GILETS JAUNES : En plus de la crise sociale, une crise de croissance

Sur les Champs-Elysées, samedi.

Les effets du mouvement des gilets jaunes se font aussi sentir sur l’économie, avec un ralentissement de l’activité qui pourrait sortir la France des clous européens.

  •   En plus de la crise sociale, une crise de croissance

Deux milliards d’euros. Si l’on s’en tient aux estimations de Bruno Le Maire, c’est ce que coûtera le mouvement des gilets jaunes à la croissance française en 2018. Interrogé sur RTL, le ministre de l’Economie a estimé à 0,1 point de croissance son impact, qui n’est pas «rattrapable», a-t-il précisé. Pour autant, Le Maire, qui avait déjà chiffré à 0,1 point l’effet négatif de la grève à la SNCF sur la croissance au printemps, se refuse encore à revoir la prévision de croissance, établie à 1,7 % par le gouvernement pour cette année.

La Banque de France est plus pessimiste, dans un contexte marqué par un ralentissement de l’activité en Europe : lundi, elle a divisé par deux, à 0,2 % contre 0,4 % précédemment, le taux de croissance du produit intérieur brut français anticipé pour le dernier trimestre de l’année. Faisant remarquer que les effets du mouvement se font sentir dans «la plupart des secteurs» – en particulier dans l’agroalimentaire et l’automobile -, sa nouvelle prévision est très inférieure au niveau de 0,8 % qui serait nécessaire pour atteindre l’objectif de 1,7 % affiché par le gouvernement. Autant dire que la cible visée par l’exécutif apparaît désormais inatteignable et que la croissance ne devrait guère dépasser 1,5 % cette année.

«Coup de frein»

Déjà affecté par un manque à gagner de recettes fiscales de l’ordre de 4 milliards avec l’annulation de la hausse de la taxe carbone sur le carburant, ce ralentissement remet en cause la trajectoire de réduction du déficit public sur laquelle s’est engagée la France devant la Commission de Bruxelles. Alors que l’exécutif tablait sur 2,8 % de déficit en 2019 – la moyenne de la zone euro est de 0,7 % -, la limite des 3 % gravée dans le marbre des règles européennes n’est plus même garantie. Selon Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), ce retournement s’explique par une faible progression des salaires au moment où l’inflation est repartie. D’où «un coup de frein sur la consommation et l’emploi qui avaient commencé assez nettement avant le mouvement», fait remarquer Olivier Passet, directeur des synthèses du cabinet de conjoncture Xerfi. Le gouvernement avait pourtant promis que les Français sentiraient les effets positifs de ses mesures fiscales avant la fin de l’année. «Les prévisionnistes s’attendaient à un rebond de la croissance au quatrième trimestre à cause du relèvement des minima sociaux et de la baisse des cotisations salariales», poursuit Xavier Ragot. Selon lui, «on attendait beaucoup de cette fin d’année pour l’activité». Mais avec ce ralentissement et une confiance des ménages en chute libre – elle a retrouvé son niveau de début 2015 -, l’emploi devrait également en faire les frais au quatrième trimestre.

Comment dans ces conditions augmenter les recettes et rester dans les clous européens tout en répondant aux attentes sociales et fiscales exprimées par les gilets jaunes ? L’équation s’avère redoutable même si, comme le souligne Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, la situation de la France n’est pas celle de l’Italie. «Le gouvernement peut se permettre de mener une politique budgétaire expansionniste sans provoquer à court terme une envolée des taux d’intérêt de sa dette publique», dit-il. Elle approche les 100 % dans l’Hexagone contre plus de 130 % en Italie. Pour financer ces baisses d’impôts, la logique est de mettre à contribution les entreprises, et notamment les plus importantes, ainsi que l’a annoncé le Président lundi soir.

Dérapage

Grandes gagnantes des arbitrages budgétaires de ces dernières années grâce aux baisses d’impôts et de charges initiées sous le quinquennat de François Hollande, elles profiteront cette année d’un bonus de 20 milliards d’euros grâce à la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en baisse de cotisations patronales. Les entreprises bénéficieront à la fois du CICE au titre de 2018 et de la baisse des charges prévue pour 2019. De quoi légitimer les efforts qui pourraient leur être demandés, d’autant que les créations d’emploi ne sont pas au rendez-vous.

Outre un report de cette bascule qui selon l’OFCE permettrait de rester dans la limite des 3 %, le gouvernement pourrait également être tenté de retarder la baisse de l’impôt sur les sociétés : le taux normal, aujourd’hui fixé à 33 %, doit passer à 31 % au 1er janvier, avant de poursuivre sa baisse graduelle jusqu’en 2022 pour se rapprocher de la moyenne européenne (23 %). Si au sein de l’exécutif, l’idée de repasser temporairement au-dessus des 3 % de déficit public ne semble plus être un «tabou absolu», comme le dit Xavier Ragot, l’ampleur du dérapage à venir dépendra, en plus des gestes annoncés par Emmanuel Macron, de la résistance de l’activité. Christophe Alix

Libération / 10.12.2018

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