Gros plan sur une bastide française au Sahara occidental

   

Madame Françoise Dominique Bastide. D. R.

par Mohsen Abdelmoumen

Selon le dictionnaire TLFI (Trésor de la langue française informatisé), le mot bastide désigne une petite maison de plaisance à la campagne, souvent à l’usage des citadins. Examinons d’un peu plus près cette bastide. Madame Françoise Dominique Bastide est une sociologue française née à Rabat au Maroc en 1951, elle a été maire adjointe à la mairie de Cannes de 1989 à 1993, et est actuellement propriétaire de la maison d’hôtes Dar Tawarta, à Dakhla, dans la péninsule du même nom sur la côte atlantique du Sahara Occidental. Issue d’une famille de colons français établis au Maroc depuis trois générations et épouse d’un médecin marocain aujourd’hui décédé, Mme Bastide revendique son engagement patriotique pour le Maroc.

Plus royaliste que le roi, cette Franco-marocaine voue une véritable dévotion à Hassan II et à Mohammed VI, comme le démontrent ses déclarations enflammées sur les réseaux sociaux, du type, par exemple, devant la photo du roi bambocheur actuel qui, rappelons-le, est un grand amateur de la gaudriole, surtout avec son boxeur préféré Abu Bakr Azaitar : «S’il savait comme on l’aime.» Oui, bon, chacun fait son lit comme il se couche, dit l’adage, et nous ne nous pencherions pas sur son cas si cette Franco-marocaine ne fourrait pas son nez dans les affaires algériennes.

Car, en parfait relais des théories fumeuses makhzeniennes, Madame Bastide n’en rate pas une pour taper sur l’Algérie via son compte Facebook, reprenant à son compte le langage familier du Makhzen pour nous désigner. On peut comprendre que le fait de cumuler les nationalités française et marocaine la prédispose à être doublement colonialiste puisqu’en tant que Française, elle est établie au Maroc, et en tant que Marocaine, elle participe à la colonisation du Sahara Occidental. En tout cas, nous nous sommes demandé ce qui la motivait à vitupérer de la sorte contre l’Algérie.

En grattant un peu le vernis vertueux dont elle se pare, on s’aperçoit que Françoise-Dominique Bastide est aussi connue sous le pseudonyme de Salka Dlimi, laquelle est «chargée de mission dans la région de Dakhla» pour le Maroc. Aaah ! voilà qui est intéressant. Nous allons découvrir en quoi consiste cette «mission». D’après les propos de Madame Bastide-Dlimi publiés en 2019, c’est en compagnie de son beau-frère, Jawad Kerdoudi, président de l’IMRI (Institut marocain des relations internationales), qu’elle a visité le Sahara Occidental il y a une dizaine d’années et qu’elle a jeté son dévolu sur Dakhla, «la perle du Sud». Nous sommes bien sûr persuadés que son incursion au Sahara Occidental en compagnie d’un haut cadre du Makhzen, fût-il son beau-frère, est le fruit d’un pur hasard. Elle voulait juste passer des vacances en famille et rencontrer le peuple sahraoui pour lequel elle s’est tout de suite senti envahie d’un immense amour. Comme c’est charmant !

Les Sahraouis, «conquis» par son charisme et son intérêt pour eux, l’ont surnommée Salka, «la sauvée». Ses explications quant au choix de ce surnom sont assez fantaisistes. Sauvée de quoi, cela nous importe peu. Par contre, le choix du patronyme «Dlimi» reste à définir. Il ferait référence à une tribu dominante dans cet endroit, selon Madame Bastide. Mais il est étrange qu’il soit le même que celui de ce général criminel qui a massacré les Sahraouis et qui est mêlé à l’assassinat de Ben Barka, et qui a fini écrasé par un camion-citerne sur les ordres de Hassan II que cette désormais bienfaitrice du peuple sahraoui vénère pour sa bonté.

Toujours d’après ses déclarations à propos de sa rencontre avec le peuple sahraoui, selon elle, le côté «humain» n’avait jamais été inventorié jusqu’à ce qu’elle arrive à Dakhla : «L’humain s’adresse toujours au visible mais jamais à l’invisible, aux liens humains, aux souffrances, aux histoires de vie, aux coutumes ou à la culture…» et, perle d’hypocrisie qui mériterait de figurer dans un exemplaire de la colonisation pour les nuls : «Si on avait commencé par là, le problème serait beaucoup plus simple aujourd’hui car ce n’est pas, au fond, la terre qui nous intéresse le plus mais plutôt sa ressource principale, qui est l’élément humain.» Nous versons une larme devant un tel dévouement à la cause sahraouie. Françoise Bastide continue sur sa lancée et estime avoir «compris cette part de noblesse qui fait que les Sahraouis s’attachent à l’empire chérifien, car ils l’ont aimé et suivi non pas par besoin ou par peur, mais par désir» (!)

