DIPLOMATIE RUSSE EN AFRIQUE : SERGUEI LAVROV EN VISITE AU CONGO-BRAZAVILLE


 


       La tournée africaine de Lavrov n’est pas un simple voyage de routine

Les déplacements de Lavrov et de Macron en Afrique cette semaine amplifient la propagande autour de la guerre en Ukraine.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, l’a répété : sa toute récente tournée africaine n’était qu’un voyage de routine. Les dirigeants et les commentateurs ont jugé pourtant qu’il s’agissait d’une opération de séduction visant à rallier des soutiens à la guerre de la Russie en Ukraine.

Avant son départ, Lavrov a déclaré à la chaîne de télévision publique russe RT que la Russie entretenait de bonnes relations politiques et économiques avec les quatre pays figurant sur son itinéraire : l’Égypte, l’Éthiopie, l’Ouganda et la République du Congo . Il a indiqué que l’Égypte était le « partenaire numéro un de la Russie en Afrique », précisant que les échanges commerciaux entre les deux pays s’élevaient à 5 milliards de dollars US par an, que la Russie y construisait une centrale nucléaire et y création des zones industrielles.

Mais il est clair que l’objectif de son voyage était également de promouvoir l’idée que la guerre en Ukraine visait à contrer l’hégémonie mondiale de l’Occident. Ce sont les sanctions à l’encontre de la Russie — et non le blocus russe des exportations de céréales depuis les ports ukrainiens de la mer Noire — qui seraient à l’origine de la crise alimentaire mondiale, crise dont les effets sont ressentis de manière particulièrement intense en Afrique.

En effet, Lavrov a été rapidement entraîné dans une guerre de propagande virtuelle avec le président français Emmanuel Macron, également en déplacement en Afrique — ce qui n’était d’ailleurs peut-être pas une coïncidence —, au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau. Macron a qualifié la Russie de « l’une des dernières puissances impériales et coloniales ».

Ces visites concurrentes sont une preuve supplémentaire que la guerre de la Russie contre l’Ukraine est rétrograde puisqu’elle renvoie le monde à des postures dignes de la guerre froide et risque de faire de nouveau de l’Afrique un champ de bataille par procuration. Le président des États-Unis, Joe Biden, organise en décembre son sommet tant attendu des dirigeants africains. De son côté, Lavrov a annoncé cette semaine au Caire que le deuxième sommet Russie-Afrique se tiendrait l’année prochaine.

Jakkie Cilliers, responsable du programme Futurs et Innovations de l’Afrique, une initiative de l’Institut d’études de sécurité (ISS), estime que la visite de Lavrov en Afrique, si rapidement après l’annonce de la levée du blocus imposé par la Russie à Odessa et à d’autres ports ukrainiens de la mer Noire, est tout sauf une coïncidence. L’accord, négocié par le secrétaire général des Nations unies (ONU), António Guterres, et le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, peut permettre d’exporter plus de 20 millions de tonnes de céréales ukrainiennes sous embargo vers les marchés mondiaux.

L’embargo et la pénurie de céréales qu’il provoque ont dû doubler le prix des céréales et aggraver l’insécurité alimentaire, notamment en Afrique. En juin, l’Union africaine (UA) a rapidement dépêché son président, Macky Sall, et le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, à Sotchi pour rencontrer le président russe, Vladimir Poutine, et plaider en faveur d ‘une aide.

« Je pense que cet accord sur l’ouverture d’Odessa est un choix hautement stratégique de la partie de la Russie, estime Cilliers. L’Ukraine a fait preuve de beaucoup d’habileté dans la manière dont elle a contrôlé le débat sur la scène internationale ; c’est elle qui a dicté le récit de l’invasion russe ».

Poutine a tenté de rendre l’Ukraine responsable du blocus céréalier en soutenant qu’elle avait miné ses propres ports (dans les faits, pour les protéger d’une invasion russe). Mais ce récit peine à convaincre. « Poutine envoyé qu’il est en train de perdre la bataille de la propagande ». La levée de l’embargo sur les céréales était donc une décision délibérée pour montrer que la Russie était sensible aux demandes africaines « et pour sortir la Russie de la posture à laquelle un discours mondial l’a vraiment accusée ».

