LIVRES / LE HASARD (!) OU LA NÉCESSITÉ (?)

Livres 

Balak. Roman de Chawki Amari. Editions Barzakh, Alger 2018, 1 000 dinars, 173 pages. 

L’histoire est toute simple. Deux jeunes, un garçon, Balak (rédacteur de modes d’emploi de produits importés… et «voleur utile» ), et une fille, Lydia (diplômée en Sciences politiques, mais au chômage), se rencontrent… par hasard, dans un bus de la ville d’Alger. Une toute petite «bavette» est taillée… Ils se quittent… et ils se re- rencontrent… encore une fois, par hasard. Comme par hasard ! Il faut saisir sa chance ! C’est alors le début d’un long voyage à travers des discussions philosophiques sans fin… sur le hasard et la chance. 

En fait, Balak fait partie d’une… secte…que les fonctionnaires de la direction des Sectes au ministère de l’Intérieur pourchasse. C’est la secte des Zahiroune. Une de plus ? Car il y en a tellement, chacune classée en fonction de son «degré de nuisance». Les Ghadiboune, les Zemiattis, les Aguris, les Chechnaqis, les Tabi’is mouchrikoune, les Ammoniens, Les Wahhabites, Les Qurâniyyoun, les Qadiyâniyya ou Ahmadiyya, les Bahâiyya… et bien sûr, les Zahiroune (une secte nouvellement apparue et qui compterait des ministres, quelques généraux, des cadres, des écrivains, des journalistes et même des footballeurs… Que veulent-ils ? Probablement changer le système ou influer sur la destinée nationale). Les Zahiroune croient, eux, en la suprématie du hasard (à ne pas confondre, nous explique l’auteur, avec les Zahirites, l’une des cinq écoles de jurisprudence sunnite originelles dont il ne reste que quatre actuellement, Malékites, Chaféites, Hanbalites et Hanafites, les madahib officiels). On s’y perd. 

Dangereuse ? la secte des Zahiroune (qui pensent que ce n’est pas Dieu qui utilise le hasard pour gouverner mais le contraire, le hasard, Dieu suprême, qui utilise la notion de Dieu pour embrouiller les esprits des idiots qui pensent que la chance est un phénomène imprévisible et impossible à mettre en équation). 

Ça discute ferme entre les deux. Des digressions pas fastidieuses du tout et qui nous enchantent : bien sûr, sur le hasard et la chance, sur le déterminisme, l’aléatoire, les sectes, le doute, l’Islam, le libre arbitre, la raison, Dieu, le jeu d’échecs… mais aussi sur la manière d’échapper à une filature (opérée par les fins «Suiveurs» de la direction des Sectes), à une écoute téléphonique… 

Conquérir – en public – le cœur d’une jolie et jeune femme, rencontrée par hasard… et par chance, n’est pas chose aisée. Balak y réussira. Il est vrai qu’un grand coup de pouce avait été donné au départ dans le cadre d’une opération d’«infiltration» du camp adverse (l’Administration), la «victime» (en fait, fille du directeur des Sectes au ministère) ayant été choisie par le Grand Zahir… Mais, avec ses amis de la secte, les Zahiroune, il échouera : la révolution attendue le jour J, calculée (!?) à la seconde près n’aura pas lieu. Seulement un groupe «tournant en rond» et aucun «événement déterministe de la théorie du chaos» n’est venu s’emboîter dans ce mouvement «pour créer quelque chose de supérieur»… 

Morale de l’histoire : une révolution n’est pas le fruit du hasard ou de la chance mais bel et bien d’une intelligence et d’une volonté se basant sur des conditions objectives. 

Heureusement, tout est bien qui finit bien… pour les deux tourtereaux. Quelle chance ! Ils se marieront (donc s’ «emboîteront») et attendent un enfant (donc «créer quelque chose de supérieur»)… dont ils ne veulent pas savoir le sexe. Le hasard et le désordre, ce maître de l’ordre, toujours dans la tête ! D’ailleurs, pour savoir qui doit faire la vaisselle du jour, cela va se jouer… aux «dés», en attendant l’acquisition d’un… lave-vaisselle. 

