Le droit du plus fort contre la force du droit

     

 

Par le professeur émérite Chems Eddine Chitour
École polytechnique, Alger

«La guerre dans le Donbass dure depuis huit ans et a fait 13 000 morts, et autant de blessés, y compris des enfants. Je regrette le silence politique et médiatique qui l’entoure, l’indifférence à l’égard des morts dès lors qu’ils sont russophones. Dire cela, ne signifie pas justifier la politique de Vladimir Poutine. De même que s’interroger sur le rôle belliciste des États-Unis, présents à tous les étages de la gouvernance ukrainienne avant et pendant la ‘’révolution du Maïdan’’, n’équivaut pas à dédouaner le maître du Kremlin.»
Andreï Makine, académicien
(Interview Figaro, 11 mars 2022)

Résumé
Ce constat amer de l’académicien Andreï Makine résume la vision hémiplégique des vassaux européens obligés de voir l’Ukraine à travers les lunettes de l’Empire. Dans ce conflit qui n’a que trop duré, les causes étant claires et les stratégies de chaque camp sont connues. Sauf que cela ne sert à rien de négocier avec les Ukrainiens. C’est avec les États-Unis qu’il faut discuter non pas avec une posture plus que jamais guerrière en agitant le sabre nain de l’Otan sans les Américains. Dans ce drame, un de plus, à ajouter aux conflits séculaires palestinien, libyen, yéménite, le moment est venu aux Nations Unies de rappeler, dans le cadre d’une Assemblée générale, la force du droit en face des droits des plus forts atteints par l’hubris et la démesure. Même la Chine, qui se contente de ne pas intervenir, devrait le faire pour la paix. Dans cette guerre, il y aura aussi un autre perdant, l’Europe, dont on ne sait pas trop ce qu’elle comprend tant les avis sont divergents. Elle perdra sur tous les plans au profit des États-Unis qui auront, une fois de plus, créé un nouvel ordre à partir du chaos, Ordo ab Chaos. On peut faire crédit à Thierry Meyssan pour qui «la guerre en Ukraine n’est qu’un prétexte sanglant, conçu par Washington, pour pouvoir exclure la Russie de toutes les organisations internationales, affaiblir l’Union européenne et, en définitive, préserver la domination anglo-saxonne sur tout l’Occident».

Rapport d’étape d’un conflit qui s’enlise
Thierry Meyssan avance que le conflit est évalué de façon différente : «Alors que les révélations se multiplient sur les exactions commises par les bandéristes ukrainiens durant les huit dernières années, les Occidentaux continuent à ne percevoir que la souffrance des populations civiles ukrainiennes. Ils ignorent tout des causes profondes de la guerre, tout autant que des événements qui ont conduit le Kremlin à la déclencher. Les opérations militaires se poursuivent en Ukraine avec deux narrations radicalement différentes. En Occident, le public est persuadé que l’armée russe a d’énormes problèmes logistiques et ne parvient pas à alimenter ses chars en carburant. Au contraire, en Russie, on pense que les combats sont limités à des zones précises, le Donbass, la côte de la mer d’Azov et les cibles militaires partout ailleurs. En bruit de fond, l’Occident a lancé une guerre économique et financière contre la Russie. De nombreuses entreprises occidentales quittent le pays et sont immédiatement remplacées par d’autres venant de pays ne participant pas à cette guerre. À titre d’exemple, les restaurants McDonald seront remplacés par la chaîne Chitik Chicken, la Chine et la communauté eurasienne planifient la mise en place d’un système économique et financier parallèle à celui de Bretton Woods. Bref, le monde se coupe en deux.»(1)

