Algérie-Etats-Unis : Les relations entre passé, présent et perspectives

« The United States is one of Algeria’s top partners, and Algeria is one of the top U.S trading partners in the Middle-East/North Africa region. Most of US investment in Algeria has been in the hydrocarbon sector […] The United States supports Algeria’s desire to diversify its economy, more toward transparent economic policies and liberate its investment climate” (U.S Relations With Algeria, U.S Department of State, January 20, 2021).
“The robust level of U.S-Algerian cooperation in counterterrorism has not expanded to encompass other aspects of the relationship and is unlikely to do so as long as Algeria continues to concentrate on its domestic political challenges following last year’s protests” (Gordon Gray, A New Vision for America’s North Africa Policy, The National Interest, August 29, 2020).

Par Arezki Ighemat *


Les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis ont connu des moments de gloire et des moments de décadence. L’histoire de ces relations est, en quelque sorte — à l’instar de celle de l’Algérie avec son ancienne puissance coloniale — une histoire de « Love and Hate » (Amour et Haine) ayant évolué au gré des circonstances politiques. Cependant, depuis l’avènement de l’administration du Président Joe Biden, des souhaits ont été formulés pour un renouvellement et un élargissement de ces relations par différentes instances américaines. Le dernier de ces souhaits a été exprimé par le Secrétaire actuel au Département d’Etat, Anthony Blinken lors de sa conversation téléphonique du 29 avril 2021 avec son homologue algérien Sabri Boukadoum au cours de laquelle Blinken a exprimé le vœu de l’administration Biden d’élargir les relations entre les deux pays, vœu auquel M. Boukadoum a répondu positivement. En effet, ainsi que nous le verrons plus loin dans cet article, les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis portaient principalement sur deux secteurs : les hydrocarbures et la sécurité, notamment la lutte contre le terrorisme dans le cadre de ce que les Américains appellent « The War on Terror » (WOT). La question que l’on peut se poser alors est : Pourquoi ces relations n’ont-elles pas pu se développer selon les vœux de chacun des partenaires ? Pour répondre à cette question, nous examinerons dans un premier temps ces relations dans leur évolution historique pendant la période dite des « Barbary Wars » (première partie), puis pendant et immédiatement après l’indépendance de l’Algérie (deuxième partie). Nous examinerons ensuite l’état actuel de ces relations en nous basant autant que possible sur les données chiffrées disponibles en la matière (troisième partie). Dans la quatrième partie de l’article nous passerons en revue les obstacles majeurs qui se dressent contre un développement substantiel de ces relations. Dans la dernière partie, nous analyserons les opportunités et les perspectives d’élargissement des relations bilatérales dans le moyen/long terme.

Les relations Algérie-USA à l’époque dite des « Barbary Wars »


Pour montrer que les relations bilatérales entre les Etats-Unis et l’Algérie ne sont pas récentes et qu’elles ont toujours été marquées par des périodes de guerres (chaudes ou froides) et de paix, nous verrons d’abord l’état de ces relations durant la période dite des « Barbary Wars » (Guerres de Barbarie). Cette période était, en effet, ponctuée par des périodes de conflits entre l’Algérie et les Etats-Unis et des périodes de paix. Deux guerres ont particulièrement été déclarées au cours de cette période — en 1795 d’abord, puis en 1815 — suivies de la signature de deux traités — le Traité de 1785 et celui de 1815.
En 1795, le Dey Muhammad d’Alger déclarait la guerre contre les Etats-Unis à la suite de laquelle il avait capturé plusieurs navires américains. Le gouvernement américain de l’époque — qui connaissait des difficultés financières — ne pouvait pas lever une armée capable d’affronter la flotte algérienne et qui n’avait pas les capacités financières de lever des fonds pour payer les tributs demandés par l’Algérie pour la restitution des navires américains saisis. Une tentative faite par Thomas Jefferson — alors Ministre plénipotentiaire de la Confédération américaine en France — d’établir une coalition des puissances navales de l’époque, notamment l’Angleterre, la France et les Pays-Bas, en vue de faire face aux forces navales du Dey d’Alger, n’a pas pu aboutir. La guerre n’ayant pas réussi, une tentative diplomatique avait alors été engagée par le commandement américain. En effet, en 1795, le gouvernement américain avait dépêché les diplomates Joel Barlow, Joseph Davidson et Richard O’Brien à Alger (et dans d’autres villes d’Afrique du Nord pour tenter de mettre fin au conflit. Des traités furent alors conclus entre le gouvernement américain et les Etats d’Alger, de Tunis et de Tripoli. Le gouvernement américain avait accepté de payer un tribut au Dey d’Alger et avait obtenu, en contrepartie, la libération de 83 marins américains. L’article 1 du traité du 5 septembre 1795, appelé « Treaty of Peace and Amity » (Traité de Paix et d’Amitié) passé entre Hassen Bashaw, Dey d’Alger et le Président américain George Washington, stipule : « A compter de la date du présent traité, il doit exister une paix et une amitié fermes et sincères entre le Président et les citoyens des Etats-Unis d’Amérique du Nord et Hassan Bashaw, Dey d’Alger, ses diwans et ses sujets…les navires et sujets des deux nations devant traiter chacun réciproquement avec civilité et respect » (notre traduction). Il faut rappeler que c’est aussi en 1795 que l’Algérie avait été un des premiers pays à reconnaître l’indépendance des Etats-Unis.