Osez donc aller répéter vos boniments aux Sahraouis emprisonnés dans les geôles de votre commandeur des trafiquants de drogue, Madame Bastide. Ou encore aux femmes sahraouies tabassées en pleine rue par les forces d’occupation du Maroc colonial. Nous prenons acte qu’avec vous la propagande du Makhzen atteint des sommets. En effet, cette phrase est une petite merveille de baratin et «l’empire chérifien» a une saveur toute particulière qui devrait figurer sur le fronton du palais royal ou, en tout cas, vous valoir la médaille de l’obséquiosité. Mais revenons à nos moutons, plutôt que de l’humain, parlez-nous donc de «l’octopus vulgaris» et de la «Solanum lycopersicum», Madame. Soit. Nous y reviendrons.

Donc, selon Françoise Bastide, alias Salka Dlimi, les Sahraouis se sont attachés à «l’empire chérifien» par «amour» et par «désir», et la colonisation du Sahara Occidental par le Maroc est étrangère à toute forme d’appropriation de la richesse du territoire occupé. Seul «l’humain» importe, surtout depuis que Madame Bastide s’est installée à Dakhla. Nous allons examiner ce monde des bisounours d’un peu plus près. Bien. Nous avons appris que cette dame dispose d’une agence de marketing territorial et qu’elle dirige la revue de la Chambre d’Agriculture d’Oued Ed-Dahab à Dakhla pour le ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural, et des Eaux et Forêts du Maroc. Les termes sont importants. Elle occupe donc une fonction officielle auprès d’un ministère, ce qui n’est pas anodin quand on vit dans un territoire occupé au mépris des résolutions de l’ONU.

Pire, il apparaît que cette dame prend à cœur de promouvoir l’implantation étrangère dans le Sahara Occidental. On cherchera en vain l’aspect vertueux de cette position colonialiste. On comprend qu’en travaillant pour l’entité voyou du Maroc, elle ne va pas cracher dans la soupe, mais de là à encourager les retraités occidentaux et autres touristes en mal d’exotisme à venir s’installer dans la ville de Dakhla plutôt qu’ailleurs, c’est faire de l’excès de zèle au détriment des Sahraouis qu’elle aime tant. Nous reprenons ses propos : «Pour les décider à investir, pour encourager les retraités à choisir d’y vivre et d’y dépenser leur retraite, pour répondre au désir d’évasion des touristes à venir ici plutôt que là-bas, le marketing territorial est une nécessité.»

Mme Bastide, ou Mme Dlimi, dites-nous donc où vous êtes allée chercher le droit, en tant que Française et Marocaine, d’inciter les gens à venir s’installer sur un territoire qui n’appartient ni à la France ni au Maroc et sur lequel vous vous êtes installée au mépris des résolutions de l’ONU qui est en charge du dossier du Sahara Occidental ? Comment n’avez-vous pas honte de vous vanter du fait que feu votre époux marocain patriote et fervent royaliste a participé avec enthousiasme à ce que vous et les vôtres appelez la Marche verte et que, nous, nous appelons Marche de la honte, ou Marche de la colonisation ? Nous vous citons : «Le partenariat d’exception passe par la reconnaissance de la souveraineté pleine et entière du Maroc sur sa partie saharienne.» De quelle souveraineté parlez-vous, Madame ? Expliquez donc à vos abonnés sur Facebook et Instagram à quel moment de l’histoire le Sahara Occidental a appartenu au Maroc. Nous sommes curieux de lire vos explications. Mais creusons encore un peu.

Nous, les Algériens, connaissons bien la mentalité coloniale paternaliste dont Madame Bastide-Dlimi est le parfait exemple. Les pieds-noirs établis en Algérie ne différaient en rien de ce que nous montre cette Franco-marocaine très active sur les réseaux sociaux. Mais comme nous l’avons vu et comme nous allons encore le découvrir, cela va bien plus loin que le sinistre colonialisme atavique. Un autre aspect mis en exergue par l’activisme de cette dame est que le Makhzen marocain paie bien et que cette femme n’est jamais qu’une mercenaire s’activant de mille manières pour le compte de ceux qui la rémunèrent. Fer de lance de la politique coloniale du Maroc au Sahara Occidental, cette fonctionnaire du Makhzen qui se présente comme une icône de la colonisation réussie est au centre d’un réseau d’influence dont les ramifications vont jusqu’aux couloirs du palais de Rabat. Prenons l’exemple de son implication dans le lancement du think tank Al-Mountada à Dakhla.

