Le conflit Russie-Ukraine : Quelles chances la diplomatie a-t-elle de l’emporter sur la poursuite de la guerre ?

       “Let us never negotiate out of fear. But let us never fear to negotiate […] Let both sides explore what problems unite us instead of belaboring those problems which divide us […] Together let us explore the stars, conquer the deserts, eradicate disease, tap the ocean depths, and encourage the arts and commerce”
(J. F. Kennedy, inaugural speech, January 20, 1961).

“Pursuing diplomacy is not appeasement; it is prudence and could save Ukraine and the world from an unmitigated catastrophe”
(Jeffrey D. Sachs, Diplomacy Remains the Only Option in Ukraine, Project Syndicate, March 9, 2022).

“Top officials of leading NATO’s countries are making aggressive statements about our country. Therefore, I am ordering the Ministry of Defense and Chief of the General Staff to put the Strategic Nuclear Forces on special alert”
(declaration du Président Putin du 27 février 2022)).

 

Par Arezki Ighemat, Ph.D en économie, Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)


Le conflit entre la Russie et l’Ukraine — qui a commencé le 24 février 2022 — a eu et aura encore pendant plusieurs années, voire plusieurs décennies, des conséquences catastrophiques non seulement sur les deux pays belligérants, mais sur le monde dans son ensemble. Ce conflit, qui dure depuis près de quatre semaines maintenant, n’a pas éclaté du jour au lendemain, mais est le résultat d’escarmouches politiques et militaires qui ont commencé depuis plusieurs années. Ses répercussions et ses interprétations politiques et économiques sont tellement vastes que beaucoup d’experts en relations internationales, et même l’homme de la rue, pensent que si le conflit venait à durer, il risque d’être l’étincelle qui déclencherait la troisième guerre mondiale. Il faut rappeler que ce conflit a lieu entre deux pays qui étaient d’anciennes Républiques de l’ex-Union Soviétique, donc entre deux frères ou deux cousins qui, autrefois, partageaient le même modèle économique et politique, le socialisme, et qui avaient la même ambition globale : constituer le contrepoids du monde capitaliste occidental. Mais, depuis la dislocation de l’ex-URSS en 1989, la plupart des anciennes Républiques qui en faisaient partie ont adopté le modèle économique et politique libéral des pays de l’ouest de l’Europe. Et l’Ukraine est une de ces Républiques qui, non seulement s’est ouverte à l’économie mondiale, mais a exprimé le désir d’adhérer à l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) dont la mission principale est de protéger ses pays membres des agressions extérieures, notamment à travers l’article 5 de sa charte qui stipule que «une attaque contre un pays de l’Otan est une attaque contre tous les autres pays membres». Pour aider à comprendre les tenants et les aboutissants du conflit Russie-Ukraine, nous examinerons successivement les points suivants : (1) le nœud gordien du conflit : l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ; (2) les explications diverses et la controverse autour du conflit ; (3) les conséquences du conflit et (4) les issues et les risques possibles au conflit.

