Pourquoi une « autre révolution » en Tunisie? Interview avec Mohamed Kerrou autour de son livre


Sociologue, politologue, professeur de sciences politiques, Mohamed Kerrou explore la révolution inachevée de la Tunisie à travers son nouveau livre “L’autre révolution”. Kerrou s’est attelé à travers plusieurs ouvrages à examiner les chamboulement sociétaux du pays, le poids de la religion, l’histoire politique. Son nouveau livre pose un diagnostic de la Tunisie post-révolution et propose une alternative, en l’occurrence, une révolution civique. Il en parle au HuffPost Tunisie. Interview. 

HuffPost Tunisie : Votre livre s’intitule “L’autre révolution”, qu’entendez-vous par là? 

Mohamed Kerrou : La révolution qui a eu lieu est une révolution politique et juridique. Globalement, elle est accomplie même si elle demeure ambiguë: l’ancien régime est encore là et les lois changent sans devenir effectives. 

L’autre révolution, la véritable, est une révolution civique. Elle se décline au niveau des citoyens entre eux et en rapport à l’État. L’impunité, la corruption et autres travers sont en train d’empirer en Tunisie à toutes les échelles, à commencer par le sommet de l’État.

Cette autre révolution pourrait-elle avoir lieu? Êtes vous plutôt pessimiste ou optimiste? 

La question est au-delà du pessimisme ou de l’optimisme. Il faut terminer le processus révolutionnaire pour atteindre le civisme. Pour cela, une prise de conscience de tous est nécessaire. 

Qui peut jouer un rôle dans cette prise de conscience? 

Pour le moment, ce n’est pas le rôle de la classe politique. Les politiciens tiennent les mêmes discours, dans une logique de compétition pour les élections. Ils ne soucient que de leur propre pouvoir. Je prends l’exemple des partis politiques connus par leurs assisses intellectuelles, en partie les partis de gauche. À Al-Massar, la question est aujourd’hui; faut-il soutenir Samir Taieb, ministre au gouvernement de Youssef Chahed. Quant au Front populaire, il n’y a pas de débats publics. Tout tourne autour de polémiques bassement politiques.

L’intellectuel doit cesser d’ambitionner le pouvoir car une fois son objectif atteint, il est un ministre comme les autres. De gauche comme de droite, ils appliquent tous la même politique. 

La société civile doit jouer son rôle mais pas celle qui est empêtrée dans ses contractions, cherchant la visibilité et à se situer politiquement. 

Quel rôle pour les médias? 

Dans les médias, il n’y a pas d’idées qui circulent, ni de véritables débats sereins et constructifs. Quand il n’y a pas de débats au niveau de la classe politique, ni au niveau d’une partie de la société civile, les médias ne sont alors que les relais du vide. Quand les uns cherchent le pouvoir, les médias sont en course pour l’audimat.

Certains parlent de la nécessité d’une révolution sexuelle dans l’islam, qu’en pensez-vous? 

Une révolution civique englobe l’aspect sexuel et religieux, qui sont liés. Le débat ne doit plus se situer au niveau d’une laïcité jacobine, révisée même en France, mais dans le sens d’une sécularisation où tout le monde est libre dans sa pratique spirituelle mais en acceptant les différences des autres dans l’espace public. Quand à la sexualité, elle doit être rationnelle et libre. 

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