Face à la crise énergétique en Europe : Les sept conditions pour intensifier la coopération entre l’Europe et l’Algérie

par Abderrahmane Mebtoul*

La 4e réunion annuelle de haut niveau du dialogue énergétique entre l’Algérie et l’Union européenne, co-présidée par le ministre de l’Energie et des Mines algérien, et la Commissaire européenne à l’énergie, s’est tenue le 10 octobre à Alger.

Selon le communiqué conjoint « cette 4e réunion s’inscrit dans le cadre des mécanismes de dialogue instaurés par le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’Algérie dans le domaine de l’énergie». Ce partenariat couvre l’ensemble des sujets d’intérêt commun, à savoir : le développement des investissements dans l’exploration et la production des hydrocarbures, les perspectives du développement de l’industrie gazière, le développement de l’hydrogène, de l’électricité ainsi que la coopération dans le domaine des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique en Algérie.

Cette rencontre permettra, également, de passer en revue les progrès réalisés dans le domaine de la coopération énergétique et ses perspectives, depuis le lancement du partenariat stratégique issu de la dernière réunion, tenue à Alger le 20 novembre 2018. S’agissant du second forum d’affaires, «il aura pour objet de promouvoir les investissements et les partenariats industriels entre les entreprises algériennes et européennes dans le secteur de l’Énergie et d’engager des partenariats mutuellement bénéfiques à la lumière de la situation énergétique actuelle». Dans ce cadre se pose cette question: face aux tensions énergétiques, quelles perspectives pour la coopération entre l’Europe et l’Algérie ?

1.- La forte hausse du prix du gaz, liée aux tensions internationales et à la guerre russe en Ukraine, mettent en évidence la grande dépendance de l’Europe au gaz russe, qui, en 2021, représentait 46/47 % de sa consommation. L’Europe pourrait-elle s’en affranchir en se tournant plus vers d’autres partenaires, comme l’Algérie, et plus largement vers l’Afrique et le Moyen Orient?

La décision tant des Européens de réduire fortement l’approvisionnement en gaz russe, sur le marché européen, a entraîné une très forte hausse étant coté depuis le début octobre 2022 entre 205/210€ le méga-watt-heure, suscitant des inquiétudes pour l’hiver, certains experts extrapolant sur les tensions géostratégiques persistent à des ruptures d’approvisionnement cumulé avec la hausse de prix pour 2023, obligeant certains pays européens à des coupures cet hiver pouvant mettre en difficultés l’appareil productif et accroître le processus inflationniste.

Selon certains experts de l’Union européenne, une diminution, voire un arrêt total, des livraisons de gaz russe serait fort dommageable pour de nombreux pays européens, les alternatives existent mais étant coûteuses, avec un pic inflationniste dû à l’envolée des prix des produits énergétiques mais également de bon nombre de produits alimentaires dont la Russie et l’Ukraine sont de gros exportateurs.

Mais une telle situation provoquerait aussi des retombées très négatives pour la Russie, car ses exportations gazières vers l’Europe représentent à elles seules 15 % à 20% du PIB russe. Et le plus grand gagnant dans ce conflit reste les Etats-Unis d’Amérique qui sont autosuffisants en énergie avec des délocalisations vers les USA du fait du bas prix d’énergie. Face à cette situation, selon le rapport de la Banque mondiale, en date du 15 septembre 2022, la hausse générale et simultanée des taux directeurs, en réponse à l’inflation accentue le spectre d’une récession mondiale en 2023 et menace les économies de marché émergentes et en développement de crises financières qui engendreraient des dommages durables. Les investisseurs s’attendent à ce que les banques centrales relèvent les taux directeurs mondiaux à près de 4% jusqu’en 2023, soit une augmentation de plus de 2points de pourcentage par rapport à leur moyenne de 2021.

Toujours selon l’étude, si les perturbations de l’offre et les pressions sur les marchés du travail ne s’atténuent pas, ces hausses de taux d’intérêt pourraient porter l’inflation mondiale sous-jacente (hors énergie) à environ 5% en 2023, c’est-à-dire près du double de la moyenne sur 5 ans précédant la pandémie.

Pour ramener l’inflation mondiale à un taux conforme à leurs objectifs, les banques centrales pourraient devoir relever les taux d’intérêt de 2 points de pourcentage supplémentaires, d’après le modèle utilisé dans l’étude. Mais si cela devait s’accompagner de tensions sur les marchés financiers, la croissance du PIB mondial ralentirait à 0,5 % en 2023, soit une contraction de 0,4 % par habitant qui correspondrait à la définition technique d’une récession mondiale. Et pour conclure, « si la croissance mondiale ralentit fortement et il est probable que le rythme s’accentue à mesure que de nouveaux pays entrent en récession. Je crains fort que cette tendance se poursuive, avec des conséquences prolongées et dévastatrices pour les populations des économies émergentes et en développement», a alerté le président du Groupe de la Banque mondiale, David Malpass.

2.- La future stratégie européenne pour diminuer fortement sa dépendance au gaz russe, sera d’accélérer la transition énergétique et dans ce cadre l’Algérie possède d’importantes potentialités pour approvisionner à travers les réseaux, mais supposant d’importants investissements. Faute d’anticipations, le risque est d’assister à des pénuries, à de grandes crises à venir, liées au réchauffement climatique et à la surconsommation des énergies fossiles.

