LIVRES / Cinéma : toujours, et encore, des interrogations

     par Belkacem Ahcene-Djaballah

                                                 Livres

Cinéma algérien et guerre de libération nationale. L’image du héros. Essai de Abdelkrim Tazaroute. Editions Anep, Alger 2023, 129 pages,1.200 dinars

Ce n’est pas le premier ouvrage consacré au cinéma algérien. En fait, en cherchant bien, tout particulièrement sur les étagères poussiéreuses des bibliothèques universitaires algériennes et autres, des dizaines d’études et de mémoires ou thèses lui ont été consacrés. L’auteur lui-même en a commis déjà un et le préfacier plusieurs.

Plus de six décennies après l’indépendance, le pays se retrouve encore à rechercher sa voie en matière de production cinématographique, après avoir connu bien des hauts et pas mal de bas. Des succès et des bides ! Entre-temps, les nouvelles technologies de la com’ ont «vampirisé» les nouveaux jeunes publics, de plus en plus assoiffés d’une autre façon de consommer le film. Et, aussi, à la recherche de nouvelles approches filmiques, originales, selon leurs goûts (ce qui a engendré une nouvelle génération de jeunes réalisateurs, encore insaisissables !… heureusement ?).

En fait, sans que cela ne soit exprimé ouvertement, l’auteur, maîtrisant son sujet et doté d’une expérience de terrain accomplie (re-) pose indirectement une question bien plus qu’il n’y répond : après l’engouement avéré auprès du public algérien pour les films consacrés à la guerre de libération nationale, et bien qu’il y ait eu des dizaines de films dédiés au genre (sous la forme fictionnelle et/ou documentaire et dont certains ont connu un succès international et national… l’Algérie ayant alors le réseau de salles le plus important d’Afrique) doit-on, désormais, faire, a.u.s.s.i, autre chose que les films de guerre ? On a eu, certes, des moments de rupture («Le Charbonnier» de Mohamed Bouamari, «Noua» de Abdelaziz Tolbi, «Les vacances de l’inspecteur Tahar» de Moussa Haddad…), salués en leur temps, encouragés par la critique et connaissant le succès auprès du grand public.

Pour l’instant il semble bien qu’il n’y ait pas de réponse claire… d’autant qu’on ne semble pas pressé de fournir une réponse aux questionnements, l’industrie (?) algérienne du cinéma, étant en souffrance. Seul grand changement, porteur d’espoir et d’ouverture… le slogan «Un seul héros, le peuple» (avec des héros ayant pour seul signe de reconnaissance des prénoms de guerre) est en fin de parcours et les sujets abordés à travers la guerre, sont centrés surtout sur les héros eux-mêmes trop longtemps délaissés : Ben Boulaid, Krim, Lotfi, Zabana, Maillot, Larbi Ben M’hidi… et beaucoup d’images sur les «Vingt-deux» et les «Six historiques». En attendant «Abdelkader» !

L’Auteur : Né en 1956 à Béjaïa. Journaliste, écrivain et critique de cinéma, il a, durant les années 1980 et 1990, assuré la couverture de nombreux festivals de cinéma en Algérie et à l’étranger. Il a été membre de la commission du FDATIC et plusieurs fois président et membre de jury. Auteur de plusieurs ouvrages sur la musique et le cinéma (dont des biographies : Djamal Allem, Brahim Izri, El Hachemi Guerouabi, Mohamed Lamari…) d’un roman («Une épine au pied»), mais également de documentaires et d’un court-métrage de fiction

Table des matières : Préface (Ahmed Bedjaoui) / Avant-propos/ Première partie : Révolution sur grand écran, Trop ou peu de films de guerre ?, Un seul héros, le peuple, Héros anonymes, L’humour pour dédramatiser, La bataille sans héros, Le héros sans nom/ Deuxième partie : les films (13) /Troisième partie : les hommages. 23 portraits)

Extraits : «Faire un film sur la guerre de libération n’est pas écrire l’histoire qui est une affaire et un travail de recherche dédiés aux historiens. Le cinéaste, lui, apporte un regard, forcément subjectif et cela reste un travail artistique» (p17), «Nos artistes ont tellement souffert ici-bas qu’ils ne peuvent être que dans l’éden» (p123), «L’exploitation des films en Algérie est une chimère et, en définitive, les cinéastes ne cherchent que la visibilité de leur produit filmique» (Yamina Bachir-Chouikh citée, p 125)

Avis : Un ouvrage documentaire très utile pour mieux comprendre -en tout cas une bonne partie, sinon l’essentiel- le pourquoi et le comment du cinéma national et ses relations avec la Guerre de libération nationale.

Citations : «Le peuple est certainement le grand héros de notre révolution, même s’il n’est pas le seul» (Ahmed Bedjaoui, p 8), «Le film de guerre n’est pas un livre d’histoire, il n’enseigne pas l’histoire, il la décrit selon la perception d’un cinéaste» (p 17), «La mémoire ne vaut pas que par le souvenir, comme on a tendance à le croire, elle vaut aussi et surtout par le devenir» (p 30), «Mais comment prendre la mesure du courage si on ne sait pas ce qu’est la couardise ?» (p 46)

L’Algérie dans le jeu du cinéma français, 1897-1962. Etude de Ali Aid. Enag Editions, Alger 2017, 550 dinars,260 pages (Fiche de lecture déjà publiée. Extraits. Fiche complète in www.almanach-dz.com/culture/bibliotheque dalmanach)