Ce think tank marocain qui se prétend «indépendant» rassemble des dirigeants issus des secteurs public, privé et associatif de l’ensemble des régions du Maroc. L’un des fondateurs d’Al-Mountada est un ami proche de Madame Bastide-Dlimi, un certain Ghali Fassi Fihri, qui a été directeur financier du Premier ministre au temps où celui-ci était ministre de l’Agriculture, à savoir le milliardaire Aziz Akhannouch dit «Monsieur Fioul». Ce surnom a été donné à Akhannouch parce qu’il est l’un des actionnaires principaux de l’Akwa Group, holding marocain englobant des dizaines d’entreprises dont la distribution de carburants, du gaz, de l’énergie solaire, des lubrifiants, du tourisme, de l’immobilier et de la presse. Donc, c’est le Premier ministre marocain, dit «Monsieur Fioul», véritable homme-orchestre, qui distribue le carburant à son peuple. Celui qui y verra un conflit d’intérêt sera considéré comme une mauvaise langue. L’autre cofondateur d’Al-Mountada est Ghassane Benchekroun, directeur financier du groupe Akwa à Casablanca. N’y voyez aucune intention cachée, c’est un pur hasard. Décidément, le Makhzen n’est pas sérieux. Prétendre que ce think tank est indépendant quand ses deux fondateurs sont ou ont été des directeurs financiers liés au milliardaire Akhannouch est un défi à l’intelligence.

Ajoutons que le terme «indépendant» et ses dérivés n’existent pas dans le dictionnaire marocain, puisque ce pays est sous la tutelle permanente de la France et de l’entité sioniste d’Israël. Quoi qu’il en soit, Dakhla a abrité en 2019 une table ronde sur la «dynamique de développement» des provinces du Sud, la région de Dakhla ayant été choisie comme modèle de cette dynamique à l’initiative du think tank Al-Mountada. Fichtre ! Quel honneur ! En plein territoire occupé du Sahara Occidental ! Chers lecteurs, ne sentez-vous pas poindre le bout du nez de la «mission» ?

Et c’est ici que réapparaissent «l’octopus vulgaris» et la «Solanum lycopersicum», sur lesquels nous allons nous pencher. Il s’avère que la ville de Dakhla est située sur une presqu’île de la région de Dakhla-Oued Ed Dahab. Situé sur la côte atlantique du Sahara Occidental, au bord du golfe du Dakhla, cet endroit est connu pour ses qualités touristiques et est classé depuis 2014 en tête des lieux, à l’échelle mondiale, où l’on pratique les sports nautiques. Outre le secteur touristique qui attire les visiteurs durant toute l’année et surtout ceux qui pratiquent des sports nautiques, les produits de la mer sont la ressource économique la plus importante de Dakhla, puisqu’elle est considérée comme le premier fournisseur au niveau du marché national et même au niveau des marchés étrangers tels que l’Europe et certains pays de l’Asie, avec une production qui dépasse 10% de l’ensemble des richesses maritimes du Maroc. Il s’agit de l’un des plus grands ports de pêche des «provinces du sud». En outre, l’agriculture s’y développe à un rythme effréné (tomates, melons, plantes aromatiques) tandis que l’élevage (bovins, ovins, caprins, camelins et même des autruches) se porte très bien aussi. Toutes ces activités génèrent des profits plantureux chez les sociétés exploitantes. Tout cela bien sûr sans que le peuple sahraoui en perçoive le moindre centime.

Concernant la «Solanum lycopersicum», nom scientifique de la tomate, selon une étude effectuée par l’ONG espagnole Mundubat et la première organisation agraire espagnole COAG, le roi du Maroc construirait illégalement une «mégalopole de la tomate» à Dakhla, aux dépens des Sahraouis et des producteurs du sud-est espagnol. D’après cette enquête, cinq grands groupes d’affaires exploitent des terres fertiles dans les territoires occupés du Sahara Occidental pour créer l’un des plus grands centres de production de tomates dans le monde. Nous citons : «L’une des principales entreprises établies, Les Domaines Agricoles, est une société appartenant à la holding du roi Mohammed VI. Une filiale de cette société, le Groupe d’exportation des domaines agricoles (GEDA), est chargée du stockage, de l’emballage et du transport, et entretient une relation de partenariat avec l’entité française basée à Perpignan.»

