Ghaleb Bencheikh. Nouveau président de la Fondation de l’islam de France : «Il faut que nos imams s’ouvrent sur le monde et interrogent même leur propre foi»

WALID MEBAREK
18 DÉCEMBRE 2018
Ghaleb Bencheikh El Hocine a été élu à la tête de la Fondation de l’islam de France (FIF). Il succède à Jean-Pierre Chevènement. Il a bien voulu répondre à nos questions.

Quel est le processus de nomination à ce poste de président de la Fondation de l’islam de France ?

Ce n’est pas une nomination, mais une élection, au sein du conseil d’administration dont j’étais déjà membre. Dans un premier temps, il est vrai que j’ai été approché par le président sortant, Jean-Pierre Chevènement, pour savoir si j’accepterais d’être candidat.

Après réflexion, je me suis dit que c’est pour moi l’occasion ou jamais, dans une institution laïque, profane, sécularisée, avec des plans éducatifs, culturels et le plan social, de prendre en charge la jeunesse et notamment la jeunesse musulmane, pour qu’elle ne se laisse pas gagner ou entraîner par les sirènes salafistes. J’ai donc été candidat et il se trouve que sur les 11 suffrages, j’ai eu 10 voix*. L’unique opposition est venue du CFCM. C’est bon que les gens le sachent. Quelque part, ils m’ont rendu service.

Pouvez-vous nous dire un mot sur M. Chevènement, qui a été le président fondateur de la Fondation de l’islam de France ?

Je lui rends hommage. Un hommage appuyé et même reconnaissant, en dépit de tout ce qu’on a pu raconter sur le fait qu’il ne soit pas une personnalité musulmane, etc. Je vais vous dire les choses en amitié et en simplicité et il faut que les gens le sachent. Et, même si cela ne fait pas plaisir de le dire et que cela écorche ma bouche de le dire : si ce n’était pas lui au départ, eu égard aux divisions et au microcosme des soi-disant acteurs de l’islam en France, cette Fondation n’aurait jamais vu le jour, hélas… Hélas !

Heureusement il était là et il a fait ce qu’il a pu. La gestion est saine. On a un campus numérique avec des bourses doctorales attribuées. Le travail a commencé. De l’argent a été attribué aux Scouts musulmans et pour soutenir des projets. Depuis 2016, il y a eu pas moins de huit réunions du conseil d’administration. Cette Fondation existe. Jean-Pierre Chevènement a exercé avec abnégation et dévouement. Il reste comme président d’honneur.

Quels sont les projets que vous porterez ?

Les études d’islamologie. On en a besoin en France, aider la formation des imams, pour la partie profane. Parce qu’il ne faut pas oublier que nous sommes une institution laïque, reconnue par les autorités publiques et il faut que les imams aient une idée sur les institutions françaises, sur le patrimoine français, sur la connaissance du monde, j’ai envie de dire, en dehors des questions religieuses.

Vous savez, il y a des religieux qui étudient à la lueur de la lumière, mais ils ne posent jamais la question sur la manière dont fonctionne la lumière. Il faut que nos imams s’ouvrent sur le monde et interrogent même leur propre foi.

C’est important d’aider les imams à acquérir une formation sécularisée. Autre chantier, c’est le fait de créer des universités populaires pour que le public, musulman ou non musulman, vienne s’arrimer à une meilleure connaissance du fait islamique pour qu’on en finisse avec les inepties, ne serait-ce que le désordre sémantique qui entoure cette tradition religieuse et sa civilisation impériale.

La Fondation devra également assister, notamment dans le champ des travailleurs sociaux, la possibilité que les éducateurs spécialisés aient une idée moins faussée de l’islam et apprennent la réalité de cette civilisation. Je créerai, très tôt, un prix décerné à des personnalités du monde de l’art, de la culture et de la littérature, qui produisent une œuvre avec les cultures de l’islam. Je voudrais que ce soit un temps fort de la vie culturelle française.

Je mettrai en place, très tôt, un événement, en forme de colloque ou de conférence internationale, pour qu’on débatte contre les thèses fondamentalistes de l’islam. Ce qui n’a jamais été fait depuis 25 ou 30 ans en France. Surtout qu’on a la liberté et la possibilité de le faire.

Pensez-vous avoir les moyens pour cela ? Quels sont les leviers sur lesquels vous pourrez agir ?

Je fais crédit, dans tous les sens du terme, à l’enthousiasme, à l’engouement des gens qui disent «on est là pour aider». On verra. C’est vrai que, là-aussi, je prendrai mon bâton de pèlerin pour aller quémander du financement pour pérenniser, sanctuariser cette Fondation.

Il est vrai que nous avons peu de moyens. Je ferai appel au mécénat d’entreprise, au mécénat privé. Je pense qu’il faut savoir ce que l’on veut : est-ce un islam de beauté, d’intelligence, d’humanisme ? Dans ce cas, on s’en donne les moyens. Sinon, on continue dans le misérabilisme, l’islam de la médiocrité, de la terreur et de l’épouvante.

Là, vous avez fort à faire. En face de vous n’y a-t-il pas des réticences et des attaques très fortes vis-à-vis de ce que vous véhiculez, notamment à travers vos émissions de radio et de télévision ?

La bagarre est là. Le moment est historique, même si je ne voudrais pas être grandiloquent et emphatique. Le moment est historique et même tardif, car nous n’aurions pas dû être dans la situation dans laquelle nous sommes.

Il est temps pour cette tradition religieuse et la civilisation qu’elle a soutenue durant l’histoire retrouve sa noblesse et son intelligence, du cœur avant tout, et le fait de s’insérer harmonieusement dans le flot du champ de la culture, de la modernité et de la rationalité.

