LIVRES / LA FOI (EN DIEU) ET LES FOUS (DE POUVOIR)

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Livres 

Les derniers jours de Muhammad. Enquête sur la mort mystérieuse du Prophète. Essai de Hela Ouardi. Koukou éditions, Cheraga/Alger 2018, 1 200 dinars, 361 pages 

Voilà donc un ouvrage qui «reconstitue» les derniers jours du Prophète Muhammad (Qssl) «en se fondant entièrement sur le Coran et sur les sources de la tradition musulmane, aussi bien sunnites que shiites, qui contiennent une masse prodigieuse de relations et d’informations relatives à l’agonie du Prophète et à sa mort». Confrontation, donc, des différents récits rapportés dans les livres de collection des hadiths, les Sîra (biographies) les plus anciennes ainsi que les exégèses du Coran, les nombreuses chroniques et ouvrages consacrés aux Compagnons. 

Médine, lundi 8 juin 632 (13ème jour du mois de rabi’ 1er de l’an 11 de l’hégire… une datation floue). Le prophète Muhammad (Qssl), déjà otage de son lit depuis un moment, se meurt, terrassé par une «étrange maladie» (empoisonnement progressif ? pleurésie ? intoxication alimentaire ? remède-poison ?), implorant Dieu de l’appeler auprès de Lui. Il était encore jeune, portant bien et beau et en bonne santé… 

Alentour, partout, la tension est palpable. A la fin de la journée, le prophète quitte ce monde, la tête posée sur le giron de Aisha. Mais il ne sera enterré que… mercredi soir. Durant plus de deux jours, le temps des hommes (celui des Compagnons, des épouses et des habitants… attendant la «fin du monde» ) a «suspendu son vol». Pourquoi ? De nombreuses interrogations : Intrigues politiques ? Course au califat ? Absence de testament (en a-t-il été empêché trois jours avant son décès ?) ? Et, de quoi est-il mort au juste, n’ayant subi aucune auscultation médicale ? 

Ce sont là les quelques interrogations auxquelles l’auteure tente non de répondre de manière tranchée et claire, mais de présenter quelques lumières et ce grâce à une reconstitution chronologique inédite qui, loin des mémoires idéologisées, dresse le portrait d’un homme «rendu à son historicité et à sa dimension tragique». 

L’ouvrage commence avec «Tabûk, la dernière expédition» (contre les «Rûm», les Byzantins, à six cents kilomètres de Médine, au nord-ouest de l’Arabie)… la dernière, le plus onéreuse (car la plus grande jamais réunie avec des dizaines de milliers d’hommes et dix mille chevaux) et la plus pénible (l’armée byzantine, alors une des plus puissantes du monde, comptait deux cent cinquante mille hommes)… mais aussi celle qui verra une tentative d’assassinat, dont le souvenir a été consigné dans la Tradition sous le terme de «conjuration d’al-‘Aqaba». 

L’ouvrage se termine par «Les obsèques de Muhammad» : Selon l’auteure, «aucun livre de la Tradition ne précise combien de temps on a attendu avant d’enterrer le Prophète : deux, trois ou quatre jours. Pourtant, il y a un consensus sur le jour du décès qui a lieu un lundi…»… et par un après Muhammad jalonné certes de «califes», de conquêtes et d’expansion incroyables à travers le temps et l’espace mais, hélas, aussi, de conflits internes (dont le conflit sunnite-chiite), sanglants pour la plupart («la violence étant sacralisée». Lire entretien de l’auteure in «El Watan», mercredi 31 octobre 2018), et conflits qui durent aujourd’hui encore… la religion se mélangeant même, mais surtout au sein des sociétés arabo-musulmanes, à la «sauce ethnique». 

L’Auteure : Universitaire tunisienne. Professeur de littérature et de civilisation françaises, et chercheur associé au Laboratoire d’études sur les monothéismes (LEM) au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique / France). 