Washington a ouvert la boîte de Pandore du désordre mondial en s’affranchissant du respect du droit international
Une analyse assez complète nous est donnée par l’écrivain serbe Nicola Mirkovic. Interviewé par le journaliste Alexandre del Valle, il décrit les dessous de la guerre en Ukraine… et du conflit États-Unis-Russie dont elle est le théâtre. À la question d’Alexandre del Valle : «Vous avez écrit un livre, L’Amérique empire sur l’impérialisme américain», Nikola Mirkovic déclare : «Mon ouvrage donne en effet une clef de compréhension globale aux événements actuels. J’y explique en détails que les Etats-Unis et la Russie sont sur une trajectoire de collision depuis très longtemps. La question était de savoir quand. Depuis les théories de MacKinder et Spykman, entre autres, de la première moitié du XXe siècle, la stratégie géopolitique américaine — que je développe dans L’Amérique Empire, a identifié le centre du continent eurasiatique comme le point névralgique du monde (‘’Heartland’’, ndlr). Celui qui contrôle ce centre contrôle ‘’la destinée du monde’’ et il se trouve que ce centre est essentiellement en Russie. À la fin de la chute du mur de Berlin, les Américains ont cru qu’il suffirait de se baisser pour ramasser les rescapés du bloc communiste. Cela a fonctionné pour la plupart des pays européens qui sont entrés chronologiquement, d’abord dans l’Otan, puis dans l’Union européenne, mais cela n’a pas marché avec la Russie qui, après avoir été tentée par le club atlantiste, s’est fait refouler et a décidé de suivre son propre chemin.»(2)
«Les États-Unis ne veulent pas que la Russie redevienne une puissance européenne, car si la Russie et l’Europe de l’Ouest se rapprochent et que le ‘’doux commerce prépare le terrain à des alliances politiques, alors l’hégémonie américaine sur l’Europe de l’Ouest disparaîtrait.
Poutine dit que l’Ukraine moderne est une création russe, puis il précise, bolchevique. L’Ukraine est d’abord devenue une République au sein de l’URSS en 1922 avant de devenir complètement indépendante pour la première fois seulement en 1991. Les frontières actuelles sont clairement une construction soviétique. Staline a rajouté de nombreux territoires qu’il a enlevés aux Polonais, aux Hongrois et aux Roumains et qu’il a annexés à l’ouest de l’Ukraine, Khrouchtchev a purement et simplement détaché la Crimée de la Russie pour la rattacher à l’Ukraine en 1954 sans demander l’avis de personne.» (2)
«Comme la Yougoslavie titiste qui a explosé dans les années 1990, nous constatons en effet dans cette Ukraine tiraillée analysée par Huntington et Brzezinski une explosion annoncée sur des lignes identitaires. Que cela soit en Yougoslavie ou en Ukraine, l’ingérence des États-Unis et d’autres pays européens a également été un grand facteur de déstabilisation. À ceux qui opposent la Russie au reste de l’Europe, je pense justement que l’Ukraine doit être un pont entre les deux visions d’une même civilisation. Malheureusement, l’ingérence étrangère en a décidé autrement. Il ne faut pas tomber dans la propagande, mais la vérité est qu’une frange importante de l’ultranationalisme ukrainien puise son identité dans les mouvements ukrainiens qui se sont illustrés aux côtés des nazis lors de la Seconde Guerre mondiale. Ces mouvements ont été galvanisés par l’Euromaïdan en 2013 et 2014 (…) En fait, le premier succès de ces partis néonazis est d’avoir réhabilité la figure de Stepan Bandera, chef nationaliste ukrainien qui a longtemps collaboré avec les nazis (…)»(2)
«Les États-Unis ont un palmarès impressionnant d’ingérence dans les affaires de nations souveraines. La Russie est un ennemi désigné des faucons de guerre américains depuis de nombreuses générations car Washington craint l’émergence d’une puissance concurrente sur le continent eurasiatique. La stratégie états-unienne est d’éloigner la Russie de l’Ukraine car l’Ukraine est un pont entre la Russie et le reste de l’Europe. Les USA craignent une Europe pacifiée qui irait de l’Atlantique à l’Oural. Washington pense qu’elle risquerait de perdre le contrôle de l’Europe occidentale qu’elle voit aujourd’hui comme un ‘’protectorat’’ — ainsi que la nomme Zbigniew Brzezinski dans le Grand Echiquier. En 2008, l’Otan a annoncé au sommet de Bucarest que l’Ukraine rejoindrait l’Alliance. Cette annonce a été perçue comme une menace existentielle par les Russes qui ne peuvent pas se permettre d’avoir une organisation hostile implantée dans une région où elle a un rayonnement politique, culturel et religieux historique (…) En ce qui concerne la guerre de l’Otan contre la Serbie en 1999, ni même pour la guerre des États-Unis contre l’Irak en 2003, dans ces deux cas, l’Otan et les États-Unis n’ont absolument pas respecté le droit international. Ils ont attaqué des pays souverains sans mandat du Conseil de sécurité de l’ONU. Ces guerres d’ingérence occidentales ont complètement déstabilisé les Balkans et le Moyen-Orient.»(2)
«(…) Ce qui est certain, c’est que les Américains ont atteint un de leurs objectifs : ils ont éloigné la Russie de l’Europe de l’Ouest pour un bout de temps. (…). Les États-Unis se frottent les mains et pourraient enclencher une 2e victoire car ils rêvent de nous exporter leur gaz de schiste. L’Europe de l’Ouest deviendrait complètement tributaire des Américains non seulement pour sa sécurité, mais également pour son énergie. (…) Des pays majeurs comme la Chine, l’Inde, le Brésil, les Émirats arabes unis, Israël et la plupart des pays africains et sud-américains n’ont pas appliqué de sanctions contre la Russie. Nous voyons aussi le soutien impressionnant de Pékin qui a déclaré que son alliance avec la Russie était solide comme un roc. La Chine est amenée à devenir la première puissance mondiale dans les années à venir. Avec la politique de dédollarisation de ces deux mastodontes, il y aura des répercussions sur les États-Unis et le monde atlantiste. Quel va être le rapport de force mondial avec une Chine en pleine ascension ? Poutine mise sur le déclin du monde occidental qui n’a pas voulu de la Russie et parie sur l’avenir asiatique dans lequel nous l’avons jeté, il est vrai. (…) C’était une folie de la part des Européens de laisser Washington choisir ce pays pour provoquer la Russie. Comme Jean-Pierre Chevènement, je pense que la meilleure réponse pour l’Ukraine est qu’elle devienne neutre comme l’Autriche après son indépendance en 1955.»(2)