En 1812, le nouveau Dey d’Alger, Hajji Ali, avait rejeté le tribut négocié lors du Traité de 1795 sous le motif qu’il était insuffisant et avait déclaré la guerre à nouveau contre les Etats-Unis. Cependant, la guerre qui était, entre temps, déclenchée entre la Grande Bretagne et les Etats-Unis avait empêché le gouvernement des Etats-Unis de confronter les forces du Dey d’Alger ou de sauver les Américains faits prisonniers à Alger. Cependant, immédiatement après que le Traité de Ghent (autrefois ville des Pays-Bas, aujourd’hui de Belgique) ait été conclu entre les deux belligérants, le Président James Madison a réussi à convaincre le Congrès américain de déclarer une nouvelle guerre contre Alger, ce qui fut fait le 3 mars 1815. A la suite de cette décision, la marine U.S avait envoyé un escadron entier sous le commandement du Contre-Amiral Stephen Decatur. Lorsque l’expédition navale américaine avait atteint les côtes d’Alger, le nouveau Dey, le Dey Omar, qui voulait rétablir l’ordre dans la région après plusieurs années d’instabilité politique, ne pouvait plus compter désormais sur l’appui britannique contre les forces américaines. Entre temps, Decatur avait abattu deux navires de guerre algériens, capturé des centaines de prisonniers algériens et se trouvait donc dans une position favorable pour négocier avec le Dey d’Alger. Le Dey Omar était alors obligé d’accepter le Traité proposé par Decatur appelant à un échange de prisonniers américains contre des prisonniers algériens et à mettre fin aux pratiques des tributs et des rançons. Le Traité entre Decatur et le Dey Omar avait été accepté le 5 décembre 1815. Cependant, une fois de plus, le nouveau Traité fut répudié par le Dey Omar. Ceci étant considéré comme un affront par le gouvernement américain, ce dernier avait dépêché un nouvel escadron armé à Alger composé de troupes américaines, anglaises et hollandaises avec pour mission de bombarder Alger. William Shaler, le Commissaire américain, proposa alors un nouveau traité qui contenait quasiment les mêmes termes que celui de 1795. Le nouveau Traité fut donc conclu le 23 décembre 1815, mais le Sénat américain ne l’a ratifié que le 11 février 1822. L’article 1 du nouveau Traité stipule : « Il doit y avoir, à partir de la conclusion du traité, une paix et une amitié ferme, inviolable et universelle entre le Président et les citoyens des Etats-Unis d’Amérique d’une part, et le Dey et sujets de la Régence de Barbarie, d’autre part, établie par le libre consentement des deux parties selon les termes des nations les plus favorisées ; et si une partie quelconque octroie ci-après à une autre partie une faveur ou un privilège particuliers dans les domaines de la navigation ou du commerce, cette faveur ou privilège devraient automatiquement être octroyés à l’autre partie » (notre traduction).

D’autres évènements avaient aussi montré l’importance du rôle joué par l’Algérie dans l’établissement des relations entre l’Algérie et les Etats-Unis. C’est ainsi, par exemple, qu’en 1860, soit soixante ans après la conquête d’Alger par les Français, l’Emir Abdelkader jouera un rôle crucial dans la libération de nombreux Chrétiens pris en otage dans ce qu’on a appelé « le massacre de Damas », y compris des diplomates américains, comme en témoigne le passage suivant : « In 1860, in Damascus, the Algerian resistance leader El Emir Abdelkader saved from progroms the lives of ten thousands of Christians, including the staff of the American Consulate. President Lincoln honored El Emir Abdelkader as a great humanitarian for his achievement” (En 1860, à Damas, la résistance du leader El Emir Abdelkader avait sauvé des pélerins les vies de dizaines de milliers de Chrétiens, y compris des membres du staff du Consulat américain. Le Président Lincoln avait honoré El Emir Abdelkader comme un grand humanitaire pour ses accomplissements (notre traduction). A cette occasion, le New York Times avait décrit l’Emir Abdelkader comme « One of the few great men of the Century” (Un des grands hommes du Siècle), et son héritage vit encore aujourd’hui dans une ville de l’Etat d’Iowa appelée « El Kader » créée en 1848 à l’initiative de trois personnalités politiques américaines : Timothy Davis, John Thompson et Sieg Chester. C’est donc là, résumée à l’extrême, l’histoire des relations Algéro-américaines durant les « Barbary Wars ». Qu’en est-il de ces relations pendant la guerre d’Algérie et immédiatement après l’indépendance en 1962?

Les relations Algérie-USA pendant la guerre d’Algérie et juste après l’indépendance en 1962

Il n’est pas question ici aussi de reproduire toute la chronologie de ces relations pendant cette période car cela nécessiterait un ouvrage tout entier. Comme dans la section précédente, nous sélectionnerons quelques évènements et déclarations qui pourraient résumer ces relations pendant cette période.  Et comme pendant la période précédente, les relations entre les Etats-Unis et l’Algérie ont connu des hauts et des bas ainsi que nous le montrerons ci-après. En effet, pendant cette période (disons de 1954 à 1965), les points de vue des Américains (notamment des politiciens) sur le sort de l’Algérie colonisée — devenir une République indépendante ou demeurer une colonie française — étaient partagés, bien que, en majorité, favorables à l’option de l’indépendance de l’Algérie. Ces points de vue étant aussi nombreux que variés, nous nous contenterons de sélectionner quelques-uns qui nous paraissent représenter l’état d’esprit américain sur ce qu’on appelait alors « la question algérienne ». Tout d’abord, les militants politiques algériens étaient autorisés à entrer aux Etats-Unis et à en sortir librement et ce, même quand ils circulaient sous de faux passeports : « Algerian nationalists and anti-imperialist organizations were allowed to operate freely in New York and their officials could enter and leave the United States as they wished even when traveling on passports of convenience granted by other Arab countries » (Les nationalistes et les organisations anti-impérialistes étaient autorisés à opérer à New York et leurs représentants pouvaient entrer et quitter les Etats-Unis comme ils le désiraient, même lorsqu’ils voyageaient avec des passeports de convenance délivrés par d’autres pays arabes) (notre traduction) (Irwin Wall, The United States and the Algerian War, University of California Press, 2001, p.25). Il faut dire que la position américaine officielle pendant presque toute la période de la guerre d’Algérie était une position d’équilibriste qui basculait entre sa sympathie pour la cause algérienne et son appui constant à la France, un allié stratégique des Etats-Unis, ainsi que le montrent les déclarations suivantes : « […] Eisenhower-Dulles policy attempted the almost impossible task of continuing constructive dialogue throughout the crises with both parties to an intractable dispute, the French government and the rebel Algerian National Liberation Front » ([…] la politique Eisenhower-Dules essayait de réaliser la tâche quasi impossible de poursuivre un dialogue constructif pour résoudre, au milieu de ces crises, le conflit incontrôlable entre le gouvernement français et le Front de Libération National rebelle) (notre traduction) (Irwin Wall, op.cit, p.15).