Extraits : «Le problème des musulmans n’est-il pas tant que leur prophète est devenu un homme sans ombre, un être déshumanisé, écarté de l’Histoire et de la représentation ? Et si la réforme de l’islam devait être non pas théologique mais esthétique» (p 17), «N’acceptant de se regarder que dans le miroir complaisant de leur propre Tradition, les musulmans croient pouvoir condenser leur histoire, et même leur avenir, dans une illusion d’éternité et d’infaillibilité» (p 18), «Le Prophète est un homme séduisant qui charme ceux qui le côtoient» (p 75), «Afin de dépasser le caractère instable et éparpillé de la bédouinité, la force seule ne suffisait pas, il fallait un «levier moral», un message mobilisateur. Muhammad, l’inspiré, l’a trouvé : c’est l’islam» (p 76), «Tout au long de sa vie (notamment dans la phase médinoise), Abûl Qâcim est au centre d’un véritable tourbillon de passions , de jalousies, d’ambitions et d’épiques scènes de ménage» (p 95), «Une remarque s’impose… sur le supposé illétrisme de Muhammad. Le fait que le Prophète parle d’outils d’écriture (les ossements et l’encrier) prouve qu’il a l’habitude de tout consigner par écrit (…). Il est curieux qu’aucun document et d’un homme croyant visiblement dans le pouvoir de l’écriture et de la trace n’ait survécu» (p 145), «La Tradition islamique est comme en apesanteur, suspendue dans le vide (…).C’est de cet équilibre instable qu’elle tire sa force et aussi son «insoutenable légèreté» (p 146), « S’appropriant le message initial de leur Prophète, certains musulmans, dans un élan destructeur, tentent aujourd’hui, de précipiter le monde dans l’apocalypse…» (p 204), «Dotés d’hypothétiques lieux de mémoire, les musulmans ne se reconnaissent finalement que dans les lieux de culte» (p 220). 

Avis : Sujet délicat et défi intellectuel que cet ouvrage académique mais pas que … Car, c’est une véritable recherche qui a réussi (me semble-t-il, mais les spécialistes seront plus précis… ou moins compréhensifs) à réunir les morceaux d’un puzzle pour donner une forme narrative suivie à des récits «éclatés» et à des versions «divergentes» relevées chez les traditionnistes. Se lit facilement …comme un roman historique «osé et croustillant» qui rend plus humains (donc plus proches) tous les protagonistes. Annexes très fournies et instructives : Les révélations des sources non musulmanes / Les sources musulmanes / Les principaux protagonistes (bio-express) / Les sources arabes / Les Auteurs cités par ordre chronologique / Les notes (nombreuses et riches en informations complémentaires) selon le chapitre. A noter que cet ouvrage est en vente libre… seulement au Liban, en Tunisie et en Algérie… et qu’une «tentative» de saisie a eu lieu lors du dernier Sila. Elle a heureusement échoué. 

Citations : «La religion est souvent le paravent d’ambitions humaines» (p 17), «Toute quête scientifique tend vers un horizon de vérité qui recule au fur et à mesure que le chercheur avance» (p 21), «Jusque dans l’agonie du Prophète, on voit l’islam s’affirmer comme une religion ethnique, à tel point qu’aujourd’hui encore arabité et islam semblent fondus dans une unité indissociable» (p 141), «La mosquée est le lieu du pouvoir, la fonction liturgique est confondue avec la fonction politique et donc l’identification de la question de l’imamat et du califat fait que l’imam est le calife. Les conséquences de cette superposition originelle du politique et du religieux se font sentir jusqu’à nos jours dans le monde musulman» (p 162), «A la religion de la fin des temps, Abû Bakr et ‘Umar ont aussi donné un avenir» (p 225), «Celui-ci (le Califat) nourrit encore l’imaginaire collectif musulman qui le conçoit comme une institution politique infaillible; on pourrait même affirmer que l’attachement des musulmans au califat encore de nos jours s’explique par le fait que la création de ce régime coïncide avec la naissance véritable de l’islam, du moins avec son entrée dans l’Histoire «(p 233). 

Irhabistan. Roman de Azzedine Mihoubi (traduit de l’arabe par Ali Tahir).Casbah Editions, Alger 2018, 800 dinars, 286 pages 

Un thème (d) étonnant mais d’actualité. Un thème, avec ses démonstrations extérieures, que le monde actuel, et ceci depuis un peu plus d’un siècle, vit et subit : les guerres, les violences, les révolutions, les dictatures, les massacres, les grands trafics d’armes et de drogue, les mafias, le racisme, le terrorisme et le contre-terrorisme, les intolérances… Une liste bien longue aux sujets (d)écrits maintes et maintes fois par les victimes (surtout) comme par les coupables (lorsqu’ils échappent à la fureur des peuples… et décèdent naturellement et tranquillement (c’est rare) dans leur lit) ainsi que par les observateurs sociétaux que sont les journalistes, les analystes, les intellectuels et les philosophes… Et, ça continue de plus belle ! 