Plus rien ne sera comme avant pour le dollar désacralisé
Dans cette contribution, nous allons zoomer sur les sanctions et leurs conséquences. Washington a décrété un embargo sur le gaz et le pétrole russes, mais ces ressources continuent de couler à flots vers l’Europe, très dépendante des hydrocarbures russes. Le Vieux Continent se tourne progressivement vers d’autres ravitailleurs, le Qatar et surtout les États-Unis. Une fois de plus, ce sont les américains qui vont sortir gagnants. L’Europe a conclu le 24 mars un contrat de 15 milliards de m3 GNL. De beaux jours pour le gaz de schiste. L’Occident pensait que la Russie allait s’écrouler du fait que l’on interdise à la Russie de faire partie du système Swift, d’utiliser les prestations des Gafam. De même l’abandon du dollar par les Saoudiens pour leurs exportations d’or noir vers l’empire du Milieu portera un sérieux coup de canif à leurs relations avec les Américains. Le statut de puissance financière mondiale des États-Unis est-il en train d’être
ébranlé ? Le processus semble engagé. Les premiers pas sont sur le point d’être faits. L’Arabie saoudite et la Chine discutent actuellement de la fixation du prix de certaines exportations de pétrole saoudien directement en yuans. La Chine cherche activement à détrôner le dollar en tant que monnaie de réserve mondiale et ce dernier développement suggère que le pétrodollar est désormais menacé, souligne le Wall Street Journal. C’est une nouvelle guerre commerciale sino-américaine qui se dessine, sur le front pétrolier cette fois-ci, avec en toile de fond la contestation de la devise américaine comme devise de référence. Une révolution dans le marché de l’or noir sur lequel régnait sans partage le billet vert. Les premiers indices qui ont montré qu’elles avaient subi un coup de froid résident dans le refus du royaume wahhabite d’obtempérer à la demande du président américain, Joe Biden, d’augmenter sa production et celle de ses alliés de l’Opep+ pour stopper l’envolée des prix du pétrole qui a significativement impacté ceux de l’essence à la pompe.»(3)
La riposte russe ne s’est pas fait attendre : «Elle a pris dès le lundi 7 mars une forme assez originale : établir une liste de pays ‘’hostiles’’. La décision du Kremlin semble en fait assez astucieuse et vise à s’adjuger indirectement le soutien des banques étrangères. La plupart des sanctions économiques prises contre la Russie ont pour but de générer un isolement financier de cette dernière. Pour renforcer le rouble, il faudrait donc qu’il devienne plus demandé, et donc augmenter le nombre de transactions financières internationales en rouble… ce qu’empêchent délibérément les sanctions prises aujourd’hui. La réponse donnée par la Russie est pour le moins imaginative et intelligente : autoriser le paiement des crédits russes à l’étranger en rouble. Ainsi, en prenant cette décision, la Russie a fait en sorte que les banques internationales cherchent à soutenir indirectement l’économie russe, dans le but d’éviter de voir leur crédit dévalorisé. »(4)
Mieux encore, le 23 mars, Vladimir Poutine a annoncé que la Russie n’acceptera plus de paiements en dollars ou en euros pour les livraisons de gaz à l’Union européenne (UE) et a donné une semaine aux autorités russes pour élaborer le nouveau système en roubles. Cette annonce a eu un effet immédiat sur la devise russe, qui s’est renforcée face à l’euro et au dollar. Il a également laissé entendre que d’autres exportations russes seraient concernées, les Occidentaux ayant gelé quelque 300 milliards de dollars de réserves russes détenues à l’étranger, une mesure que le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a qualifiée de vol mercredi 22 mars 2022.

