de consommation des réserves de change du pays qui, selon lui, « sera moins rapide que les années précédentes grâce à l’élimination du phénomène de la surfacturation et du surcoût des projets en Algérie, ce qui nous a permis de préserver près de 30% de nos réserves de change». Il indique que «la valeur des produits alimentaires nécessaires dont a besoin le pays s’élève à près de 9 milliards de dollars par/an, beaucoup de produits importés auparavant seront fabriqués localement et par conséquent interdits d’importation». Autre promesse qu’il fait, «les projets de logement ne s’arrêteront pas, ils seront relancés sans aucun problème, avec la mobilisation des assiettes foncières nécessaires, ils seront encore moins coûteux que l’on ne le pensait». Pour lui, «la crise pétrolière est très conjoncturelle, ce n’est pas une crise structurelle». Et assure que «les prix du pétrole augmenteront», que «l’Algérie vit une situation difficile mais elle est loin d’être catastrophique». Le président pense qu’avec «un baril à 30 dollars, il y aura des entrées». Notant «la réduction des dépenses de fonctionnement de 30%, un taux susceptible d’être augmenté si nécessaire ainsi que le report de projets de structures publiques», il promet que « l’Algérie pourra avoir dans deux années une croissance économique forte pour peu que des hommes d’affaires intègres s’impliquent».

«L’endettement porte atteinte à la souveraineté nationale»

Il élague alors tout recours de l’Etat « ni à l’endettement extérieur, ni à la planche à billets pour ses besoins financiers face à la chute des prix du pétrole, mais plutôt à l’emprunt auprès des citoyens, en leur donnant toutes les garanties nécessaires. Nous n’irons ni au FMI ni à d’autres banques étrangères car l’endettement porte atteinte à la souveraineté nationale, (sinon) on ne peut parler ni de la Palestine ni du Sahara Occidental». Il soutient que «l’endettement extérieur demeure une possibilité pour les projets économiques à haute rentabilité, comme la construction d’un port commercial». Il donne un listing succinct des infrastructures de base déjà existantes qui permettront de rebondir pour restructurer l’économie, «100 universités, des milliers de lycées, les barrages et les transferts réalisés». D’autres sources d’enrichissement à ses yeux, «l’Algérie occupe la 3e ou 4e place au monde en termes de réserves, notamment pour l’or, le diamant, l’uranium, le cuivre et bien d’autres». Et «j’ai donné des instructions au ministère de l’Industrie pour établir un recensement précis de ces richesses et d’élaborer un cahier des charges avec des banques d’affaires aux fins de leur exploitation. S’il est nécessaire de s’associer avec des pays amis dans ces projets, nous le ferons».

Pour l’année scolaire et les examens nationaux, le président affirme que «l’examen du baccalauréat sera maintenu, mais en fonction des circonstances que traverse le pays». Quelles que soient les évolutions de la pandémie, «il n’y aura pas d’année blanche, les élèves concourront aux épreuves sur les cours qui leur ont été dispensés», dit-il. Il promet aux enseignants qu’il œuvrera «à résoudre leurs problèmes liés aux salaires, aux statuts, mais selon un calendrier à arrêter graduellement». Il évoque «la nécessité de tenir à l’avenir des tripartites pour examiner tous les dossiers de toutes les corporations». Interrogé sur la réouverture des commerces, Tebboune dira que «si cela mettra en péril la vie des citoyens nous n’hésiterons pas à les fermer à nouveau et reviendrons à plus de rigueur dans l’application du confinement, sachant que nous sommes arrivés presque à la fin de la pandémie». Parce qu’a-t-il dit «le problème n’est pas tant l’allègement ou la réouverture de certains magasins que le comportement des citoyens», relevant «un lien organique entre la réouverture des commerces et la hausse du nombre de cas de Covid-19 enregistrés durant les derniers jours (..). La vie du citoyen algérien est plus importante pour nous que toute autre chose».