Bio express

Fils du cheikh Abbas Bencheikh El Hocine, recteur de la Grande Mosquée de Paris de 1982 à 1989, Ghaleb Bencheikh El Hocine est docteur ès sciences, diplômé de l’université Paris 6 et a suivi parallèlement une formation philosophique à l’université Paris 1.

Islamologue de renom, il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont principalement le Petit manuel pour un islam à la mesure des hommes (JC Lattès, 2018) ; Le Coran expliqué (Eyrolles, rééd. déc. 2018) ; Juifs, chrétiens et musulmans, ne nous faites pas dire n’importe quoi ! (avec Philippe Haddad et Jacques Arnould, Bayard 2008) ; Lettre ouverte aux islamistes (avec Antoine Sfeir, Bayard, 2008), La laïcité au regard du Coran (Presses de la Renaissance, 2005).

Il présente depuis 2000 l’émission Islam sur France Télévisions le dimanche matin. Il produit et anime l’émission Questions d’islam sur France Culture. Il est l’invité de colloques et de conférences, en France et à l’étranger, dont le sujet est la laïcité ayant trait aux problématiques des sociétés contemporaines. Il est président de la Conférence mondiale des religions pour la paix – France.


Conférence à Tlemcen : « Comment sortir du fanatisme et de l’extrémisme religieux ? »

Le théologien et président de la conférence mondiale des religions pour la paix, Dr. Ghaleb Bencheikh, a appelé samedi à Tlemcen la jeunesse musulmane « à s’armer des sciences, du savoir et la connaissance et de s’ouvrir davantage sur le monde, afin de sortir de l’ornière, de l’ignorance et la méconnaissance et ne pas tomber dans la radicalisation, le fanatisme et l’extrémisme religieux qui détruisent les nations ». Animant une conférence sur « Science et Spiritualité » au palais de la Culture « Abdelkrim Dali », Dr. Ghaleb Bencheikh a souligné que « si nous pensons que notre tradition religieuse, notre civilisation dont il faudrait savoir cerner et comprendre, nos cultures sont dans une telle situation qu’il faut les sauver, ce qui sous-entend quelque part qu’elles sont atteintes pour ne pas dire malades, et bien il y a lieu de conjuguer nos efforts. Les nations islamiques doivent sortir de l’ornière et la réalité est aujourd’hui amère ! Puisque nous parlons de science, et bien sachez que la production scientifique en contexte islamique est quasiment nulle. Il y a un vrai malaise ! Je ne dis pas que les chercheurs ou les scientifiques musulmans n’existent pas de par le monde, mais les contextes islamiques d’une manière générale ne produisent pas de sciences. La production éditoriale toutes disciplines confondues est de l’ordre de 0,8% de la production éditoriale mondiale alors que d’autres nations d’autres sphères religieuses ou civilisationnelles produisent davantage. Il y a donc un problème, si nous ne voulons pas le regarder en face, c’est que nous nous complaisons dans une dune qui finalement nous ramènera à des situations beaucoup plus graves. Nous pâtissons d’une triple ignorance, et là il faut faire le distinguo entre l’ignorance et la méconnaissance. Il n’y a pas de problème à ne pas savoir, mais la méconnaissance nous rend aveugle et même arrogant ! Il vaut mieux étudier une partie de la nuit que de prier toute la nuit ! Il faut avoir une pensée subversive, libérer l’esprit de sa prison et sortir du licite et de l’illicite et des représentations superstitieuses, car la question est d’être et de ne pas être ! Allez acquérir le savoir !». Faisant une analyse cryptique sur les systèmes de pensées, de cultures, l’anthropologie du passé et l’archéologie du temps présent, Dr. Ghaleb Bencheikh a sollicité la nombreuse assistance de bien comprendre le thème de « Science et Spiritualité » retenu pour cette conférence organisée par l’Ecolymet de Tlemcen. « Alors, d’abord il n’est pas dit science islamique, science et spiritualité, il n’est pas dit religion islamique ou religion tout court, science et spiritualité, et par science qu’est-ce qu’on entend, s’agit-il des sciences dites exactes, pures, dures ou expérimentales ou la science c’est-à-dire savoir et connaissance ? Là aussi on a besoin de comprendre le titre en tant que tel. Il faut éviter deux écueils. Le premier, c’est d’éviter la pathologie du concordisme, on va faire coïncider les données révélées avec les découvertes scientifiques, et on s’extasie de bonheur parce qu’on a dans la révélation ce qui a été découvert après coup, sauf que si je ramène les choses à nos autres musulmans nous nous les avions depuis toujours, et ce qui montre d’ailleurs non seulement l’omnipotence, l’omniscience, la puissance du Créateur, mais c’est que nous les avons. Ça dénote d’abord une paresse intellectuelle. Il ne s’agit absolument pas du même registre épistémologique. Le registre de la recherche scientifique n’est pas celui de la révélation. Le deuxième écueil à éviter, c’est de considérer que par la science on va pourfendre de contredire, là aussi ce n’est pas le même registre, et il n’y a pas lieu d’agir de la sorte. Il est temps de sortir de cette problématique ». 

Le débat a porté ensuite sur de nombreuses questions. L’on peut citer, l’islam et la civilisation, le train de la civilisation et la connaissance, le discours relationnel, la recherche scientifique et la révélation, le discours religieux et la science, l’intégration spirituelle devant l’accélération de la science, la vie et les réseaux sociaux, la foi et l’intelligence, le soufisme, la parole de Dieu et l’outillage, la science et le monde, le sens de la vie et le Coran et l’écologie.  /  Khaled BOUMEDIENNE /

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