De 1911 à 1962, les cinéastes français ont tourné une centaine de films environ en Algérie (voir liste et descriptif en annexe, p 241)… dont une cinquantaine de production étant des adaptations de romans, de pièces de théâtre, de drames et de biographies. Globalement, ils ont choisi la glorification directe de la conquête, de ses bienfaits, de ses «apports» à l’Algérie et à ses populations. Le parti-pris manifeste «gomme les Algériens» et, dans les meilleurs des cas, les cinéastes (tous ou presque tous) «les utilisent en produits sous-jacents pour des arrière-plans douteux» (…)

Au départ, à l’époque où les techniques cinématographiques étaient rudimentaires (et période durant laquelle les seules salles étaient dans les villes et les quartiers européens et les publics étaient -quasi-totalement- les seuls français) on a eu droit à des images «tournés» sur le vif sur des sujets en apparence réalistes mais aux reflets «exotiques». (…)

Une parenthèse… celle de la Grande guerre (14-18)… le système lâchant un peu de lest. Les images parlent de «dévouement». Les comportements racistes sont momentanément mis de côté… La «chair à canon» – Les Indochinois, les Maghrébins, les Africains – est «ménagée» et leurs fêtes respectives sont célébrées avec faste et bruit… Tous ces hommes ne sont plus des «sauvages» à libérer, mais des «hommes» venus libérer la République.

Une (petite) parenthèse qui ne va pas durer… Les «anciens combattants», les indigènes issus des colonies sont assez vite renvoyés aux oubliettes. La fin de la guerre redynamise la production cinématographique mais «elle n’éloigne pas pour autant les bobines des voies faussées». L’image des Algériens exploitables revient au galop ; et «les voilà affublés de nouveau de tous les maux de la vie». «Des hommes à histoires, un people sans Histoire».

D’ailleurs, à travers toute la production cinématographique, les Algérien(ne)s ne sont que rarement associé(e)s… surtout comme figurant(e)s à la mine patibulaire ou confiné(e)s dans des rôles de serviteurs, de guides, de chauffeurs, de proxénètes et de bandits sans foi ni loi, de gibiers de potence, de sauvages, de barbares, d’épouses asservies, de servantes, de femmes faciles partiellement nues, de prostituées… dans des contrées attardées. (…)

Une telle démarche ne changera pas jusqu’à l’indépendance du pays. On peut même affirmer que cela a été de mal en pis, «l’ image (bien lissée) supplantant l’histoire (en vérité tragique)» (comme pour les massacres du 8 mai 1945), l’inimitié (ou la haine ou la rancune… et il n’y a qu’à se référer au fameux article 4 de la fameuse loi du 23 février 2005, évoquant le «rôle positif de la présence française outre-mer»… et attendre octobre 1999 pour que le Parlement français reconnaisse «l’état de guerre en Algérie» dans les années 50… et le film «J’ai huit ans» de Poliakoff et Le Masson, réalisé en 1961 n’a obtenu son visa de diffusion… qu’en 1974) allant de mal en pis au fur et à mesure de la montée en puissance et en actes (à partir de 54) de la résistance et du déclenchement de la guerre de libération nationale. Les récits restent enfermés dans leur histoire, sans se défaire de l’obsession colonialiste. (…)

Et, alors que «la guerre fait rage, les images parlent de paix», les conflits n’étant pas abordés ouvertement et l’attachement à la vision colonialiste persistant pernicieusement. «L’Algérien passe du sauvage à le hors-la-loi, de malfaiteur à criminel et de brigand à terroriste». Peu d’exceptions. Il a fallu que des cinéastes (français comme René Vautier dès 49 à sa sortie de l’Idhec – avec un film «Africa 50», tout de suite interdit et projeté publiquement seulement dans les années 90 – , Cécile Decugis, Pierre Clément, Yann le Masson et Olga Poliakoff, Jacques Panijel ou Algériens comme Djamel Tchanderli et… un peu Jean-Luc Godard avec «Le petit soldat», mettant en scène un déserteur, tourné en en Suisse en 1960 et vite interdit de diffusion en France…) «prennent le maquis» et filment la réalité parfois en remontant le temps, dévoilant ainsi les abominations du colonialisme. Aujourd’hui encore, en France, le «(beau) temps colonial», à quelques rares exceptions près, reste encore dominant soit au niveau des productions, soit au niveau des débats.

Quelques titres dont la seule lecture, à elle seule, annonce un certain contenu, sans parler des premières productions franchement islamophobes et racistes (…)

L’Auteur : Né en 1954 à Azzefoun. Etudes à l’Ehdss-Cinéma de Paris. Plusieurs études et articles … journaliste reporter.

Extrait : «La progression du récit situe les Algériens ignorants, têtus et irresponsables. Menaçants, conservateurs, inaptes au progrès, ils tendent une embuscade à leurs bienfaiteurs et pour ennoblir la culture, l’Européen et la science qu’il met en avant, l’auteur, pétri par les préjugés fixés par ses prédécesseurs, fait de sorte que ces «arriérés» blessent la princesse (commentaire du film «Vénus», 1930)» (p 97) (…)

Avis : Passionnant. Les vérités sur l’essence du colonialisme – et de ses suppôts – à travers les films coloniaux et l’esprit colonialiste.

Citations : «L’Algérien en tant qu’être n’intéresse pas les cinéastes de la colonisation. L’important est en ce qu’il représente: la peur. Et dans ce que la manière dont il est filmé provoque : le rejet» (p 50), «La cause commune aux colonisateurs et aux cinéastes exclut l’Algérie de sa terre, de sa maison, de sa cité et de son histoire ; c’est dans l’ordre de la logique colonialiste. La France tente d’absorber l’Algérie en substituant son histoire à la sienne» (p 51), «L’Algérie, reliée à la France à coups de sabre, de canon, de lois scélérates et de manipulations extrêmes, est maintenue hors de son histoire» (p 74)


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