Immigration : L’Algérie compte plus de migrants clandestins que toute l’Europe

Paolo Giusepe CAPUTO, Représentant – Chef de mission de l’OIM à Alger :«L’Algérie reçoit quotidiennement plus de migrants que toute l’Europe»

Entretien réalisé par Tarek Hafid 


Présente en Algérie depuis 2016, l’Organisation internationale pour les migrations est un outil qui assiste les migrants subsahariens présents en Algérie, ainsi que les migrants algériens présents en Europe. Paolo Giusepe Caputo, chef de mission de l’OIM à Alger, indique que l’organisation qu’il représente est également un outil à la disposition des autorités algériennes. Selon lui, l’Algérie, qui reçoit quotidiennement plus de migrants que toute l’Europe, dispose d’un potentiel important pour devenir un modèle en matière de gestion des flux migratoires. 

Le Soir d’Algérie : L’Organisation internationale pour les migrations a ouvert son bureau en Algérie en 2016. Comment expliquer que cette installation soit si récente alors que l’OIM existe depuis les années 50 ? 
Paolo Caputo 
: L’OIM est une agence intergouvernementale qui a été créée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale afin de prendre en charge l’énorme flux de personnes déplacées lors de ce conflit.  Elle est devenue agence connectée au système des Nations-Unies en septembre 2016. L’OIM est donc la plus jeune des agences de l’ONU. 

L’Algérie est devenue pays membre en 2000. En effet, l’ouverture du siège d’Alger a eu lieu en 2016. Nous pouvons dire que l’OIM Algérie est réellement opérationnelle depuis une année. 
Il est important de comprendre que la migration ce n’est pas uniquement les mouvements de masse, les expulsions et les urgences. La migration est un phénomène historique de niveau global qui remonte à l’aube de l’humanité. En fait, nous sommes tous des migrants. 

Comment se déroulent les relations avec les autorités algériennes ? 
L’OIM est une organisation intergouvernementale. Les pays membres, et dans notre cas l’Algérie, sont les patrons de l’organisation. Ces pays ont signé un accord afin de travailler ensemble pour une gestion ordonnée de la migration. L’OIM travaille en collaboration avec le pays hôte. En Algérie, nous avons établi des relations positives et pragmatiques, ciblées dans la résolution des problèmes dans l’intérêt des migrants et des pays membres, c’est-à-dire le pays d’origine ou de destination. L’Algérie reçoit tous les jours un flux important de migrants irréguliers. Selon les statistiques du gouvernement algérien, qui a la souveraineté sur ses frontières, une moyenne de 500 personnes entrent chaque jour de manière irrégulière sur son territoire. Cela indique que le pays reçoit à lui seul quotidiennement plus de migrants que toute l’Europe. 
L’Algérie, étant soumise à une forte pression migratoire, il est normal que les autorités prennent des mesures pour gérer ces flux. Malheureusement, une des méthodes de gestion est les retours forcés. Cette méthode existe aussi dans un grand nombre de pays. 
Une autre option qui vise à obtenir le même résultat avec beaucoup d’avantages pour les migrants et pour les pays membres, c’est l’assistance au retour volontaire et à la réintégration. 
Elle permet aux migrants de rentrer chez eux en toute dignité, dans de bonnes conditions de sécurité et peuvent bénéficier d’une assistance médicale. Ils ne sont pas juste déposés à la frontière. Ils sont reconduits jusqu’à leur communauté d’origine. L’OIM a intégré dans le retour volontaire une composante de réintégration qui permet aux migrants de recommencer leur vie grâce à un soutien psychosocial et économique. Cette mesure est soutenue par tous les pays membres de l’OIM et pas seulement par l’Etat algérien. Bien entendu, cette opération est déterminée par la volonté du migrant à retourner dans son pays d’origine. 

