LIVRES / ALI, LE TRÉSOR DE SAVOIR (S)

      par Belkacem Ahcene-Djaballah 

                                           Livres

Hommage à Ali El Kenz. Itinéraire d’un penseur indépendant. Essai sous la direction de Abdelhamid Abidi, Layachi Anser et Mustapha Madi. Casbah Editions. Alger 2023, 138 pages en français et 131 en arabe, 1 200 dinars

Extraits divers: «Un homme hors pair et un intellectuel arabe et universel engagé». «Un chercheur critique et rigoureux, un homme fidèle à ses principes tout en restant profondément humble». «Un chercheur taillé pour traiter l’expérience plébéienne en Algérie, celle de «l’expérience et de l’ascension à la dignité politique humaine». «Un homme de sciences et de raison». «Un homme de cœur et de passion». Bref, un homme-monde dans le sens où sa vision et sa posture intellectuelle illustraient l’ouverture et le dépassement des cadres limitatifs… Mais, aussi, symbole de «l’échec d’une génération d’intellectuels»… qui a vu, en l’absence de «vrais commis d’Etat» un Ali El Kenz (et bien de ses pairs) quitter le pays pour «vendre», moyennement des miettes, leur savoir-faire. Pourquoi donc ? Parce qu’ils n’ont pas voulu jouer le jeu de la médiocrité, de l’indifférence ou de la bassesse environnante. Aussi, parce que directement menacés physiquement, eux et leurs familles restés sans protection, par les radicaux durant la décennie noire.

Mais, surtout un intellectuel qui assumait sa couleur intellectuelle, ne cachant pas son marxisme et l’adoption de l’approche matérialiste de l’histoire.

Ali El Kenz, né le 6 janvier 1946 à Philippeville (aujourd’hui Skikda) au Faubourg de l ‘Espérance (El Qobia). Il est décédé le 1er novembre 2020 à Nantes. C’est un sociologue et écrivain algérien, professeur de sociologie à l’université d’Alger puis à l’université de Nantes. Tout d’abord étudiant puis enseignant de philosophie à l’université d’Alger, il s’oriente vers la sociologie à partir de 1972. Il soutient en 1984 une thèse de doctorat sous la direction de Pierre-Philippe Rey (publiée aux éditions du CNRS en 1987 sous le titre Une expérience industrielle en Algérie : le complexe sidérurgique d’El Hadjar).

La reconnaissance due à cette enquête permettra à Ali El Kenz d’entrer en 1984 comme directeur associé au nouveau laboratoire, le Centre de recherche en économie appliquée au développement (CREAD).

Quittant l’Algérie en 1993 (suite aux menaces terroristes), il devient, après un bref passage en Tunisie, enseignant-chercheur à l’université de Nantes où il reste jusqu’à son départ en retraite en 2008. Il y participe à la création de l’Institut d’études avancées (IEA) de Nantes avec Alain Supiot. Ses principaux thèmes de recherche sont le travail, le développement, la sociologie des sciences; ses principaux lieux d’observation et d’analyse, l’Algérie, le monde arabe et l’Afrique

Ses œuvres : «Monographie d’une expérience en Algérie: le complexe sidérurgique d’El Hadjar (Annaba)», 1984/ «Le Complexe sidérurgique d’El Hadjar: une expérience industrielle en Algérie». Éd. du CNRS, 1987/ «Au fil de la crise: 4 études sur l’Algérie et le monde arabe». Bouchène, 1989/ «L’Algérie et la modernité». Édité par le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique, CODESRIA, 1989/ «Le Hasard et l’histoire», 1990/ «Au fil de la crise», 1993/ «Gramsci dans le monde arabe», 1994 / «Le Monde arabe», édition l’Harmattan, 2003 / «Les maîtres-penseurs». ENAG, 2008/ «Écrit d’exil», Casbah, 2009… et beaucoup d’articles dans le presse nationale ainsi que des ouvrages édites sous pseudonyme (dont «L’économie de l ‘Algérie», en 1980, éd. Maspéro, signé Tahar Benhouria, une œuvre magistrale circulant alors sous le manteau).

Les Auteurs : Abdelhamid Abidi/Mohamed Harbi/Naceur Bourenane/Aïssa Kadri/Hassan Remaoun/Ahmed Rouadjia/Abdelhamid Abidi/Laroussi Amri/Charles Suaud/ Clément Moore Henry/Yves Tertarais/Said Djaafer/ Chawki Salhi/ Noureddine Azouz /Suzanne Elfara El Kenz/ Abaher Essaka/ /Mustapha Madi/Layachi Anser/ /Sari Hanafi/Hmida Layachi/Samir Abderrahmane/ Hail Echmiri/ / Said Djafer… et Ali El Kenz

Sommaires : 15 textes en français et 10 textes en arabe

Extraits : «Ali El Kenz était au-dessus de toute idéologie et de toute connivence d’appartenance. Il était algérien, arabe, méditerranéen à la fois. Un vrai citoyen du monde au service d’une pensée critique» (Abdelhamid Abidi, p 61), «Son approche globale témoigne d’une volonté de saisir les profondeurs des sociétés, alliée à une démarche transversale, croisant les disciplines diverses» (Laroussi Lamri, sociologue tunisien, p 66), «Il était patriote et démocrate, et par-dessus tout homme sensible aux malheurs, aux défaites et déconvenues de sa communauté, de ses communautés. Il fut l’homme des fidélités indéfectibles» (Laroussi Lamri, sociologue tunisien, p70).