L’hypocrisie de l’Europe : sanctions sauf pour l’énergie pour cause d’ébriété au pétrole
Les sanctions visant à étouffer la Russie mais pas question de toucher encore au gaz et au pétrole. Les pays européens n’ont pas hésité à continuer à se ravitailler, malgré des prix élevés, comme le montre cette publication de la Tribune : «Guerre en Ukraine : l’Europe a acheté près de 17 milliards d’euros de gaz et de pétrole russes depuis le début du conflit. 16,8 milliards d’euros : c’est le montant des importations européennes d’hydrocarbures russes depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février, selon des estimations du CREA.»(5)

Pourquoi les États-Unis ne veulent pas du multilatéralisme ?

On le voit, l’Empire persiste et signe : c’est à eux de diriger le monde. A l’époque, il y a une quinzaine d’années, on aurait pensé qu’avec Obama, un président jeune qui n’est pas marqué par la guerre froide, le monde post-effondrement de l’Union soviétique irait vers l’ouverture et un monde multipolaire. Il n’en fut rien. Comme nous le lisons dans cette contribution qui n’a pas pris une ride depuis 2009 : «La puissance aujourd’hui passe par la possession de trois atouts : la richesse matérielle sans laquelle rien n’est devenu possible à long terme, la puissance stratégique qui passe par la capacité à projeter ses forces à sa périphérie et au-delà, et enfin ce que l’on pourrait appeler l’instinct de puissance, c’est-à-dire la détermination à peser sur les affaires du monde par ses idées, ses capacités ou son attractivité. C’est sur le plan de la puissance matérielle que l’évolution du rapport de force est la plus sensible. Il existe aujourd’hui quatre grands pôles économiques (États-Unis, Europe, Chine, Japon). Mais il faut par exemple se rendre compte que le PIB russe représente 1% seulement du PIB mondial contre 22% pour le PIB américain. On est donc très loin d’une multipolarité économique où les différents pôles auraient une puissance équivalente. Sur le plan stratégique, le déséquilibre est encore plus flagrant : il y a une superpuissance militaire qui dépasse toutes les autres (États-Unis), une puissance montante (Chine), une puissance qui vit essentiellement sur son passé et ne parviendra à maintenir son rang que si ses ressources énergétiques le lui permettent (Russie). L’Europe est la seule région du monde qui refuse d’augmenter ses dépenses militaires comme si les Européens avaient, une fois pour toutes, décidé de sous-traiter leur défense aux États-Unis. (…) On comprend que les États-Unis ne soient pas spontanément favorables à la rhétorique du monde multipolaire tout simplement parce que celui-ci les placerait sur un pied d’égalité avec les autres acteurs importants du système mondial. On comprend pourquoi l’administration Obama préfère parler de multipartenariat plutôt que de multipolarité. Les États-Unis ont bien compris qu’ils ne pouvaient plus dominer le monde à leur guise et que l’écart qui les séparait des autres s’est réduit (…) En réalité, nous sommes dans un monde où il existe trois agendas planétaires : l’agenda stratégique qui continue à être massivement imposé par les États-Unis, l’agenda économique qui est plus largement réparti et l’agenda climatique où les États-Unis sont clairement sur la défensive.»(6)

