Algérie / Chachnaq, symbole de cohésion et de convergence nord-africaine

     par Brahim Tazaghart *

 Le Quotidien d’Oran vient de publier un article signé par M. Sidi Mohamed Negadi, professeur en histoire médiévale du Maghreb à l’université de Tlemcen dans lequel il m’a attaqué d’une manière sournoise, s’appuyant sur une lecture tendancieuse d’une conférence que j’avais animée à la maison de la culture Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou en janvier 2018, intitulée : « Chachnaq, un pharaon occulté ».

Usant de mon droit de réponse, je vous prie d’insérer ce texte dans votre journal. Ecrire l’histoire suppose des connaissances, une sensibilité, et un point d’appui dans le temps et dans l’espace. L’histoire est une science «humaine», pas une science naturelle, de ce fait, on ne peut être totalement étranger et insensible au passé, au présent et à l’avenir de son peuple. User de sa plume pour amoindrir son peuple et son pays n’est pas nouveau, ils sont encore nombreux les adeptes de l’école coloniale qui a tout fait pour persuader les Algériens en particulier, les Maghrébins en général, qu’ils n’ont aucunement participé à la civilisation humaine.   Qui est Chachnaq ?

«Les informations que nous donnons sont tirées du «Livre des Rois» et sont rapportées par l’égyptologue Arthur Weigall», c’est par cette phrase que le professeur en histoire médiévale du Maghreb aborde la question de l’origine de Chachnaq.

Première observation : M. Sidi Mohamed Negadi reconnaît par cette entame qu’il n’a pas pris connaissance de l’ancien testament qu’il cite en référence, mais il se réfère à la lecture d’une tierce personne, en l’occurrence Arthur Weigall, égyptologue et journaliste anglais. Car, s’il avait pris le temps de le faire avant d’aborder la rédaction de son article, il aurait su que l’ancien testament, dans sa partie «Livre des Rois» ne parle nullement des origines de Chachnaq, ni de sa prise de pouvoir et de la fondation de sa dynastie. L’ancien testament parle plutôt de la conquête de Jérusalem par ce roi, avec lui un peuple innombrable, des Libyens, des Sukkiens et des Éthiopiens1, peuples composants son empire et son armée.

Après une présentation très approximative des origines de Chachnaq, il conclue: «Nous ne trouvons dans aucune autre documentation une quelconque allusion à son origine libyenne». Il utilise «aucune autre documentation», sans citer aucun livre qu’il aurait consulté et qui se rapporte à l’histoire de l’Afrique du Nord. De ce qui précède, il est clair qu’il a travaillé uniquement sur l’ouvrage d’Arthur Weigal, l’exploitant dans l’objectif de nier «toute histoire» à notre peuple. Or, les documents qui soulignent l’origine libyenne de Chachnaq sont nombreux, et les musées de Louvre, de Londres et de Berlin possèdent diverses pièces qui l’attestent. Dans son «Encyclopédie de l’Egypte ancienne», composée de 10 tomes, Salim Hassan, considéré comme le père de l’archéologie égyptienne, a consacré le tome 09 à «La fin de la 21e dynastie et le pouvoir de l’Etat libyque en Egypte jusqu’à l’émergence de l’époque éthiopienne..» 2 Le titre de ce tome est lui-même une affirmation sans équivoque de l’origine libyenne de Chachnaq Premier.

Dans «L’histoire ancienne de l’Egypte», Nicolas Germal ne dit pas moins, il cite le refus des prêtres de Taiba de reconnaître Chachnaq comme roi, car étranger ; ils ne le reconnaissaient que comme «Grand Chef des Machaouiches-amazighs». Quelques années plus tard, ayant imposé sa loi, les mêmes prêtres le qualifiaient de l’aimé de dieu Amon.

Je crois que le professeur Sidi Mohamed Negadi aurait dû s’adresser à ses collègues, le Pr Taklit Mbarek Selouati ou le Dr Oum El-Khir Laggoune qui a soutenu sa thèse sur le pouvoir des amazighs dans l’Egypte pharaonique au Caire, devant un jury de spécialistes du pays du Nil sans que personne ne remette en cause ses conclusions ; ou encore le chercheur l’Algéro-Egyptien Nacer Mohamed Ismail, spécialiste de la période pharaonique.

L’amalgame Sheshonk – calendrier

– On voudrait bien comprendre par quel hasard un évènement concernant uniquement les Egyptiens pourrait-il être un évènement fondateur du calendrier chez les Libyens ?

Le plus grand problème qui peut se poser à un chercheur est son incapacité à replacer les événements dans leur contexte, dans le cadre d’une vision globale qui se projette naturellement dans l’avenir. Certes, Chachnaq a gouverné au nom de l’Egypte, mais son empire a englobé une partie de la Libye, le Soudan, la Syrie, la Palestine et le Liban. Quand je dis Libye, je parle de tout le territoire allant de la partie occidentale du Nil jusqu’à l’Atlantique comme l’avait écrit Hérodote.

Chachnaq était l’homme de son époque, et celle-ci ne peut être regardée avec les lunettes de l’Etat national d’aujourd’hui, ni pensée avec la vision sectaire qui commence à s’accaparer des esprits. Chachnaq était amazigh, comme Alexandre le Grand était macédonien, comme Omar Ibn Al-Ass était arabe et Salah Eddine El-Ayoubi kurde. Ces hommes dépassent les frontières de leurs naissances et gouvernances pour devenir des mythes, des symboles auxquels se reconnaissent des peuples et des nations.

C’est partant d’une vision qui replace notre pays dans une aire historique et civilisationnelle qui est la sienne, et qui l’engage a assumer toutes les dimensions de son identité, que nous pourrons saisir l’importance de faire de Chachnaq le symbole d’une histoire à revisiter et à réécrire pour la dépouiller des odeurs colonialistes qui étouffent notre présent et hypothèquent notre avenir. Commencer la datation de l’année agricole amazighe par son arrivée au trône dans cet empire en déclin n’est que justice rendue à ce roi exceptionnel que des forces mal intentionnées ont tout fait pour effacer de la mémoire du monde. Il faut reconnaître, à cet effet, que sans le travail du mouvement amazigh, ce grand roi allait rester dans l’ombre de l’oubli tant beaucoup de chercheurs européens et africains ont voulu réduire son importance en l’occultant.