Le nœud gordien du conflit : l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN
Il faut rappeler que l’Ukraine avait, depuis longtemps des liens avec l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) sans en être membre à part entière. En effet, elle faisait déjà partie, depuis 1992, du «North Atlantic Cooperation Council (NACC)», ultérieurement renommé «Euro-Atlantic Partnership Council (EAPC)». Le 8 juillet de la même année (1992), l’Ukraine avait ouvert une ambassade en Belgique qui servait de lien entre l’Ukraine et l’OTAN. Après la «Révolution Orange» de 2004, l’Ukraine élit un nouveau Président, Viktor Yushchenko, qui était favorable à l’entrée de l’Ukraine à l’OTAN et à l’Union Européenne (UE). Le 20 septembre 2018, le Parlement Ukrainien avait approuvé un amendement de la Constitution qui stipulait que l’adhésion à l’OTAN et à l’UE était un objectif central de la politique étrangère ukrainienne. Le 7 février 2019, le Parlement Ukrainien avait voté à une majorité de 334 voix sur 3385 pour amender la Constitution ukrainienne en vue de permettre à l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN et à l’UE. Le 14 septembre 2020, le nouveau Président, Vlodymir Zelensky, avait approuvé la nouvelle «Stratégie Nationale de Sécurité» qui permettait l’établissement d’un partnership avec l’OTAN, avec pour objectif d’en devenir membre à part entière. En juin 2021, lors du Sommet de Bruxelles, les dirigeants de l’OTAN avaient réitéré la décision prise au Sommet de Bucarest de 2008 selon laquelle l’Ukraine deviendrait un membre de l’Alliance une fois le MAP (Membrership Action Plan) adopté. Cette même décision stipulait que l’Ukraine a le droit de déterminer son propre futur et sa propre politique étrangère sans interférence extérieure. Le Secrétaire Général de l’OTAN, Jens Stoltenberg a aussi affirmé que la Russie ne pourrait pas opposer un véto contre la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Voici ce que Stoltenberg avait dit alors : «Each country chooses its own path, and this applies to joining NATO. It is up to Ukraine and the 30 NATO members to decide whether it aspires to be a member of the Alliance” (Chaque pays choisit sa propre voie, et cela s’applique à l’adhésion à l’Alliance) (voir Ukraine-NATO relations, Wikipedia). Stoltenberg va plus loin en ajoutant: “Russia has no say in whether Ukraine should be a member of the Alliance. They [Russia] cannot veto the decisions of their neighbors. We will not return to the era of spheres of interest, when large countries decide what to do with smaller ones” (La Russie n’a aucun mot à dire sur la décision de l’Ukraine de joindre l’OTAN. Elle [la Russie] ne peut pas opposer son veto contre les décisions de leurs voisins. Nous ne retournerons pas à l’ère des sphères d’intérêt où les grands pays décidaient de ce que les petits pays doivent faire) (voir Ukraine-NATO relations, op. cit). Le 28 juin 2021, l’Ukraine et les forces de l’OTAN avaient organisé des exercices navals conjoints en Mer Noire dont le nom secret était «Sea Breeze 2021» (La Brise de Mer 2021). A la suite de ces exercices, la Russie avait condamné ces exercices qui, selon elle, étaient une menace pour sa sécurité. Beaucoup, notamment dans les pays non occidentaux, se posent la question : Pourquoi l’OTAN s’immisce-t-elle tant dans les affaires de l’Ukraine et pourquoi ne laisse-t-elle pas l’Ukraine faire son propre «choix» comme elle le prétend ? C’est donc dans ce contexte chargé que le conflit entre la Russie et l’Ukraine a été déclenché le 24 février 2022.

Comment les uns et les autres expliquent le conflit ?
Pour comprendre les différents aspects du conflit Russo-Ukrainien, il faut connaître les explications qui en sont données par les uns et les autres. En particulier, trois d’entre ces explications sont déterminantes pour se faire une idée des vraies raisons du conflit : (1) Le point de vue de Vladimir Poutine, (2) Les explications des pays occidentaux, et (3) L’opinion de la Chine.

Les explications du conflit par Le Président Poutine
L’une de ces explications est celle du Président Russe Vladimir Poutine. Dans le discours qu’il avait fait le 21 février 2022, trois jours avant le déclenchement du conflit, Putin avait dit ceci à propos de l’Ukraine : «Ukraine is not just a neigboring country for us. It is an inalienable part of our own history, culture, and spiritual space […] Since time memorial, the people living in the south-west of what has been historically Russian land have called themselves Russians” (L’Ukraine n’est pas simplement un pays voisin pour nous. Elle est une partie inaliénable de notre propre histoire, culture, et espace spirituel

