Dix ans après la chute sanglante de Kadhafi : La relance d’une feuille de route politique ravive l’espoir en Libye

 Des Libyens ont célébré hier mercredi le dixième anniversaire du début de la révolution qui a renversé le régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Si leur pays reste miné par les divisions, la relance du dialogue politique a ravivé l’espoir de voir naître un Etat démocratique.

L’ambiance est à la fête en Tripolitaine, grande région de l’Ouest, où les autorités locales ont prévu célébrations, discours, chants et feux d’artifice. La flamme inaugurant les célébrations a été allumée mardi soir sur la Place des Martyrs en présence du chef du Gouvernement d’union nationale (GNA) Fayez al-Sarraj. Les festivités sont prévues sous haute sécurité dans l’après-midi sur cette esplanade bordée de bâtiments à l’architecture italienne au coeur de la capitale, où Kadhafi aimait prononcer des discours.

Dans les quartiers résidentiels de Tripoli, les embouteillages ralentissent la circulation et les conducteurs, vitres baissées, diffusent à fond les chants populaires de la révolution. Malgré le jour férié, de nombreux commerces sont ouverts. Dans la capitale, où vit la moitié de la population, les rues sont parées de banderoles, d’arches de lumières et de décorations, après un grand lifting mené tous azimuts ces derniers jours. Les façades ont été rafraîchies et des équipes de la Compagnie nationale des travaux publics se sont attelées à repeindre la signalisation routière et à remplacer les éclairages. A chaque coin de rue, des vendeurs proposent ballons aux couleurs nationales et drapeaux: celui de l’indépendance de la Libye en 1951 mais aussi le drapeau amazigh (berbère), emblème d’une partie de la population. A Zawiya, à 45 kilomètres de Tripoli, les habitants affluent vers le centre-ville, où des dizaines de «révolutionnaires» avaient été exécutés en 2011 après avoir été encerclés par les pro-Kadhafi. Aujourd’hui, de nombreux bâtiments, ornés de drapeaux et de guirlandes, portent encore des impacts d’obus et de balles «qui vont rester pour qu’on n’oublie pas ce qui s’est passé ici», confie à l’AFP Mofida El-Romeih, qui y a perdu ses deux frères et un cousin.

«Catastrophe»
Les autorités de l’Est, région contrôlée par le maréchal Khalifa Haftar, n’ont en revanche annoncé aucune célébration, pas même à Benghazi, berceau de la révolution et deuxième ville du pays. Les villes en altitude y sont couvertes de neige et subissent depuis quelques jours une vague de froid inhabituelle. «Sortir pour célébrer l’anniversaire de la révolution serait de la folie parce que cette révolution a été une catastrophe qui a gâché des années de stabilité», peste Khamis Al-Sahati, militant en Cyrénaïque, région orientale. Dix ans après le début du soulèvement et l’intervention internationale sous couvert de l’Otan conclue en octobre 2011 par la mort du «Guide» Kadhafi, la Libye continue d’être déchirée entre des pouvoirs rivaux et à subir des ingérences étrangères, aux dépens d’une population appauvrie et privée des revenus des plus importantes réserves d’or noir d’Afrique. «La justice n’a toujours pas été rendue pour les victimes de crimes de guerre et de graves violations des droits humains, notamment homicides, disparitions forcées, tortures, déplacements forcés et enlèvements commis par des milices et des groupes armés», a déploré mardi l’ONG Amnesty international.