Steven Gruzd, responsable du programme de recherche Russie-Afrique de l’Institut sud-africain des affaires internationales (SAIIA), reconnaît que Poutine a déposé Lavrov en Afrique en partie à des fins de propagande. Mais il affirme que son déplacement a également pour mais de « contrer les efforts de relations publiques très efficaces que le président [Volodymyr] Zelensky a déployés sur les médias sociaux ». Gruzd estime également que cette visite est un « stratagème délibéré de la Russie pour montrer qu’elle n’est pas isolée et qu’elle peut encore obtenir des appuis sur la scène internationale ».

En cela, l’Afrique constitue un bon choix pour la Russie. Le continent s’est montré moins critique que d’autres envers Moscou, puisque 25 de ses 54 États se sont abstenus ou ont choisi de ne pas soutenir la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 2 mars 2022 qui condamnait l’ invasion de l’Ukraine par la Russie. Il s’agit d’un taux nettement plus élevé que dans les autres régions du monde. Tout comme de nombreux autres pays, parmi ces 25 États, l’Afrique du Sud a déclaré qu’elle restait « non alignée », faisant ainsi écho à la position officielle adoptée par les pays en développement pendant la guerre froide.

Il est tout à fait logique que les États africains ne souhaitent pas être mêlés à une guerre qui se déroule dans une Europe si lointaine. Cependant, cette posture de « non-alignement » implique que cette guerre soit un conflit équivalent sur le plan éthique entre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et la Russie, plutôt qu’une agression non provoquée de Moscou à l’encontre d’une démocratie voisine.

Son déplacement en Afrique permet donc à Lavrov de promouvoir un récit inspiré de la guerre froide, comme l’observe Joseph Siegle, directeur de recherche au Centre africain d’études stratégiques à Washington. En fait, comme l’écrit ce dernier, « La Russie cherche également à normaliser un ordre international où la force fait loi. Et où la démocratie et le respect des droits humains sont facultatifs ».

Siegle et d’autres observent que Lavrov a choisi des interlocuteurs qui ne sont pas des exemples de démocratie, ce qui a pu affecter leurs relations avec l’Occident. Cette idée est en phase avec l’intensification des activités en République centrafricaine, au Mali et en Libye de la société militaire privée Wagner, qui apporte son soutien aux chefs de guerre et aux putschistes. Le groupe Wagner est considéré comme une force supplétive de Poutine pour contrer l’influence occidentale.

Selon Siegle, la Russie a beaucoup plus d’intérêt à améliorer ses relations avec l’Afrique que l’inverse. La Russie est déjà le plus grand fournisseur d’armes du continent et peut espérer augmenter ses ventes. Hormis les armes, la Russie est un modeste investisseur et un partenaire commercial de faible envergure par rapport à l’Occident et à la Chine.

Priyal Singh, chercheur à l’ISS, note toutefois qu’un renforcement des relations avec la Russie n’est pas automatiquement mauvais pour l’Afrique, car certains États bénéficient « énormément » de la pluralité de leurs partenaires internationaux. Cet argument est également souvent avancé pour justifier le renforcement des liens entre l’Afrique et la Chine.

Il semble que Lavrov ait été très bien accueilli en Afrique, non seulement par les dirigeants des quatre pays dans lesquels il s’est rendu, mais aussi à Addis-Abeba, où il a rencontré les ambassadeurs de plusieurs autres pays.

Siegle prévient les pays africains que ceux qui se rapprochent de la Russie risquent de perdre la confiance des gouvernements et des investisseurs pour lesquels l’état de droit doit prévaloir. Mais cette observation évoque l’un des grands impondérables des relations internationales de l’Afrique.

L’Égypte, en particulier, est stratégiquement trop importante pour l’Occident pour que la visite de Lavrov puisse réellement envenimer ses relations avec Le Caire. L’Occident pourrait sans doute se montrer plus amical avec tous ces pays africains pour éviter de les voir tomber dans les bras de Moscou. C’est d’ailleurs un argument qu’avancent certains diplomates accueillis en poste à Pretoria à propos du « non-alignement » de l’Afrique du Sud, qui a visiblement agacé plusieurs de leurs collègues.

Cette dynamique et ces dilemmes font écho à ceux de la « première » guerre froide. La question de savoir si le monde de 2022 est comparable à celui de 1972 est cependant plus complexe.


Peter Fabricius , Consultant, ISS Pretoria

Image : © Services de presse du ministère russe des Affaires étrangères


 

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