Depuis l’ère du temps, les gens qui vivent au sud-ouest de ce qui était historiquement appelé la terre Russe se faisaient appeler Russes» (Discours de Putin du 21 février 2021, cité par Jan Kirby and Jonathan Guyer, Russia’s War in Ukraine, Explained, Vox.com, March 6, 2022). En particulier, Poutine considère les régions de Donetsk et Luhanks comme étant des Républiques indépendantes. Lorsque ces deux Républiques — Donetsk People’s Republic (DPR) et Luhanks People’s Republic (LPR) — avaient déclaré leur indépendance en 2014, leurs dirigeants s’étaient clairement exprimés sur leurs souhaits. Par exemple, les dirigeants de la Donetsk People’s Republic avaient déclaré: «We the people of the Donetsk People’s Republic, based on the results of the May 11, 2014 referendum, declare that henceforth the Donetsk People’s Republic will be deemed a sovereign state” (Nous, le peuple de la République Populaire de Donetsk, sur la base des résultats du référendum du 11 mai 2014, déclarons que dorénavant la République Populaire de Donestk sera considérée comme un Etat souverain) (voir Ukraine separatists declare independence, Al Jazeera News, 12 May 2014). Denis Pushilin, le co-président du gouvernement séparatiste qui avait fait cette déclaration, avait ajouté : «The people of Donetsk have always been part of the Russian world, regardless of ethnic affiliation. For us, the history of Russia is our history»» (Le peuple de Donetsk a toujours été une partie intégrante du monde Russe, quelle que soit l’affiliation ethnique. Pour nous, l’histoire de la Russie est notre histoire) (Al Jazeera News, op. cit). Une déclaration similaire avait été faite par le gouverneur de la région de Luhanks, Valery Bolotov : «Voters have chosen that path that has enabled the formation of an independent state, the Luhanks People’s Republic» (Les électeurs ont choisi la voie qui a permis la formation d’un Etat indépendant, la République Populaire de Luhanks) (Al Jazeera News, op.cit). Le 21 février 2022, le Président Poutine signe deux décrets présidentiels (décrets 71 et 72) reconnaissant l’indépendance des deux républiques. Jusqu’à maintenant, quelques pays seulement ont reconnu ces deux républiques (Cuba, Venezuela, Nicaragua et Syrie). A la suite de cette reconnaissance, le Président Poutine a envoyé des troupes pour servir de «gardiens de la paix» dans ces régions et pour, selon certaines sources, empêcher l’Ukraine de perpétrer le «génocide» contre les populations Russo-Ukrainiennes vivant dans les régions du Donbas (Donetsk Bassin). Poutine aurait alors accusé l’Ukraine de ne pas respecter les accords de Minsk de 2014 et aurait aussi dit à la presse, le 22 février 2022, que «Minsk Agreements were dead before yesterday’s recognition of the People’s Republics and blame Kyiv for this failure» (Les Accords de Minsk sont morts avant-hier [avant sa reconnaissance des deux Républiques le 21 février 2022] et Kiev est à blamer pour leur échec) (Holly Ellyatt, Why is There a Conflict in Ukraine and what is Putin’s endgame ? Here’s What You Need to Know, CNBC, February 23, 2022). Que prévoyaient les Accords de Minsk? Ces Accords, signés à Minsk, en Biélorussie, avaient pour objectif de mettre fin aux escarmouches ayant lieu entre la Russie et l’Ukraine depuis plusieurs années, notamment dans la région de Donbas (Donetsk et Luhanks). Ces accords sont au nombre de deux. Le Premier, appelé «Minsk Protocol» a été établi en 2014 par le «Trilateral Contact Group on Ukraine», connu aussi sous le nom de «Trilateral Contact Group for the Peaceful Settlement of the Situation in Eastern Ukraine». Ce Groupe de Contact était constitué de représentants de la Russie et de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. Le but principal de cet accord était de promouvoir une solution diplomatique en vue de résoudre le conflit au Donbas, Ukraine. Ce Groupe était assisté par deux médiateurs, la France et l’Allemagne. Après de multiples discussions, Minsk (I) a été signé le 5 septembre 2014 par les représentants du «Trilateral Group» et par les leaders des républiques autoproclamées, la «Donetsk People’s Republic» et la «Luhanks People’s Republic». Malheureusement, ce premier accord n’a pas été respecté, ce qui a donné lieu à un deuxième accord : Minsk (II). Ce deuxième accord prévoyait, entre autres, l’établissement d’un cessez-le-feu, le retrait des armes lourdes de la ligne de front, la libération des prisonniers de guerre, la révision de la Constitution Ukrainienne avec pour objectif d’accorder aux deux Républiques l’autonomie et restaurer le contrôle sur la frontière Ukrainienne. Bien que l’accord ait permis de réduire l’intensité des luttes dans cette région, il n’y a pas complètement mis fin, ce qui a rendu Minsk (II) également caduc.