«Etranger en Egypte», «Egyptiens au Maghreb», sa position de symbole unificateur ne cadrait pas avec les logiques sectaires et les divisions qui régnaient sous la dictée d’un Occident qui refuse obstinément de lâcher sa proie africaine. C’est pour cette raison que Chachnaq, comme symbole, dérange ceux qui ont perdu, ou qui n’ont jamais eu de rêves de grandeur.

– Elle (la raison du choix de Chachnaq) semble liée à l’académie berbère créée à Paris… Il s’agissait de trouver une faille dans le système culturel de l’Algérie, faille que la France a commencé de creuser à partir de 1880 lors de l’application par Jules Ferry de la politique de l’éducation publique en vigueur en Algérie. Il fallait mettre en exergue les supposées différences ethniques et culturelles entre Arabes et Berbères.

Que viennent faire les Arabes en 950 Avant JC en Afrique du Nord ? Pourquoi à chaque fois qu’il y a manifestation publique du fait amazigh, il y a réactivation de ces histoires à dormir debout de la France manipulant les Amazighs contre l’Arabe ? La France a-t-elle créé les Amazighs ? L’existence de la France est-elle antérieure à celle de la Numidie ? La France coloniale a-t-elle œuvré pour la création du royaume amazigh de l’Algérie ? Un peu de bon sens et d’intelligence en ces moments cruciaux.

Les projets de l’empire colonial n’ont jamais étaient simples comme beaucoup imaginent et foncent têtes baissées dans les pièges tendus par l’action psychologique de l’Hexagone. En décidant de la mise en place d’un royaume arabe en Algérie, en dépensant des efforts titanesques pour convaincre l’Emir Abdelkader de le diriger, Napoléon III ne le faisait pas parce qu’il aimait les Arabes, la langue arabe ou l’Emir, mais il considérait que les intérêts de la France sont dans la création artificielle d’un Etat vassal à l’image de celui de Mohamed Ali en Egypte. Le refus entêté de l’Emir de céder à la volonté de l’empereur français lui a coûté une propagande bien dosée qui a fini par faire de lui un traître, avec ses 17 années de résistances… Beaucoup d’idées en effet, de visions qui circulent sur le marché national des imaginaires sont des produits des laboratoires coloniaux rabâchés à longueur de journées par des voix qui se réclament tant de l’authenticité que de la démocratie !

S’atteler aujourd’hui encore à réchauffer la thèse des complots colonialistes sans avoir la hauteur de vue pour identifier les opérations mises en œuvre dès 1833 avec les bureaux arabes, le Royaume arabe, l’arabisation de l’environnement, faussera constamment l’étude de ce passé oh combien déterminant. Ce processus visait à substituer à l’amazighité de la terre et des esprits l’identité exclusivement arabe, afin de rendre effectif le slogan de la «France est la Continuité de Rome».

Explication : pour que la France soit la continuité de Rome, l’amazighité qui a résisté à la présence romaine avec Jugurtha, Takfarinas et d’autres héros devait disparaître sous le poids d’une arabité postérieure à Rome, donc illégitime du point de vue français. Les études orientalistes ont saisi l’organisation de la société algérienne et les failles que la colonisation peut exploiter pour régner durablement. Et celle-ci ne se privait pas. En effet, c’est ce projet complexe, ce complot diabolique qu’à saisi Cheikh Mebarek El-Mili lorsqu’il s’est mis à rédiger son œuvre sur «L’histoire de l’Algérie ancienne et nouvelle», de même pour Toufik El-Madani et Ammar Imache qui ont fait appel à l’histoire amazighe pour sécuriser le mouvement de résistance et lui donner son assise inébranlable. «Si la France est la continuité de Rome, la résistance du peuple algérien à la colonisation française est la continuité de la résistance amazighe à Rome». A la thèse colonialiste, l’antithèse nationaliste était à la hauteur de l’enjeu de l’heure et qui touchait à l’existence même de la nation algérienne. C’est cette vérité que le professeur en histoire de la période médiévale n’ose même pas penser, car otage d’une école coloniale qui conditionne beaucoup de chercheurs et leur impose les limites à ne pas franchir.

Il faut affirmer une fois pour toutes que ni la politique arabe de la France ni sa politique berbère n’engagent les Algériens ! Ceux-ci étaient victimes et pas coupables. Dans ce sens, au lieu de redonner vie à des stéréotypes mesquins, idéologiquement périmés, il faut rendre un vibrant hommage au peuple qui a fait échec à cette politique colonialiste de division pour se lever comme un seul homme le 1er novembre 1954. Il faut s’incliner avec émotion et respect devant la mémoire de Bessaoud Mohand Arab, Ammar Neggadi qui ont pris les armes pour accomplir l’œuvre historique d’arracher l’indépendance du pays et qui ont continué, par la suite, à se battre pacifiquement pour lui rendre son identité plusieurs fois millénaire au lieu de chercher à les amoindrir.

Il est temps que tout le monde se place du côté de la nation. L’Algérie a besoin d’unité, de paix interne pour faire face aux menaces qui la guettent. Militants de l’algérianité, nous sommes prêts à débattre, à discuter, à échanger là où nos contradicteurs se sentent le plus à l’aise, à l’université ou ailleurs. Ce n’est pas un défi que nous lançons par esprit belliqueux, mais une promesse d’œuvrer ensemble afin de tirer notre peuple de cette confusion qui attente à sa cohésion mentale et intellectuelle. Aller vers la fondation d’une histoire consensuelle est possible, elle est à notre portée à condition que l’amour de l’Algérie soit le sentiment le plus partagé par tous.

– Monsieur Ammar Neggadi a-t-il été manipulé à son insu, dans l’échiquier français ?