Cette période était aussi marquée par la guerre froide entre l’ex. Union Soviétique et les Etats-Unis, l’émergence du Mouvement des Non-Alignés et la suspicion par les Etats-Unis que l’Algérie, en dépit de son appartenance aux Non-Alignés, penchait plutôt vers l’Union Soviétique sur le plan politique et économique. C’est ce que souligne le passage suivant : « Dean Rusk summoned Ambassador Chérif Guellal to ask bluntly, « What kind of country did Algeria wish to be and what its orientation ? » (Dean Rusk avait convoqué l’ambassadeur Chérif Guellal pour lui demander franchement, « Quel genre de pays l’Algérie voulait-t-elle être et quelle était son orientation) (notre traduction) (Jeffrey Byrne, Mecca of Revolution : Algeria, Decolonization and the Third World Order, Oxford University Press, 2016, p.232). Pour pousser les dirigeants algériens de l’époque à pencher du côté américain plutôt que du côté soviétique, les officiels américains avaient voulu utiliser l’arme alimentaire dans le cadre du Programme Alimentaire PL-480 de l’USAID (U.S Agency for Aid and International Development) qui avait pour but de fournir une aide alimentaire aux pays démunis du temps de J.F. Kennedy et Lyndon Johnson. Voici comment étaient posés les termes de cette aide : « The main dilemma for American officials was what to do with the ongoing PL-480 food program. Should they cut back their aid to pressure the Algerians into modifying their policies, leave things as they were for fear of driving Ben Bella further into the Soviet Union’s arms, or perhaps even make an effort to win his favor by increasing their aid offerings? ” (Le dilemme majeur pour les officiels américains était de savoir quoi faire avec le programme alimentaire de l’époque. Devaient-ils couper leur aide pour obliger les Algériens à changer leurs politiques ; devaient-ils maintenir le statu quo de peur d’envoyer encore plus Ben Bella dans les bras des Soviétiques ; ou devaient-ils peut-être faire l’effort de gagner ses faveurs en accroissant leur aide ?) (notre traduction). La réponse à cette question avait été donnée par Mc George Bundy, le « National Security Advisor » de l’époque : « Ce que nous devons faire est de geler la discussion sur les nouveaux projets avec Ben Bella, et je pense que c’est la bonne décision pour l’heure » (Mémorandum Bundy to Johnson, 5 June 1965, FRAUS, 1964-68, vol.24, Africa, cité par Byrne, op. cit., p. 239). La réponse de Ben Bella à cette réponse ne s’était pas fait attendre, qualifiant l’aide alimentaire américaine de « poisoned bread » (pain empoisonné) (Byrne, op. cit, p. 238). Bouteflika avait fait une réponse de nature plus socio-économique lorsqu’il déclarait : « Pour parler franchement, il y a une autre faiblesse dans nos relations. Les Etats-Unis nous donnent du pain ; ce dont nous avons besoin, c’est du travail pour notre peuple » (Byrne, op. cit, p. 240).

La politique d’équilibriste des Etats-Unis s’appliquait aussi aux relations avec ses alliés européens, comme en témoigne ce passage : « En raison de nos origines et de nos traditions, nous éprouvons une sympathie foncière pour les aspirations à l’indépendance et à la souveraineté des Etats naissants, mais nous sommes aussi les alliés et les amis des puissances qui doivent nous permettre, nous le pensons et nous l’espérons, d’exercer notre influence de telle sorte que la transformation de l’Afrique s’opère par voie d’évolution pacifique et non sous l’effet d’une violence révolutionnaire » (Déclaration de George Allen, Assistant Secretary of State, 21 Avril 1956, cité par Samya El Machat, Les Etats-Unis et l’Algérie : De la méconnaissance à la reconnaissance, 1955-1962, l’Harmattan, 1996, p.47). Par ailleurs, des positions en faveur de la cause algérienne s’étaient aussi clairement exprimées comme celle de l’organisation syndicale AFL-CIO : « Car [AFL-CIO] ne se contente pas de se féliciter de la vitalité des centrales syndicales de Tunisie, du Maroc et de l’Algérie, mais condamne l’inepte et terrible guerre d’Algérie dans laquelle 500 000 soldats français sont engagés contre le peuple algérien […]. L’AFL-CIO a demandé au gouvernement américain d’obtenir l’intervention des Nations-Unies en aidant le peuple algérien à obtenir sa libération » (Lettre de Georges Meany, Secrétaire Général de l’AFL-CIO à John Foster Dulles, 26 octobre 1956, citée par Samya El Machat, op.cit, p.64).