Les explications des pays occidentaux
La thèse des pays occidentaux — notamment Etats-Unis, OTAN, et Union Européenne — est que le conflit russo-ukrainien est une «agression» de la Russie contre l’Ukraine, un pays «ami» de l’Occident : «Russia…has been accused of applying military hardware to rebels in a bid to undermine Ukraine’s government, sovereignty, and stability» (La Russie… a été accusée d’utiliser du matériel militaire contre les rebelles en vue de saper le gouvernement, la souveraineté et la stabilité de l’Ukraine) (Holly Ellyatt, op. cit). Les pays occidentaux pensent, en effet, que si Poutine réussit dans ce conflit, il sera tenté d’aller plus loin : «After its invasion and annexation of Crimea […] Western Officials feared Putin’s eventual aim was to invade more parts of the country and install a pro-Russian regime in Kyiv” (Après l’invasion et l’annexion de la Crimée […] les Officiels occidentaux avaient peur que le but éventuel de Poutine fût d’envahir plusieurs autres parties du pays et d’installer un régime pro-Russe à Kiev) (Holly Ellyatt, op. cit). Les Occidentaux pensent, aussi, que Poutine a un projet beaucoup plus ambitieux. Selon eux, son but ultime est de vouloir restaurer l’empire soviétique tombé en brèches en 1989 à la suite de la chute du Mur de Berlin : «On the other hand, Putin regrets the dissolution of the Soviet Union and during his 22-year rule in Russia, he has sought to rebuild Russia’s power base and sphere of influence over the former Soviet states, like Belarus, Georgia and Ukraine which are like the jewel of the crown and a natural buffer state against Europe” (D’un autre côté, Poutine regrette la dissolution de l’Union Soviétique et, Durant ses 22 ans de règne en Russie, il a cherché à reconstruire la base de pouvoir et la sphère d’influence de la Russie sur les anciens Etats soviétiques tels que la Biélorussie, la Géorgie, et l’Ukraine qui sont en quelque sorte les joyaux de la couronne et un Etats-bouclier contre l’Europe) (Holly Ellyatt, op. cit).