Aussi, le seul objectif pour le monde est d’accélérer la transition énergétique, le passage à une économie décarbonée devenant donc un véritable enjeu géopolitique où le gaz est perçu comme une « énergie de transition » indispensable, dans le cadre d’un mix énergétique.

On relèvera aussi que si l’humanité est passée du charbon aux hydrocarbures, ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas de charbon dans les réserves mondiales – elles dépassent les 200 ans, contre 40-50 ans pour le pétrole/gaz traditionnel-mais parce que grâce à la révolution technologique, sa rentabilité économique était devenue meilleure. Aussi s’agit-il de cerner le concept de transition énergétique, et cela implique de bien répondre à quatre questions essentielles. Premièrement, si l’humanité généralisait le mode de consommation énergétique des pays riches, il nous faudrait les ressources de 4 ou 5 planètes, d’où l’urgence d’une adaptation pour un nouveau modèle de consommation.

Deuxièmement, la transition énergétique renvoie à des sujets autres que purement techniques, posant la problématique sociétale, autant que celle de la fiscalité énergétique influant sur le choix des allocations des ressources. La transition énergétique suppose un consensus social, l’acceptabilité par les citoyens de la hausse, à court terme, du coût de l’énergie, mais profitable aux générations futures; elle suppose des mécanismes d’accompagnement, car la question fondamentale est la suivante: cette transition énergétique, combien coûte-t-elle, combien rapporte-t-elle et qui en seront les bénéficiaires? La transition énergétique est un processus long éminemment politique qui devrait être traitée loin de toute polémique politicienne, impliquant un nouveau modèle de consommation évolutif : par exemple, le téléphone portable, qui concerne des milliards d’individus dans le monde, suppose une recharge par l’électricité.

D’autres besoins nouveaux pourront apparaître au fil des décennies, l’objectif stratégique étant d’éviter la précarité énergétique de la majorité des populations.

Troisièmement, la transition énergétique doit être fondée sur deux principes: la sobriété énergétique (efficacité énergétique), impliquant la maîtrise de la demande, la sensibilisation; la formation pour forger de nouveaux comportements et donc un changement de culture.

C’est dire qu’il faut de nouveaux réseaux, un nouveau système de financement par de nouvelles politiques publiques, agir sur la réduction des besoins énergétiques en amont en augmentant l’efficacité des équipements et de leurs usages (par exemple nouveaux procédés pour le BTPH, et moins de transport pour faire des économies d’énergie. Quatrièmement, le mix énergétique nécessitera d’adapter le réseau électrique, aux nouvelles productions et besoins de consommations afin de garantir la continuité de la fourniture et au meilleur prix.

3.- Sous réserve de sept conditions, l’Algérie horizon 2025/2027, pourrait doubler les capacités d’exportations avec une part entre 20/25% de l’approvisionnement de l’Europe. La première condition concerne l’amélioration de l’efficacité énergétique et une nouvelle politique des prix renvoyant au dossier de subventions.

La deuxième condition est relative à l’investissement à l’amont pour de nouvelles découvertes d’hydrocarbures traditionnels, tant en Algérie que dans d’autres contrées du monde. La troisième condition, est liée au développement des énergies renouvelables (actuellement dérisoire moins de 1% de la consommation globale) devant combiner le thermique et le photovoltaïque le coût de production mondial a diminué de plus de 50% et il le sera plus à l’avenir où, avec plus de 3.000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire. La quatrième condition, selon la déclaration de plusieurs ministres de l’Énergie entre 2013/2020, l’Algérie compte construire sa première centrale nucléaire en 2025 à des fins pacifiques, pour faire face à une demande d’électricité galopante. La cinquième condition, est le développement du pétrole/gaz de schiste, selon les études américaines, l’Algérie possédant le troisième réservoir mondial, d’environ 19.500 milliards de mètres cubes gazeux, mais qui nécessite, outre un consensus social interne, de lourds investissements, la maîtrise des nouvelles technologies qui protègent l’environnement et des partenariats avec des firmes de renom.

La sixième condition, consiste en la redynamisation du projet GALSI, Gazoduc Algérie-Sardaigne-Italie, qui devait être mis en service en 2012 d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux dont le coût était estimé, en 2012, à 3 milliards de dollars, ayant doublé depuis. La septième condition est l’accélération de la réalisation du gazoduc Nigeria-Europe via l’Algérie d’une capacité de plus de 33 milliards de mètres cubes gazeux, mais nécessitant, selon les études européennes de 2020 environ 20 milliards de dollars contre une estimation de 11 milliards de dollars en 2011, et nécessitant l’accord de l’Europe principal client.

Cependant, l’avenir appartient comme source d’énergie à l’hydrogène comme énergie du futur 2030/2040. En conclusion, l’Algérie, acteur stratégique dans le domaine énergétique notamment pour le gaz, devrait en fonction de ses intérêts, réorienter sa politique au cas par cas.

Les choix techniques d’aujourd’hui engagent la société sur le long terme: seul le Conseil national de l’Énergie, présidé par le président de la République, est habilité à tracer la politique énergétique future du pays. Globalement à moyen terme, la future stratégie énergétique mondiale affectera les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux.


*Professeur des universités


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