Guerre oubliée et crise humanitaire au Yémen

par Carlo Marino

Le Yémen a la forme d’un rectangle et c’est un pays très appauvri, situé à la pointe sud de la péninsule arabique. Il partage toute sa frontière nord avec l’Arabie saoudite et toute sa frontière orientale avec l’Oman. De 1962 à 1990, il y avait deux États yéménites : au nord, la République arabe du Yémen, gouvernée de manière despotique par Ali Abdullah Saleh ; dans la partie méridionale la République populaire démocratique du Yémen, gouvernée par un régime marxiste. Après l’unification, qui a eu lieu en mai 1990, dans le sud du pays, plusieurs citoyens ont participé activement au mouvement pour l’indépendance politique et, encore aujourd’hui, ces mouvements continuent à agir contre le gouvernement central. En 2012, au Yémen, les manifestations suscitées par le prétendu Printemps arabe ont éclatés et le président Saleh a été contraint de quitter le pouvoir au bout de trente ans. Une guerre civile a éclaté entre les rebelles chiites houthis de confession chiite – minorité dans le pays – et les sunnites progouvernementaux.

En 2015, sous l’égide de la coalition arabe, Riyad a lancé une intervention visant à empêcher ce qu’il considérait habituellement comme son arrière-cour de tomber entre les mains de rebelles alliés de l’Iran, ainsi que de devenir une plaque tournante pour les groupes terroristes. L’Arabie saoudite est devenue de plus en plus active dans la mer Rouge et dans la Corne de l’Afrique au cours des dix à quinze dernières années dans le but d’établir une présence économique, politique et militaire. Cette stratégie est également motivée par la guerre au Yémen et par la nécessité de protéger le Bab el-Mandeb. Au Yémen, il existe actuellement une guerre par procuration entre l’Arabie saoudite et l’Iran. L’Arabie saoudite a engagé aussi un programme de fidélisation (argent contre loyauté) auprès des élites locales de l’Afrique de l’Est. C’est depuis 2015 que le conflit au Yémen a pris une dimension régionale avec l’intervention d’une coalition militaire multinationale rassemblée sous le contrôle de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et de certains pays du Golfe, en soutien aux forces gouvernementales contre les rebelles officiellement appelées « Ansar Allah ». Les rebelles contrôlent la capitale San’a et une grande partie du nord du Yémen, tandis que le président Hadi et son gouvernement se sont établis à Aden. La guerre du Yémen est l’une des « guerres oubliées » les plus meurtrières et a vu aussi, pendant des semaines, les rebelles se défendre contre l’offensive de la coalition dirigée par les Saoudiens sur la ville portuaire de Hodeida (Al Hudaydah). Hodeida, une ville situé sur la mer Rouge à l’est du Yémen, abrite un port fondamental d’où arrivent des navires chargés de marchandises et d’aide humanitaire. La ville est devenue une véritable urgence humanitaire, nonobstant les efforts diplomatiques de l’ONU et de la communauté internationale. Les efforts ont été couronnés de succès à Stockholm, avec l’accord de cessez-le-feu sur Hodeida conclu entre les rebelles et le gouvernement au cours des premiers pourparlers de paix promus par l’envoyé spécial des Nations Unies, Martin Griffiths. Les opposants au Yémen sont en réalité l’Iran et l’Arabie saoudite, dans un jeu dangereux de pouvoir régional qui confronte le monde sunnite au monde chiite, avec toutes les conséquences graves pour la région. Située dans une position géographique stratégique pour la région, la République yéménite est orientée vers l’est sur la mer Rouge et au sud sur le golfe d’Aden, ce miroir de mer à partir duquel tous les tankers traversent le golfe Persique.

