Les États-Unis suffoquent sous la dette

Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2016, l’économie américaine ne cesse de croître. Pour l’année fiscale 2018, une croissance de 3,5 % fut enregistrée, soit 0,5 % au-dessus du taux normal (1). Souhaitant faire durer cette croissance, Donald Trump proposa en 2017 une réforme fiscale majeure pour les entreprises et les particuliers, privant les coffres de l’État de revenus de 1500 milliards (2). 

Alors qu’une croissance économique constitue habituellement l’occasion pour les gouvernements d’enregistrer des surplus budgétaires et de rembourser la dette nationale, un déficit de 1000 milliards est prévu pour l’année fiscale 2019 (3). Les conséquences de ces déficits sur la dette américaine posent un problème politique aux États-Unis, alors que la situation budgétaire inquiète de plus en plus. 

Une dette historique 

La projection budgétaire émise par la Maison-Blanche en octobre 2018 présentait un déficit annuel supplémentaire de 100 milliards, atteignant un total de 1 100 milliards pour 2019 (4). Un seuil déficitaire aussi élevé représente 5 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Exceptionnellement, dans l’histoire contemporaine américaine, il n’est arrivé qu’à deux reprises que le déficit représente 5 % du PIB : lors de la Seconde Guerre mondiale et lors de la récession entre 2009 et 2012 (5). 

Plusieurs phénomènes et décisions politiques peuvent expliquer ces déficits. Tout d’abord, la réforme fiscale qui fut adoptée en 2017 ne pourrait stimuler l’économie qu’au tiers des 1500 milliards que rapportaient les revenus fiscaux perdus (6). 

Ensuite, afin de réduire les déficits et pouvoir rembourser les intérêts de la dette s’élevant à 363 milliards en 2017, les présidents tentent habituellement de réduire les dépenses des programmes sociaux et du budget militaire (7). Toutefois, Trump accorda 40 milliards de plus au budget militaire en 2018, et 20 milliards additionnels en 2019, gonflant celui-ci à 886 milliards (8). 

Finalement, selon le Congressional Budget Office (CBO), un organisme gouvernemental indépendant, la décision de l’administration Trump de remplacer l’Affordable Care Act (ACC) ralentirait le remboursement de la dette (9). En effet, il est estimé que le gouvernement américain investira 207 milliards afin de couvrir les frais médicaux autrefois couverts par l’ACC(10). 

La peur du créancier chinois 

La dette nationale des États-Unis s’élève à près de 21 000 milliards (11). De ce montant, près de 6 300 milliards appartiennent à des gouvernements étrangers (12). Bien que la majeure partie de la dette soit détenue par le gouvernement américain et sa population, le tiers de celle-ci revient à d’autres États (13). C’est le cas de la Chine, à qui une somme de 1 170 milliards est due (14). 

La dette des États-Unis envers la Chine a des conséquences directes sur l’activité commerciale entre les deux pays. La Chinejouit d’un avantage sur les États-Unis, du fait qu’elle détient une grande quantité de liquidités américaines (15). Les conditions de production de biens en Chine mènent le prix de vente de la production à être inférieur au coût de production américain. Ainsi, les Américains sont portés à consommer les produits chinois, accentuant la balance commerciale au profit de la Chine (16). Une interdépendance est donc établie entre les deux pays, alors que la Chine réinvestit son surplus dans le marché américain et achète la dette au gouvernement afin d’assurer le pouvoir d’achat des Américains (17). 

La situation est préoccupante pour les États-Unis, puisqu’à tout moment la Chine pourrait menacer de vendre ses parts, ce qui causerait un ralentissement économique aux États-Unis et y ferait grimper les taux d’intérêt (18). Toutefois, les économistes affirment qu’il serait incohérent que la Chine vende la totalité de la dette qu’elle détient, puisque cela mènerait non seulement à la chute de l’économie américaine, mais aussi à la sienne (19). 

La dette publique des États-Unis appartient en majeure partie au gouvernement ainsi qu’à la population grâce aux bons du trésor, vendus à la bourse par le Département du trésor. L’indice de revenu par rapport à l’investissement est établi par le gouvernementaméricain en fonction de l’offre et la demande (20). En octobre 2018, le rendement des bons du trésor avait atteint un sommet de 3,25 %, alors qu’il atteignait à peine 1,5 % à la même date en 2017 (21). Ces rendements pourraient motiver la population américaine à investir davantage dans ces portefeuilles sans risques et ainsi faciliter le remboursement de la dette. 

Toutefois, depuis les années 1990, les bons du trésor représentent une occasion pour les pays étrangers d’investir sans risques et de s’approprier la dette d’autres États (22). Depuis la crise économique, les bons du trésor ne présentent plus la solution sans risques d’un gouvernement de pouvoir emprunter à soi-même afin d’espérer rembourser sa dette comme le voudraient les isolationnistes au sein de la population et de l’administration Trump (23). Miser seulement sur une vision nationale du remboursement de la dette aurait potentiellement pour effet de provoquer une récession hâtive. 

Chacun son bouc-émissaire 

Le déficit américain s’explique en majeure partie par les dépenses qu’occasionnent les politiques sociales ainsi que l’entretien des forces armées. En réaction à la vision d’un budget équilibré et d’un assainissement des finances publiques se tiennent deux discours : un discours libéral, défendu par les positions démocrates, et un discours plutôt conservateur, présent chez les républicains. 

