Les BRICS et le bouleversement mondial

   

 

L’élargissement de l’alliance des BRICS non seulement avance dans la phase de confirmation, mais semble largement dépasser les attentes quant au nombre de pays souhaitant se joindre à l’organisation pro-multipolaire. Le tout au grand désarroi de l’Occident, dont la représentation minoritaire à l’échelle planétaire n’est plus à démontrer.

19 pays ont exprimé leur intérêt à rejoindre le groupe des nations BRICS alors que se prépare le sommet annuel qui aura lieu en Afrique du Sud, écrit Bloomberg. Le sujet de l’élargissement de l’alliance à de nouveaux membres sera effectivement discuté cet été en terre sud-africaine.

L’information n’est effectivement pas nouvelle – Observateur Continental l’a précédemment plusieurs fois traité – y compris justement la question de l’élargissement en faveur d’autres pays non-occidentaux. Le tout à l’heure où le PIB combiné des 5 cinq membres des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) dépasse désormais celui des 7 membres du club occidental + Japon, le fameux G7.

Par contre ce qui est intéressant de noter dans l’article de Bloomberg, c’est le fait que sur les 19 pays ayant exprimé leur volonté d’adhésion aux BRICS – 13 l’auraient fait de manière officielle, tandis que 6 autres non-officiellement. Peut-être d’ailleurs afin d’éviter dans le cas de ces derniers de mettre trop tôt en colère leurs partenaires occidentaux.

Cela d’autant plus qu’il ne faut pas croire que toutes les demandes recevront une réponse favorable et immédiate. Un tri sera incontestablement nécessaire et une feuille de route sera probablement déterminée pour chacune des demandes concernées. Cela sans oublier que – comme Observateur Continental l’avait précédemment abordé – des pays-candidats pourraient être dans un premier temps acceptés comme observateurs de l’organisation, avant une éventuelle pleine adhésion au groupe.

Dans tous les cas, les BRICS auront non seulement confirmé leur attractivité à l’échelle mondiale, mais désormais avec les nouvelles perspectives il devient évident que l’Occident approche la perte non seulement de sa domination géopolitique, mais bel et bien et également géoéconomique, à l’heure où dans le Top 10 mondial en termes de PIB à parité du pouvoir d’achat les économies occidentales ne représentent plus la majorité. Et cela sur la base même des données du Fonds monétaire international (FMI).

Et lorsque nous savons que selon ces mêmes prévisions l’alliance des cinq pays déjà membres des BRICS – représentant déjà aujourd’hui près de la moitié de la population terrestre et un tiers du PIB mondial – à l’horizon de 2050 le PIB combiné pourrait atteindre, voire dépasser, le niveau de 50% du PIB mondial. A noter par la même occasion que selon les prévisions de Goldman Sachs – à l’horizon justement de 2050 – 4 des 5 membres actuels des BRICS, à savoir la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie – feront partie du Top 5 des principales économies mondiales.

En prenant en compte ces données – pour rappel encore une fois uniquement sur la base des cinq Etats membres aujourd’hui – il n’est possible alors que d’imaginer quel sera alors le PIB combiné de l’alliance pro-multipolaire suite à l’élargissement prévue en faveur des autres nations non-occidentales. Le constant sera pourtant simple et sans appel : l’Occident n’aura alors qu’à subir de manière encore beaucoup plus marquée le rôle de l’extrême minorité planétaire. D’une minorité certes arrogante, mais extrêmement minoritaire. D’ailleurs le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, à l’heure où la Russie préside actuellement le Conseil de sécurité de l’ONU, l’a bien rappelé: «Appelons les choses par leur nom. Personne n’a donné d’autorisation à la minorité occidentale à parler au nom de toute l’humanité». Effectivement – personne. Quant au reste – tout se paie.


Mikhail Gamandiy-Egorov


               L’adhésion aux BRICS explose: le groupe plus désiré que jamais

Flags of the BRICS countries: South Africa, India, Brazil and China. - Sputnik Afrique, 1920, 25.04.2023
© Sputnik . Photo host agency brics-russia2020.ru/
Composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, le groupe des BRICS éveille une vague d’intérêt depuis ces derniers mois. Avant son sommet annuel, le bloc des marchés émergents a reçu 19 demandes d’adhésion.
Les 2 et 3 juin se déroulera le sommet du groupe des BRICS au Cap pour discuter de son élargissement, a déclaré lundi Anil Sooklal, ambassadeur de l’Afrique du Sud auprès du groupe. Quelques semaines avant l’événement, l’intérêt pour le bloc économique explose.

« 13 pays ont officiellement demandé à adhérer et six autres l’ont demandé de manière informelle. Nous recevons des demandes d’adhésion tous les jours », a précisé M.Sooklal au Cap, lors d’une réunion de représentants des pays membres des BRICS avec des envoyés spéciaux du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.

Il a ajouté que l’expansion des BRICS et ses modalités seraient discutées dans le cadre du sommet.

Élargissement pas-à-pas

Formé en 2006, le bloc économique BRIC ne comprenait alors que quatre pays et a été élargi en 2010 avec l’adhésion de l’Afrique du Sud.
C’est l’année dernière que la Chine a entamé le dialogue quant à l’expansion des BRICS alors qu’elle les présidait.