Pourparlers
Le quotidien des Libyens est depuis plusieurs années ponctué de pénuries de liquidités et d’essence, de coupures d’électricité, avec une inflation galopante. Le GNA, installé en 2016 à Tripoli au terme d’un fragile processus onusien, est appuyé par la Turquie. Son rival, pouvoir incarné par Khalifa Haftar et implanté en Cyrénaïque, est soutenu par les Emirats arabes unis, l’Egypte et la Russie. Depuis l’échec des pro-Haftar à s’emparer de Tripoli en 2020, après plus d’un an de combats, les tentatives de médiation se sont multipliées. Un accord de cessez-le-feu a été arraché en octobre sous l’égide de l’ONU et, contrairement aux précédents, il semble globalement respecté. Des pourparlers interlibyens ont débouché ces dernières semaines sur un accord pour des élections en décembre. Un exécutif de transition, composé du Premier ministre par intérim Abdel Hamid Dbeibah et d’un Conseil présidentiel transitoire, a été désigné le 5 février. L’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Libye et chef de la mission d’appui des Nations unies en Libye (Manul), Jan Kubis, a effectué sa première visite en Libye et rencontré mardi des responsables libyens.
(Source AFP)

Le SG de l’ONU rappelle la nécessité d’un départ des troupes étrangères

Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a rappelé mardi, lors d’entretiens avec les nouvelles autorités libyennes, la nécessité d’un départ de Libye des troupes étrangères, a indiqué son porte-parole. Antonio Guterres «a parlé de manière séparée au chef du Conseil présidentiel, Mohamad al-Menfi et au Premier ministre intérimaire Abdel Hamid Dbeibah», a précisé dans un communiqué Stéphane Dujarric. «Lors de ses appels, le secrétaire général a souligné la disposition de l’ONU à soutenir les élections en Libye, la surveillance du cessez-le-feu et la nécessité du retrait des forces étrangères», a-t-il déclaré lors de son point-presse quotidien. En décembre, la Libye comptait environ 20.000 mercenaires et militaires étrangers, selon l’ONU. Interrogé pour savoir si les Nations unies avaient constaté un début de retrait de ces forces, Stéphane Dujarric a répondu par la négative. «Je n’ai pas eu d’information supplémentaire sur un départ de troupes étrangères. Nous voulons que cela intervienne bien sûr le plus vite possible», a-t-il dit.


                                                             Libye / Un pays dévasté par dix ans de guerre

               Publié par Agence

La production pétrolière, principale ressource du pays, a été fortement affectée par l’affrontement entre deux autorités politiques rivales depuis la chute de Kadhafi en 2011.

Le pays est riche en hydrocarbures et sa population peu nombreuse pour se partager les dividendes des plus abondantes réserves pétrolières d’Afrique. Mais après dix ans de guerre civile, l’économie de la Libye s’est totalement effondrée et ses habitants sont très appauvris. Dans ce contexte, le quotidien des Libyens est marqué par d’importantes pénuries de liquidités, d’essence, d’électricité et par une inflation galopante. Partout dans ce pays de 7 millions d’habitants, se détachent les ossatures rouillées d’immenses grues trônant sur les carcasses de bâtiments inachevés, envahis par les herbes folles, témoins d’une économie à l’arrêt. Des centaines de projets, estimés à plusieurs milliards de dollars et lancés au tournant de la décennie 2000-2010 par les géants mondiaux, ont été abandonnés.

L’année écoulée a été particulièrement difficile : l’offensive sur Tripoli et le blocus pétrolier ont provoqué «les plus graves crises politique, économique et humanitaire de Libye depuis 2011», selon la Banque mondiale. «C’est une récession sans précédent», abonde l’économiste Kamal Al-Mansouri. A cela s’ajoute une crise monétaire majeure, avec deux banques centrales – la BCL à Tripoli et une banque concurrente à l’est – entravant le contrôle de la politique monétaire du pays, pendant que le dinar dégringole. Bien que la production de pétrole ait rebondi, pour atteindre en décembre 1,2 million de barils par jour, soit dix fois plus qu’au troisième trimestre 2020. Mais cela reste en deçà des 1,5 à 1,6 million de barils par jour d’il y a dix ans. A l’époque, juste avant le déclenchement de la révolte, le régime de Kadhafi, après avoir longtemps été mis au ban de la communauté internationale, était devenu fréquentable. Le «Guide» ne cachait pas ses ambitions de développer les infrastructures. Le pays allait se refaire une beauté : logements, hôpitaux, routes, marinas… D’innombrables chantiers ont été lancés.

