Un cabinet britannique prévient : L’Algérie risque des troubles sociaux à cause de la Covid-19

  Selon le rapport de Verisk Maplecroft, de violentes manifestations de rue en raison de l’impact économique négatif de la Covid-19 sont à craindre dans certains pays, notamment en Afrique et en Amérique latine.

  La crise sanitaire engendrée par la propagation de la Covid-19 et son impact négatif sur l’économie mondiale risquent de provoquer des troubles sociaux dans plusieurs pays, dont l’Algérie.

L’alerte est donnée par le cabinet britannique de gestion des risques, Verisk Maplecroft, dans un récent rapport. «Les pays les plus à risque sont le Nigeria, l’Iran, le Bangladesh, l’Algérie, l’Ethiopie, la République démocratique du Congo (RDC), le Venezuela et le Pérou. La Turquie et l’Egypte devront également se préparer à une fin d’année explosive», soutiennent les auteurs de ce rapport.

Selon le document, de violentes manifestations de rue en raison de l’impact économique négatif de la Covid-19 sont à craindre dans certains pays, notamment en Afrique et en Amérique latine. Soulignant l’ampleur du chômage engendré par l’arrêt de l’activité économique, le rapport met en garde contre des «troubles majeurs» devant intervenir au second semestre de l’année en cours.

«La mise au chômage de millions de personnes ainsi que la dégradation de la sécurité alimentaire en raison de la Covid-19 pourraient avoir pour effet d’entraîner de violentes manifestations de rue à l’échelle mondiale, représentant un risque pour la stabilité intérieure des pays à un niveau rarement vu au cours des dernières décennies», alerte Verisk Maplecroft.

Au moins 37 pays dans le monde, notamment en Afrique et en Amérique latine, indique la même source, risquent d’être confrontés à des pics de tensions sociales. «La douloureuse reprise économique post-pandémie pourrait accentuer la colère des populations contre les gouvernements», ajoute le rapport, précisant que ce «risque d’instabilité restera par ailleurs particulièrement élevé au cours des 2 à 3 prochaines années».

Ce sont, plus particulièrement, les pays de l’Afrique subsaharienne qui encourent de violentes réactions des populations, en raison du «déclin économique, de la pauvreté et de l’incapacité à garantir des approvisionnements alimentaires adéquats». «Les principaux marchés à surveiller dans cette région sont le Nigeria, l’Ethiopie et la RDC. Ce climat instable n’a besoin que d’une étincelle pour déclencher des troubles majeurs.

Cela s’est déjà produit en Ethiopie, où de récentes manifestations de masse déclenchées par le meurtre de l’éminent musicien activiste oromo Hachalu Hundessa ont fait 166 morts», note le document. Au Nigeria et en RDC, indique aussi la même source, l’insécurité alimentaire croissante attise la colère.

«Bien que la production de riz au Nigeria augmente, elle est encore insuffisante pour nourrir le pays le plus peuplé d’Afrique. Lagos a vu les prix des denrées alimentaires augmenter jusqu’à 50%, ces derniers mois. C’est une situation similaire que vit la RDC, où la hausse du coût des denrées de base a conduit à des troubles à Kinshasa et dans d’autres villes, y compris le centre minier de Lubumbashi», fait remarquer également le cabinet britannique Verisk Maplecroft./ 

MADJID MAKEDHI


>>   Farid Marhoum. Sociologue et maître de conférences à l’université de Tlemcen : «Les autorités hésitent à prendre des mesures rigoureuses pour de nombreuses raisons»

Farid Marhoum, ancien chercheur permanent au Crasc d’Oran, est sociologue, maître de conférences au département des sciences sociales de la faculté des sciences humaines et sciences sociales de l’université Abou Bakr Belkaïd de Tlemcen. Il est chercheur au laboratoire d’anthropologie cognitive et travaille sur les questions de la ville et de la citoyenneté autour du concept nouveau : «L’obésité urbaine». Dans cet entretien, il analyse la gestion des autorités de la pandémie de Covid-19.

