L’égalité devant l’impôt : un principe inconstitutionnel ?

Par Mourad Benachenhou

De quelque système politique, économique ou social qu’il se réclame, l’état moderne est omniprésent dans tous les domaines de la vie de la collectivité qu’il couvre.

L’état, omnipotent et omniprésent
Malgré la forte poussée idéologique qui tente de réduire au maximum son champ d’intervention, et à transférer au secteur privé une bonne partie de ses missions, et surtout dans les secteurs de production de biens et services, il demeure le plus grand pourvoyeur de «biens publics», dont le plus important est, évidemment, la défense nationale, la protection des citoyens et la justice.
Partout dans le monde, c’est l’État qui assure l’éducation, les gros travaux publics, la construction des routes et des voies ferrées, sans compter les ports, les aéroports. Il prend en charge, d’une manière plus ou moins directe, la protection sanitaire et la santé des citoyens, l’assistance aux membres les plus pauvres de la communauté nationale, sous une forme ou une autre, etc., etc.
Il a l’obligation et le privilège de battre monnaie et, tuteur de l’institut d’émission, de veiller à la stabilité de la valeur de l’unité monétaire qui lui est propre. Il veille au bon fonctionnement des mécanismes du marché pour éviter toute tentative de détournement des mécanismes de ce marché au profit d’un groupe ou d’une personne.
Il a le pouvoir d’étendre, en temps de crise, ses interventions dans tous les domaines qui ont un rôle ou un impact sur la situation du moment.
Sans compter que son pouvoir de réglementation des activités qui ne ressortissent pas spécifiquement de ses missions directes est illimité.

L’état moderne coûte très cher à la communauté nationale
La multiplicité de ses interventions exige qu’il gère un appareil institutionnel lui permettant de mener à bien toutes les missions permanentes et/ou temporaires qu’impliquent ses missions.
Il est, qu’on le veuille ou non, sur tous les fronts de la vie de la société, toujours vigilant et veillant à ce qu’aucun des aspects de sa gestion ne souffrent d’une prise en charge insuffisante, d’autant plus que les citoyens font pression sur lui, sous une forme plus ou moins pacifique, pour qu’il remédie aux difficultés qu’ils rencontrent, comme membres d’une collectivité nationale ou d’un groupe social.
Un état moderne a de multiples avantages, car il garantit un minimum de justice sociale et de sécurité personnelle permettant au citoyen lambda de mener une vie digne d’être vécue.
L’inconvénient majeur de l’état moderne, c’est qu’il coûte très cher à la collectivité nationale. Il mobilise des ressources immenses pour mener à bien ses missions. Une règle de base est qu’au moins un tiers des richesses nationales soit consacré à la prise en charge des différentes activités de l’état. Certains pays vont jusqu’à mobiliser la moitié de la création annuelle de richesse pour respecter leur engagement envers leurs citoyens dans les domaines où l’appareil d’état est appelé à intervenir.
L’état a donc besoin d’un flux constant de ressources, plus ou moins importantes, mais ne descendant jamais au-dessous d’un certain pourcentage des richesses produites par le pays en cause.

L’obligation, le droit et le devoir de collecter les ressources pour maintenir les missions de l’État
Aux obligations de l’état envers ses citoyens correspond le droit de collecter les ressources dont il a besoin. Ce droit n’a rien d’abusif ni d’arbitraire. Il fait même partie des engagements de l’état, qui ne peut promettre de livrer des services au citoyen qu’en proportion des fonds dont il peut disposer.
Tout un chacun sait que c’est la perception des impôts qui assure le financement adéquat des missions de l’état. Comme tout un chacun bénéficie à égalité, ou presque, des services rendus par l’état à la collectivité nationale, l’égalité devant l’impôt est une obligation qui ne souffre d’exception ni de la part de l’état ni de celle des contribuables.
Que cette égalité soit difficile à atteindre, que certains trouvent moyen d’y échapper, que l’État soit incapable parfois de l’assurer dans sa totalité, que lui-même accepte d’octroyer des privilèges qui violent ce principe, il n’en demeure pas moins qu’elle constitue le fondement du système fiscal et qu’elle doit être respectée au mieux possible.
L’état est une institution humaine, avec ses qualités et ses défauts, ses biais et ses manquements. Mais, globalement, il est tenu, pour éviter que son autorité soit remise en cause par la collectivité nationale qu’il sert, de veiller à ce que ce principe d’égalité devant l’impôt soit respecté par lui et soit accepté par le citoyen. La justice devant l’impôt garantit la pérennité de l’état et la stabilité du pays.