Avez-vous des statistiques sur les taux d’installation définitive ou de tentative de retour à la migration ? 
C’est une question difficile. Au sein de l’OIM, nous aimons dire que le succès à la réintégration n’est pas le fait que la personne ne souhaite plus migrer, car la migration est un choix individuel qui dépend de plusieurs facteurs comme les ambitions personnelles ou les opportunités qui existent. 
La réintégration est un succès lorsque nous constatons que la personne ne migre plus car elle est désespérée et qu’il ne reste plus d’autres options. 
Lorsque la personne a la possibilité d’évaluer les risques, les opportunités de la migration et qu’elle a le choix de rester chez elle mais elle est préfère migrer. 
Mais ce sont des situations très compliquées à expliquer aux bailleurs de fonds et à l’opinion publique. On ne peut pas mettre des chaînes à la volonté des gens. On peut les mettre dans une situation de choix informé et pas désespéré. 

Le fait qu’un migrant choisisse de faire appel à l’OIM pour retourner chez lui, c’est une reconnaissance de son échec puisque l’objectif premier était d’atteindre le continent européen. Dans une telle situation, comment se déroule le retour au sein des familles ?
C’est toujours un parcours très difficile car, très souvent, ce n’est pas un problème uniquement individuel mais celui de la communauté. Un migrant peut être un espoir pour toute sa communauté car il pourra envoyer de l’argent et devenir un point de contact pour permettre à d’autres de le rejoindre. Le retour est difficile sur les plans social, économique et psychologique. Certaines communautés accueillent mal leurs migrants. Il y a là aussi un travail important à faire auprès des migrants et des communautés. Il faut travailler sur la réintégration communautaire et les causes profondes de la migration. 
Il faut une approche globale de la question de la migration, ce n’est pas une intervention chirurgicale. Le cas de l’Algérie est très intéressant car comparativement à ses voisins, c’est un pays riche. Il est vrai que les migrants rêvent de rejoindre l’Europe mais beaucoup restent ici plusieurs années. Les conditions sont intéressantes en Algérie comparativement aux conditions dont ils disposent chez eux. 
La présence d’un nombre important de migrants irréguliers représente un défi important. C’est une population qui n’est pas enregistrée, pas encadrée, qui parle une autre langue. Mais cette population peut également être une opportunité pour un pays car ils contribuent à l’économie nationale. 
Les migrants sont disposés à faire des travaux que la population du pays refuse de faire pour différentes raisons. En Algérie, le niveau d’éducation est élevé et les jeunes refusent de travailler dans les chantiers ou dans les exploitations agricoles. 

Si la migration est une opportunité économique, l’Algérie aurait tout intérêt à revoir sa législation ? 
C’est un processus difficile car il est politique. C’est aussi un processus culturel. Nous vivons dans un monde, surtout lors des années récentes, où il existe des stéréotypes venus de pays industrialisés. Aux Etats-Unis d’Amérique et dans certains pays d’Europe, on utilise l’expression « invasion des migrants ». C’est une expression qui n’aide pas du tout à comprendre le phénomène. Il n’y a pas d’invasion, il y a des mouvements pacifiques qui, s’ils ne sont pas bien gérés et bien pris en compte, peuvent créer des problèmes. 
Il est possible d’explorer avec une certaine ouverture d’esprit les différentes solutions dont celle de régulariser une partie de la population migratoire et de l’encadrer.  Ce n’est pas surprenant si la chancelière allemande a ouvert les portes aux migrants syriens. Les Syriens étaient un atout pour l’Allemagne car c’étaient des migrants avec un haut niveau d’éducation et qui parlent bien l’anglais. Pour développer une économie, il faut de l’énergie. 

Selon vous, est-ce que la loi de 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie est adaptée à la situation actuelle ? 
Ce n’est pas à nous de dire si une loi est adaptée ou pas. Je peux juste vous dire qu’une loi doit être dynamique et non pas statique. Les situations changent, la société et la migration aussi et donc il est important pour tous les pays de suivre sur le terrain les phénomènes migratoires et de s’adapter pas uniquement aux besoins des migrants mais aussi aux intérêts des différents Etats. Il existe des modèles très différents de gestion de la migration. Certains sont plus efficaces que d’autres. 
Nous pensons que l’Algérie dispose du potentiel pour devenir un pays modèle en Afrique pour la gestion de la migration. C’est un pays riche, développé avec des structures étatiques fortes. L’Algérie est un pays de destination, de transit et d’origine. 
L’OIM est là pour accompagner les autorités en mettant à notre disposition notre savoir-faire et nos expériences. 
Nous avons organisé pour nos collègues du gouvernement plusieurs voyages d’études afin qu’ils puissent voir d’autres expériences. Je pense que nous sommes sur un parcours très intéressant. 