– On a observé un peu partout dans le monde des réactions diverses aux mesures contre la Covid-19, et en Algérie, les responsables, les spécialistes et les praticiens de santé ont parlé d’irresponsabilité, d’indiscipline, d’incivisme, etc. Selon vous, quelle est la nature de ce désintérêt de la population ?

Ce que disent les responsables, les spécialistes et les praticiens de santé sur les réactions des populations face aux mesures contre la Covid-19 est compréhensible dans la mesure où ils manquent de savoir sur la nature des sociétés et leurs modes de fonctionnement. Dans la réalité sociale : «On peut contraindre les gens à obéir, mais on ne peut les obliger à comprendre.» Avec la Covid-19, il fallait que les gens comprennent d’abord la situation pour se soumettre aux recommandations sanitaires.

La panique première et les querelles des spécialistes de santé ici et ailleurs abondamment médiatisées ont multiplié et diversifié les réactions. Je pense que ceux qui critiquent les réactions des populations en les qualifiant de ce que vous avez cité ont un penchant à faire obéir les gens sans se soucier de leur droit à comprendre.

Il aurait fallu donner les explications suffisantes, claires et à la portée des capacités intellectuelles de chacun, car les gens sont inégaux face à la culture. L’irresponsabilité, l’indiscipline, l’insouciance, l’incivisme, etc. existent bel et bien comme actions-réactions sociales en réponse à d’autres actions-réactions. L’incivisme peut signifier «une réplique à la violence symbolique des lois et des règles juridiques, pour exprimer un mal-être identitaire».

On peut donc l’appréhender comme un acte politique pour contester l’ordre établi. L’apparition de ces comportements à l’occasion de la Covid-19 signifie que cette pandémie est un fait social total qui a, selon la définition de Marcel Mauss, «mis en branle la totalité de la société et de ses institutions en particulier, parce que les échanges et les contrats concernent plutôt des individus. Les phénomènes observés sont à la fois politiques, économiques, religieux, juridiques, morales, morphologiques…»

– Le discours des autorités, devenu plus agressif avec la remontée du nombre de contaminations, culpabilise lui la société et les réseaux sociaux où les internautes mettent en doute l’information institutionnelle. Beaucoup y voient un début de désengagement d’une crise marquée par la versatilité de sa gestion. Qu’en pensez-vous ?

Le discours politique peut tout se permettre, même le mensonge, et les médias qui le relayent veillent à leurs propres intérêts. Il nous est cependant indispensable de se poser la question sur la montée de ce discours culpabilisant et même appelant à l’utilisation de la force et de la répression contre ceux qui ne se plient pas aux consignes sanitaires. Pour comprendre, il faut aller chercher des explications avec un premier élément d’analyse qui se trouve être le hirak populaire.

Les autorités politiques ont déjà perdu une part considérable de la confiance de la population, comme du reste les médias nationaux, privés et publics, qui n’ont plus de crédibilité. La confiance ne se décrétant pas, il n’est pas possible d’obtenir la discipline, la responsabilité et le civisme au niveau de l’exigence de la lutte contre la pandémie.

Je pense que les autorités ont commis l’erreur de parier sur la conscience et la mobilisation des individus dans une conjoncture qui leur était défavorable. Les Algériens n’ont pas le même niveau de confort et de commodités dans leurs habitats.

Ils n’ont pas les mêmes relations avec l’Etat-providence, ne profitent pas de la rente de la même façon et ne sont pas tous pour ou contre ce qu’ils nomment le système. Je pense qu’on a complètement ignoré ce que j’ai appelé «la société oubliée», avec notamment la frange des jeunes Algériens qui se sentent marginalisés, cultivent leur désarroi avec un désespoir croissant. La guerre sur les réseaux sociaux de l’info et l’intox, entre l’information, la contre-information et la désinformation.