Les explications de la Chine
Il faut tout d’abord dire que les pays occidentaux pensent que la Chine — qui est la seconde puissance mondiale, voire la première dans certains domaines après les Etats-Unis — est jusqu’à maintenant restée «neutre» dans le conflit Russo-Ukrainien. La réalité est cependant plus mitigée que cela. Les pays occidentaux — notamment les Etats-Unis, l’OTAN et l’Union Européenne — vont plus loin et pensent que la Chine serait plutôt alignée du côté de la Russie puisque, selon eux, elle ne considère pas que l’attaque de l’Ukraine par la Russie est une «agression» et parce qu’elle n’a pas condamné cette attaque. Cependant, le Président Chinois, Xi Jinping, notamment lors de la conversation téléphonique qu’il a eue avec le Président américain Joe Biden le 18 mars 2022 a dit à son homologue américain que la position chinoise n’est pas celle de neutralité ou d’alignement : «The situation in Ukraine has developped to such a point that China does not want to see it. China has always advocated peace and opposed war» (La situation en Ukraine a atteint un point tel que la Chine n’admet pas cela. La Chine a toujours défendu la paix et s’est toujours opposée à la guerre) (Libby Cathey, Biden Warns Xi of Consequences, if China aides Russian invasion of Ukraine, ABC News, March 18, 2022). Pendant cette conversation téléphonique, Xi aurait cité un proverbe Chinois à Biden : «Only the one who tied the bell to the tiger can untie it” (Seul celui qui a accroché la cloche au coup du tigre peut la retirer), ce qui veut dire que c’est aux pays occidentaux [qui, selon Xi, auraient encouragé le conflit, notamment par l’envoi d’armes à l’Ukraine] de résoudre le conflit. Xi aurait ajouté : «One hand cannot clap» (Une seule main ne peut pas applaudir), ce qui veut dire que les deux pays belligérants doivent se mettre à table et résoudre leur problème. Suite aux rumeurs selon lesquelles la Russie aurait demandé à la Chine une aide économique et militaire, les Etats-Unis ont informé la Chine des conséquences qu’elle pourrait subir si elle venait à aider la Russie à échapper aux sanctions que les pays occidentaux ont imposées contre elle. De son côté, la Chine a indiqué que si elle n’a pas officiellement condamné l’action de la Russie en Ukraine, elle demeure attachée néanmoins à la souveraineté de l’Ukraine. La Chine a aussi indiqué au Président américain que les craintes que la Russie a exprimées concernant sa sécurité devraient être prises en considération. La Chine considère, en effet, que la politique expansionniste de l’OTAN, notamment dans les pays Baltiques, a considérablement accru ces craintes. Dans leur communiqué commun du 4 février 2022, la Chine et la Russie avaient déclaré qu’ils étaient opposés à l’expansion de l’Alliance Atlantique et lui avaient demandé d’arrêter ses «ideologized cold war approaches» (d’arrêter ses approches de guerre froide idéologique) (Tripi Lahiri and Jane Li, What is China’s Stand on Russia-Ukraine Conflict ? Quartz, February 23, 2022).

