France / Les relations entre les entreprises et la recherche publique

Lever des obstacles à l’innovation en France (rapport 2015)

Synthèse :

Des relations étroites entre entreprises et établissements publics de recherche apportent de clairs bénéfices en termes d’innovation, et répondent à des objectifs convergents des entreprises, des acteurs de la recherche publique et de l’administration. Néanmoins, ces relations apparaissent moins intenses en France qu’en Grande-Bretagne, aux États-Unis, et surtout en Allemagne et en Israël, à la lecture de plusieurs indicateurs, depuis au moins vingt ans, et ce malgré plusieurs actions de l’État (notamment par la création de structures dédiées, et par la mise en place de financements soutenant la recherche collaborative, au demeurant en baisse ces dernières années).

Les entreprises, qui opèrent près des deux tiers de la R&D française, jouent un rôle moteur dans ces relations. La plupart de celles qui ont été interrogées par la mission estiment que la recherche publique française est importante et de qualité, et que même si elle doit faire face à une concurrence croissante des universités étrangères, dont certaines sont très proactives, elle dispose de réels atouts. La R&D des entreprises internationales tend à accompagner les marchés à l’étranger, même si aujourd’hui l’essentiel de leur R&D est en général encore effectué sur le sol national.

Le système public français de R&D, qui a beaucoup évolué au cours des dernières années (création1 de l’ANR , autonomie des universités, création des dispositifs et des structures du Programme d’Investissements d’Avenir…) est malheureusement devenu encore plus complexe, et moins lisible, pour beaucoup d’entreprises consultées et même pour certains grands groupes (multiplicité des guichets à travers le PIA, notamment). Un manque de professionnalisme et de réactivité de certains acteurs publics est souvent pointé malgré le développement des dispositifs de valorisation : méconnaissance des besoins et des attentes des entreprises qui affectent la mise en œuvre et la qualité de projets collaboratifs, activités de recherche menées dans des champs scientifiques trop étroits, tarifs parfois élevés et opaques, communication et gestion des projets inadaptées.

Les négociations avec les établissements publics de recherche sont, pour de multiples raisons, trop longues : des interlocuteurs trop nombreux, en particulier dans le cas des laboratoires multi-tutelles,
parfois à cause de problèmes de confidentialité associés aux publications, et très souvent en raison de clauses de propriété intellectuelle. Les brevets sont devenus des enjeux forts pour les
établissements publics, qui ne disposent souvent ni des moyens, ni des compétences pour les valoriser selon nombre d’acteurs économiques consultés. Enfin, la mobilité humaine entre le privé et
2 le public en R&D est très faible en France, à l’exception des doctorants CIFRE qui sont très appréciés par les entreprises qui en bénéficient. Privilégiant une recherche des causes constantes de ces insuffisantes relations privé/public en R&D et des difficultés rencontrées, la mission a d’abord voulu se concentrer sur les invariants de ce phénomène, les hommes et les femmes impliquées dans ces relations et sur l’adéquation entre leurs compétences et les tâches qu’ils ont à effectuer. La mission s’est donc d’abord orientée vers un examen de la gouvernance de l’innovation, qui constitue le cœur du capital humain des organisations considérées (laboratoires, administrations, entreprises). Elle a montré que l’on pouvait établir une théorie élémentaire unifiée de cette gouvernance, qui définit des compétences requises, et qui

1 Agence nationale de la recherche. Tous les sigles employés dans le rapport sont aussi définis dans l’annexe 14.
2 La Convention Industrielle de Formation par la Recherche subventionne toute entreprise de droit français qui embauche
un doctorant pour le placer au cœur d’une collaboration de recherche avec un laboratoire public.

conduit à introduire des indicateurs individuels quantitatifs de performance passée, dont elle a décrit à la fois l’intérêt et les limites. La mission a montré que cette approche théorique décrit
convenablement la gouvernance des Instituts Fraunhofer, une référence internationale en matière de recherche publique menée avec les entreprises. Cette même approche permet, à la fois par
référence à la théorie et par comparaison entre les Instituts Fraunhofer et les Instituts Carnot, de mettre en évidence des dysfonctionnements dans la gouvernance des Instituts Carnot, ce qui ouvre la voie à des améliorations du fonctionnement non seulement de ces 34 instituts, mais aussi de leurs organismes de tutelle. Les questions de ressources humaines apparaissent centrales au regard de la qualité insuffisante des relations privé/public en matière de R&D et une série de recommandations proposées portent spécifiquement sur cet aspect du problème. La mission recommande notamment de :

  • nommer les responsables en charge de la R&D dans les administrations et établissements publics selon des critères inspirés des meilleurs exemples internationaux afin de garantir la mobilisation des compétences indispensables.
  • créer, au sein des ministères, des postes de directeurs scientifiques, dotés d’une part de fonctions comparables à celles des « chief scientific advisers », mis en place dans plusieurs
  • autres pays, et complétées d’autre part par des responsabilités administratives plus importantes. Ceux-ci seront placés au sommet de la hiérarchie administrative afin de participer efficacement à l’élaboration des politiques publiques ; créer un réseau d’experts au sein de l’administration en matière de gouvernance et d’économie de l’innovation, et susciter des travaux universitaires sur ces questions.
  • . développer la mobilité entre le public et le privé, en étendant le principe du dispositif CIFRE aux post-doctorants et aux chercheurs statutaires sur la base d’un nouveau programme similaire au « Knowledge Transfer Partnership » britannique.
  • . afficher de manière explicite dans les statuts des chercheurs et des enseignants chercheurs fonctionnaires, une mission de valorisation à la même hauteur que leurs missions de recherche, comme cela apparaît pour les établissements publics concernés (loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche).

La mission est convaincue qu’en l’absence de changements profonds d’une part de la gouvernance de l’innovation dans l’administration et dans les établissements publics de recherche et d’autre part
des méthodes des politiques publiques, toute tentative d’amélioration « à la marge » est illusoire,
comme le montrent les dernières décennies.

Les recommandations qui précèdent sont complétées par d’autres visant à :

  • améliorer la connaissance croisée des entreprises et de la recherche publique : mise en place de « coupons pour l’innovation » à destination des PME, désignation, au sein des
    structures publiques de recherche, d’interlocuteurs spécifiques des entreprises (« industrial liaison officers »), accroissement de la visibilité et la lisibilité de la recherche publique, avec une nouvelle interface complétant l’outil internet, regroupement des « petits » appels à projets publics.
  • accélérer la mise en place des projets publics/privés de R&D : procédures plus rapides pour les programmes de recherche collaborative, clauses types de propriété intellectuelle,mandataire unique pour négocier les contrats.
  • porter le taux d’abondement des Instituts Carnot à 30%, avec parallèlement la remise à plat de leur gouvernance, et affecter une part significative du PIA3 à des projets associant des entreprises et des laboratoires publics, avec une gouvernance exemplaire.
  • améliorer les outils de pilotage de la R&D publique pour développer ses relations avec les entreprises : notamment définition d’indicateurs de performance pertinents et création d’un « comité industriel d’orientation » au sein des établissements publics de recherche.

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