L’Auteur : Géologue de formation, il est journaliste – chroniqueur (dans la presse quotidienne nationale) mais il a été (est ?) aussi caricaturiste (il a même connu, le premier je crois, la prison en raison d’une caricature jugée «politiquement incorrecte» publiée dans le quotidien «La Tribune», aujourd’hui disparu. Il avait été emprisonné à Serkadji tout un mois puis condamné à 3 ans de prison avec sursis en 1996), journaliste – reporter,…et même, à l’occasion, acteur. Auteur talentueux et impertinent (comme la plupart des écrivains de la «nouvelle génération», celle qui avait 20 ans en 88 – 90 – Benfodil, K. Daoud, D.e Merdaci, Lakhous, Toumi, K. Adimi, N. Bouraoui, Bachi, Mefti … – de plusieurs ouvrages dont «L’Âne mort» (présenté in Mediatic, jeudi 25 décembre 2014…). 

Extraits : «Dans les villes modernes, la chance prend beaucoup de place car la forte densité d’éléments et de gens multiplie les interactions» (p 23), «Vu l’actualité, l’islam est perçu, à tort, comme un dogme en béton, armé évidemment, solide et indivisible, alors qu’il a, de tous temps, abrité d’innombrables sectes et lectures plus ou moins étouffées par l’autorité politique dans ce qui n’est qu’une guerre de pouvoir afin d’imposer une orthodoxie plutôt qu’une autre» (p 69), «Les voies du Seigneur sont impénétrables, disent les Chrétiens. Les voies du hasard le sont bien plus, ce qui signifierait que c’est lui le vrai Dieu, l’autre étant une adaptation anthropomorphique d’un être incompréhensible» (p 72). «Dans la capitale du doute, on affirme qu’il y a une astuce simple, s’appeler soi-même ; si ça sonne occupé, tout va bien, mais si ça sonne en continu comme si on appelait quelqu’un qui ne répond pas, c’est qu’on est enregistré, donc sur écoute» (p 94). 

Avis : Un livre difficile à lire si on ne se concentre pas et si on ne connaît pas le style d’expression de l’auteur… à nul autre pareil. De la philo de qualité avec ses interrogations et ses tentatives de réponse. Malheureusement, l’auteur a un défaut (?) : il adore jongler avec les mots et les phrases. Sera-t-il compris ? 

Citations : «Le loup ne mange pas le malchanceux, il mange le plus faible» (p 23), «L’évolution est le hasard, mais le hasard est intelligent et l’intelligence est évolutive, liée au hasard» (p 80), «Dans le monde de la grande délinquance, les casses les plus réussis sont les casses scientifiques «(p 81) , «Une révolution a pour but de redéfinir l’ordre pour instaurer un désordre, lui-même ordre relatif par rapport au désordre suivant vers lequel il converge sans cesse. L’ordre combat le désordre pour instaurer son propre désordre» (p 85), «Le shopping (…), un genre de sport en même temps qu’une thérapie à la névrose, défouloir onéreux qui calme une partie de l’instabilité chronique des Algéroises» ( 91). «Le mouvement est le contraire de l’ordre, un état stable est un état qui ne bouge pas, où chacun de ses atomes est figé» (p 138»). Les femmes pardonnent généralement plus vite que les hommes parce que, tout simplement, elles sont inscrites dans le futur, plus que les hommes, installés dans le présent avec la nostalgie du passé» (p 159) «Dieu créa les hommes. Aux uns, il offrit le don. Aux autres, il donna l’intelligence. Pour le reste, il inventa la chance» (p 162). 

L’autocrate. Roman de Djamel Eddine Merdaci. Editions Frantz Fanon, Tizi-Ouzou 2018, 600 dinars, 173 pages. 