Les conséquences du conflit
Ce point est certainement le plus névralgique et le plus regrettable du conflit. Les conséquences de ce conflit — comme dans la plupart des conflits dans le monde — sont principalement de deux types : humaines et économiques.
S’agissant des conséquences humaines, ce conflit a fait déjà, depuis son irruption le 24 février dernier, des pertes énormes des deux côtés. A la date du 20 mars 2022, soit 25 jours après le déclenchement du conflit, au moins 902 civils Ukrainiens et 75 enfants ont trouvé ont trouvé la mort, et 1 459 ont été blessés, selon des sources émanant des Nations-Unies. En outre, quelques 14 700 soldats ont été tués du côté Russe, selon le Ministère Ukrainien des Affaires Etrangères, depuis que le conflit a commencé. Les chiffres donnés par d’autres sources sont beaucoup moins élevés. Par exemple, les Services d’Intelligence américains avancent le chiffre de 7 000 soldats Russes tués (New York Times, March 16, 2022) alors que des sources russes avancent le chiffre de 500 morts. Du côté Ukrainien, des sources militaires américaines indiquent que quelques 2 000 à 4 000 soldats Ukrainiens ont été tués dans les combats (Tobi Thomas, Russia-Ukraine War in Numbers : Casualties, Refugees, and Aid, The Guardian, March 11, 2022). A cela il faut ajouter les réfugiés Ukrainiens qui ont fui le pays et ceux qui ont été déplacés intérieurement (au sein de l’Ukraine). A la date du 19 mars 2022, le nombre de réfugiés Ukrainiens ayant quitté le pays est estimé à quelques 3 676 361. Leur répartition par pays-hôte est la suivante : Pologne (2 050 392), Roumanie (527 247), Moldavie (362 514), Hongrie (305 518), Slovaquie (245 569), Russie (184 563), Biélorussie (2 548) (voir Ukraine Refugee Situation, UNHCR, date portal, March 18, 2022). Quant au nombre de déplacés internes (ce que l’on appelle souvent les «réfugiés internes»), leur nombre est estimé à 6 480 000 (voir Ukrainian Refugee Crisis, Wikipedia). Tous ces chiffres sont à prendre comme de simples estimations car ils varient d’une source à une autre et d’un jour à l’autre.
Concernant les conséquences économiques du conflit, il faut distinguer les conséquences sur les pays belligérants eux-mêmes, qui sont également très lourdes des deux côtés et les conséquences au niveau de l’économie globale. Il est certainement difficile d’avancer des chiffres réalistes des dégâts du conflit sur les économies de chacun des pays belligérants car ceux-ci augmentent de jour en jour, et de beaucoup. Il faudra donc attendre que les combats s’arrêtent pour qu’une évaluation plus ou moins valide de ces dégâts puisse être faite. Ce qui est réel, c’est que les populations manquent de nourriture, d’eau, d’électricité, de chauffage, de soins, etc. (surtout dans ces pays où le froid est très dur et que l’hiver est encore là).
A toutes ces conséquences, il faut ajouter les conséquences des sanctions économiques qui ont été imposées contre la Russie depuis le déclenchement du conflit par les pays occidentaux (principalement, les Etats-Unis, l’OTAN et l’Union Européenne). Ces conséquences n’ont pas affecté seulement la Russie, comme certains le pensent, mais le monde dans son ensemble. Une des régions particulièrement touchées par ces sanctions est l’Afrique. En effet, les sanctions imposées contre la Russie ont et auront pour effet de réduire les exportations russes de denrées alimentaires vers les pays africains, notamment les populations qui vivent déjà dans la pauvreté et la précarité. Il faut rappeler, en effet, que les pays africains sont parmi les plus grands importateurs de blé et autres denrées alimentaires ainsi que des produits énergétiques en provenance de la Russie et de l’Ukraine. En outre, ces pays sont affectés aussi par les répercussions financières des sanctions contre les banques russes ainsi que celles de l’inflation provoquée par l’augmentation des prix des produits de base et de l’énergie. Les pénuries de produits de base et de produits énergétiques et l’inflation ont déjà eu des répercussions considérables sur le pouvoir d’achat des populations pauvres et ne manqueront pas à terme — si le conflit perdure — de provoquer des soulèvements populaires dans ces pays. C’est dans ce contexte que le Président Chinois Xi Jinping avait exprimé son désaccord sur ces sanctions, notamment lors de sa conversation téléphonique avec le Président américain Joe Biden le 18 mars 2022 : «Sweeping and indiscriminate sanctions would only make the people suffer. If further escalated, they could trigger serious crises in the global economy and trade, finance, energy, food, and industrial and supply chains, crippling the already languishing world economy and causing irrevocable losses” (Les sanctions de grande envergure et incontrôlées ne feraient que faire souffrir les gens. Si elles devaient être étendues, elles pourraient provoquer de sérieuses crises dans l’économie globale, le commerce, les finances, l’énergie, l’alimentation, les chaines industrielles et de distribution, bloquant l’économie mondiale déjà languissante et causeraient des pertes irrévocables) (Andrea Shalal, Michael Martina and Ryan Woo, After Biden-Xi Call, US warns China it Could Face Sanctions if it backs Russia in Ukraine, Reuters, March 18, 2022).

