Décryptage. La démocratie peut-elle réellement naître dans le sillage d’un Coup d’Etat ?

07.01.2019

Peut-on démocratiser un pays et restituer les libertés publiques à la suite d’un Coup d’Etat ? Cette question hante particulièrement aujourd’hui les esprits à la lumière des événements qui sont en train de se dérouler en ce moment au Gabon. Dans ce pays du continent africain, une poignée de militaires a tenté de prendre le pouvoir au nom « de la dignité » en l’absence d’un Président de la République, malade depuis deux mois et demi et où le gouvernement n’assure plus que les affaires courantes. 

Mais un Coup d’Etat est-il vraiment le moyen adéquat pour améliorer la situation d’un pays bloqué par une impasse politique ?  La question a tout son sens, au regard de la tendance croissante de la prise de pouvoir par des militaires sur le continent. Le dernier exemple, celui du Zimbabwe, avec la démission de Robert Mugabe précédée par son assignation à résidence, dépouillé de ses pouvoirs par l’armée du pays, n’est autre chose que la suite logique de l’intervention des hommes en treillis dans l’exercice du pouvoir civil en Afrique. Mais, sont-ils pour autant un moyen de rétablissement de la démocratie ?

Des Chefs d’Etat renversés ou assassinés, des constitutions suspendues et changées, voilà autant de signes qui accompagnent l’avènement brutal des hommes en armes au pouvoir en Afrique. Le dernier coup d’Etat du Zimbabwe n’est, au fond, que le respect d’une tradition en vogue depuis près de cinquante ans sur le continent. Antoine Glaser et Stephen Smith, coauteurs de « Comment la France a perdu l’Afrique », expliquent que « entre 1960 et 1990, soixante-dix-neuf coups de force ont réussi en Afrique ».

Et qu’au cours des trois premières décennies des indépendances africaines, « quatre-vingt-deux dirigeants ont été assassinés ou renversés, huit seulement se sont retirés en paix ; jusqu’à la chute du mur de Berlin, un seul dirigeant, le Premier ministre mauricien, Seewoosagur Ramgoolan, en 1982 a quitté le pouvoir à la suite d’une défaite électorale ».

Selon le site d’informations, Cameroonvoice, qui en établi le classement, en tête du peloton des pays concernés, figurent le Nigéria qui compte, à son actif, huit coups d’état (1966 entre et 1993). La même source d’indiquer que le Ghana, la Centrafrique, la Mauritanie, le Soudan et les Comores se disputent la deuxième place avec un changement de régime par la force à cinq reprises. Pour leur part, le Burundi, l’Ouganda, le Congo, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso et la Guinée-Bissau ont déjà enregistré 4 coups d’Etat. A ce classement, on peut ajouter d’autres pays comme la Guinée Bissau, le Mali, etc. la liste, loin d’être exhaustive, traduit la fragilité des institutions républicaines, voire de la démocratie africaine.

Démocratie au bout du canon ?

Les coups de putsch ou coups d’Etat militaires, selon le nom qu’on peut leur attribuer, sont l’expression d’un malaise profond dont souffre la démocratique en Afrique. C’est l’impossibilité de parvenir à une alternance politique, régulière au sommet de l’Etat, assortie de la gestion presque familiale du pays par les tenants du pouvoir politique. 
A 93 ans, Robert Mugabe au pouvoir depuis 1980, n’a su jusqu’ici donné cet espoir d’alternance au peuple Zimbabwéen. En limogeant son vice-président, Emmerson Mnangagwa, considéré comme l’un de ses potentiels successeurs, le Chef de l’Etat zimbabwéen, qui a cédé là à un caprice de sa femme, Grace Mugabe, a démontré combien il tenait à confisquer le pouvoir au profit d’une une succession familiale à la tête de l’Etat.

Avec une première Dame, qui ne cachait plus ses ambitions présidentielles, en réclamant publiquement la place du mari, voilà ce qui a fait sortir les militaires de leurs casernes. Après plus de trois décennies au pouvoir de Mugabe, l’armée zimbabwéenne ne semble plus prête à supporter, et peut-être encore pour longtemps, le règne de son épouse. Mais au-delà de l’armée, c’est presque tout le Zimbabwe qui demande la démission du plus vieux président en exercice aujourd’hui, y compris même son propre parti, la Zanu-PF.

Face à cette pression tous azimuts, le « vielle » homme n’a eu d’autre choix que de déposer son tablier. Finalement l’alternance dans ce pays de l’Afrique de l’est résulte d’un coup de force, vu que Mugabe, malgré ses 37 années de règne sans partage n’était pas prêt à céder le pouvoir n’eu été la pression populaire.

Des exemples de « coup d’Etat démocratiques »

Dans un article de 2012 rédigé pour le Harvard International Law Journal, Ozan Varol, actuellement professeur à la faculté de droit Lewis & Clark, estime que si la très grande majorité des coups d’Etat sont antidémocratiques par essence, et mènent à des régimes politiques encore moins démocratiques, il existe des exemples de «coup d’Etat démocratiques».

Si le concept paraît un peu ridicule, considérons que vendredi 4 juillet, puis dans dix jours en France, Américains et Français célébreront un soulèvement armée qui a renversé un gouvernement autocratique. Pourquoi des insurrections sanglantes sont parfois considérées comme légitimes tandis que des mouvements initiés par des militaires agissant au nom des citoyens privés de leurs droits ne le seraient pas?

Varol cite trois études de cas: le coup d’Etat de 1960 en Turquie, au cours de laquelle les militaires ont renversé le Parti démocrate légitimement élu, mais dont la dérive autoritaire inquiétait presse et intellectuels; en 1974 au Portugal, la Révolution des Œillets, initiée par l’armée, qui a renversé l’autoritaire Estado Novo, miné par une économie en décrépitude et une série de guerres impopulaires dans ses colonies africaines; et troisième exemple –intéressant dans ce contexte–, l’éviction d’Hosni Moubarak en 2011.

Pour Varol, pour être considéré comme démocratique, un putsch doit posséder sept caractéristiques:

  • (1) le coup d’Etat est organisé contre un régime autoritaire ou totalitaire
  • (2) les militaires répondent à une opposition populaire persistante contre ce régime
  • (3) le gouvernement autoritaire ou totalitaire refuse de démissionner en réponse au soulèvement populaire
  • (4) le putsch est organisé par un militaire respecté dans le pays, notamment en raison des liens étroits entre l’armée et la population à cause de la conscription
  • (5) les militaires mettent en scène le coup d’Etat pour renverser le régime autoritaire ou totalitaire
  • (6) l’armée prépare des élections libres et justes dans un court délai
  • (7) le coup se termine avec le transfert du pouvoir à des dirigeants démocratiquement élus.

Sources : Leno KOLEBA et  Ozan Varol

Source : Algerie-part

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