Il y a un manque manifeste de mesure et de prudence dans cette question qui vise à jeter le discrédit sur un homme d’honneur, et à travers lui, sur des hommes qui ont permis à M. Sidi Mohamed Neggadi et ses semblables de vivre libre dans un pays qui les paye pour insulter ses hommes et son histoire ! Comme Ammar Neggadi qui est parti en exil, la dictature a jeté les meilleurs des hommes comme Boudiaf, Ait Ahmed, Khider, Mofdi Zakaria hors des frontières. La dictature idéologique imposée conjointement par Nasser et de Gaulle à un pays sorti fragilisé d’une guerre sans merci a fait des dégâts énormes. A cet effet, je l’invite à méditer la déclaration de feu Abdelhamid Mehri à ce sujet. «L’arabisation nous a été imposée par le général de Gaulle», avait indiqué l’ex-SG du FLN lors d’une émission donnée à Hassad El-Taqafa de la Radio culturelle3. L’arabisation de de Gaulle est une arabisation politique qui fait de la langue arabe une momie au lieu d’un instrument de savoir ; un outil de domination idéologique en s’attaquant aux autres langues au lieu de se développer avec elles dans une interaction féconde. De Gaulle savait qu’avec une telle option de stérilisation de la langue arabe, l’école algérienne allait produire l’élite de l’impasse historique qui refuse aujourd’hui encore de sortir du tunnel de l’unicité.

– Admettons maintenant, ne serait-ce que pour un instant, que le calendrier berbère, date de l’intronisation du XXIII° pharaon en Egypte c-à-d vers 950 av. JC».

Ici, le professeur Neggadi fait un amalgame entre la datation, l’an zéro du calendrier et le début effectif de celui-ci. Le calendrier Jalali de Perse ne commence pas en 634 avec l’an du Hidjir, ni le calendrier arabe d’ailleurs. Le début de la datation est une convention pour fixer la vie humaine dans le temps. Au lieu de situer les années par les événements, l’année de l’éléphant pour les Arabes, l’année de la sécheresse pour les Amazighs par exemple, les hommes ont décidé de dater les années en s’accordant sur l’an zéro. Comme tous les peuples du monde, les Amazighs ont le droit de choisir un événement, un symbole pour commencer leurs datation. Yennayer qui est appelé dans quelques localités des Aurès «Ass n Farâune» (le jour du pharaon) a incité Ammar Neggadi à chercher et à proposer la montée au trône de Chachnaq comme l’an zéro de l’an amazigh.

– Dans quelle langue ce calendrier a-t-il été transcrit ? Sûrement pas en tamazight puisque cette dernière appellation n’a vu le jour, «chez vous», qu’en 1990.

‘L’appellation n’a vu le jour «chez vous»’ qu’en 1990 !’ Voilà comment le professeur Sidi Mohamed Neggadi compte faire obstacle à la politique coloniale, en adoptant sans état d’âme sa matrice de deviser pour régner !

Il doit savoir que «chez vous», c’est l’Algérie, de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud, sans distinction d’aucune nature. Aussi, oublie-tzil qu’il enseigne dans la ville d’Ighmourasen, roi amazigh zyanide ? Lui arrive-t-il de faire un tour du côté des Ait Snous pour s’apercevoir que l’unité culturelle de l’Algérie n’est pas une vue de l’esprit. Tamazight était toujours là bien avant l’arrivée des Phéniciens et des Romains sur nos côtes. C’est dans cette langue que Mmi-s n Tmurt (Ibn Toumert) a traduit les sens du Coran, que Cheikh Aheddad, grand guide de la Rahmaniya qui a lancé la révolte de 1871, a expliqué la religion musulmane dans des manuscrits qui attendent d’être publiés. Tamazight n’est pas une fabrication du «laboratoire colonial» comme s’amusent à le répéter les fabriqués de la Cité de Londres, elle est parlée encore aujourd’hui à l’Oasis de Siwa en Egypte, au Mali, au Niger, en Mauritanie…

Professeur en l’histoire médiévale, il doit avoir connaissance de l’ouvrage de Abou Zakaria El-Firani4, du livre des noms de Ibn Tunert5, ou de la «Description de l’Afrique» de Hassane El-Wazzan dit Léon l’Africain qui parle de la langue amazighe comme (awal amazigh).

Quelques remarques sur l’exposé du conférencier (écrit-il).

Nous avons perdu beaucoup de guerres» : les guerres perdues par les Berbères ne sont pas dues à l’étendue du territoire, mais au système clanique, qui refuse l’altérité, et au mode de vie des populations. Il faut attendre le troisième siècle av. JC et sous la pression conjuguée des Carthaginois et des Romains, pour voir la première fusion entre tribus aboutissant à la création du royaume de Syphax en Maurétanie césarienne, suivi quelques années plus tard par l’effort d’unification réalisé par Massinissa en Numidie.

L’hypothèse de Sidi Mohamed peut compléter la mienne dans quelques-uns de ses aspects, mais sans la nier bien évidemment. Quant aux royaumes amazighs, il doit savoir qu’ils étaient là depuis toujours. Meryey a régné en 1200 avant JC, Hairbas6 a offert une parcelle de terre à la princesse phénicienne Elissa pour la fondation de Carthage en 814 avant JC. Bien avant Rome et Carthage, Gaia, le père de Massinissa était là avec d’autres rois et reines comme Tinhinane. Certes, Syphax, et surtout Masinissa, sont les plus connus, les plus algériens pour être dans l’esprit de l’Etat-nation, mais pas les premiers. Nos royaumes ne sont pas nés sous la pression de Rome et de Carthage comme il l’écrit, ils étaient antérieurs à la naissance du royaume romain et à l’arrivée d’Elissa en Méditerranée occidentale.

– Quelles sont vos sources pour affirmer que les techniques de guerre les plus avancées sont nées chez les Berbères.

Dans le livre «Le Maghreb ancien», de Mohamed Bayoumi Mahra, édité par La maison de la connaissance universitaire d’Alexandrie, nous pourrons lire à la page 98 que les Mashaouashs ont utilisé les chars de guerre, et lors de leur défaite face à Ramsès III aux environs de 1160, celui-ci a récupéré 93 unités.