Une autre prise de position ferme en faveur de l’indépendance de l’Algérie sera adoptée par le Président J.F. Kennedy lui-même : « Nous étions dans une neutralité bienveillante à l’égard de la France : on nous demande presqu’une cobelligérance. En tous cas, après ces demandes, la France ne peut plus raisonnablement prétendre que l’Algérie est une affaire purement française » (L’Express, 2 juillet 1957, cité par Samya El Machat, op.cit, p.203). Avant Kennedy, le Président Eisenhower avait exprimé la même position : « There was no solution to the North African problem except a political settlement which would give Algeria a chance for independence” (Il n’y a de solution au problème nord-africain qu’un règlement qui donnerait à l’Algérie une chance d’être indépendante) (notre traduction) (Mathew Connelly, A Diplomatic Revolution : Algeria’s Fight for Independence and the Origins of the Post-Cold Era, 2004, p. 165). Parlant de l’usage de la force par l’armée française, Eisenhower ajoutera : « The French were about to repeat in North Africa the serious mistakes they made in Indochina. Military force alone would not hold these colonies” (Les Français étaient sur le point de reproduire les mêmes erreurs qu’en Indochine. La force militaire seule ne pourrait pas garantir le maintien de ces colonies » (notre traduction) (Mathew Connelly, op.cit, p. 26). Cependant, pour Matthew Connelly, les positions américaines n’ont pas toujours été en faveur de la résistance algérienne et ont aussi à plusieurs moments apporté leur appui à la politique algérienne de la France : « Nevertheless, the Americans supported the French position at the United Nations, voting against urging Saudi Arabia to abandon its petition on behalf of the Algerians. They also pressed the Egyptians to moderate the ‘Voice of the Arabs » [Saout el Arab] » (Néanmoins, les Américains avaient supporté la position française aux Nations-Unies, votant contre la pétition Séoudienne en faveur de l’Algérie et poussant les Egyptiens à modérer la radio « Voix des Arabes) (notre traduction) (Mathew Connelly, op.cit, p., 76). Cependant, parallèlement à ces « clins d’œil » en faveur du gouvernement français, les Etats-Unis menaient des discussions secrètes avec les membres du GPRA comme par exemple la rencontre des officiels américains avec Ben Bella et Ait Ahmed en décembre 1955 rapportée par Matthew Connelly : « State Department officials in Washington and Tripoli began a series of clandestine meetings with Ait Ahmed and Ben Bella. They were particularly impressed with Ait Ahmed, whom they described as ‘Silken in tone and marble-hard in content’” (Les officiels du Département d’Etat à Washington et Tripoli ont commencé une série de discussions clandestines avec Ait Ahmed et Ben Bella. Ils furent particulièrement impressionnés par Ait Ahmed qu’ils décrivaient comme étant « soyeux dans son ton et dur comme marbre dans son contenu » (notre traduction) (Matthew Connelly, op.cit, p.96). Jeffrey Byrne relate aussi d’autres tractations et relations qui avaient eu lieu entre les officiels américains et les membres du gouvernement provisoire algérien comme le souligne le passage suivant : « Indeed, the CIA had begun funneling some money to the FLN’s refugee camps through the major American Federation of Trade unions, the AFL-CIO, while the Front’s representative in New York, M’Hamed Yazid, had established regular contact with State Department officials, including ambassador to the United States, Henry-Cabot Lodge” (En verité, la CIA avait commencé à acheminer de l’argent vers les camps de réfugiés du FLN par le biais de la Fédération des syndicats, la AFL-CIO pendant que le représentant du FLN à New York, M’Hamed Yazid établissait un contact régulier avec les officiels du Département d’Etat, notamment l’ambassadeur américain à l’ONU, Henry Cabot Lodge) (notre traduction) (Jeffrey Byrne, op.cit, p.54). Byrne ajoutera : « Les officiels américains montraient cependant une certaine réticence à pencher de façon officielle et visible du côté algérien ». Byrne dira encore : « However […] Yazid’s contacts admitted that Washington dit not want to put its hands in the ‘Viper’s Nest’ again and would be very circumspect in putting any pressure on de Gaule vis-à-vis Algeria. (Cependant, les contacts de Yazid admettaient que Washington ne désirait pas mettre ses mains à nouveau dans le « nid de la vipère » et serait précautionneux de ne pas mettre de la pression sur de Gaulle et sa position sur l’Algérie) (notre traduction) (Jeffrey Byrne, op.cit, p.54).

En 1961, une année avant l’indépendance de l’Algérie, les Américains font un autre geste en direction du gouvernement provisoire algérien : « Le 20 décembre 1961, les Américains informent de leur décision de recevoir les dirigeants du GPRA au Département d’Etat quand ceux-ci le demanderaient » (Samya El Machat, op.cit, p.218). Une année auparavant, J.F. Kennedy, à la suite d’un entretien avec Yazid et Chanderly, se déclarera franchement en faveur de l’indépendance algérienne : « After a briefing by Yazid and Chanderly, he [Kennedy] called Algerian indépendence ‘The essential step’ if the West were not to lose all its influence in North Africa. […] All in all, the United States could no longer base its policy on the ‘myth of French Empire’” (Après un briefing qui lui a été fait par Yazid et de Chanderly, Kennedy a caractérisé l’indépendance algérienne comme ‘une étape essentielle si l’Occident ne voulait pas perdre son influence en Afrique du Nord […] Après tout, les Etats-Unis ne pouvaient plus baser leur politique sur le ‘mythe de l’Empire Français) (notre traduction) (J.F. Kennedy, The Strategy for Peace, Harper, 1960, cité par Matthew Connelly, op.cit, p.145). Samya El Machat résume bien la gymnastique diplomatique que les Etats-Unis ont utilisée pour, tantôt apporter leur soutien à l’Algérie, tantôt essayer de conforter ses liens avec leur alliée, la France ainsi que le précisent les lignes suivantes : « La politique des Etats-Unis souffre d’ambiguité et de dualisme […] Au sein de l’administration américaine, les avis divergent. Il y a ceux qui prônent leur soutien à la France par tous les moyens pour mettre fin à la subversion communiste, et il y a ceux qui estiment inévitable l’indépendance et la fin de la domination française. De façon générale, le Département d’Etat estime que la réalisation de l’égalité en droit et de l’autonomie de l’Algérie est nécessaire » (Samya El Machat, op.cit, p.97). Après l’indépendance de l’Algérie, les relations entre les deux pays n’étaient pas encore, selon les leaders américains de l’époque, au niveau des anticipations américaines. C’est ce que montre le passage suivant : « Le Secrétaire d’Etat [Dean Rusk] a dit à Chérif Guellal que les relations USA-Algérie étaient à un niveau étrange parce que, bien qu’il n’y ait pas de conflits directs entre les deux pays, leurs relations étaient confuses dans plusieurs domaines. En particulier, les Américains ne comprenaient pas les motivations de l’Algérie dans ses prises de position constamment antagonistes aux nôtres » (Mémorandum Dean-Guellal, April 16, 1965, cité par Byrne, op. cit, p. 243). Qu’en est-il des relations américano-algériennes aujourd’hui ?