L’auteur a, donc, face à tous ces échecs, voulu certainement apporter sa pierre à l’édifice réflexif en inventant une cité «idéale» (sic !) :Une île, «Irhabis», perdue quelque part dans l’océan Atlantique du côté des Amériques , regroupant quasiment tous les plus grands et les plus terribles «destructeurs de l’humanité » (je n’ai pas trouvé le terme idoine, celui qui pourrait contenter tout le monde) que la terre ait jamais connus. Des bourreaux, des tyrans et des terroristes pour certains, des héros et des révolutionnaires pour d’autres parmi les plus célèbres de l'(in- ?) humanité… vivant dans une «banlieue oubliée», un «Irhabistan»… De tous les horizons, de tous les temps, de toutes les idéologies, de toutes les races, de toutes les couleurs et de toutes les confessions. On y retrouve donc, copains-coquins, Hitler, Staline, Pol Pot, Pinochet, Saddam, Franco, Mussolini, Ulrike Meinhoff, Al Capone, des kamikaze, des terroristes de toutes obédiences, le Che (et son assassin Mario Tiran), Chamil Bassaiev, Batista, Idi Amine, Kadhafi, Ceausescu, Salazar, Batista, Oncle K, Ben Laden, Pablo Escobar, Abou Qatada, Bob Denard, les mercenaires, les Khmers rouges, Bokassa, Zawahiri, Imelda Marcos, Goebbels (qui dirige le journal de l’île… et dont la devise est : «lire une fois et croire mille fois»)… Manquent les Bush, Bigeard, Massu et leurs paras. Ouf ! aucun gouvernant algérien… sauf les gens ayant fait partie du Gia. La fête nationale : le 11 septembre. L’étendard : une pièce d’étoffe noire frappée de deux roses rouge et d’une épée blanche (à noter qu’il n’y a pas de vert, ni de croissant , ni d’étoile !). Unité monétaire : le Douchka. L’hymne : «Le crépuscule des dieux» de Wagner, l’air favori d’Hitler. Il y a , bien sûr, une Constitution. Globalement, tout ce qui était interdit ou inaccepté ici-bas est permis là-bas, chacun dans sa spécialité et sans interférer dans les affaires des autres. Dans la cohabitation pacifique la plus totale… Sans rancune…Tout cela avec une devise : «La force, jamais». Une vie en concorde, et la tolérance dans le respect mutuel, nul ne pouvant imposer quoi que ce soit à l’autre par la force. Et, pas de prison car «les prisons sont les armes des faibles». 

Bien sûr, l’île, bien qu’isolée et éloignée, est assez demandée par les touristes… comme si les «damnés» d’hier ont cette tendance maso qui leur fait «admirer» leurs bourreaux. Cette fois-ci, c’est toute une délégation de journalistes venant de plusieurs pays (dont un Algérien spécialisé dans la biographie de personnalités politiques) qui débarque … et, de visite en visite, de question en réponse lors des entretiens, c’est tout (ou presque tout) le côté obscur, sombre, tragique, douloureux de l’histoire «moderne» de l’homme qui est dévoilé. 

Rêve, fiction et faits réels (vécus par tout ou partie de l’humanité) se mêlent pour saisir le passé lointain ou récent, surtout celui amer et tragique. Cependant, on reste toujours sur sa faim… ne sachant pas où finit l’action révolutionnaire (ou démocratique) et où commence le terrorisme (ou la dictature)… L’auteur lui-même n’arrivant pas à se départager …Le poids encore pesant du «tiers-mondisme» et du«révolutionnarisme» ! 

L’Auteur : Né en 1959 à Ain Khadra, du côté de M‘sila. Diplômé de l’Ena… Journaliste (amoureux de football) , écrivain, poète, dramaturge… un certain moment directeur de l’Information à l’ENTV du temps de HHC, député (Rnd), secrétaire d’Etat à la Communication, directeur de la Bn, président du Haut Conseil de la langue arabe… actuellement ministre de la Culture (depuis 2015). Son roman «Confessions d’Assekrem» (Un roman-fleuve de 545 pages, associant réalité et fiction… Tamanrasset durant les années 2030-2040… alors traduit de l’arabe par Mehenna Hamadouche, paru en 2010 chez Casbah éditions, avait été présenté in «Mediatic» du 7 septembre 2012 

Extraits : «Si vous pensez aux 3 034 victimes des tours jumelles du World Trade Center de New York, vous n’avez qu’à comparer le nombre des victimes de l’Amérique à travers le monde ; s’agirait-il de mouches pulvérisées par insecticide ou par les bombardiers B 52 ?» (p 42), «Quant tu réfléchis seul à l’intérieur d’un bunker souterrain, tu n’entendras que toi-même, mais si tu réfléchis en présence d’autres sons, soit tu tires ton révolver et fais taire toutes les voix, soit tu laisses ces sonorités te traverser l’esprit et tu serais alors hanté par le dictateur, le terroriste, le tueur professionnel, le révolutionnaire imprenable, le conspirateur contre l’Etat et le trafiquant d’armes et de drogue» (p 193). 