Au ve siècle, Hérodote écrivait que les Garamantes faisaient la chasse aux Éthiopiens troglodytes sur des chars à quatre chevaux (IV, 183). Plus loin, il dit clairement que «c’est des Libyens que les Grecs ont appris à atteler à quatre chevaux» (IV, 189).7 D’ailleurs, le commun des Algériens peut faire le rapprochement entre ces informations écrites et gravées et les chars sahariens tels qu’ils sont représentés dans les peintures et gravures du Tassili.

Quant à sa méprise que les Amazighs n’ont jamais remporté une bataille contre les Romains, je ne répondrai pas, car elle relève simplement de la haine de soi et pas d’autre chose. «Ville à vendre, tu périras si tu trouvais un acheteur», disait le mythique Jugurtha en regardant vers Rome. L’Algérie par contre, ne le sera jamais, tant sa place est grande dans le cœur de ses enfants, fiers de l’affiliation de son ANP aux grands Aguellids Numides et à l’armée victorieuse de Massinissa.

Drapé dans sa dérive de division des Algériens, Sidi Mohamed Negadi tente une manipulation sournoise qui frise le ridicule lorsqu’il m’accuse de dénigrer l’armée nationale quant j’ai dit lors de ma conférence : «L’armée nationale, avec tous les moyens dont elle dispose, peine à sécuriser des frontières aussi étendues que les nôtres, que dire alors des temps anciens ?» Au professeur de nous dire qu’elle est cette armée au monde qui ne souffre pas devant les conflits sur ses frontières, devant les contrebandiers des armes et de la drogue, devant l’immigration clandestine et les infiltrations terroristes lorsque celles-ci, pour notre pays, sont de l’ordre de 6 511 km partagés avec sept pays voisins dont la presque totalité sont instables.

On ne défend pas l’ANP en cultivant la discorde et le mensonge, en privant les Algériens de toute raison de fierté en leur passé. D’ailleurs, il est aisé de relever que dans son article réquisitoire, M. Mohamed Negadi n’a utilisé que la dénomination coloniale «berbère», alors que nous la réfutons catégoriquement, car nous sommes des Amazighs, des hommes libres et dignes. A cet effet, la rupture avec l’école coloniale dans l’écriture de notre passé est impérative. «Décoloniser l’histoire» tel que préconisé par Mohend-Chérif Sahli devient une urgence absolue. «Décoloniser l’histoire» doit être sur tous les frontons des départements d’histoire des universités algériennes.

– En sus, vous affirmez qu’Athènes est née chez nous !! Cette dernière existait bien avant Carthage, et les guerres que les Grecs ont gagnées contre les Perses sont antérieures aux royaumes berbères.

L’auteur de l’article : «De Chishnaq à Yennayer ou la mémoire outragée» confond entre la déesse Athéna et la ville d’Athènes. Les villes ne naissent pas dans un lieu pour être transportées ailleurs, les humains, oui. Dans ma communication, j’ai avancé l’hypothèse que Athéna est née à Syrte, d’où l’attachement et l’admiration que lui voue la population locale. Pour illustrer cette vénération, lisons cette traduction de Stéphane Gsell d’un passage d’Hérodote qui parle de la fête annuelle de la célébration d’Athéna : «… les jeunes filles se partagent en deux troupes et se battent les unes contre les autres avec des pierres et des bâtons, disant qu’elles suivent une coutume instituée par leurs pères en l’honneur de la divinité que nous appelons Athéna. Elles prétendent que celles qui meurent de leurs blessures sont de fausses vierges. Avant de cesser le combat, voici ce qu’elles font. De chaque côté, elles ornent la jeune fille la plus belle d’un casque corinthien et d’une armure grecque complète ; elles la font monter sur un «char» et la promènent autour du lac…». D’ailleurs, d’après toujours Hérodote, c’est en Afrique du Nord que fut préparée pour la première fois l’égide dont est revêtue la déesse Athéna. (Hérodote IV, 189).8

– Quelles sont vos sources sur Chishnaq ? Le livre des Rois ne donne pas les détails que vous avez évoqués.

En lisant cette confession, je ne me suis pas empêché de sourire. Le professeur en histoire médiévale confirme qu’il n’a lu, au sujet de ce grand roi, que le seul livre d’Arthur Weigal. Il confond entre la Thora, livre religieux des juifs et l’encyclopédie de l’histoire du monde.

Oui, l’ancien testament ne donne pas des détails comme j’ai dit plus haut, car il porte sur l’histoire du peuple juif et non pas sur celui des peuples du monde. Pour qu’il fasse son idée sur Chachnaq, je l’invite à lire entre autres :

– Encyclopédie de l’Egypte ancienne, de Salim Hassan, composée de 10 tomes.

– Des études sur l’histoire ancienne de la Libye, du Dr Mustapha Kamel Abdelalim

– L’histoire ancienne de l’Egypte, de Nicolas Germal.

– Les Amazighs en Egypte, des temps les plus reculés aux dynasties amazighes de Taklit Mebarek Slaouti.

– L’Etat des Amazighs dans l’Egypte pharaonique de Oum Lkhir Laggoune.

– Le Maghreb ancien, de Mohamed Beyyoumi Mehran et beaucoup d’autres ouvrages.

– En quoi les actions de Chishnaq au Moyen-Orient peuvent-elles influer sur les Berbères ?

En réponse à cette question, je lui propose trois questionnements pour réfléchir dessus afin d’arriver à trouver une réponse à la sienne :

1- Pourquoi Napoléon III est-il revenu au pouvoir, après son exil londonien, avec son projet du royaume arabe de l’Algérie ? De qui tient-il cette idée ?

2- Pourquoi les boîtes de production du film «Le Gladiateur» ont présenté le Numide comme un esclave, portant le nom de notre roi savant «Juba» ?