Avis : Un recueil de contributions intéressant. Tout en ne suffisant pas à cerner la personnalité immense de Ali El Kenz… les témoignages n’étant que des balises d’un cheminement lumineux côté idées mais douloureux côté matériel. Le sort de bien de nos intellectuels vrais, pour la plupart connus et reconnus… ailleurs ! Son dernier texte (un inédit) en date du 6 novembre 2020, écrit quelque temps avant sa disparition, «Le futur antérieur de notre présent», est à lire absolument de bout en bout. Il est question de la Vie et de la Mort… et de la crise des cimetières. Il voulait tellement être enterré dans le cimetière d’El Qobia de sa ville natale… qui affichait complet. Un texte passionnant, émouvant, d’une profondeur plus philosophique que socio-politique et qui résume, à lui tout seul, toute la situation d’un présent qui empêche de se projeter dans le futur.

Citations : «1988, c’est la mort du père. Mais le père se tue lui-même en assassinant ses enfants» (Ali El Kenz, extrait entretien Le Monde en 1988, cité, p 107), «La critique de la société et de l’Etat par un intellectuel doit ramener les gens à réfléchir, à réfléchir et à se poser des questions. Pas à calomnier ni à insulter» (Ali El Kenz. Extrait d’un entretien avec Noureddine Azouz, p 118), «Sant’egidio a contribué à enflammer et à prolonger la logique de guerre au lieu d’accélérer le processus de paix» (Ali El Kenz. Extrait entretien avec Noureddine Azouz, p 120), «Dans la vie, l’humain se mesure à sa position dans la société. Ici (note : la mort) elle se mesure à la longueur du cortège ; quelques mètres pour les plus pauvres, vite ramenés, vite enterrés ; beaucoup plus, jusqu’à former une foule, pour les plus puissants» (Ali El Kenz, p129).

«J’étais entré dans la vie active avec la crise du logement. J’en sortais quarante après avec celle des cimetières» (Ali El Kenz, p 129. Extrait de «Le futur antérieur de notre présent». Texte inédit du 6 novembre 2020).

«Ecrits d’exil ». Essai et recueil de textes de Ali El Kenz. Casbah Editions, 494 pages, 900 dinars, Alger 2009(Foiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits. Fiche complète in www.almanach-dz.com/vie politique/bibliotheque dalmanach

S’il y a un aspect de la vie de l’auteur qui n’est pas très connu, c’est qu’il a été, dans sa jeunesse, du temps où il était lycéen, recordman d’Algérie du 100 m… ou du 60 m plat. Je ne m’en souviens plus. Il sera donc toujours un sprinter, spécialiste des petites distances. Il y a excellé.

Sociologue, politologue, philosophe… Il est vrai que la formation normalienne de base (celle de l’époque, pas celle d’aujourd’hui) doit être pour quelque chose dans cette maîtrise de toutes les questions. Ajoutez-y de l’engagement et on comprendra mieux l’érudition du bonhomme qui s’est frotté «aux connaissances de tous les horizons», exil (forcé) oblige.

On le comprend encore bien mieux lorsqu’on lit les 112 pages consacrées à son itinéraire l’ayant mené de Skikda, sa ville natale, à Nantes en passant par Constantine, Alger, Le Caire, et Tunis. Un ouvrage à lui tout seul et qui, revu et augmenté, pourrait être un «bijou» mémoriel merveilleux (…)

Le reste de l’ouvrage est consacré à l’essentiel de sa production, en commençant, bien sûr (peut-on y échapper?) par une présentation de la pensée de Gramsci…» rencontrée tardivement … par les Arabes» (…)

Chez lui, les théories classiques volent en éclats, comme celle des «Deux corps du Roi», définie par l’historien Ernst Kantorowitc, qui distinguait avec cohérence «le corps physique du Roi» visible » à souhait avec sa cour et ses rites qui changent et meurent avec le temps, du «corps instituant» invisible et durable dans le temps long de la structure.

«Certes, il y a de cela en Algérie, sauf qu’ici, l’institué et l’instituant interfèrent sans cesse sans que l’on comprenne les règles déterminant les positions, les rôles et les mécanismes des différents acteurs en présence». L’étude consacrée à l’Algérie: «De l’espérance du développement à la violence identitaire» (p 275) est à lire, et à relire absolument. (…)

Avis : A lire, bien sûr. Mais allez-y tout doucement… pour déguster.

Extraits : «L’histoire sociale d’un pays est inscrite dans sa langue, ou plus précisément dans ses langages» (p 58), «Amener le petit comme le gros, le faible comme le puissant, l’homme comme la femme(…) à accepter les mêmes règles, cela s’appelle «l’Etat de droit» et les règles de cette axiomatique, des lois.

Dont la première, sa loi fondamentale est l’égalité de tous devant la loi, y compris l’axiomatique elle-même» (p 112), «Ce n’est pas la sortie qui est difficile, mais la marche, nécessairement scientifique, qui conduit vers cette sortie» (p 478)


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