Du côté des conservateurs, on défend toujours l’approche selon laquelle la réforme fiscale favoriserait les investissements et rembourserait éventuellement le déficit (24). Le secrétaire d’État au trésor Steven Mnuchin affirme que le déficit s’explique par l’opposition du Parti démocrate aux coupures en santé et en éducation, qui représentent 50 % des dépenses gouvernementales (25). Cependant, bien que les conservateurs prônent un équilibre fiscal, ce sont les républicains qui enregistrent depuis les années 1980 le plus de déficits (26). 

Le 8 août 2018, le CBO publiait une analyse à long terme de la situation fiscale et économique américaine selon un scénario dans lequel les politiques actuelles étaient appliquées pour les trente prochaines années. Selon ses observations, la gestion économique telle qu’appliquée par Trump aurait pour conséquence une croissance exponentielle de la dette américaine (27). Selon la tendance actuelle, la dette serait équivalente à 148 % du PIB en 2038 et le déficit représenterait 10,5 % du PIB (28). 

L’urgence d’agir sur le ralentissement des dépenses se fait sentir, alors qu’en juin 2018 le gouvernement dépensa 522 milliards afin de rembourser les intérêts de la dette (29). Ce montant, qui représente plus que les budgets de l’aide médicale, du département du logement ainsi que de l’aide alimentaire, ne fera qu’augmenter proportionnellement par rapport au montant total de la dette (30). 

L’élection d’une majorité démocrate à la Chambre des représentants du Congrès représente maintenant un ralentissement aux politiques budgétaires de Trump, notamment pour les dépenses militaires. Détenant le pouvoir de la bourse ainsi que l’approbation du budget, le Congrès, désormais partagé entre un Sénat républicain et une chambre démocrate, pourra revoir les dépenses du gouvernementfédéral afin de minimiser les déficits et favoriser le réinvestissement dans les services sociaux aux dépens d’une part du budget de la défense. 

Charles-Édouard Têtu 
20 novembre 2018

Références: 

(1)Amadeo, Kimberly, «Trump and the national debt», The Balance, le 23 octobre 2018, Url: https://www.thebalance.com/trump-plans-to-reduce-n… , consulté le 17 novembre 2018 

(2) Couronne, Ivan, «Trump proche d’un succès majeur sur la baisse des impôts», Le Devoir, le 20 décembre 2017, Url : https://www.ledevoir.com/economie/515819/trump-ree… , consulté le 17 novembre 2018 

(3) Timiraos, Nick, «U.S deficit now projetcted to top 1 trillion starting next year», The Wall Street journal, le 18 juillet 2018, Url: https://www.wsj.com/articles/deficit-projected-to-… , consulté le 17 novembre 2018 

(4) Ibid. 

(5) Ibid. 

(6) Leparmentier, Arnaud, «Les gagnants et les perdants de la réforme fiscale de Donald Trump», Le Monde, le 20 décembre 2017, Url : https://www.lemonde.fr/economie/article/2017/12/20… consulté le 17 novembre 2018 

(7) Ibid. 

(8) Ibid. 

(9) Arnold, Helen D. «The affordable care act and international recruitment and migration of nursing professionals», Indian journal of global legal studies, vol 20 n 2 , 2013, Url: https://www-jstor-org.ezproxy.usherbrooke.ca/stabl… consulté le 17 novembre 2017 

(10) Ibid. 

(11) Amadeo, Kimberly, «Who owns the National debt», The Balance, le 7 novembre 2018, Url: https://www.thebalance.com/who-owns-the-u-s-nation… consulté le 17 novembre 2018 

(12) Amadeo, Kimberly, «US debt to China, how much it is, reasons why and what if China sells», The Balance, le 1er novembre 2018, Url: https://www.thebalance.com/u-s-debt-to-china-how-m… consulté le 17 novembre 2018 

(13) Ibid. 

(14) Ibid. 

(15)Paik, Peter Y, et Merry Weisener-Hanks, «China and the United-States: The bonds of debt», Debt, Indiana University Press, 2013, Url: https://www-jstor-org.ezproxy.usherbrooke.ca/stabl… consulté le 17 novembre 2018 

(16) Ibid. 

(17) Ibid. 

(18) Amadeo, Kimberly, «US debt to China, how much it is, reasons why and what if China sells» Op. Cit. 

(19) Ibid. 

(20) Franck, Thomas, «US 10 year yield jumps to a fresh 7 year high after unemployment rate falls to lowest in 49 years», CNBC, le 5 octobre 2018, Url: https://www.cnbc.com/2018/10/05/us-bonds-and-fixed… consulté le 17 novembre 2018 

(21) The Economist, «How to interpret America’s experiment with huge budget deficits», The Economist, le 15 février 2018, Url: https://www.economist.com/finance-and-economics/20… consulté le 17 novembre 2018 

(22) Ibid. 

(23) Ibid. 

(24) DePillis, Lydia, «US deficit raises 17 % to the highest level since 2012», CNN, le 16 octobre 2018, Url: https://www.cnn.com/2018/10/15/economy/us-budget-d… consulté le 17 novembre 2018 

(25) Ibid. 

(26) Timiraos, Nick, Op. Cit. 

(27) Committee for a responsible federal Budget, «CBO shows that policymakers could make the long-term outlook much worse», Budget and projections, le 8 août 2018, Url: http://www.crfb.org/blogs/cbo-shows-policymakers-c… , consulté le 17 novembre 2018 

(28) Ibid. 

(29) Ibid. 

(30) Ibid. 

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