Parmi les pays ayant formellement demandé l’adhésion au bloc se trouvent l’Arabie saoudite, l’Algérie et l’Iran. La Turquie, l’Égypte et la Tunisie ont également exprimé leur détermination à faire partie du groupe.


           Arslan Chikhaoui, géopolitologue, à L’Expression

                            «Seuls les Brics peuvent équilibrer les relations économiques»

La prochaine réunion des Brics en Afrique du Sud a valeur de test pour le nouvel ordre mondial. Son succès, c’est-à-dire, l’ouverture des adhésions, relèguera la mondialisation, dans sa version actuelle, au rang de vieillerie géopolitique. Les institutions de Bretton Woods perdront, à terme, toute leur influence. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Arslan Chikhaoui nous apporte les clés pour comprendre ce qui se trame…

L’Expression: Quelle appréciation faites-vous du prochain sommet des Brics en Afrique du Sud?
Arslan Chikhaoui: Le 15e Sommet des Brics qui se tiendra du 22 au 24 août prochain à Durban sous la présidence annuelle de l’Afrique du Sud sera l’occasion d’entériner le processus des Brics+. L’expansion des Brics se fera avec l’incorporation des nouveaux membres qui ont déjà déposé leur candidature comme l’Algérie, l’Argentine et l’Iran ou ceux qui ont annoncé leur intérêt tels que l’Arabie saoudite, la Turquie et l’Égypte. Le processus de validation des candidatures se fait à l’unanimité et non à la majorité. Les Brics devront également décider à l’unanimité des critères effectifs d’adhésion de nouveaux membres. À ce stade et de manière globale, la Chine et la Russie sont favorables à l’expansion des Brics, par contre, l’Inde et le Brésil demeurent défavorables et l’Afrique du Sud n’a pas encore arrêté de position. Ce qui est certain, c’est que le sommet de Durban sera un grand challenge pour tous ces pays qui partagent en commun des valeurs du Mouvement des pays non-alignés. Les Brics sont considérés par les pays non-alignés comme le seul véhicule viable pour équilibrer le monde dans les relations économiques, commerciales, politiques et de sécurité, loin de la prédominance actuelle des États-Unis et des pays de l’Alliance atlantique. La question qui se pose est la suite: est-ce que l’Afrique du Sud réussira à fédérer la décision pour muter des Brics aux Brics+? À mon sens et compte tenu de la nouvelle dynamique mondiale post-crise sanitaire de Covid-19, ce passage s’effectuera lors du sommet de Durban avec, dans un premier temps, l’acceptation unanime d’incorporer de nouveaux membres en qualité d’observateurs.
Selon des observateurs avertis, Il y a déjà une immense pression politique de l’Occident sur l’Afrique du Sud pour ne pas permettre au président Poutine d’assister au sommet des Brics, sans compter les éventuels chantages économiques et commerciaux que risque de subir l’Afrique du Sud. La question de la présence du président Poutine et du mandat d’arrêt de la CPI a causé un certain malaise au sein du parti au pouvoir, l’ANC (African National Congress). Pour rappel, le congrès général du parti avait décidé il y a quelques années que l’Afrique du Sud devait quitter la CPI. Le président Zuma n’avait cependant pas réussi à mettre en oeuvre cette résolution qui met l’actuel président Ramaphosa dans une posture inconfortable. Je reste persuadé que cette question épineuse trouvera sa solution grâce au smart power de l’Afrique du Sud.

Qu’attendent les différents pôles de puissances et les institutions financières internationales du sommet de Durban?
Il faut dire que le prochain sommet des Brics va marquer un tournant majeur des systèmes occidentaux, qu’ils soient politiques, diplomatiques, commerciaux ou financiers, et dans quelle mesure ils résisteront au mouvement des Brics qui souhaite établir sa propre monnaie de réserve et s’éloigner du dollar américain. Lors de ce sommet une réflexion sur la question de savoir si nous sommes toujours sur une tendance de mondialisation ou plutôt si nous nous acheminons vers une déglobalisation et une régionalisation. Un autre point sera à l’ordre du jour, c’est celui de la relation des pays en développement qui dépendent des aides financières des institutions de Bretton Woods, qui pourrait également être revu après ce sommet des Brics. Un pas important pour les pays africains pourrait être franchi, en particulier, pour commencer à solliciter les aides financières auprès de pays dits «de l’Est´´ plutôt qu’aux pays occidentaux.
Je tiens à préciser que ce club des pays émergents Brics, rassemblant la Chine qui est de loin la plus puissante économiquement et qui constitue le grand rival à la première puissance économique mondiale que sont les Etats-Unis d’Amérique, et le Brésil, la Russie et l’Inde, se voit comme un possible contre-pouvoir du G20. L’Afrique du Sud, président en exercice des Brics, membre depuis 2011, s’inscrit dans cette politique de non-alignement, gardant des liens avec les États-Unis d’Amérique tout en favorisant le multilatéralisme et maintenant sa neutralité par exemple dans la crise politico-militaire russo-ukrainienne. À la présidence de cette organisation pour un an, le président sud-africain Ramaphosa devrait donc continuer à encourager le développement de ces relations Sud-Sud.
Si le sommet du Durban concrétise la première étape du passage de groupe Brics à Brics+ ce sera un pas effectif vers la multipolarisation du monde et par voie de conséquence vers des rivalités sans précédent.