3- Pourquoi les responsables de la communauté juive d’Algérie ont refusé l’appel d’Abane Ramdane à rejoindre la révolution et ont pris fait et cause pour le colonialisme barbare ?

– Votre interprétation du verbe ??? est elle-même erronée. Elle ne signifie pas la force physique d’une armée, mais elle explique la force du mal (Vous commettez beaucoup de mal). C’est ce que traduit aujourd’hui les méfaits d’Israël (Oct. 73 au Sinaï, et en 2006 au sud Liban face à Hizbollah). L’action d’Israël en Syrie, en Cisjordanie et à Ghaza est plus que néfaste, là aussi le verbe ??? sa juste signification.

Comme pour beaucoup de ses semblables, il cite les méfaits d’Israël, l’attaque verbalement mais travaille consciemment ou inconsciemment pour la réalisation de ses dessins. Ces techniques héritées de Laurence d’Arabie et des services de sa majesté ne trompent que ceux qui veulent l’être. Camouflage des mauvaises intentions dans un habit de moine.

L’enseignant de l’université de Tlemcen doit nous dire la vérité : «En s’embarquant dans cette croisade haineuse contre Chachnaq, vise-t-il à lui faire payer sa prise de Jérusalem en 925 avant JC ? L’attaque-t-il parce qu’il avait pris vers l’Afrique du Nord les trésors de Salamon ? Veut-il le déqualifier comme symbole parce qu’il a conquis les royaumes de Juda et d’Israël même si, de part sa grandeur et son respect pour le roi prophète Salamon, il n’a pas profané le temple ?

Il est temps que les vérités se disent. Il est temps que les pourfendeurs de l’amazighité déclinent leurs motivations réelles et les raisons profondes de leurs hostilités maladives à une culture de résistance qui a permis à l’Algérie de rester debout. La confusion doit laisser place à la clarté pour une prospective à la hauteur des ambitions des martyrs de l’indépendance et de la liberté.

-Chachnaq n’apparaît pas dans le Coran. Le Coran fait allusion à la première prise de Jérusalem par Nabuchodonosor en 586 et à la destruction de son temple, alors que Chishnaq vivait au dixième siècle. Vous avez là, manifestement, une confusion au niveau des dates dans le texte sacré du Coran.

Le plus modeste des musulmans sait que le saint Coran ne cite aucune date, ni aucun nom dans Sourate El-Isra à l’exception de celui de David, comme pour situer, d’ailleurs, l’ère de la transgression à laquelle fait référence la Ayat 04. A aucun moment, le Coran ne mentionne le nom de Nabuchodonosor qui apparaît, par contre, chez Ibn El-Kathir et autres savants qui ont tenté d’interpréter les «Ayates» 04 et 05, pas plus. D’autres ont parlé du calife Omar Ibn Lkhettab, comme moi j’avais parlé de Chachnaq.

J’explique rapidement mon hypothèse : il parle de la première prise de Jérusalem ! Et bien, celle de Chachnaq en 925 avant JC est antérieure à celle de Nabuchodonosor en 586 avant JC que je sache, cela en ce qui concerne la chronologie. La raison de la prise de cette ville sainte plaide pour Chachnaq et non pas pour Nabuchodonosor : le premier a pris Jérusalem parce que son roi Roboam a péché contre l’éternel : (Lorsque Roboam se fut affermi dans son royaume et qu’il eut acquis de la force, il abandonna la loi de l’Éternel, et tout Israël l’abandonna avec lui. La cinquième année du règne de Roboam, Schischak, roi d’Égypte, monta contre Jérusalem, parce qu’ils avaient péché contre l’Éternel. Il avait mille deux cents chars et soixante mille cavaliers ; et il vint d’Égypte avec lui un peuple innombrable, des Libyens, des Sukkiens et des Éthiopiens. Il prit les villes fortes qui appartenaient à Juda, et arriva jusqu’à Jérusalem9). Alors que Nabuchodonosor, quant à lui, il a attaqué Jérusalem en représailles au refus du roi Sidikia, son vassal, de payer sa contribution annuelle. La première raison relève de la relation verticale de l’homme avec Dieu, la deuxième raison participe de la relation horizontale entre les hommes. Aussi, en lisant attentivement le passage de l’ancien testament, on s’aperçoit que Chachnaq était le bras de l’Eternel avec lequel il a sanctionné le peuple d’Israël qui a péché, après la mort de Salamon.

Dans la Aya 04, il est dit : «Par deux fois vous sèmerez la corruption sur terre et vous allez transgresser d’une façon excessive». Ici, transgresser n’exprime pas à mon avis ÇáÚáæ qui est la puissance excessive. Passons et posons la question qu’il faut : «A quel moment de l’histoire le peuple d’Israël a atteint le summum de sa puissance ?». La réponse est évidente : «Au temps de David et de Salamon !»

Qui a pris Jérusalem dans ce contexte de la force des enfants d’Israël, quelque temps seulement après la mort de ces rois-prophètes : Chachnaq, Nabuchodonosor ou Omar Ibn El Khatab ? La réponse est aussi évidente que la première : c’est Chachnaq qui a pris Jérusalem après la mort de Salamon et la prise du pouvoir par son fils Roboam.

A la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, le royaume de Juda était faible, et Sedikia son roi était vassal du roi d’Irak, ce qui signifie que le peuple d’Israël n’était pas au summum de sa puissance, même chose d’ailleurs pour Ibn El Khatab qui a pris Jérusalem alors qu’elle était sous occupation romaine.

Le texte de l’ancien testament ne parle pas de Chachnaq comme «pharaon», mais comme «roi», avec ce que cela suppose comme puissance et sens de justice.

– Pour faire œuvre d’historien, vous devriez faire preuve de plus de rigueur et de probité dans votre démarche.

Je suis écrivain, je pense l’histoire de mon pays pour comprendre les raisons profondes de ses crises successives et les possibilités de les dépasser. Je ne suis pas historien de formation comme M. Sidi Mohamed Negadi qui a vraiment besoin, plus que tous, de la rigueur et de la probité intellectuelle et scientifique pour honorer l’université qui l’emploie.