Les issues et les risques possibles du conflit
Les experts et observateurs internationaux avertissent les pays belligérants mais aussi et surtout la communauté mondiale, que si le conflit Russo-Ukrainien venait à perdurer, il risque de provoquer une conflagration mondiale dont il est difficile, voire impossible, de connaître les conséquences. En particulier si le conflit dégénérait en guerre nucléaire. C’est pourquoi beaucoup pensent que pour éliminer ce risque fatal pour l’humanité entière, il est nécessaire, et urgent, de trouver une solution diplomatique.
Pour les partisans du risque de guerre mondiale — avec probabilité d’usage des armes nucléaires — les arguments ne manquent pas pour justifier ce risque. Un des signaux de ce risque est la déclaration du Président Russe Vladimir Poutine qu’il adresse particulièrement aux pays occidentaux (Etats-Unis, OTAN, et Union Européenne) : «No matter who tries to stand in our way, or…create threats for our country or our people, they must know that Russia will respond immediately, and the consequences will be such as you have never seen in your entire history” (Quiconque essaiera de se dresser sur notre chemin, ou …de créer des menaces pour notre pays ou notre peuple, doit savoir que la Russie répondra immédiatement et que les conséquences seraient telles que vous n’en avez jamais vues dans toute votre histoire» (Neel Danesha, How to Think about the risk of nuclear war, according to three experts, Vox.com, February 27, 2022). Poutine ira même jusqu’à préciser encore plus le type de réponse à laquelle il faisait allusion en ajoutant : «Today, Russia remains one of the most powerful nuclear states» (Aujourd’hui, la Russie demeure un des Etats nucléaires les plus puissants) (Neel Danesha, op. cit). Le 27 février 2022, Poutine ira encore plus loin en rendant la réponse russe encore plus probable : «Top Officials of leading NATO countries are making aggressive statements about our country. Therefore, I am ordering the Minister of Defense and the Chief of the General Staff to put the Strategic Nuclear Forces on special alert” (Les Officiers Supérieurs des pays dirigeants de l’OTAN sont en train de faire des communiqués agressifs concernant notre pays. C’est la raison pour laquelle j’ai ordonné au Ministère de la Défense et Chef d’Etat Major de placer les Forces Nucléaires Stratégiques en alerte spéciale) (Speech de Putin, cité par Meghra Chakrabarti, What to Know about the threat of Nuclear War, WBUR on Point, March 14, 2022). La menace nucléaire brandie par Poutine a atteint son apogée lorsque, lorsque pendant une de ses actions, la Russie a pris possession de la station nucléaire de Chernobyl située dans la zone de Kiev en Ukraine. Il faut rappeler que la Russie est effectivement, comme l’a déclarée Poutine, une force nucléaire de grande envergure : 6 257 ogives (warheads) sur un total mondial de 13 000 ogives, ainsi que le montre le tableau suivant :

Nombre d’ogives (warheads) possédées par les puissances nucléaires

Source : établi par A. Ighemat, basé sur Hans M. Kristensen, Shannon N. Kile,Stockholm International Peace Research Institute and U.S Department Of State, November 2021.

Le tableau ci-dessus confirme bien que la Russie est la première détentrice d’ogives nucléaires, devançant les Etats-Unis, ce qui montre effectivement que la menace nucléaire que fait peser le conflit Russie-Ukraine est réelle.
C’est une des raisons majeures pour lesquelles un certain nombre de leaders mondiaux et d’experts internationaux pensent que pour sauver le monde de cette menace, il serait plus judicieux qu’une solution diplomatique soit trouvée à ce conflit. C’est, entre autres, l’avis de Jeffrey D. Sachs, un des plus grands experts dans le domaine du développement durable et de la sécurité, qui pense que : «Pursuing diplomacy is not appeasement : it is prudence and it could save Ukraine and the world from an unmitigated catastrophe» (Poursuive la voie diplomatique n’est pas un apaisement : c’est de la prudence et elle pourrait sauver l’Ukraine et le monde d’une catastrophe substantielle) (Jeffrey D. Sachs, Diplomacy remains the only option in Ukraine, Project Syndicate, March 22, 2022). Pour Jeffrey Sachs, cela signifie que les deux parties au conflit doivent faire des concessions réciproques : «Translated into action, this could mean that NATO and Ukraine would forswear Ukraine’s future membership in the Alliance if Russia immediately withdraws from Ukraine and forswears future attacks” (Traduite en action, cela signifierait que l’OTAN et l’Ukraine renoncent à l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance si la Russie se retire immédiatement de l’Ukraine et renonce à attaquer l’Ukraine dans le futur) (Jeffrey D. Sachs, op. cit). Pour appuyer sa proposition, Sachs cite l’affaire des missiles cubains en 1961 lorsque la situation était parvenue au seuil d’un «Armageddon nucléaire», mais où la diplomatie avait prévalu sur la force grâce à la sagesse des dirigeants de l’époque, Nikita Khrushchev et J.F. Kennedy.
La Chine aussi serait favorable à une solution pacifique au conflit Russo-Ukrainien — contrairement à ce que pensent les pays occidentaux — mais elle préfèrerait que ce soit les pays occidentaux — qui, selon elle, ont en quelque sorte ajouté «de l’huile sur le feu» du conflit, notamment par l’aide militaire qu’ils accordent à l’Ukraine et aux sanctions économiques imposées contre la Russie — qui mènent les négociations : «China supports the negotiations, Xi said, but deferred to the U.S and NATO to conduct dialogue with Russia to solve the crux of the Ukraine crisis and resolve the security concerns of oth Russia and Ukraine» (La Chine appuie les négociations, a déclaré Xi, mais a laissé aux Etats-Unis et à l’OTAN le soin de conduire le dialogue avec la Russie en vue de résoudre le nœud de la crise en Ukraine et de prendre en compte les craintes de la Russie et de l’Ukraine en matière de sécurité) (Libby Cathey, op. cit). Ce faisant, le Président Chinois veut souligner que la cause majeure du conflit Russo-Ukrainien est la question de l’expansion de l’OTAN dans les pays Baltiques.