L’état actuel des relations entre les USA et l’Algérie


Pour analyser l’état actuel des relations entre les deux pays, nous verrons d’abord la situation de ces relations sur le plan économique, puis sur le plan de la coopération sécuritaire et militaire. Ces deux secteurs, ainsi que nous l’avons évoqué précédemment, sont les secteurs où la coopération entre les deux pays est considérée comme « stratégique ».
Sur le plan économique d’abord, en dehors du secteur des hydrocarbures, les échanges entre les deux pays ne sont pas très significatifs. Jusqu’à une date relativement récente, l’Algérie était orientée principalement vers l’Europe en général et vers la France, en particulier, son ancienne puissance coloniale, avec laquelle elle effectue le gros de ses échanges. Il faut rappeler aussi qu’après la guerre des six jours (1967), et à la suite de la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et les USA, les échanges entre les deux pays étaient encore plus insignifiants. Ce n’est qu’après la reprise de ces relations en 1974 qu’une relance des échanges s’est esquissée. Cependant, si l’Algérie avait surtout orienté ses échanges vers l’Europe et spécialement la France pour des raisons géographiques et historiques, ses échanges avec les Etats-Unis ne sont pas tout à fait négligeables puisque les USA sont le second ou troisième partenaire de l’Algérie, après bien sûr le Maroc et la Tunisie. Le tableau 1 donne une idée du « trend » général du commerce entre les Etats-Unis et l’Algérie :

Tableau 1 : Evolution du commerce de l’Algérie avec les USA (2008-2021, millions de $)

Source : établi par A. Ighemat, base : Census.gov, Foreign Trade, 2021

Le tableau 1 indique clairement que les importations de l’Algérie en provenance des USA, qui avaient atteint leur apogée en 2008 (paradoxalement en pleine crise économique américaine), avec une valeur de presque 20 000 000 $, ont connu une baisse drastique avec une valeur de moins de 500 000 $ en 2020. Les principaux groupes de produits importés sont : machines (324 millions $ en 2019), céréales (121 millions $ en 2019), carburants (119 millions $ en 2019), plastiques (81 millions $ en 2019). Les importations de produits agricoles en provenance des USA étaient de 198 millions $ en 2019. Parmi les produits agricoles importés, les principaux groupes sont : céréales (121 millions $ en 2019), produits laitiers (15 millions $ en 2019), soja (11 millions $ en 2019).
Du côté des exportations vers les USA, la valeur la plus élevée avait été atteinte en 2014 avec 2 616 900 $ et la valeur la plus faible était réalisée en 2020 avec 726 300 $. Toujours au niveau des exportations vers les Etats-Unis, l’Algérie était classée 74è en 2019 avec une valeur de 1 milliard de $, soit une baisse de 20,7 % par rapport à 2018 et de 9,7% par rapport à 2009. Les principaux produits exportés vers les USA sont : carburants minéraux (2,3 milliards $ en 2019), fertilisants (116millions $ en 2019), minerai de fer et acier (37 millions $ en 2019), fruits et noix, notamment dates et figues (14 millions $ en 2019).
Les tableaux 2 et 3 suivants donnent les pays qui achètent à l’Algérie et les principaux pays qui fournissent à l’Algérie :

Tableau 2 : Principaux pays qui achètent de l’Algérie (2017) :

Source : établi par A.Ighemat, base : SantanderTrade.com, 2020

Tableau 3 : Principaux pays qui fournissent à l’Algérie (2020) :

Source : idem que tableau 2

Les tableaux 2 et 3 indiquent bien que les Etats-Unis se classent loin derrière les pays européens aussi bien pour ses achats que pour ses ventes. L’Algérie achète aux Etats-Unis seulement 9,9 % de ses produits et vent à ce dernier seulement 4 % de ses produits exportés. Noter que la Chine est le plus gros fournisseur de l’Algérie avec 18 % du total de ses importations. Si, comme l’Algérie et les Etats-Unis le déclarent officiellement, les deux pays veulent élargir leurs relations économiques, ils doivent faire, chacun de son côté, et ensemble, un travail d’exploration de toutes les opportunités économiques qui s’offrent à eux et que nous analyserons dans la dernière partie de cet article.
La faiblesse des échanges économiques entre l’Algérie et les Etats-Unis doit être comparée à l’importance prise par les échanges bilatéraux dans le domaine sécuritaire et militaire. Si au cours des années 1960-2000 ces derniers se faisaient surtout avec l’ex. Union Soviétique, depuis l’attaque du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont fait une pénétration non négligeable dans le marché sécuritaire et militaire algérien, notamment dans le cadre de ce qu’on appelle « The War on Terror » décrétée par Bush-fils après le 11 septembre. Il faut noter, en passant, que l’Algérie est le 6è plus grand importateur d’armes dans le monde comme le montre le
tableau 4 :

Tableau 4 : Plus grands pays importateurs d’armes (2010-2019) (%) :

Source : établi par A. Ighemat ; base : Peter D. Wezeman, Aude Fleurant, Alexander Kuimova, Nan Tian and Siemon T. Wezeman, Trends in International Arms Transfers, 2018, SIPRI, Fast Sheet, March 2019

Le tableau 4 montre aussi que les importations d’armes de l’Algérie ont augmenté de 1,6 % entre 2010 et 2019. Quant aux sources d’importation de ces armes, les fournisseurs les plus importants de l’Afrique du Nord, et donc de l’Algérie en 2015-2019 sont, dans l’ordre décroissant : Russie (67 %), Chine (13 %) et USA (15 %) (Peter D. Wezeman et al, op. cit.). Au niveau régional, l’Algérie compte pour 56 % des importations d’armes de l’Afrique dans son ensemble en 2009-2018. Le tableau 5 montre l’importance de l’Algérie comme importateur d’armes russes dans le monde :

Tableau 5 : Les trois plus grands importateurs mondiaux d’armes russes (2015-2019)

Source : établi par A.Ighemat ; base : Pieter D. Wezeman et al, op.cit.