Plus de trois ans après le début des bombardements et des conflits entre les rebelles houthis et les forces gouvernementales, le champ de bataille du Yémen compte des milliers de morts et une crise humanitaire impliquant principalement des enfants. Selon Save the Children, 22 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire, dont 120 000 enfants menacés de famine. Les Houthis sont zaydites et sont une tendance chiite assez éloignée des autres branches, une secte chiite très spéciale qui représente environ 35% de la population musulmane yéménite : pendant longtemps, zaydites et sunnites ont prié dans la même mosquée et de mariages entre les deux groupes ont été célébrés. En plus de la crise alimentaire et de la guerre, le Yémen vit également dans la situation paradoxale d’être un port de migrants arrivant par la mer de la Corne de l’Afrique dans le but d’atteindre les pays du Golfe. 150 000, selon l’Organisation mondiale pour les migrations : chiffres qui font du Yémen l’un des pays accueillant le plus grand nombre de réfugiés internes et externes. Après l’implication de la coalition multinationale à l’appui du gouvernement, les véritables acteurs de la scène sont désormais reconnaissables. D’une part, le monde chiite, dirigé par la République islamique d’Iran, qui finance et soutient – de manière non officielle – les rebelles houthis ; de l’autre, les Saoudiens qui ont toujours été des mentors de l’univers sunnite. Au milieu de cette catastrophe, il y a des stratégies de pouvoir qui n’ont rien à voir avec la théologie et la doctrine et qui ne concernent que le pouvoir et les zones d’influence. La monarchie saoudienne est entrée en scène pour soutenir le président Hadi non seulement à cause de l’expansion des Houthis chiites, qui sont arrivés à contrôler à peu près la moitié du pays. Riyad a été extrêmement effrayé par la répercussion que l’affaire yéménite aurait pu avoir sur les chiites répartis dans la région. Les Chiites de leur côté considèrent Téhéran comme le seul bouclier pour ceux qui ont toujours été une minorité dans le monde islamique. Il existe une fracture entre chiites et sunnites, capable de déstabiliser aussi le Moyen-Orient tout en laissant percevoir l’Iran et l’Arabie saoudite comme des phares du chiisme et du sunnisme, respectivement. Les Saoudiens considèrent la sécurité comme la principale raison de leur intervention au Yémen : outre la longue frontière qu’ils partagent avec le Yémen, le problème est lié au fait que le renforcement des chiites yéménites pourrait renforcer la minorité chiite qui se trouve dans certains parties de l’Arabie saoudite, ce qui remet périodiquement en cause le pouvoir de la monarchie sunnite. En République islamique d’Iran, le chiisme est la religion d’État. La plus haute position institutionnelle est le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, depuis près de 30 ans. La patrie du sunnisme, le royaume saoudien, abrite dans ses frontières les lieux sacrés de l’islam : La Mecque et Médine, lieu de naissance et de mort du prophète Mahomet. La cohabitation entre sunnites et chiites dans les pays de la région est difficile, les sunnites représentant 85% des musulmans. Cette différence trouve ses racines en 632 après JC, année de la mort du Prophète. Ceux qui sont appelés sunnites ont indiqué comme successeur du Prophète la « Sunna », ou la tradition, les compagnons et les disciples du Prophète. Les futurs chiites, quant à eux, affirmèrent que seulement un des parents de Mahomet pouvait diriger l’islam et désignèrent donc Ali, le cousin et le gendre du Prophète. À Karbala, en Irak, en 680, le fils de Ali, Hussain, fut tué par les sunnites. C’est depuis lors que les chemins entre les deux âmes de l’islam se sont séparés pour toujours, avec les sunnites devenus majoritaires et centralisant le pouvoir politique et religieux entre leurs mains. En attendant le retour du 12e Iman, descendant direct d’Ali, les chiites ont décidé de se laisser guider par les Ayatollahs, guides spirituels formés dans les plus importantes universités coraniques. Au contraire, les sunnites ne comptent pas sur des guides spirituels. Seuls les compagnons du Prophète, ceux qui ont partagé son chemin de vie et écouté ses enseignements peuvent transmettre le vrai message. Au milieu d’une rivalité qui remonte à l’an 632 de notre ère, des intrigues régionales font de Téhéran un défenseur et un idéal pour toutes les minorités chiites opprimées de la région, y compris les minorités chiites du Yémen. En définitive, c’est le commerce du pétrole et des armes, qui concerne également les États-Unis, alliés de l’Arabie saoudite et adversaires de la République islamique d’Iran, à jouer son rôle central.

07 Janvier 2019 / Agoravox

Auteur de l’article
Carlo Marino

Carlo Marino (Caserte, Italie 1961). Il a vécu et travaillé pendant deux ans au Costa Rica (Amérique centrale) et pendant un an au Luxembourg en tant que traducteur pour le Parlement européen. Diplômé en sciences politiques et en langues et littératures étrangères à l’Université de Naple « Federico II » et à l’Université « L’Orientale », il a obtenu un DEA de (…)

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