Conclusion
Tout au long de cet article, nous avons vu que le drame qui se joue entre la Russie et l’Ukraine depuis le 24 février dernier a fait et fait encore l’objet de nombreuses explications et interprétations quant à l’origine du conflit et la responsabilité des parties. La Russie accuse l’Ukraine de perpétrer un «génocide» dans les régions séparatistes de Donetsk et Luhanks où dominent les populations russes et de mettre en danger la sécurité de la Russie en voulant devenir membre de l’OTAN. L’Ukraine, de son côté, accuse la Russie de s’ingérer dans ses propres affaires intérieures en reconnaissant l’indépendance de la région du Donbas (Donetsk et Luhanks). Les pays occidentaux, quant à eux, accusent la Russie de visées impériales et de volonté de retourner à l’ère de l’ex. Union Soviétique. Nous avons ensuite mis en relief les conséquences humaines et économiques du conflit en indiquant quelques chiffres des dégâts humains des deux côtés ainsi que l’importance de l’exode massif des Ukrainiens non seulement vers les pays voisins mais aussi à l’intérieur-même de l’Ukraine. Nous avons, enfin, évoqué les issues possibles du conflit, notamment le risque probable d’une conflagration mondiale, surtout si les armes nucléaires sont mises en œuvre et l’avantage d’une solution politique et diplomatique. Nous avons souligné la nécessité et les avantages d’une solution diplomatique sur la poursuite du conflit pour sauver non seulement les populations des deux pays belligérants mais pour sauver éventuellement le monde d’une catastrophe nucléaire dont il est difficile d’imaginer les conséquences. Pour souligner la nécessité et l’urgence de la solution diplomatique, nous citerons les mots du Président J. F. Kennedy que nous avons mis en épigraphe au début de cet article : «Let us never negotiate out of fear…But let us never fear to negotiate» (Ne négocions jamais sous la menace de la peur. Cependant, n’ayons jamais peur de négocier). Kennedy poursuit en indiquant la voie à suivre : «Let both sides explore what unite us, instead of belaboring those problems which divide us” (Les deux côtés doivent explorer ce qui les unit au lieu de mettre l’accent sur les problèmes qui les divisent). Pour élucider encore davantage les avantages de la solution diplomatique, Kennedy indique que, au lieu d’utiliser les ressources humaines et matérielles disponibles à faire la guerre, les nations doivent les utiliser au service du bien commun : «Together, let us explore the stars, conquer the deserts, eradicate disease, tap the ocean depths and encourage the arts and commerce» (Ensemble, explorons les étoiles, conquérons les déserts, éradiquons les maladies, exploitons les profondeurs des océans, et encourageons les arts et le commerce). Espérons que les deux pays belligérants réfléchiront sur ces mots de Kennedy et s’entendront pour sauver les populations des deux pays belligérants et ultimement sauver le monde.

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