Les perdants et le gagnant
En définitive, pour Thierry Meyssan, la guerre en Ukraine n’est qu’un prétexte sanglant, conçu par Washington pour pouvoir exclure la Russie de toutes les organisations internationales, affaiblir l’Union européenne et, en définitive, préserver la domination anglo-saxonne sur tout l’Occident. Effectivement, au lieu d’aller vers l’apaisement, l’Otan a reçu l’ordre de l’Empire de montrer ses muscles et emploie un langage guerrier entraînant les vassaux européens tétanisés et qui iront eux aussi au- devant de problèmes économiques et sociaux sérieux. Ils ne pourront pas tenir longtemps avec un baril et un mètre cube de gaz aussi élevés. Par contre, les États-Unis seront les grands vainqueurs en affaiblissant durablement l’Europe, en cassant le Nord Stream, en obligeant les pays européens à consacrer au moins 2% à l’armement, qui sera en grande partie acquis chez eux. Mais le plus grand gain est que les Etats-Unis vont vendre du gaz de schiste devenu rentable. Tout ceci pour garder le monopole d’un monde qu’ils continueraient à diriger.
Encore une fois, les vassaux européens se font dicter la norme par l’Empire dont l’objectif immédiat est de démolir la Russie. Le chercheur Pierre-Emmanuel Thomann a des mots durs quand il parle de la tentative américaine de démolition de la Russie : «La guerre économique contre la Russie est la première guerre mondiale menée au nom de la culture de l’annulation (‘’cancel culture’’). C’est aussi une guerre de civilisation. C’est la guerre de l’Amérique mondialiste contre la Russie. Le but de guerre de cette Amérique de la ‘’cancel culture’’ et du ‘’woke’’ est tout simplement l’effacement ou l’annulation de la Russie, c’est-à-dire anéantir par des sanctions qui équivalent à une arme nucléaire économique l’économie, l’industrie, la culture russe, son existence même dans la mondialisation libérale. L’éditorialiste américain Thomas Friedman du New York Times l’a exprimé explicitement dans son article du 6 mars intitulé ‘’The Cancellation of Mother Russia Is Underway’’ (La suppression de la Russie est en cours).»(7)
Pour le chercheur dans le nouveau monde de la «cancel culture» : «Le rêve américain est de former un condominium américano-chinois sur le monde pour préserver sa suprématie géopolitique tout en diminuant le poids de la Russie. (…) L’Union européenne vassalisée aux États-Unis et à l’Otan s’associe aujourd’hui aux sanctions massives, car l’Union européenne actuelle n’est plus aujourd’hui l’émanation de l’Europe civilisationnelle, mais l’ultime stade de l’Europe américanisée. La Chine serait la prochaine victime sur la liste des États à supprimer. Pour que l’Europe garde l’espoir de survivre en tant que civilisation, cette Union européenne en voie d’être engloutie par le nouveau totalitarisme de la ‘’cancel culture’’. Il serait préférable que cette guerre mondiale menée au nom de la culture de l’annulation contre la Russie mais aussi l’Europe dans sa totalité échoue. L’Europe européenne de l’Atlantique à l’Oural ne pourra voir le jour que dans un monde multipolaire basé sur l’équilibre des puissances.»(7)
Raoul Delcorde, ancien ambassadeur de Belgique, écrit dans le même ordre : «On dit souvent que la guerre en Ukraine rappelle les guerres ‘’classiques’’ qui déchirèrent le continent européen au XXe siècle. C’est une erreur. Cette guerre est en fait un mélange de plusieurs guerres. Certes, c’est d’abord une guerre classique menée par la Russie avec son déploiement de chars, de bataillons d’infanterie, de frappes aériennes. Mais c’est aussi une guerre économique, marquée par plusieurs vagues de sanctions commerciales (décidées par les pays de l’Otan et de l’UE), frappant de plein fouet l’économie russe. Tout cela n’augure rien de favorable pour la ‘’bagarre multipolaire’’ qui se prépare. Entrons-nous dans une période d’hostilité prolongée avec la Russie ? Est-ce que ce conflit n’est pas en train de devenir un conflit du nord de la planète dont le Sud subit les effets collatéraux ? Comment se fait-il que 17 États africains se soient abstenus? Et pourtant, ils en seront aussi les victimes.»(8)

