France / Sous la cendre, les braises

Luis Cassado

Un Acte VI que personne n’attendait. Le gouvernement et la presse prononçaient déjà les éloges funèbres de rigueur. Mais les gilets jaunes ont créé la surprise le samedi 22 décembre : ils sont vivants ! Dans toute la France, il y a eu des manifestations , « avec moins de participants », répètent les coryphées, plus pour se rassurer que pour rendre compte de la réalité.  Luis Casado fait le point.

Des New-Yorkais solidaires, 22 décembre 2018

Ainsi, selon le gouvernement, le mouvement des gilets jaunes ne mobilise plus personne. Les journalistes aux pièces, ont annoncé, soulagés, que l’acte V du samedi 15 décembre serait le dernier de la série qui exprimé la colère des citoyens. Jupiter parla, offrit quelques miettes et, battant sa poitrine, promit d’abandonner son arrogance et sa mimique hautaine de dédain vis-à-vis du bas peuple.

Qu’est-ce qui explique l’acte VI du samedi 22 ? Les gilets jaunes considéraient que les piècettes lancées par Macron ne répondaient pas à leurs exigences ou à leurs revendications. « C’est humiliant », disaient-ils. Les manants sont durs de la comprenette. Dix morts dans les manifestations ne les ont pas empêchés de sortir dans la rue, de persévérer, de poursuivre leur croisade solidaire, humaniste et généreuse, dans l’intérêt général.

Gilles Le Gendre, chef du groupe parlementaire macroniste, a expliqué le rejet par les pauvres des mesures proposées : « en les élaborant, le gouvernement et moi-même avons probablement été trop intelligents, trop subtils, trop techniques » (sic). Sa stupidité dépeint l’arrogance de l’élite incrustée au pouvoir.

La revendication politique, comme on l’a déjà dit, est centrée sur le Référendum d’initiative citoyenne (RIC). Cette crise est une crise de la représentation : « Le Parlement ne ressemble pas à ce qu’il est censé représenter », dit un porte-parole du mouvement. « ça fait 40 ans que le peuple frappe à la porte et personne ne veut lui ouvrir. Donc le peuple a décidé de la mettre à bas … »

Il y a des signes étranges. Les entreprises qui produisent des enquêtes dont les résultats plaisent au payeur sont obligées d’indiquer que 75% des Français continuent à sympathiser avec le mouvement. Horreur des horreurs, 50% pensent que Macron devrait démissionner, malgré le fait que le peuple français est aussi ou plus légitime que tout autre. Le référendum semble donc être un outil approprié pour consulter ceux qui en subissent les conséquences sur les politiques à mettre en œuvre.

Un petit malin de journaliste a rétorqué que le référendum de 2005 (où le peuple français avait rejeté à une large majorité la Constitution européenne qui inscrivait le  » libre marché  » dans la charte fondamentale) avait été trahi par Sarkozy et n’avait donc servi à rien. Un gilet jaune lui répond : « C’est pourquoi nous voulons que le RIC inclue la révocation des députés, des sénateurs, des ministres et même du président, lorsqu’ils trahissent le peuple qui les a élus ».

La portée du RIC doit donc s’étendre à la Constitution, aux lois et à la révocation des représentants élus s’ils perdent la confiance des citoyens. A Auteuil-Neuilly-Passy les âmes sensibles des nantis sont agitées, effrayées. Le pouvoir… exercé par le peuple ? Quelle horreur !

Que les citoyens participent activement aux délibérations qui les concernent… est-ce du populisme ? Déjà au Moyen Âge, un principe établi dans le droit romain, connu sous le nom de QOT, était invoqué : « Quod omnes tangit, ab omnibus tractari et approbari debet » (Ce qui touche chacun doit être considéré et approuvé par tous).

L’astuce de créer des « commissions » a été inventée plus tard pour désactiver les dangers immédiats, enterrer les projets importuns, tromper les insouciants et décourager les plus déterminés. Les « commissions », en particulier celles de « haut niveau », sont devenues un outil contre-révolutionnaire efficace. De portée et d’application universelles.

Le « débat national » proposé par Macron, pour calmer les esprits, apparaît comme une ruse. Pour commencer… qui devrait participer aux « débats nationaux » ? Le Premier ministre propose une loterie parmi les citoyens ayant le droit de vote, plus quelques représentants « intermédiaires » comme les maires et les conseillers municipaux. Les conclusions seront-elles contraignantes ? Quelles seront les questions abordées ? La réalité, c’est que personne ne LE sait. Le « débat national » est une gesticulation de noyé.

Ce matin 23, l’élite médiatique réagit avec surprise : le mouvement des gilets jaunes n’est pas mort ! Les conseillers du Palais recommandent à Macron de ne pas sortir dans la rue, d’annuler les visites et les actes publics, « Parce que – lui glissent-ils à l’oreille- sa grandeur est l’incarnation de la détestation de la population ». Hier, Macron a été symboliquement décapité à Nîmes. Où qu’il aille, il entend les cris de « Macron Démission ! », quelque chose d’absolument nouveau dans la Ve République. Il est vrai que Jupiter avait promis d’innover en politique, laissant derrière lui les vieilles pratiques que LUI déteste. Les gilets jaunes lui servent maintenant un apéritif de sa propre récolte.

Une anecdote résume peut-être mieux le sentiment national que des milliers de mots. Un journaliste bien connu raconte l’histoire : « Une mère de famille modeste, comme tous les soirs, regarde le journal télévisé. Quand elle voit des gilets jaunes à l’écran, elle appelle son mari : « Viens, viens… ils parlent de nous ! »

Un commentateur qui conserve une certaine lucidité affirme que le feu n’a pas été maîtrisé. Sous la cendre, les braises couvent. Les vers de Brel me viennent à l’esprit :

On a vu souvent

Rejaillir le feu

D’un ancien volcan

Qu’on croyait trop vieux…

Mauvaise nouvelle pour les privilégiés : ce volcan est toujours en activité…


Merci à Tlaxcala
Source: http://www.politika.cl/2018/12/23/bajo-las-cenizas-las-brasas/
Date de parution de l’article original: 23/12/2018
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=24990

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