«L’étude comprend également les multiples irrégularités du macro-projet agricole que l’oligarchie marocaine construit autour de Dakhla, y compris la violation des droits fondamentaux du peuple sahraoui, la discrimination du travail contre cette population, l’usurpation de leurs ressources naturelles locales, telles que la terre et l’eau, et la fraude contre les consommateurs européens en matière d’étiquetage.» «La crise actuelle provoquée par les autorités marocaines à la frontière avec l’Espagne fait partie de leur stratégie visant à forcer la communauté internationale à reconnaître leur souveraineté sur les territoires occupés du Sahara Occidental et à blanchir les abus et illégalités qu’ils commettent contre les Sahraouis depuis des décennies. L’accord de libre-échange signé avec l’UE, les contrôles frontaliers déficients, et la paresse des administrations espagnoles et européennes y ont contribué», a déclaré Andres Gongora, responsable des fruits et légumes au COAG. Nous mettons le lien vers cette étude (en espagnol) : https://drive.google.com/file/d/1oF6Qq1n1JBk2harlQjYrQb0tXFvSq7bA/view

Parlons maintenant de ce malheureux poulpe, l’«Octopus vulgaris», qui ne s’attendait pas susciter l’intérêt de l’armée marocaine. Localisées dans les eaux du Sahara Occidental, les ressources poulpières sont un enjeu politique et économique majeur pour le Maroc. Le poulpe est une espèce qui ne se trouve que dans les bancs de pêche du Sahara Occidental, et particulièrement à Dakhla, contrairement à la sardine que l’on trouve dans le nord du territoire occupé. La pêche intensive au poulpe est entièrement entre les mains de hauts gradés militaires marocains qui cumulent leur fonction au sein des Forces armées royales tout en possédant de grands bateaux dotés d’une importante infrastructure de congélation à bord.

Le quota global de la pêche au poulpe pour la saison 2022, qui s’est étendue du 20 décembre 2021 au 31 mars 2022, a été fixé à 43 500 tonnes, réparties sur les trois segments de pêche, à savoir 27 405 tonnes pour le segment hauturier, 4 785 tonnes pour le segment côtier et 11 310 tonnes pour le segment artisanal de Dakhla, le prix au kilo étant de 85,42 dirhams marocains. De quoi inciter les généraux du poulpe à s’incliner davantage pour baiser la main de leur généreux roi de la tomate afin de le remercier pour sa bienveillance à leur égard. Quand Madame Bastide parle de la «junte» algérienne, elle perd une occasion de se taire. «L’humain», «l’être», avant tout, n’est-ce pas, Madame Bastide ?

Mais ce n’est pas tout. Françoise Bastide dénigre tant qu’elle peut l’Algérie et se permet de juger nos services de renseignement et notre armée, colportant la thèse du «qui tue qui» en nous assurant qu’elle cite des «sources» algériennes, les «nôtres», selon ses propos. Nous répondrons à cette dame que les traîtres desquels elle tire ses informations ne sont plus algériens, ils ne sont plus des «nôtres» depuis qu’ils se sont vendus à ceux qui cherchent à nuire à notre pays et, pour son information, ils sont pour la plupart soutenus par le Maroc et par la France qui les financent et leur donnent gîte et couvert. Avec une prétention toute française, Madame Bastide dresse un tableau de l’Algérie que ne renierait pas l’OAS, reprenant les termes makhzeniens habituels, et pérore au sujet d’un «cercle vertueux», prétendant défendre des «Principes» avec un P majuscule. Sa suffisance est parfaitement ridicule après tout ce que nous avons démontré sur ses activités ci-dessus.

Se draper de la toge des grands principes et vouloir donner des leçons de moralité quand on n’est rien d’autre qu’une vulgaire mercenaire du Makhzen et que l’on participe activement à la colonisation d’un territoire qui n’appartient ni à la France ni au Maroc est le comble du cynisme. Vous avez beau vous enorgueillir avec grandiloquence de résider dans le domaine de «l’Etre», Madame, vos propos lénifiants ne marchent pas avec nous. Vous n’êtes que dans le domaine du «paraître» en n’étant pas celle que vous prétendez être, et de «l’avoir» en œuvrant pour le Makhzen. Et, par-dessus tout, vous cachez bien mal votre jeu. Quand on s’installe dans un territoire colonisé et que l’on travaille pour l’entité féodale coloniale du Maroc, on n’a aucun droit de se revendiquer d’une quelconque valeur morale ou principe.

Une dernière chose, Madame Bastide. Laissez nos morts tranquilles. Vous n’avez pas à les étaler sur votre mur et à citer leurs noms. Vous n’avez aucun droit à les utiliser pour votre propagande abjecte. Ce sont ceux qui utilisent votre vénalité au Maroc et en France qui ont participé à leur martyre en soutenant activement le terrorisme islamiste. Ce sont nos martyrs et ils ont droit au repos. Occupez-vous de vos petites affaires et laissez-nous en paix !

M. A.


 

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