Les quatre sources de fiscalité
Il y a, de manière générale, quatre types d’assiettes fiscales dont l’état peut tirer ses ressources :
– le capital, c’est-à-dire les moyens de production de biens et services mobilisés par le contribuable dans ses activités économiques ;
– les activités, essentiellement le chiffre d’affaires ou le montant brut des transactions représentant le produit des biens et services écoulés par le contribuable sur le marché ;
– les produits, essentiellement les impôts indirects, actuellement consolidés en «taxe sur la plus-value», frappant, selon des taux plus ou moins élevés, le produit fourni par le contribuable, que ce soit un bien ou un service ;
– les revenus, c’est-à-dire soit le montant net des avoirs de l’agent économique après éventuelle déduction des charges encourues pour la production des biens et services produits, soit la rémunération en contre-partie d’un travail fourni par les personnes employées à la reddition de biens et services économiques ou travaillant dans les administrations publiques.
Ces quatre sources sont plus ou moins combinées les unes avec les autres, selon le type d’activité en cause, ou sont restreintes à un seul élément fiscal, à savoir le revenu.

L’égalité devant l’impôt implique la tenue d’une comptabilité fiable et transparente par les assujettis
Il est évident que l’égalité devant l’impôt implique que soit garantie la juste et claire évaluation du montant de l’assiette fiscale touchée.
Cela veut simplement dire que l’état doit s’assurer que le contribuable maintient une comptabilité de son assiette fiscale qui va être touchée par la ponction fiscale. Lorsqu’il s’agit d’un salarié, la situation est simple et directe : son employeur a la charge de déduire de sa rémunération le montant qu’il doit au fisc, et joue le rôle d’auxiliaire des services fiscaux.
Lorsqu’il s’agit de revenus provenant d’activités libérales, la responsabilité de tenir une comptabilité claire de ses sources de gains, quelle que soit l’activité menée, quelles que soient sa nature, les conditions de son exercice, tombe sur le contribuable.

L’inconstitutionnalité de la revendication d’un statut fiscal violant l’égalité devant la loi
Il ne peut se prévaloir d’aucune exception liée aux spécificités de son activité, d’aucune règle morale ou autre découlant de son activité, pour refuser de transcrire, de manière transparente et permanente, et sur la base de règles comptables connues et quasiment universelles, les charges qu’il a subies du fait de son activité, tout comme les revenus qu’il perçoit, quels que soient le nom qui leur est donné et les conditions dont il les perçoit.
L’état a le droit et l’obligation de déterminer, au nom de l’égalité de tous devant l’impôt, les conditions dans lesquelles est assurée la transparence des charges et des revenus du contribuable menant une activité de reddition service au grand public, quelle que soit cette activité..
Nul ne peut se prévaloir à la fois du privilège de juger unilatéralement de la constitutionnalité de l’égalité devant l’impôt, et du droit de fixer lui-même le type de fiscalité qui doit lui être appliqué. Si tout un chacun se donnait le droit de juger de la constitutionnalité d’un principe d’équité dans la participation aux dépenses de l’État et de déterminer à son gré la charge fiscale qu’il serait disposé à verser au Trésor public, que reste-t-il du concept d’état de droit ?
C’est là un déni total de la souveraineté nationale incarnée par l’état et un appel à l’anarchie pour sauvegarder un privilège usé et abusé depuis presque soixante années et ayant donné lieu à des fortunes échappant totalement et injustement à tout référentiel fiscal.
Ceux qui défendent la démocratie ne peuvent pas, en même temps, demander à l’état de leur garantir une sphère les excluant d’un des principes les plus importants de la Constitution !

En conclusion
1. L’état moderne fonde son autorité et ses interventions sur une Constitution, qui définit ses obligations et ses missions, tout comme les droits fondamentaux garantis à tous les citoyens..
2. L’égalité devant l’impôt, qui fait partie des privilèges de la citoyenneté, ne peut être négociable ou objet d’exceptions au profit de telle ou telle profession, si noble soit-elle.
3. La Constitution algérienne, censée être connue de tous, est claire et sans ambiguïté :
«Art. 82. — Nul impôt ne peut être institué qu’en vertu de la loi. Les contribuables sont égaux devant l’impôt. La loi détermine les cas et les conditions d’exonération fiscale totale ou partielle. L’impôt est un devoir citoyen. Nul impôt, contribution, taxe ou droit d’aucune sorte ne peut être institué avec effet rétroactif. Toute action visant à contourner l’égalité des contribuables devant l’impôt constitue une atteinte aux intérêts de la collectivité nationale. La loi sanctionne l’évasion et la fraude fiscales.»
4. Ce sont le non-respect de cet article ou le rejet de son application qui constituent des actes anti-constitutionnels.
5. L’État ne peut pas volontairement et délibérément violer sa loi fondamentale qui assure sa légitimité et la légalité de son pouvoir.
6. Il est à espérer que l’état ne cédera pas devant les pressions qui s’exercent sur lui, et au détriment de l’article garantissant une justice équitable pour tous, pressions qui sont elles-mêmes anti-constitutionnelles.
M. B.


 

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