En 12 ans de présence aux Brics, quelle bénéfice l’Afrique du Sud a pu en tirer?
L’Afrique du Sud reste, en termes démographique et économique, le plus petit membre des Brics, le pays espère avant tout pouvoir profiter de cette présidence tournante pour redonner du dynamisme à sa croissance et renforcer ses liens avec ses partenaires commerciaux de poids et, en premier lieu, le plus stratégique, à savoir la Chine. En échange, le pays offre un point de passage vers l’Afrique pour le reste du groupe qui souhaite développer son influence sur le continent. Pretoria entend bien mettre l’accent sur le potentiel de croissance du partenariat économique Brics-Afrique. Avec l’élargissement aux Brics+, le club des Brics qui possède actuellement plus de 70% des réserves mondiales des minerais rares connus sous le nom de «terres rares» passerait à 90%. Les terres rares sont l’objet de convoitises dans le monde, car elles sont nécessaires et indispensables à plusieurs industries de pointe et industries alternatives. Lors de son discours sur l’état de l’Europe, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a expliqué que «….les besoins en terres rares de l’Union européenne vont être multipliés par cinq d’ici 2030…» A cela s’ajoutera le levier pétrolier et gazier dont disposera le Brics+ du fait de l’incorporation des pays membres de l’Opep+.

L’Afrique du Sud compte organiser en décembre prochain, une conférence sur les Brics et les aspects juridiques, qu’en déduisez-vous?
Cette conférence de décembre prochain, aura lieu en comité élargi avec la participation des membres des Brics, aux côtés des autres pays conviés dont l’Algérie, l’Argentine, le Cambodge, l’Égypte, l’Éthiopie, les Fiji, l’Indonésie, l’Iran, le Kazakhstan, la Malaisie, l’Ouzbékistan, le Sénégal et la Thaïlande. Ce sera la première fois que la rencontre des représentants des Brics sera ouverte à des pays qui ne sont pas membres. Les participants à cette conférence examineront certainement la création d’un mécanisme de résolution des problèmes juridiques en lien avec la banque des Brics dénommée Nouvelle Banque de Développement (NBD) qui a été créée en 2014, et est en concurrence avec la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine de Développement. Ils discuteront également la création d’une nouvelle monnaie commune mise au service des économies des pays membres. Il est utile de rappeler que les cinq pays membres des Brics disposent d’avantages concurrentiels importants en totalisant 24% du PIB mondial et pourraient atteindre, selon les projections du World Economic Forum, 40% en 2025. Actuellement, leurs échanges économiques sont de l’ordre de 18%, et les IDE de 25%. Le poids des Brics est très conséquent par rapport au G7. À mon sens, cette initiative d’une conférence sur les aspects juridiques dénote la volonté politique des pays émergents d’encadrer les mécanismes alternatifs pour une perspective d’un monde multipolaire déglobalisé.

L’ALgérie est quasi assurée de figurer parmi les pays du Brics élargi. Le bénéfice économique et géopolitique est évident, mais qu’en sera-t-il de ses relations avec le bloc occidental?
L’adhésion de l’Algérie au club des Brics est à plusieurs détentes. En effet, elle marque de facto son adhésion à un monde multipolaire où les relations seraient plus équilibrées. Le regain de la dynamique diplomatique engagée par l’Algérie a renforcé son positionnement sur la scène internationale en tant qu’ État exportateur de stabilité, fidèle à ses principes immuables de politique étrangère et attaché au respect du droit et de la légalité internationaux. Dans un contexte mondial en proie à de profondes mutations, aux crises multiples et aux conflits d’intensité variable, l’Algérie est réputée comme étant l’une des rares voix audibles et crédibles sur qui la communauté internationale peut compter pour espérer une résolution de plusieurs dossiers sensibles. L’Algérie est un pays clé, pas seulement du point de vue des ressources minières, du potentiel agricole et de l’équilibre énergétique mondial, mais également eu égard à son influence régionale en tant que facteur de stabilité, notamment, dans la région sahélo-saharienne, ce qui intéresse beaucoup la Russie, la Chine et l’Afrique du Sud, mais également les pays influents de l’Alliance atlantique.
Ceci pour dire que l’Algérie opte pour une realpolitik dans ses relations internationales et par voie de conséquence affirme ses appartenances géographiques et définit ses aires d’intérêts communs et ses aires d’intérêts stratégiques. Elle affiche clairement ses positions de principe qui demeurent immuables depuis son indépendance, en l’occurrence sa posture déclarée de non-alignement. Tout cela n’est pas en contradiction avec sa volonté aussi bien de continuer à développer ses relations multidimentionnelles Nord-Sud que Sud-Sud.


Saïd BOUCETTA


 

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