Avis : Etrange sujet, étrange livre… Beaucoup de patience pour le lire… et, surtout, comprendre sa philosophie. Mais n’oubliez pas que l’auteur est (aussi et peut-être, surtout) un poète… à la vaste culture. 

Citations : «Chaque peuple a une mémoire sanglante» (p 50), «Lorsqu’Eve demanda à Adam de manger du fruit interdit… c’était le premier acte de suicide, parce qu’ils ont été chassés du Paradis» (p 51). «Lorsque nous affrontons la mort, nous sommes des héros mais si nous l’évitons nous resterons de simples politiciens et combien ils sont nombreux les politiciens qui ne veulent pas être des héros sur leurs sièges cossus» (p 118), «Celui qui joue au ballon ne peut pas se mesurer à celui qui s’emploie à changer le globe terrestre» (p 127)». L’Histoire n’est pas une voiture que l’on pousse vers l’arrière» (p 129), «Lorsque nous gouvernons, nous commençons en anges et nous finissons en diables, nous promettons aux gens le Paradis et ils finissent en Enfer…» (p 180) 

P.S.-

1- Béatification des 19 religieux catholiques, samedi 8 décembre 2018 à Oran. 15 Français, deux Espagnoles, un Belge et une Maltaise, tous assassinés par les terroristes islamistes, entre 1994 et 1996, durant la décennie rouge. La presse étrangère a cependant omis un détail, pour nous d’importance : Mgr Pierre Claverie était, aussi, de nationalité algérienne. 

2- Pour la dixième année consécutive, le site www.almanach-dz.com/société/personnalités présente sa liste des personnalités les plus influentes pour 2018 (Top 15) : 1. MOHAMED AISSA (Ministre des Affaires religieuses) ), 2. IDIR (Chanteur), 3/ BENTOUNES KHALED (Fondateur et président d’honneur de l’Association internationale soufie alawiyya), 4. NOURIA BENGHEBRIT (Ministre de l’Education nationale). 5. KAMEL DAOUD (Journaliste et écrivain). 

6. HADDAD MOUNIRA (Présidente de l’Association des femmes algériennes pour le développement (Afad). 7. LAKHDAR BELLOUMI (ancien international de football). 8. AZIRI MOHAND (Journaliste, El Watan). 9. ZAOUI AMINE (Ecrivain) , 10-11. ABDOU SEMMAR et MEROUANE BOUDIAB (Journalistes), 12. OUAZZANI TAHAR CHERIF (Ancien international de football et entraîneur) 13. HAMITOUCHE MOUNA (Elue municipale en Grande-Bretagne pour la 4ème fois consécutive). 14. MELIKCHI NOUREDDINE (physicien atomique émérite à l’agence spatiale Nasa), 15/ BOUHADJA SAID (homme politique et ancien président de l’Apn). 

3- Macron décide d’ajouter 100 euros au Smig français, Pedro Sanchez (Espagne) décide d’augmenter le salaire minimum de 22%… et Ould Kaddour annonce une future révision en hausse des salaires à Sonatrach (les cadres ? les techniciens ? tous…), après avoir distribué des matériels médicaux au Sud du pays et du «bon et bel argent » aux clubs de… foot. Attention à la «l’effet papillon ». La «générosité» politique habituelle, c’est quand les «masses» bougent. Chez nous, c’est quand elles risquent de «bouger». 

4-Les sociologues suivent avec attention les «marches» de solidarité (en Algérie), tout particulièrement celles qui soutiennent les (grands) groupes économiques. Soutien aux créateurs d’emploi et de richesse (l’Etat ne l’étant – presque – plus) ? Un nouveau genre ! Une première ! Qui rendent d’un autre monde, sinon ridicules (?), les contestations intra-Ugta dont celle contre Sidi Said… et menées par un… ancien député et un sénateur… les deux anciens (?) syndicalistes. 


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