Qu’il revient en ces instants, deux années après, sur une conférence que j’avais animée en 2018 pour chercher des failles dans mon exposé n’est pas innocent, ni fortuit, mais soyons positifs et disons qu’il m’a permis d’apporter des éclairages que j’espère utile aux lecteurs.

Conclusion

Pour conclure cette réponse, je réitère l’idée qu’à travers Chachnaq, nous ne cherchons nullement à rentrer en compétition avec quiconque, ni à s’accaparer l’histoire d’aucun pays, ni d’aucune nation. Conscients des enjeux qui agitent le monde, nous sommes convaincus que seule l’unité des peuples d’Afrique du Nord autour d’un projet de complémentarité stratégique pourra les sauver des plans diaboliques des forces prédatrices.

Amazigh, Egyptien, Nord-Africain, Chachnaq est un héritage commun, un symbole de l’unité et de la cohésion à promouvoir, comme Aruis d’ailleurs qui doit reprendre sa place dans l’histoire de notre région afin de nous permettre de déchiffrer les processus et les étapes de sa formation pour oser penser ensemble un avenir de dignité pour nos enfants.

«L’Afrique aux Africains», disait le grand Aguellid Massinissa. Nous sommes toujours sur cette voie de l’honneur. «La liberté ne se négocie pas, elle se défend», aurait dit le mythique Jugurtha qui aura bientôt sa stèle à Tipaza.

1 L’ancien testament.

3 L’expression du 15 11 2006.

6 Article, La ruse d’Elissa et la fondation de Cartage, John Scheid et Jesper Svenbro

7 Encyclopédie Berbère

8 Encyclopédie Berbère

9 Texte de l’ancien testament

*Ecrivain, éditeur et militant de l’Algérianité


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  Chichnaq, symbole  de discorde nationale et… régionale

par Sidi Mohammed Negadi *

  Monsieur l’éditeur et militant de l’algérianité

De prime abord, j’ai visionné votre conférence le jour même de l’érection de la fameuse statue de Chichnaq. Vous comprenez maintenant quel fut mon étonnement et quelle a été la teneur de ma réaction. Mais évaluant votre attitude face à la réalité que vit notre pays, j’avais décidé de ne pas vous répondre conscient que cela ne servira à rien. Ce qui m’a incité finalement à réagir, c’est l’intime conviction d’éclairer l’opinion publique sur les réalités historico-anthropologiques du pays et de dévoiler le non-fondé de vos allégations que vous présentez comme arguments historiques irréfutables.

Je ne répondrai pas non plus à vos insultes. Elles sont le signe d’une indigence intellectuelle et de votre sectarisme : vos procédés s’inscrivent dans le contexte du sophisme grec (procédé rhétorique déformant la vérité). Ceux qui insultent autrui sont ceux dont la force de persuasion est déficiente.

Vous avez essayé aussi, par votre attitude passionnelle et votre ton comminatoire de m’attirer sur le terrain d’une polémique partisane; peine perdue ! Je suis et je resterai ce qu’ont fait de moi mon ancestral environnement culturel et cultuel, mes études supérieures et surtout les saines pratiques universitaires, c’est-à-dire : un historien archéologue agissant selon le code de la rigueur scientifique et de la probité.

Aussi, permettez-moi, monsieur de vous faire part de quelques remarques, que j’ai pu relever dans votre virulent exposé :

Correctifs à vos sournoiseries

– Je ne peux me référer ni à l’ancien testament ni au « Livre des rois » dont les adeptes eux-mêmes qualifient de document ayant subi des falsifications. L’histoire s’écrit sur la base de documents écrits ou épigraphiques et de traces authentifiés. En écrivant son livre, A. Weigall n’a pas puisé son information uniquement du « Livre des rois ». (Vous avez essayé de minimiser son apport en faisant de lui un journaliste, il était ancien inspecteur général des antiquités du gouvernement égyptien). En sus, vous ne cachez pas votre réticence envers les égyptologues anglais qui ont souvent contredit les travaux des égyptologues français. Mais l’importance de ce livre, c’est qu’il a été édité en 1968, presque deux ans après la création de l’académie berbère : il fut en son temps une première réponse contraire à vos projets. Quant au professeur Oum El Kheir Lagoune de l’université d’Oran, elle a fait honneur à sa spécialité d’historienne de la période antique. Elle analysa objectivement des faits historiques, sans leur donner l’attitude partisane que vous lui prêtez. Elle nous apprend (p.194) que Chichnaq voulant préserver le pouvoir central, va déroger aux règles ancestrales des anciens pharaons, en octroyant les postes clés de l’Etat à des chefs militaires des « Mechaouch ». Et pour prendre de l’ascendant devant ces chefs, il va renier le titre qu’il avait auparavant, celui de « Chef suprême des Mechaouch », pour ne garder que celui de Pharaon : il a pris ses distances vis-à-vis des Libyens et se définit comme égyptien.

– La reine Tinhinane : l’étude faite sur les restes d’une tombe baptisée «tombe de Tinhinane » a démontré que le squelette appartient à un garçon de quatorze ans. Vous faites souvent référence à des données erronées et, à chaque fois que vous êtes acculé, vous criez « au complot », alors que votre exposé est truffé d’attitudes complotistes. C’est le voleur qui crie « au vol ! ».

– Confusion : le terme « chez vous » que vous soulignez, ne veut pas dire l’Algérie, mais « chez vous » est « une Tamazgha » englobante et dissolvante sous la bénédiction de «hizb frança », c’est-à-dire les tenants de l’académie berbère, et les affligés de sa dissolution en 1978.

– Erreur de jugement : j’ai fait mes études supérieures uniquement en Algérie et en arabe. Ma thèse de doctorat a été suivie par un éminent professeur de philosophie de l’université d’Alger : feu Rabia Mimoun (un véritable « Argaz » de la tribu des Koutama). C’est pour dire que la culture berbère est ancrée en moi et je la défends contre toute attaque de l’intérieur comme de l’extérieur. Et ce n’est pas parce que je suis en mesure d’écrire en français, et que je maîtrise cette langue, que je deviens -pour vous- un élément de l’école coloniale. Mes actions et mes écrits restent toujours conformes à mes convictions.