Cette fois-ci, le cadet des Merdaci est allé encore plus loin. Il marie le polar au politique. Avec une histoire qui nous emmène loin, très loin dans l’espace et le temps. En URSS… durant la fin de vie de Rossif Vissarionovitch Djougachvili dit Joseph Staline (traduisez «L’homme de fer»), le maître certes contesté (en silence et dans la peur) mais incontestable du pays, de ses habitants, de leurs biens (ce qui leur en restait) et de leur vie. Le «Père des peuples» ! Le «cadeau de la Providence » que nul, dans toute l’Urss, n’aurait l’audace de trouver à redire. 

Cadre de l’intrigue : le Kremlin… et une grande chambre désaffectée «qui sonnait creux», une chambre au mobilier rare… une chambre aussi vaste que tout un hangar. 

Et, un homme qui broyait du noir, ayant perdu de sa superbe en vieillissant et se refusant à l’admettre… et voyant des «ennemis» partout. Le plus dangereux, Lavrenti Pavlovitch, l’Abkhaze, dit Beria dit Œil de lynx dit Le Butor ? Car, son protégé, son chien de chasse et de garde a la haute main sur la police politique… Beria ? Un autre «Himmler», «espion, tortionnaire, bourreau, assassin, tueur désincarné et de sang-froid, créature des ténèbres, le diable en personne, Belial, Satan, Belzébuth…» Il y aussi tous les autres «ennemis», même les deux petites souris venues d’on ne sait où (un coup de Beria, sans nul doute ! Ou, une simple farce de vieillard, mais bien dangereuse pour les chargés de la sécurité ?), dans sa chambre, réveiller ses peurs d’enfant ayant grandi dans un presque taudis. 

Autre grand problème. On venait de lui subtiliser, de son propre bureau, sa pipe (offerte par Churchill en 1945 à Yalta) et son stylo (offert par Roosevelt). Du moins l’affirmait-il ! Le coupable est à trouver et Beria doit s’en charger… Un piège ? Car, en fait, la pipe est vite retrouvée par l’autocrate devenu sénile et le stylo, pris par inadvertance (?) par…. Krouchtchev, est lui aussi de retour. Entre-temps, les choses politiques s’accélèrent… Staline meurt subitement (alors qu’on (et il se croyait) le croyait éternel) après avoir tiré son ultime baroud d’honneur… avec un repas fastueux. Des perdants (Beria en tête, lui qui se voyait déjà comme successeur à la tête de l’Urss, oubliant qu’il n’était qu’un homme de l’ombre et des abysses et qui, s’il s’avisait de sortir au grand jour, se brûlerait les ailes…) et des gagnants (Krouchtchev… et les apparatchiks serviles, fidèles de tous les tyrans qui, après avoir adoré le Père des peuples, vont très vite aduler l’homme de Koursk dit «le Forgeron», un homme qui connaissait un bout sur les arcanes de la politique)… Mais que de dégâts et que de crimes commis… pour conquérir et garder le pouvoir. 

L’Auteur : Journaliste, critique de cinéma à la longue expérience (parmi les plus éclairés) ayant participé à la plupart des grands festivals à travers le monde.. .il est, aussi, scénariste et auteur de films. Déjà auteur de plusieurs romans : «L’impasse du Maltais», son premier-né, un polar brut de brut (présenté in Mediatic du 18 octobre) et «L’Allée des Dames» (présenté in Mediatic le 6 mars 2014). 

Extraits : «Il (Staline) avait endossé le costume taillé sur mesure du légendaire stratège militaire. Le tout sans avoir tiré lui-même un seul coup de feu. Il avait laissé un tel soin à d’autres que lui» (p 11), «Il était des recoins obscurs de l’âme tourmentée du despote auxquels nul humain ne pouvait aisément accéder : ils étaient verrouillés à double tour» (p 20), «Il avait beau être un despote, il n’avait pas le pouvoir de commander à la longévité (p 46), «Le dictateur n’avait pas eu le moindre souci de la morale… Il n’avait en tête que sa propre réputation. Pour cela, il ne lui importait que très peu de sacrifier un pion. Au contraire, cela lui permettait de jouer au redresseur de torts (p 78). 