Les réseaux sociaux sont devenus le champ de bataille entre disciplinés et indisciplinés : deux blocs se rejetant l’un l’autre. Je ne pense pas que l’Etat envisage de se désengager de la gestion de cette crise nationale, mais que les autorités sont désemparées face à la situation politique, économique, sociale et sanitaire.

Elles hésitent à prendre des mesures rigoureuses, craignant une révolte générale. Ce gouvernement tente seulement d’éviter que les problèmes d’un champ ne débordent sur d’autres champs. L’Etat est devenu «obèse», il pèse lourd sur les institutions toutes confondues, sur les individus et sur lui-même.

– Les sociologues se sont peu penchés sur les attitudes des Algériens face aux restrictions sanitaires. Le débat sur cette question ne s’est pas encore instauré. Comment expliquer cette réclusion des sociologues qui nous ont pourtant habitués à de brillantes analyses ?

Cette discipline est en perte de vitesse depuis au moins deux décennies. Sont en cause les réformes successives de l’université, non justifiées. Progressivement, les enseignants sont devenus otages de leur carrière avec les promotions et augmentations de salaire, de l’absence de communication en interne et avec l’environnement social et le poids des tutelles.

La sociologie est aujourd’hui obsédée par le microphone, l’image et la reproduction pour dire une chose et son contraire. Elle fait dans l’idéologique plus que dans le scientifique et la critique. En fait, elle est contrainte de confirmer, en quelque sorte, l’idéologie dominante en «zappant» la réalité pour plaire aux uns, sans contrarier les autres./


 >>   Recrudescence alarmante de l’émigration clandestine : La harga reprend de plus belle

Avec l’avènement de la belle saison et le calme de la mer, les filières harraga, appâtées par l’argent facile se réactivent sur les côtes est et ouest de l’Algérie.

Le phénomène de l’émigration clandestine, après quelques mois d’accalmie due au coronavirus, reprend de plus belle. Bien que la pandémie soit toujours d’actualité, les candidats à l’émigration clandestine ont quand même décidé de reprendre la traversée illégale vers les côtes européennes, faisant fi des risques de contamination encourus.

En effet, en dépit de la crise de Covid-19, et profitant de la saison estivale, durant laquelle, généralement, la mer est calme et huileuse, les candidats à l’émigration clandestine ont renoué avec leur tentative de rejoindre coûte que coûte les côtes européennes.

Ces derniers jours, à Oran comme à Mostaganem, des jeunes et moins jeunes n’ont d’yeux que pour l’émigration clandestine, et font gorge chaude sur les différents moyens par lesquels ils peuvent arriver à bon port.

Selon nos informations, plus de quatorze embarcations de fortune ont quitté, entre vendredi et samedi derniers, le territoire national à partir des différentes plages de Mostaganem pour se diriger vers les côtes ibériques.

Si certains ont réussi à passer entre les mailles du filet, pour d’autres, la joie d’être enfin arrivés en Espagne a été de courte durée, car, selon leurs proches contactés par téléphone, à peine arrivés, ces migrants clandestins n’ont pas tardé à être arrêtés par la Gardia civile, à différents endroits, que ce soit Murcia, Valence, Cartagena, Aguilas, Alicante etc.

La même source affirme que ces jeunes harraga ont été transférés vers des centres de rétention réservés à l’immigration clandestine, où la Croix-Rouge les a pris en charge. Il faut dire que cette situation a alerté les autorités espagnoles et les a poussées à prendre des mesures drastiques pour contrecarrer ce phénomène, nous affirme-t-on, et cela a fortiori en cette période de pandémie mondiale, où la circulation des citoyens entre les pays est réduite à son strict minimum.