– Vos allusions sur Ibn Toumert, El Haddad et Léon l’Africain sont erronées. A titre d’exemple, vous citez le « livre des noms » d’Ibn Toumert, alors que vous ignorez son contenu : il s’agit de « Kitab El Asmaa wa Sifat ». Il concerne le dogme de l’islam selon l’école Achaarite. C’est un chapitre du livre d’Ibn Toumert : A’azzou ma Youtlab. Je vous fait savoir que ce chef spirituel a voulu rédiger son livre en parler des Mesmouda, mais se ravisant, il le rédigea en arabe. (Nous n’allons pas discuter ici le pourquoi dans cette modeste mise au point). Quant à Yaghomracen, fondateur de l’Etat zianide, tout indique que vous ignorez complètement sa personnalité et son projet de société.

– Athènes : c’est votre style qui était ambigu. je sais bien que le site de la ville d’Athènes ne peut se déplacer et que la ville a plus de trois mille ans d’existence. Quant à la déesse Athéna (ou Minerve), déesse de la sagesse et protectrice de la ville qui porte son nom, c’est l’œuvre d’Homère qui a contredit vos assertions. N’a-t-elle pas (la déesse) durant tout le récit de l’Odyssée protégé Ulysse contre le dieu Poséidon ? Et vous savez bien que les travaux d’Homère datent de neuf siècles av. J.C. ! Alors, à qui vous faites allusion ? Peut-être à la statue d’Athéna du musée de Tripoli ? Celle-ci date du premier siècle après J.C. Mais cela ne veut pas dire comme vous l’assurez « qu’elle est née chez nous ». Etes-vous sûr que le sculpteur était berbère ? Et même s’il l’était, l’œuvre s’inscrit dans la culture romaine (à moins de faire l’apologie de la romanisation des berbères).

Berbère/Amazigh

Vous dites que vous réfutez catégoriquement la dénomination de berbère, parce qu’elle est coloniale. Là réside votre sectarisme ou votre ignorance. Sachez bien, monsieur, que les deux termes Berbère et Amazigh nous ont été légués par la culture arabe. Les Français l’ont emprunté à l’arabe. Ibn Khaldoun dans sa généalogie affirme que les anciens habitants du Maghreb sont les « fils de Ber, fils de Mazigh ». Est-il logique de réfuter le père (Ber) et d’adopter le fils (Mazigh !).

Pour plus de précision et dans une optique anthropologique, ce sont les auteurs de langue arabe qui ont été les premiers à avoir étudié la composante humaine du grand Maghreb de façon systémique; et là où les auteurs des anciennes civilisations n’ont vu que des tribus disparates, les historiens de langue arabe les ont définies comme entité homogène : ils les ont étudiées selon le mode de vie et non ethniquement.

De toute façon, ce n’est pas les seuls termes que vous rejetez. Exemple : vous utilisez à nouveau le terme « Afrique du Nord » au dépend du « Maghreb » parce que ce dernier se réfère à l’arabité. D’ailleurs, les deux noms (Afrique et Afrique du Nord) sont d’origine latine. Ils n’existaient pas à l’époque des pharaons (afer = noir).

Aussi, vous n’aimez plus que l’on vous nomme ‘Kébaïl’, car vous êtes des Amazighs qui signifie paraît-il « homme libre ». C’est faux ! Anthropologiquement, ce terme s’applique aux populations transhumantes, et non pas aux populations sédentaires. Il désigne ceux qui n’ont aucun lien avec la terre et qui sont « libres » d’aller où est leur intérêt. Les « hommes libres » ne peuvent aspirer à une patrie puisqu’il va leur manquer le socle où s’active une entité nationale ayant la volonté de vivre en commun.

Quant à l’appellation « Amazigh » que vous chérissez tant, quel est son enracinement anthropologique dans les parlers berbères ? Citez ne serait-ce qu’un document nommant les berbères Amazighs, avant la colonisation française. Selon mes connaissances, du reste que je reconnais modeste à côté de vos supposées encyclopédiques, il n’y en a pas. Le grand militant de la cause nationale, feu Mohammed Chérif Sahli, auteur de « Décoloniser l’histoire», n’a utilisé que la dénomination de « berbère ». Plus encore, il nous apprend « qu’en 1857, Lalla Fatma N’soumer fit appel aux moussebline pour un dernier et suprême effort » (in Décoloniser l’histoire, p. 62). Le terme moussebline fait référence à la culture musulmane. C’est pour vous dire que le livre de cet authentique patriote algérien a été pour moi un livre de chevet.

Et si l’on remonte encore plus loin dans le temps, à Fez en 712 h (1312 g), un anonyme et brave berbère va faire l’éloge des Berbères. Il appela son livre : « MAFAKHIR EL BERBER », il ne mentionne pas le mot : amazigh. Vous affirmez que vous avez parcouru un livre ancien utilisant le terme amazigh, faites une copie d’une page seulement.

En réalité, le terme a vu le jour lors de la crise berbériste (1948-49), lorsque les nationalistes de la Kabylie chantaient « Kher a mmi-s umazigh » (Lève-toi fils de Mazigh). Je souligne à l’occasion que l’auteur de la chanson a utilisé le mot Mazigh, et non amazigh et l’ajout du préfixe a donné Amazigh et son pluriel Imazighen… et par enchaînement et enchantement, il y a eu Tamazigh et enfin Tamezgha. Dans la rive sud de la Méditerranée, c’est la terre qui fait l’homme non le contraire. Est-il admis qu’en changeant de nom, on renforce notre personnalité et par-delà on enracine notre identité ?