Il est impératif de ménager une porte de sortie pour Poutine
«Il faut obliger Poutine par une situation où il serait prêt à négocier. La négociation est donc un exercice délicat car il faut trouver le point d’équilibre où chacune des parties doit trouver son intérêt. Tout l’enjeu, pour la diplomatie, est d’éviter qu’une crise ne débouche sur un conflit armé ou qu’elle ne s’enlise. Il peut être utile, dans le cas de l’Ukraine, de faire monter les coûts (fortes sanctions contre la Russie, envoi massif d’armes léthales à l’Ukraine) à un point tel que la Russie décide de négocier un cessez-le-feu digne de ce nom.»
On comprend dans ces conditions pourquoi Moscou accuse les États-Unis de jouer la montre en interférant dans les négociations Ukraine-Russie. Moscou a accusé les États-Unis d’entraver les «difficiles» négociations russo-ukrainiennes : «La partie ukrainienne change constamment sa position. Il est difficile de se débarrasser de l’impression que nos collègues américains les tiennent par la main.» «Les Américains partent tout simplement du principe qu’il n’est pas profitable pour eux que ce processus se termine rapidement.» Il a estimé que les sanctions étaient destinées à «supprimer la Russie en tant qu’obstacle à un monde unipolaire qu’ils veulent dominer.»(9)
Pour le linguiste Noam Chomsky, l’invasion russe de l’Ukraine est «un crime de guerre de la plus haute gravité» qu’on ne saurait «justifier ni minimiser». Cependant, il pense que la guerre pouvait être évitée. Il rapporte les propos de Jack Matlock, spécialiste de la Russie et qui a écrit peu avant l’invasion de l’Ukraine : «Puisque l’exigence cardinale de Poutine est la garantie que l’Otan n’acceptera plus de nouveaux membres, en particulier l’Ukraine et la Géorgie, il n’y aurait aucune justification à la crise en cours s’il n’y avait pas eu d’élargissement de l’Alliance après la guerre froide, ou si cet élargissement s’était accompagné de la création, en Europe, d’un pacte sécuritaire qui aurait englobé la Russie.» La crise ‘’[pouvait] se résoudre en faisant tout bonnement preuve de bon sens…’’ : À cet égard, il est dans l’intérêt des États-Unis de promouvoir la paix, et non la guerre.» Le point de vue de George Kennan a été relayé, quoique tardivement. En 1997, il avait averti, dans les colonnes du New York Times, que l’expansion continue de l’Otan vers la Russie «serait l’erreur la plus fatale de la politique américaine de toute l’après-guerre froide».] Il est partagé par William Perry [ministre de la Défense de Bill Clinton entre 1993 et 1997. Il a écrit en 2015 dans ses Mémoires que l’élargissement de l’Otan était la cause de «la rupture des relations avec la Russie»]. Noam Chomsky ajoute qu’il est impératif de ménager une porte de sortie pour Poutine. «Face à une guerre en Ukraine qui, selon lui, aurait pu être évitée, et face au risque d’un conflit mondial, il convient de “soutenir les voies diplomatiques qui subsistent’’ avec la Russie. Quitte à accepter une neutralisation de l’Ukraine.»(10)
«Beaucoup de regards se tournent vers la Chine. Elle n’est sans doute pas mécontente de voir les États-Unis et l’Union européenne empêtrés dans ce conflit, les premiers devant à nouveau s’impliquer dans la sécurité européenne alors que leur priorité stratégique est en mer de Chine. Mais si ce conflit devait durer, il risquerait de gêner la Chine aussi car elle a tout intérêt à préserver une économie mondiale fonctionnant normalement afin que son ambitieux programme des routes de la soie ne soit pas entravé. La Chine pourrait faire œuvre de médiation. Elle dispose, grâce à ce conflit, d’une situation où elle pourra faire pression sur les Occidentaux dans d’autres domaines en échange d’une médiation de sa part.»(8)