De son côté, la presse locale espagnole a également rapporté cette arrivée massive de migrants algériens sur le sol ibérique. «Près d’une trentaine d’immigrants se trouvent dans le port de Carthagène, gardés par 11 policiers. Ces 29 personnes ont été interceptées alors qu’elles étaient à bord d’un bateau. En outre, on s’attend à ce que dans les prochaines heures, 29 autres migrants, qui ont été localisés, soient transférés vers le port», a précisé le journal La Opinion de Murcia dans son édition du 24 juillet.

Ce même journal a également affirmé que la Gardia civile a intercepté «un canot pneumatique à l’aube du même jour avec 13 migrants (12 hommes et 1 femme) à bord, d’âge légal et apparemment de nationalité algérienne». A Cabo de Palos, toujours selon La Opinion de Murcia, «un bateau a été intercepté avec 16 immigrés clandestins à bord, tous des hommes, majeurs et apparemment aussi des Algériens».

Un autre journal espagnol rapporte quant à lui que ce sont 76 immigrants qui sont arrivés dans 6 bateaux sur la côte d’Alicante en seulement 12 heures : «L’un des bateaux, dans lequel voyageaient 16 personnes de nationalité algérienne, dont deux mineurs, a été intercepté ce matin au large de Santa Pola.» Il précise en outre qu’en raison du «risque de contamination à la Covid-19, tous ces migrants algériens devront être soumis à des tests PCR par les autorités sanitaires».

D’ailleurs, ce même journal signale que les migrants qui ont été emmenés au port de Carthagène, après avoir effectué des tests PCR, il s’est avéré que 7 d’entre eux ont été testés positifs au coronavirus. Au total, recoupe la presse espagnole, ce sont plus de 400 immigrants, qui sont arrivés sur les côtes de la région de Murcie à bord de 31 bateaux. L’émigration clandestine est un fléau qui touche l’Algérie depuis le début des années 2000.

Après une accalmie au début des années 2010, le phénomène a repris en 2017 avant d’atteindre son apogée tout au long de l’année 2018. En 2019, avec l’avènement du hirak citoyen et les espoirs qu’il a suscités chez la jeunesse algérienne, le phénomène de la harga avait complètement disparu durant plusieurs semaines avant de reprendre de plus belle.

Les côtes de Boumerdès très prisées par les candidats au départ

Le phénomène de l’immigration clandestine a repris de plus belle ces derniers jours à partir des côtes de la wilaya de Boumerdès. Avant-hier, une soixantaine de jeunes sont partis d’une plage de Corso à bord de quatre embarcations de fortune en direction du vieux continent.

Plusieurs vidéos montrant ces jeunes désespérés ont été postées sur les réseaux sociaux. «Puisque vous ne voulez pas partir nous laisser construire notre avenir, c’est nous qui sommes partis à votre place», lance l’un d’eux. Après près de vingt heures en haute mer, ces harraga auraient rallié les côtes ibériques sains et saufs dans la matinée d’hier, selon des témoignages postés sur Facebook.

La semaine passée, plusieurs groupes de harraga ont pris le large à partir de Dellys et de Cap Djinet. Après une période d’accalmie au début de la pandémie du coronavirus, le fléau a connu un rebond depuis le début de la saison estivale, une période où la traversée devient moins périlleuse. Malgré le durcissement des mesures de contrôle et les drames survenus en haute mer, les côtes de la wilaya de Boumerdès sont très prisées par les jeunes désirant fuir le pays. En septembre 2019, treize jeunes ont péri au large de Cap Djinet peu après l’entame de leur voyage vers les côtes ibériques.

La criminalisation de la harga n’a pas non plus réduit de l’ampleur de ce phénomène de société qui se nourrit des injustices et du sous-développement. Pour les militants des droits de l’homme, la lutte contre ce fléau passe d’abord par l’amélioration des systèmes de gouvernance des pays de départ et l’arrestation des passeurs ou les «marchands de la mort» comme les appellent certains.   R. Kebbabi


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