Dans le domaine de la recherche, les ethnologues français qui ont travaillé au Maghreb ont mis au jour des crânes dolycéphales et des brachycéphales, peut-on les ranger dans une même ethnie ? Aussi, les résultats des scientifiques de la géographie historique et des préhistoriens confirment que le Maghreb a été un couloir de l’humanité, et un couloir brasse les ethnies. C’est pour cela que l’origine des Berbères restera une énigme. Mais ce n’est pas une tare ! Au contraire, c’est une richesse ajoutée à notre environnement. Dans la mythologie grecque, Zeus, pour punir le titan Atlas, lui a imposé de soulever la voûte céleste à partir des deux chaînes de montagne de notre terroir. La symbolique qui se dégage : le Maghreb est le socle et le couloir de l’humanité ! Alors pourquoi cet entêtement pour la recherche de la race pure ? Comment pouvez-vous accepter qu’un noir (Youssef Ibn Tachafine), un blond (Ziri Ibn Mened), un rouquin (Abou Tachafine le zianide), un bronzé Téhénou (Chichnaq), puissent appartenir à une même ethnie. C’est le comble de l’irrationnel !

Revenons à Chichnaq

A aucun moment je n’ai refusé l’existence de Chichnaq, mais je m’élève contre la falsification de l’histoire. Admettons qu’il soit d’origine lybienne lointaine, le texte en hiéroglyphe de la stèle ci-contre, semble-t-il, le confirme. Le document est conservé au musée du Louvre. (Cf. catalogue Tanis p.36). La stèle nous informe que quatre pharaons ont porté ce nom. La professeure Oum El Kheir va jusqu’au sixième de ce nom (p.189). Mais de là à affirmer que le fondateur de la XXII° dynastie a étendu son autorité de la Palestine jusqu’à la Libye (vous soulignez que Libye voulait dire du Nil à l’Atlantique !), est une falsification des évènements concernant le Maghreb et qui interpelle tout chercheur. Vos propos contredisent donc toute vie politique de toute la rive sud de la mer méditerranée.

Stète de Pasenhor

Comment pouviez-vous justifier les règnes des successeurs de Meryev si Chichnaq avait réellement étendu son pouvoir jusqu’à l’Atlantique ? Etaient-ils ses vassaux ? Carl Ginberg, dans « Histoire Universelle » (p. 74 ed. Marabout de poche) se demande comment un pharaon de la période de déclin politique de l’Egypte pouvait régner sur un empire très instable surtout dans sa partie nilotique. Votre logique ne tient pas !

Le comble, c’est que vous faites de Chichnaq un personnage clé du destin des peuples. Je cite vos propos : « Lorsque vous lisez attentivement le passage de l’ancien testament, on s’aperçoit que Chichnaq était le bras de l’Eternel avec lequel il a sanctionné le peuple qui a péché après la mort de Salomon ». Vous y croyez ?! Voulez-vous insinuer que Chichnaq avait embrassé la religion de Salomon ? alors que nous le connaissons comme prêtre du temple d’Amon et sachant que la division de l’empire de Salomon eut lieu en 915 av. J.C. C’est-à-dire bien après la mort de Chichnaq premier (la division est considérée comme péché). Par quel moyen Chichnaq a-t-il puni Roboam fils de Salomon alors qu’il était dans l’autre monde ? Nicolas Grimal (Histoire de l’Egypte ancienne, p. 418, Fayard 1988), nous donne une autre version sur l’invasion de Jérusalem : l’incursion de tribus bédouines, mettant en péril la route commerciale menant vers la Phénicie. Comment pouvez-vous porter un quelconque crédit à de telles fabulations ?

En somme, vos propos sentent la mauvaise foi et ou l’ignorance ! Il n’y a rien dans la vie de Chichnaq qui prouve qu’il ait eu un quelconque sentiment d’être chargé d’une mission divine ou autre en faveur de l’Afrique en général, et de l’Afrique du Nord, en particulier. En réalité, Chichnaq n’est qu’un pharaon, comme ses prédécesseurs. Il n’avait à cœur que la défense de l’Égypte telle qu’il l’a héritée de manière illégitime et illégale. Sa politique extérieure était, comme celle de ses prédécesseurs, tournée vers la défense des frontières est du territoire égyptien, essentiellement contre les Hittites, (les Perses n’avaient pas encore percé). L’éditeur confond mythe et histoire ! Il est dans le déni, donc dans l’impasse et c’est lui qui fausse la discussion par ses présupposées vérités, pas ceux qui les réfutent sur des bases tirées de l’Histoire telle qu’elle peut être reconstituée à partir des traces.

En conclusion

Monsieur l’éditeur, tous les peuples du monde, lors de l’écriture de leur histoire nationale, ont eu recours à un mythe fondateur, mais tous ces peuples ont choisi leur mythe dans leur terroir. Ils ne l’ont pas importé. Pourquoi vous voulez imposer à la région un étranger, alors que vous avez autour de vous d’éminents stratèges qui remporteraient l’adhésion de tous les Algériens. Je cite comme exemple Yougherthen (Jugurtha), l’homme qui a tenu tête à l’armée romaine et qui humilia Rome elle-même… et qui est mort de faim dans un cachot à Rome ! On aurait accepté avec enthousiasme que sa mort en 104 av. J.C. puisse être la date inaugurale du « calendrier berbère ». Malheureusement vos conseillers n’ont pas lu le « Message de Jugurtha » de Da Mohamed Chérif Sahli. Vous lui avez préféré un pharaon qui n’avait plus rien de Libyen et qui portait son intérêt vers l’Orient en se détournant complètement de l’Occident. En réalité, il vous a renié ! Et vos allégations ont attiré l’ire de nos voisins et pays frères : Libye et Egypte.

Ce qui est évident, c’est que Chichnaq n’est pas l’élément représentatif de la berbérité, et que, viendra le moment où les habitants de Tizi Ouzou vont eux-mêmes déboulonner une statue étrangère au patrimoine ancestral commun ; pire encore, elle divise ! Et quoi que vous fassiez, Chichnaq restera un étranger au Maghreb. L’Histoire est implacable et ne vous pardonnera pas !

Voilà monsieur l’éditeur. J’en ai terminé avec ma réponse visant à éclairer nos compatriotes. Par contre, notre échange prend fin ici.


Professeur*


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