Des entreprises russes, chinoises, françaises, coréennes, émiraties, turques ou italiennes se sont ruées vers ce nouvel eldorado. Mais tout s’est arrêté net en 2011. Les investisseurs ont déserté le pays, qui pointe à la 186e place sur 190 dans le classement Doing Business, établi par la Banque mondiale. Des sommes colossales perdues pour des entreprises mais aussi pour l’Etat, qui va devoir dédommager des groupes lésés et qui l’ont poursuivi en justice. Une note d’espoir, cependant : les pourparlers politiques et la récente désignation d’une autorité exécutive unifiée pour mener la transition augureraient de meilleurs lendemains.
R. I.


                            Le grand pari de la Russie en Libye

par Steve Brown.

D’abord, le contexte. Lorsque les États-Unis ont abandonné l’accord avec l’Iran, les importations de pétrole de la Turquie sont parties à la dérive en raison des nouvelles sanctions imposées par le Trésor US sur les exportations de pétrole iranien. En décembre 2018, la Turquie a été forcée de chercher ailleurs ses importations de pétrole, la Libye étant le choix le plus logique en raison de son prix et de sa proximité, malgré la violence qui y régnait. Les rebelles de Misrata, alliés à la milice Fajr Libya en charge du plus grand port de libre-échange de Libye, ont organisé les exportations de pétrole de Zawiya et Syrte vers l’Italie[1] et la Turquie, à des prix favorables.

Rappelons que la Tripolitaine (ouest) et la Cyrénaïque (est) sont en guerre, et que la Cyrénaïque possède ses propres terminaux de production et de stockage de pétrole à l’est alors que la plupart des revenus (pour les deux belligérants) du conflit libyen sont réglés par la Compagnie Nationale Libyenne de Pétrole (NOC). Mais peu de cela importe pour le marché d’importation de pétrole de la Turquie et la Turquie a signé un accord pour un corridor énergétique avec la Libye. Puis, en avril 2019, l’offensive de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) contre le Gouvernement d’Accord National (GAN) de Tripolitaine a commencé, ce qui a entraîné la chute de Syrte au début de cette année.

L’incursion de la Turquie dans le pétrole libyen s’est heurtée à des difficultés dès juin 2018. La Turquie s’est opposée aux accords pétroliers de l’ANL sans supervision de la NOC, alors que le mandat de la NOC était d’appliquer l’embargo sur les armes de l’ONU en ne déboursant des fonds que pour l’usage civil du gouvernement. Ensuite, l’offensive de l’ALN en avril a donné lieu à des frappes aériennes sur Misrata et l’ouest, ce qui a eu un impact sur les importations de pétrole de la Turquie. La chute de Syrte et les frappes de l’ALN sur les bureaux de la NOC et le terminal pétrolier de Zawiya à la fin de 2019 ont porté un coup sérieux aux ambitions pétrolières de la Turquie en Libye.

L’avancée de l’ALN du Chef de guerre Haftar a été aidée par les Émirats Arabes Unis, l’Égypte et la France. Puis, l’Algérie a connu un changement de leadership et a rejoint la mêlée. L’Algérie s’est alignée sur le GAN contre l’ALN de Haftar (rappelons que Haftar est soutenu par la France) tandis que l’Algérie condamnait publiquement le déploiement des troupes turques. L’Algérie est une puissance pétrolière et a des intérêts pétroliers dans l’ouest de la Libye également et exerce plus d’influence dans la Mena que ce que l’on croit communément, généralement en arrière-plan.

Aujourd’hui, après la chute de Syrte, les forces de l’ALN s’approchent de Tripoli. L’ALN avait pris la plus grande partie de la Tripolitaine avec seulement quelques poches du GAN restantes. La situation du GAN était donc précaire en novembre. Il semblait que la victoire de l’ALN était assurée et que la guerre civile en Tripolitaine en serait le sinistre résultat. Puis, avec une certaine urgence, la Turquie a promis de déployer des troupes pour soutenir l’ALN. Des rumeurs disaient que les troupes algériennes assureraient la sécurité de sa frontière et de ses intérêts pétroliers en Libye également.