Avis : L’Urss est si loin.. .et son histoire si étrangère (les voies de l’écriture sont si impénétrable !)… et pourtant, tout le livre, un bien étrange livre, est plein d’enseignements ! Surtout qu’il est bien écrit : précision des infos et clarté de l’écriture. Que demander de plus à un roman historique sur un pan de l’histoire d’un pays… qui nous a politiquement beaucoup influencés (jusqu’à l’imitation… en politique, en économie, en défense… et en gouvernance). 

Citations : «Le despote ne voulait pas voir une seule tête qui puisse s’élever au-dessus de la sienne, il ne voulait pas non plus entendre une voix qui puisse porter plus haut que la sienne» (p 24), «Ah, la révolution : une fois faite, les révolutionnaires faisaient vite d’oublier leurs promesses. Ils n’avaient en tête que le souci de s’éliminer cordialement. Ou celui de s’enrichir» (p 25). «La première chose que faisaient les nouveaux despotes était de s’installer dans les meubles, dans le lit du roi. Ils adoptaient le mode de vie du souverain» (p 57). «La nomenklatura grouillait de personnages peu recommandables et habiles à nager en eaux troubles» (p 169). 

PS

– Attention, Facebook attaque là où on s’y attendait le moins. Première escale : pour donner plus d’informations locales à ses utilisateurs, il annonce qu’il va proposer un fil d’actualité dans 400 villes américaines. 

Pour donner plus d’informations locales à ses utilisateurs, Facebook (2,27 milliards d’utilisateurs mensuels actifs à fin septembre) va proposer des «fils» (note : ensemble de dépêches). Il espère ainsi inciter ses utilisateurs à passer plus de temps sur la plate-forme, «Today In» (déjà lancé en janvier – cela nous rappelle l’existence d’un quotidien qui avait fait les «Unes» à l’époque, car bouleversant le paysage et la consommation médiatique américains : «Us Today»…) qui regroupe des informations publiées par les sites d’informations locaux, mais aussi par des acteurs institutionnels de l’agglomération concernée, comme les pompiers, la mairie ou la police. Une demande des utilisateurs de Facebook ? Ou, simplement une stratégie de conquête des marchés (qualifiés de «déserts d’information locale ». Une étude publiée en octobre par l’université de Caroline du Nord a montré que la disparition de 20% des journaux depuis 2004 aux Etats-Unis avait contribué à augmenter le nombre de ces déserts d’information locale. Dans ces déserts d’information, le fil est alimenté par des informations institutionnelles, complétées par du contenu émanant de médias couvrant des régions environnantes) qui n’arrive plus à s’arrêter… et qui ne tardera pas à nous toucher. 

Outre les Etats-Unis, le réseau social teste actuellement une version de «Today In» en Australie. A quand l’Afrique du Nord ou le Maghreb. Une rude concurrence pour nos agences de presse nationales, dont l’Aps. 

– Lu quelque part : «Quand Léonard de Vinci est au bord de la falaise, il ne voit pas le vide, il voit soit un pont, soit un homme oiseau. Si Léonard voit des ponts et des hommes oiseaux, cela n’est pas sous l’effet de substances hallucinogènes propres au quattrocento, c’est parce qu’il les a dessinés dans sa tête avec son imagination, ensuite avec un crayon sur du papier. 

Paul Valéry, élève tardif du Vinci, disait de son maître que : «il menait une double vie mentale. Une première vie à prendre conscience des pensées qui voyagent dans l’esprit avec une logique inconnue, et de leur trouver une homogénéité. Une seconde vie à en libérer toutes les combinaisons, légitimes, naturelles, à en exciter leurs flux avec méthode jusqu’à ce que l’idée ou le désir surgisse. Le dormeur éveillé viendra clore ce processus avec un EURÈKA. J’ai trouvé…». 

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