Et l’Algérie dans tout cela ?
Plus que jamais, nous sommes dans un monde de plus en plus dangereux. Il n’y a ni morale, ni droits de l’Homme, ni Nations unies qui est une coquille vide. Encore moins de libertés et de droits de l’Homme. Dans un contexte marqué par la pénurie des matières premières nécessaires à la machine productiviste capitalistique, c’est plus que jamais la guerre de tous contre tous. Le monde est en train de connaître des mutations de fond en comble. Cette nouvelle reconfiguration de l’échiquier a été soutenue par le conflit. L’humanité assiste à la dislocation de l’ancien monde. Le nouvel ordre mondial qui s’esquisse sous nos yeux. Le monde sera régenté par une approche multilatérale qui permettra aux pays émergents d’avoir leur mot à dire sur les questions cruciales et stratégiques qui taraudent le monde d’aujourd’hui.
Les mots du président, «nous vivons, aujourd’hui, en cette conjoncture particulière et complexe, à l’instar des pays du monde, des mutations décisives sur les plans régional et international», sont d’actualité. Plus que jamais, nous devons être prudents. La distribution de la rente sera de moins en moins possible avec une population et une consommation débridée qui ne profite qu’aux classes aisées. Tout ceci retarde notre mise en place d’une stratégie pérenne qui divorce des anciens schémas rentiers. L’Algérie est encore loin d’être en phase avec les mutations. On se souvient qu’en 1969, dans un éditorial d’El Moudjahid, l’Algérie contestait déjà l’ordre établi du principe de l’arbitrage international dans ses relations avec les sociétés pétrolières.
«… On ne peut accorder les privilèges d’un code moral à un système dont l’objet est de perpétuer des intérêts immoraux… Si l’on veut tirer de là une première conclusion et, en même temps, faire preuve de réalisme, on devrait pouvoir affirmer que les rapports entre les nations ne sont pas fondés sur le droit ou la morale, mais sur la force.» Nous y sommes. Notre force ne peut être que scientifique et technologique.

Conclusion
Les donneurs de leçons et leurs larmes de crocodile pour Kiev n’ont pas bougé un cil quand Baghdad était ramenée à l’âge de pierre, comme promis par George Bush père. Avec une joie morbide, CNN montrait Baghdad en flammes en janvier 1991 ! La première chose que firent les GI’S était d’aller sécuriser les puits de pétrole, pendant que le musée de Baghdad, témoin par ses pièces du berceau de l’humanité, était pillé. Un million de civils morts, dont 500 000 enfants, des effets de l’embargo. «C’est pas cher payé pour faire partir Saddam», d’après Madeleine Albright.
À l’époque, Bush père promettait un nouvel ordre plus juste. Au contraire, l’hubris et la destinée manifeste font que les guerres seront de plus en plus récurrentes. Après l’affaiblissement de la Russie, ce sera le tour de la Chine… Plus rien ne s’opposera à l’hyperpuissance américaine, selon le bon mot d’Hubert Vedrine. C’est plus que jamais le droit de la force en face de la force du droit qui n’a plus cours. À moins que le dérèglement climatique qui a fait oublier aux pollueurs les promesses des COP avec un retour au charbon aura définitivement mis d’accord tout le monde par le cap vers une Terre invivable. Et là, à des degrés divers, Gaïa se vengera des agressions qu’elle subit…
C. E. C.

1. Thierry Meyssan https://www. voltairenet. org/article216130.html
2. Nikola Mirkovic Interviewé par Alexandre Del Valle https://www.atlantico.fr/article/rdv/les- dessous-de-la-guerre-en-ukraine-et-du-conflit-etats-unis-russie-dont-elle-est-le-theatre-vladimir-poutine-joe-biden-volodymyr-zelensky-alexandre-del-valle-nikola-mirkovic
3. https://www.lexpressiondz.com/internationale/coup-de-tonnerre-a-washington-354618
4. https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/le-remboursement-de-dettes-en-rouble-la-contre-attaque-economique-gagnante-de-la-russie-906000.html?
5. Guerre en Ukraine : l’Europe a acheté près de 17 milliards d’euros de gaz et de pétrole russes depuis le début du conflit 21 Mars 2022
6. https: //www. liberation. fr/planete/2009/11/18/non-obama-ne-veut-pas-d-un-monde-multipolaire_594199/? 18 novembre 2009
7. Eurocontinenthttps://reseauinternational.net/de-la-geopolitique-dexcellent-niveau/
8. Raoul Delcorde https: //www.lecho. be/opinions/analyse/une-nouvelle-grammaire-des-conflits/10374497.html 19 mars 2022
9. AFP / 23 mars 2022 , https:/ /www.lorientlejour. com/article/amp/1294546/moscou-accuse-les-etats-unis-dentraver-les-difficiles-negociations-russo-ukrainiennes
10. https ://www. courrier international. com/article/ interview-noam-chomsky-il-est-imperatif-de-menager-une-porte-de-sortie-pour-poutine? 20 mars 2022

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