Le tableau 5 montre que l’Algérie est le 3è plus grand acheteur d’armes russes après l’Inde et la Chine. Le tableau 6 montre quels sont les plus grands fournisseurs d’armes de l’Algérie :

Tableau 6 : Plus grands fournisseurs d’armes de l’Algérie (2015-2019) :

Source : établi par A. Ighemat : base : Pieter D. Wezeman et al. (op.cit)

Le tableau 6 montre que la Russie fournit les 2/3 (exactement 67 %) des armes importées par l’Algérie en 2015-2019. Comparées aux importations d’armes en provenance des Etats-Unis (seulement 15 %), ces dernières sont relativement faibles et cela en dépit de l’augmentation substantielle de la coopération sécuritaire et militaire entre l’Algérie et les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001. Quels sont donc les obstacles qui empêchent une coopération plus substantielle des échanges économiques entre les deux pays.

Les obstacles à un développement substantiel des relations USA-Algérie
L’évolution des relations entre les Etats-Unis et l’Algérie dans les prochaines années dépendra de la solution qui sera trouvée à deux obstacles majeurs qui risquent de freiner — voire même d’arrêter encore une fois — ces relations. Ces obstacles sont : (1) la question du conflit Israélo-Palestinien et (2) la question du Sahara Occidental.
Commençons par la question du conflit entre Israël et la Palestine. Depuis 1947/48, Israël n’a pas arrêté de spolier jour après jour les terres appartenant aux Palestiniens et de perpétrer des massacres qui ont fait et continuent de faire des milliers de morts et plusieurs centaines de milliers de réfugiés. Le dernier de ces massacres est celui du 10 mai 2021 où les forces armées israéliennes ont pénétré dans la mosquée Al Aqsa (Jérusalem), tuant une quarantaine de Palestiniens et blessant plus de 400 dont plus de 250 ont été hospitalisés. Ces raids ont été effectués après que des douzaines de Palestiniens aient protesté contre leur éviction de leurs maisons dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem Est. Des tentatives de solutions ont été avancées par plusieurs administrations américaines depuis les années 1970/80, mais aucune n’a trouvé un compromis qui arrange les deux belligérants. Les Israéliens et leurs alliés américains et occidentaux en général sont divisés sur la solution dite des « Deux Etats » proposée par les Nations Unies dans plusieurs de leurs résolutions. Cette solution a été encore rendue plus difficile par les décisions prises le 6 décembre 2017 par l’ancien Président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem en tant que nouvelle capitale d’Israël et de transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. La nouvelle administration de Joe Biden, qui a annulé plusieurs décisions prises par Trump — telles que le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le changement climatique, le « Muslim ban » qui interdisait l’entrée aux USA des citoyens de certains pays musulmans et autres décisions — aura à décider s’il doit entériner la décision de Trump sur Jérusalem ou l’annuler. Beaucoup d’analystes et d’experts de la politique au Moyen-Orient sont pessimistes quant à cette dernière option en raison précisément de « l’alliance de fer » existant entre les Etats-Unis et Israël. Si Biden choisit le statu quo — reconnaître la nouvelle capitale d’Israël — cela rendra encore plus difficile toute solution au conflit Israélo-Palestinien à l’avenir et empêchera l’élargissement des relations entre les Etats-Unis et l’Algérie, ce dernier étant un ardent défenseur de la solution à Deux Etats.

La seconde pierre d’achoppement pour l’élargissement des relations USA-Algérie est la question du conflit sur le Sahara Occidental occupé par le royaume du Maroc. Ce conflit, qui remonte aux années 70, avait commencé par la révolte des Sahraouis contre les forces coloniales espagnoles puis contre l’occupation marocaine en 1975. Depuis le début du conflit, l’Algérie s’est toujours mise du côté du Front Polisario qui milite pour l’indépendance du Sahara Occidental, et ce conformément au principe de l’Algérie d’appuyer les mouvements de libération nationale. L’autre raison que les observateurs invoquent pour expliquer l’appui de l’Algérie à la cause Sahraouie est qu’elle veut créer une sorte de « buffer zone » (zone-tampon) entre le Sahara Occidental et le Maroc afin de prévenir un conflit probable entre le Maroc et l’Algérie. En dépit de toutes les résolutions de l’ONU prônant la tenue d’un référendum d’autodétermination, le conflit entre la SADR (Sahrawi Arab Democratic Republic) et le Maroc subsiste jusqu’à ce jour, le Maroc proclamant toujours que le Sahara Occidental est une partie intégrante du Maroc. Ce dernier a proposé un plan d’autonomie du Sahara Occidental, mais la SADR refuse d’y adhérer. De son côté, le Maroc est appuyé par deux puissances de taille : son ancienne puissance coloniale (la France) et les Etats-Unis. Ce dernier pays a toujours considéré le Maroc comme un « allié stratégique » dans la région Maghreb pour sa collaboration dans la lutte anti-terroriste régionale et internationale, sa contribution humaine dans la guerre contre l’Iraq, sa position vis-à-vis de son autre allié stratégique (Israël) et, historiquement, pour avoir été le premier pays de la région à reconnaître, le 20 décembre 1777, l’indépendance des Etats-Unis. Cet appui des Etats-Unis au Maroc s’est manifesté encore avec plus d’éclat lors de la décision du 11 décembre 2020 de Donald Trump de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara Occidental, en échange de la décision du régime marocain de « normaliser » ses relations avec Israël. La décision marocaine d’établir des relations diplomatiques officielles avec Israël a toujours été un vœu du défunt roi Mohammed V et celui de la communauté juive du Maroc dont le lobby a toujours lutté pour cette normalisation. John Bolton, un ancien Conseiller à la Sécurité Nationale de Trump, dira à propos de cette décision : « Dans un accord pour faciliter les relations diplomatiques entre Israël et le Maroc, la décision de Trump de jeter le peuple Saharaoui sous les roues du bus efface trois décennies de support américain pour une auto-détermination via un référendum du peuple Sahraoui sur le statut futur du territoire » (John Bolton, Biden Must Reverse Course on Western Sahara, Foreign Policy, December 15, 2020). Dans ce dossier du Sahara Occidental, comme dans celui du conflit Palestino-Israélien, la nouvelle administration américaine doit choisir entre le statu quo — entériner la décision de Trump — et annuler cette décision. Ici aussi, comme dans le cas précédent, plusieurs experts sont quasi certains que Biden aura, comme ses prédécesseurs, les mains liées en raison des liens privilégiés que les Etats-Unis entretiennent avec aussi bien le Maroc qu’Israël. Comme dans le dossier Israélo-Palestinien, l’Algérie ayant toujours été un ardent supporter de l’indépendance du peuple Sahraoui, les relations futures des Etats-Unis avec l’Algérie dépendront beaucoup de la position de l’administration Biden. Il est donc clair que les décisions que prendra l’administration Biden sur ces deux dossiers détermineront la direction et la consistance des relations USA-Algérie à moyen/long terme. Quelles sont alors les opportunités et les perspectives d’élargissement de la coopération entre les deux pays ? C’est à cette question que nous consacrerons la dernière partie de cet article.