Il y a beaucoup de femmes dans le flux migratoire qui arrivent en Algérie. Durant leur parcours, elles sont victimes de différents types de violence. Comment se déroule leur prise en charge au sein de l’OIM ? 
C’est vraiment un domaine typique où la coopération entre l’OIM et les autorités est cruciale. La lutte contre la traite des personnes est un des axes sur lequel nous travaillons. Lors des grands flux migratoires, il y a toujours des trafiquants. Pour les victimes de la traite, l’Algérie a récemment créé un Comité national pour la prévention et la lutte contre la traite d’êtres humains. L’OIM est membre de ce comité aux côtés d’autres institutions étatiques. 
Il faut également donner une assistance individualisée aux victimes et les accueillir dans des lieux sécurisés. Nous disposons de deux centres dans la capitale, un à Dar-el-Beïda et un à Bab-el-Oued. Ce sont deux hôtels qui ont été réaménagés par la wilaya  d’Alger et que nous sommes chargés de gérer. Les migrantes y reçoivent un soutien psychologique car elles sont victimes de nombreuses violences. Nous engageons ensuite un processus de réintégration qui peut impliquer le retour dans le pays d’origine, si les conditions le permettent, ou bien l’installation dans un autre pays. Récemment, nous avons eu plusieurs migrantes qui avaient le statut de réfugiées en Algérie et que l’OIM a permis d’installer au Canada. 

Il y a un aspect peu connu du travail de l’OIM qui consiste à assister les migrants algériens qui sont à l’étranger. Avez-vous de nombreuses demandes ? 
Les demandes de retour volontaires concernent les Algériens qui sont en Europe, essentiellement en Allemagne et en Grèce. C’est un mécanisme de coopération tripartite entre les Etats concernés et l’OIM. Il est basé sur une approche très individuelle. Notre équipe en Allemagne va prendre attache avec le migrant, va évaluer ses aspirations, ses besoins sur les plans médical, professionnel et économique. 
Nous mettons alors en place un parcours qui va aider le migrant à rentrer chez lui. Ce n’est pas un processus facile car il nécessite beaucoup de suivi. 
Les Etats européens ont compris que c’est un bon investissement car il est moins cher qu’une opération expulsion. Si dans le cas de l’Afrique subsaharienne on parle de milliers de bénéficiaires, pour les Algériens qui ont bénéficié de retour volontaire, on parle de centaines de cas. En 2018, il y a eu 328 bénéficiaires et 497 de janvier à octobre 2019. 

Comment évaluez-vous le rôle de l’OIM dans l’atteinte de l’agenda de développement à l’horizon 2030 ? 
C’est la question clé. Il est important de gérer les urgences et de sauver des vies. Il y a eu de grands cycles historiques dans la migration, notamment aux Etats-Unis, le Brésil ou l’Australie. Il est donc nécessaire d’avoir une vision globale pour chaque pays. Au sein de l’OIM, notre vision est que l’Algérie devienne un pays modèle dans la gestion de la migration avec des flux ordonnés en termes de pays de destination, en faisant en sorte que la population de migrants irréguliers diminue au profit d’une augmentation de la population des migrants intégrés. Il faudra nécessairement que l’Algérie cesse d’être un pays de transit, les autorités en sont conscientes et ont pris différentes mesures pour cela. Mais le transit, c’est le domaine des trafiquants. L’Algérie peut aussi devenir un très bon pays d’origine, capable d’exporter ses compétences et son savoir-faire. Les migrants algériens, en général, jouent un rôle important dans les communautés où ils s’intègrent. /
T. H. 


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