Confusion entre «liberté et anarchie»

Avec la presse, il dit adopter »le dialogue et tenter de convaincre et non réprimer», mais relève l’ «inadmissible confusion entre le concept de la liberté et l’anarchie». Il soutient que «certains journalistes commettent des erreurs délibérément en s’appuyant sur des parties étrangères». Il se dit étonné par «les pratiques de certains qui recourent au financement étranger pour saboter les entreprises nationales, et mettre ensuite ce qui leur arrive dans la case de l’atteinte à la liberté d’expression». Il dénonce «ces pays (qui) n’acceptent pas ce genre ce choses, pourquoi je devrai les accepter moi sous prétexte que ces journalistes jouissent d’une protection étrangère ? Ils n’ont qu’à aller voir ces parties pour les protéger». Pour lui,»la souveraineté ne fera jamais l’objet de marchandage ou d’achat des consciences, je suis étonné qu’un journaliste ayant été interrogé au sujet d’une forte déclaration sur l’Etat algérien, se dirige juste après vers les ambassades d’autres pays afin de rendre compte, c’est identique au travail d’un espion». Citant «Reporters sans frontières», il affirme que «son secrétaire général se prétendait démocrate alors que son organisation ne bouge le doigt que lorsqu’il s’agit de nous». Au titre des changements politiques, le président annonce «avoir donné des instructions pour entamer l’impression de la mouture de la révision de la Constitution et l’envoyer aux acteurs politiques, la société civile et aux médias pour débat et enrichissement et ce à partir de la semaine prochaine». Ceci, «pour éviter toute perte de temps même en cas de prolongement du confinement». Il note «l’avancement des travaux dans le processus de révision du code électoral dont une commission spéciale veille à son élaboration». Son appel est à «la société civile (qui) se doit de reprendre les choses en main, je suis pour la création d’un grand nombre d’associations civiles qui œuvreront dans l’intérêt général et bénéficieront de subventions».

«L’Algérie qui est visée ?»

La crise en Libye le laisse interroger» nos frères en Libye s’entretuent et l’effusion du sang libyen continue sans que personne ne se soucie de la pandémie du coronavirus, pourquoi tout cela, pour le pouvoir ? Et où est l’Etat libyen ?». Il rappelle que «rien ne saurait être décidé concernant la Libye sans l’Algérie». Les «très mauvais signes» dans ce pays le poussent à prévenir que «si le feu n’est pas éteint, il ravagera toute la Libye, les pays voisins et non voisins. La Libye est à quelques kilomètres de l’Italie, c’est pourquoi ce pays partage notre vision à cent pour cent». Il assure que «les solutions existent et je les ai exposées aux envoyés spéciaux des présidents qui ont fait le déplacement à Alger». Il détaille»la solution c’est un Conseil national provisoire et une Armée nationale provisoire pour constituer un Gouvernement provisoire pour ensuite entrer dans la légitimité électorale». Il regrette, «nous étions très proche d’une solution à la crise libyenne, mais on ne nous a pas laissé faire car pour certains si l’Algérie parvenait à régler la crise libyenne cela la propulserait au-devant de la scène internationale et serait alors un pays plus dangereux, en sus d’autres calculs géopolitiques». Il déplore «le refus de la désignation du diplomate algérien Ramtane Lamamra en tant qu’envoyé pour la Libye, il aurait pu parvenir à un règlement de la crise libyenne». Il se dit étonné que «3000 tonnes d’armes ont été introduites en Libye deux mois après la réunion de Berlin». Tebboune demande alors «si c’est la stabilité de la Libye qui n’est pas souhaitée ou si c’est l’Algérie qui est ciblée?». Il appelle à «laisser les Libyens régler leur problème et nous sommes disposés à les aider… c’est vrai que notre doctrine est que notre armée ne sort pas au-delà des frontières mais techniquement, nous pouvons apporter aide et assistance, notamment en matière d’organisation».


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