Les opportunités de coopération entre les USA et l’Algérie


Jusqu’à présent, la coopération entre l’Algérie et les USA était dominée, comme nous l’avons vu, par deux secteurs : les hydrocarbures et la lutte contre le terrorisme régional et global. Ces deux secteurs sont considérés par chacun des deux pays comme stratégiques. Pour l’Algérie, le pétrole et le gaz représentent environ 95% des revenus nationaux et 65% du PIB national. Sans ces deux ressources, on pourrait dire, sans exagérer, que l’économie algérienne serait insignifiante. La lutte contre le terrorisme et pour la sécurité nationale en général sont également vitales face aux défis auxquels l’Algérie est confrontée à l’intérieur — notamment depuis l’avènement du hirak du 22 février 2019 — et à l’extérieur, notamment la situation instable en Libye, au Sahel et surtout la menace d’un conflit avec son voisin le Maroc. Du côté des Etats-Unis, assurer leur sécurité énergétique — notamment via son approvisionnement au Moyen-Orient et au Maghreb — et leur sécurité nationale — notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme régional et global — sont les deux priorités les plus importantes, sinon la priorité des priorités. Cependant, en concentrant l’essentiel de leurs relations dans ces deux secteurs, les deux pays laissent inexploitées plusieurs autres secteurs d’intérêt commun. Ces autres secteurs étant trop nombreux pour être analysés dans le cadre de cet article, nous mettrons l’accent sur cinq secteurs où la coopération entre les deux pays pourrait se développer à moyen/long terme.

L’un de ces secteurs est l’éducation. Jusqu’à présent, la coopération dans ce domaine était dominée par celle qui se fait avec la France, son ancienne puissance coloniale pour les raisons que nous avons évoquées précédemment. Cependant, en s’enfermant dans cette seule coopération, l’Algérie s’est aussi fermée à toute autre coopération, notamment avec les pays anglo-saxons, avec à leur tête les Etats-Unis. Certes, l’Algérie avait contracté un certain nombre d’accords dans le domaine de l’éducation avec les Etats-Unis, notamment pour l’apprentissage de la langue anglaise, mais cette coopération demeure marginale par comparaison avec la coopération avec la France au point que la plus grande majorité des Algériens ne jurent que par la qualité de tout ce qui est « made in France » (produits de consommation, biens d’équipement, produits culturels, etc.). Par exemple, sur 100 livres publiés dans le monde, il n’est pas exagéré de dire que l’Algérie en reçoit 0,01% alors que sur 100 livres publiés en France, l’Algérie en achète peut-être 80, ce qui la place parmi les plus grands acheteurs, sinon le plus grand, du monde francophone. Le résultat est que l’Algérie s’est mise à l’écart d’une bonne partie des ouvrages –et plus généralement des produits culturels — édités dans le monde, notamment aux Etats-Unis, le plus grand pays producteur de produits culturels. Autre exemple : la recherche dans les universités algériennes se fait presque exclusivement sur la base de sources bibliographiques françaises qui ne sont pas toujours aussi pertinentes que celles produites et utilisées aux Etats-Unis. Il est donc temps que l’Algérie s’ouvre sur le reste du monde et élargisse sa coopération à des pays comme les Etats-Unis qui sont, qu’on le veuille ou pas, le pays le plus avancé dans ce domaine. Il faudrait bien entendu continuer et développer encore plus la coopération dans l’apprentissage de la langue anglaise, les programmes actuels étant largement insuffisants et insuffisamment répartis sur le territoire algérien. Il faut ensuite développer des programmes de coopération dans le domaine de la recherche scientifique et de la recherche-développement si l’Algérie entend toujours se hisser au niveau des pays émergents.

Le second domaine où la coopération entre les deux pays devrait être développée est celui des technologies nouvelles, notamment les technologies de l’information. Dans ce domaine aussi, la France en particulier et l’Europe en général, sont les fournisseurs principaux de l’Algérie. Il est pourtant de notoriété internationale que les Etats-Unis sont le plus grand producteur et fournisseur de IT (computers, I-phones, I-pads, Internet research tools, social media networks, etc). La France et l’Europe elles-mêmes achètent une grande part de leurs technologies des Etats-Unis. Pourquoi alors continuer à s’approvisionner chez un revendeur plutôt que d’aller directement à la source ? L’Algérie aurait donc intérêt à développer une coopération directe dans ce domaine avec les Etats-Unis. Elle devrait aussi établir des programmes de « training » pour la maîtrise efficiente de ces technologies mais aussi et surtout sur la production éventuelle de ces technologies à moyen/long terme. En particulier, l’utilisation par l’Algérie de ces technologies dans le domaine de l’enseignement à tous les niveaux est quasi insignifiante aujourd’hui. Leur utilisation plus intensive dans les écoles et les universités pourrait hisser l’Algérie au rang des « tigers asiatiques », pourquoi pas ? Par ailleurs, même si des programmes de formation des journalistes, des juristes et des administrateurs à ces nouvelles technologies existent aujourd’hui entre les Etats-Unis et l’Algérie, ils devraient être élargis à d’autres couches de la population comme les dirigeants d’entreprises publiques et privées, les responsables de collectivités locales et régionales, les parlementaires, etc.