En janvier, l’extrême gravité de la situation est apparue. La menace frisait le désastre humanitaire. La Tripolitaine s’attendait à des destructions causées par Haftar, tandis que l’Europe, la Turquie et la Grèce seraient confrontées à une nouvelle vague de migrants libyens. L’Algérie doit prévoir la nécessité de fermer sa frontière étendue par la force des armes et d’aider la Tunisie, ce qui exacerbe les tensions avec le Maroc. Seule une puissance respectée, dotée d’une autorité et d’une influence régionale, pourrait sauver la Libye d’un désastre imminent.

Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu, troisième à gauche, le ministre turc de la Défense Hulusi Akar, deuxième à gauche, le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov, quatrième à droite, et le ministre russe de la Défense Sergei Shoigu, troisième à droite, assistent aux pourparlers à Moscou, Russie, le 13 janvier 2020. (PAVEL GOLOVKIN / AP)

Le moyen de sauver la Libye d’une violence accrue n’est pas les États-Unis – qui ont causé la catastrophe de la Libye en premier lieu – mais la Russie. La Russie et la Turquie ont appelé à un cessez-le-feu. Au début, Haftar a résisté à cet appel car il sentait la victoire. Mais Haftar a fini par céder et a accepté le cessez-le-feu sur l’insistance de la Russie et de l’Allemagne, bien qu’il ne l’ait pas encore signé. Plusieurs inconnues surviennent.

On ne sait pas très bien comment les divers groupes et milices fracturés qui peuplent Misrata et la Tripolitaine pourraient s’aligner. À Misrata et Bani Walid, une milice peut prendre une allégeance ou une autre… ou pas de camp du tout. Certains groupes sont bien armés et peuvent s’engager dans des attaques rebelles simplement pour perturber le cessez-le-feu.

La question est de savoir comment un règlement politique entre l’ALN et le GAN peut être obtenu. La possibilité d’un règlement politique pacifique en Libye semble lointaine, alors que tant de richesses pétrolières sont en jeu, et que la composition de la population libyenne est si fractionnée.

Il faut considérer que la Turquie semble s’éloigner de plus en plus de l’orbite de Washington. Un retrait de facto de la Turquie de l’OTAN remettra en question la crédibilité d’une alliance déjà douteuse. Peut-être que Washington ripostera avec davantage de sanctions contre un membre de l’OTAN perçu comme « rebelle » ? Et la Turquie respectera-t-elle également le cessez-le-feu ?

Enfin, la Russie. La Russie courtise maintenant la Turquie tout en s’aliénant l’Égypte, la Grèce, Chypre, la France et Israël… et pour le coup, le Chef de guerre Haftar. C’est parce que l’accord de la Russie avec la Turquie reconnaît implicitement le pacte énergétique controversé entre la Libye et la Turquie, tandis que l’Égypte, la Grèce, Israël, Chypre et la France voient leurs propres ambitions énergétiques en Méditerranée orientale maintenant marginalisées.

La Russie courtisant la Turquie et le passage virtuel de la Russie du côté du GAN ne peut que mettre Washington en colère. La Russie prend l’énorme pari que ce cessez-le-feu tiendra le temps qu’un règlement politique soit recherché. Washington n’aimerait rien de plus que de pousser la Russie à arranger un règlement politique pacifique… n’importe où. Et les services secrets américains pourraient même tenter de déstabiliser à nouveau la Libye pour cette raison. En attendant, espérons pour le bien du peuple libyen que cela ne se produise pas et qu’un règlement politique soit obtenu.

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[1] La compagnie pétrolière italienne ENI opère en Tripolitaine


source : Russia’s Big Gamble in Libya    traduit par Réseau International


 

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