Le troisième secteur hors hydrocarbures et militaire qui devraient être inclus dans la future coopération américano-algérienne est le domaine des énergies renouvelables. L’Algérie est largement en retard dans l’utilisation de ces énergies aujourd’hui. Par conséquent, si elle veut réellement diversifier son économie et sortir de l’économie de rente basée essentiellement sur les hydrocarbures, elle devrait établir avec les Etats-Unis des programmes de coopération dans ce domaine. L’énergie solaire est, en particulier, un des domaines où l’Algérie a un avantage comparatif étant un pays très ensoleillé. Cependant, d’autres énergies devraient aussi être incluses dans cette coopération comme les énergies éolienne, hydraulique, et le nucléaire à utilisation pacifique. Parallèlement à ces énergies, et en relation avec elles, l’Algérie devrait aussi développer une coopération avec les Etats-Unis dans le domaine de l’environnement. Jusqu’à maintenant, ce domaine est considéré comme secondaire, voire marginal, dans la stratégie globale de développement de l’Algérie. L’Algérie est aussi un des pays méditerranéens les plus producteurs de pollution et de déchets toxiques. Pour pouvoir atteindre l’objectif de moins de 2% de carbone rejeté dans l’atmosphère fixé par l’Accord de Paris du 12 décembre 2015 sur le Changement Climatique, l’Algérie devrait sérieusement redonner son importance au domaine de l’environnement et engager, avec les Etats-Unis, une coopération bénéfique pour les deux pays et pour le monde dans son ensemble en vue de réaliser l’objectif fixé par la COP21.

Le quatrième domaine aussi stratégique, sinon plus stratégique, que les précédents, est celui de la bonne gouvernance. L’Algérie — comme la plupart des autres pays en développement — ne pourrait sérieusement réussir le développement des programmes évoqués ci-dessus que si son système de gouvernance est performant. Jusqu’à présent — il faut dire plutôt depuis l’indépendance — l’Algérie a appliqué une gouvernance basée sur une bureaucratie ankylosante, une administration centralisée à outrance, l’absence de participation de la population dans le processus de décision politique, la marginalisation du secteur privé, etc. A l’inverse, les Etats-Unis ont une longue expérience dans la bonne gouvernance et le processus démocratique, notamment l’organisation d’élections libres et transparentes. Dans ce domaine, l’Algérie est connue, selon plusieurs observateurs nationaux et internationaux, pour sa non transparence dans les élections et les fraudes électorales récurrentes. La coopération dans ce domaine entre l’Algérie (qui a un système de gouvernance inefficient) et les Etats-Unis (qui ont un savoir-faire dans ce domaine) pourrait s’établir entre les deux pays. La formation des responsables et représentants locaux, régionaux et nationaux dans la bonne gestion des affaires publiques, le contrôle et la surveillance des élections, la détection des centres de corruption et la gestion des finances publiques locales et nationales devrait élever le niveau et la qualité de la gouvernance algérienne. Il faut cependant souligner qu’il ne s’agit pas, dans le cadre de cette coopération, pour les Etats-Unis de s’ingérer dans la gouvernance algérienne. Il est connu que l’Algérie est très jalouse de garder sa souveraineté lorsqu’il s’agit des affaires de l’Etat. Ce que nous suggérons est une formation aux principes et mécanismes de la bonne gouvernance et de détection de la corruption. Etant donnée la sensibilité — tout à fait justifiée — de l’Algérie dans ce domaine, il est indispensable de clarifier, dès le départ, qu’il s’agit de « formation » à la bonne gouvernance et non d’une « ingérence » dans la gouvernance algérienne.

Conclusion


Nous avons vu, dans les pages qui précèdent, que les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis ne datent pas d’hier comme certains pourraient le penser, mais qu’elles remontent au temps des « Barbary Wars » du 18è siècle. Nous avons vu aussi que ces relations ont toujours été tortueuses et empreintes de méfiance d’un côté (du côté algérien) et de négligence (du côté américain). Cependant, ces relations qui ont évolué en zigzag, ont été plus constantes et importantes dans certains domaines — les hydrocarbures et le secteur sécuritaire — que dans les autres secteurs. Si la coopération dans ces deux domaines a été jusqu’à présent importante et si elle devrait être poursuivie dans le futur — en raison des intérêts réciproques — elle devrait aussi être élargie à d’autres domaines non moins stratégiques comme ceux de l’éducation, des technologies de l’information, des énergies renouvelables, de l’environnement et enfin de la bonne gouvernance. Ces secteurs ne sont pas censés être les seuls à développer dans le futur, mais ils sont selon nous « the second-best choice » après les hydrocarbures et la sécurité. Nous avons également précisé que, dans le cas du domaine de la « bonne gouvernance »–étant donnée la sensibilité du gouvernement algérien et son attachement profond à sa souveraineté dans les affaires de l’Etat — le protocole de coopération à établir dans ce domaine doit stipuler de façons claire qu’il s’agit de « formation » et non d’une transplantation du « modèle » de gouvernance américain au cas algérien. En conclusion générale, nous pouvons dire que si l’Algérie veut sérieusement et pour de bon sortir de la dépendance économique vis-à-vis des hydrocarbures et de sa dépendance de la France, son partenaire dominant actuel, l’Algérie devrait considérer les opportunités que nous avons évoquées ci-dessus et les étudier avec son autre partenaire de taille, les Etats-Unis. De leur côté, les Etats-Unis devraient élargir leurs relations économiques et culturelles avec l’Algérie et trouver, en collaboration avec ce pays, des solutions aux obstacles analysés précédemment, notamment la question du conflit Israélo-Palestinien et la question du Sahara Occidental. Les questions alors que l’on peut et doit poser sont les suivantes : « l’administration américaine actuelle de Joe Biden préférera-t-elle conserver et privilégier son alliance stratégique avec Israël sur la question Palestinienne et son alliance non moins stratégique avec le Maroc sur la question du Sahara Occidental ou, au contraire, aura-t-elle le courage de séparer le politique de l’économique s’agissant de ces deux questions et adopter une attitude plus neutre conformément aux résolutions des Nations-Unies ? That IS the question.


  • Ph.D en économie
    Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)


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