Le « grand jeu » des bases militaires en Afrique

par Manlio Dinucci.

Créé en 2007, à la suite d’une étude israélienne, l’AfriCom (Commandement des États-Unis pour l’Afrique) n’est jamais parvenu à installer son quartier général sur le continent. Depuis l’Allemagne, cette structure mène —avec le concours de la France dans la région du Sahel— des opérations anti-terroristes. En retour, les sociétés transnationales US et françaises conservent un accès privilégié aux matières premières africaines.

RÉSEAU VOLTAIRE || 16 JANVIER 2019

En juin 2018, Nancy Lindborg, directrice de l’US Institute of Peace (USIP), visitait le siège de l’AfriCom à Stttugart. L’USIP est l’équivalent de la NED pour le département de la Défense. Elle développe des actions « humanitaires » comme la NED promeut la « démocratie ». Il ne s’agit évidemment pas d’une fondation philanthropique du Pentagone, mais d’un outil des services de Renseignement.

Les militaires italiens en mission à Djibouti ont offert des machines à coudre à l’organisation humanitaire qui assiste les réfugiés dans ce petit pays de la Corne de l’Afrique, situé en position stratégique sur la voie commerciale fondamentale Asie-Europe à l’embouchure de la mer Rouge face au Yemen. L’Italie a là une base militaire qui, depuis 2012, « fournit un support logistique aux opérations militaires italiennes qui se déroulent dans l’aire de la Corne de l’Afrique, du golfe d’Aden, du bassin somalien et de l’océan Indien ».

À Djibouti les militaires italiens ne s’occupent donc pas seulement de machines à coudre.

Dans l’exercice Barracuda 2018, qui s’est déroulé ici en novembre dernier, les tireurs choisis des Forces spéciales (dont le commandement est à Pise) se sont entraînés, en toutes sortes de conditions environnementales y compris de nuit, avec les fusils de précision les plus sophistiqués pouvant centrer l’objectif à 1 ou 2 km de distance. On ne sait pas à quelles opérations participent les Forces spéciales, puisque leurs missions sont secrètes ; il est en tous cas certain qu’elles se déroulent essentiellement dans un cadre multinational sous commandement US.

À Djibouti se trouve Camp Lemonnier, la grande base états-unienne d’où opère depuis 2001 la Task Force conjointe-Corne de l’Afrique, composée de 4 000 spécialistes en missions hautement secrètes, dont les assassinats ciblés par des commandos ou des drones tueurs notamment au Yemen et en Somalie. Tandis que les avions et les hélicoptères pour les opérations spéciales décollent de Camp Lemonnier, les drones ont été concentrés à l’aéroport Chabelley, à une dizaine de kilomètres de la capitale. On est en train de réaliser là d’autres hangars, dont la construction a été confiée par le Pentagone à une entreprise de Catane déjà employée dans des travaux à Sigonella, principale base des drones des USA et de l’Otan pour les opérations en Afrique et au Moyen-Orient élargi.

À Djibouti se trouvent aussi une base japonaise et une française, qui accueille des troupes allemandes et espagnoles. S’y est ajoutée en 2017 une base militaire chinoise, la seule hors de son territoire national. Bien qu’ayant un objectif logistique fondamental, comme l’hébergement des équipages des navires militaires qui escortent les navires marchands et comme des entrepôts pour les approvisionnements, elle représente un signal significatif de la présence chinoise croissante en Afrique.

Présence essentiellement économique, à laquelle les États-Unis et les autres puissances occidentales opposent une présence militaire croissante. D’où l’intensification des opérations menées par l’AfriCom (commandement des États-Unis pour l’Afrique), qui a en Italie deux importants commandements subordonnés : le U.S. Army Africa (Armée US pour l’Afrique), à la caserne Ederle de Vicence ; les U.S. Naval Forces Europe-Africa (Forces navales US pour l’Europe et l’Afrique), dont le quartier général est dans la base de Capodichino à Naples, formées des navires de guerre de la Sixième Flotte basée à Gaeta.

Dans le même cadre stratégique se trouve une autre base US de drones armés, qui est en construction à Agadez au Niger, où le Pentagone utilise déjà pour les drones la base aérienne 101 à Niamey. Celle-ci sert aux opérations militaires que les USA mènent depuis des années, avec la France, au Sahel, surtout au Mali, au Niger et au Tchad. Dans ces deux derniers pays arrive demain le président du Conseil Giuseppe Conte.

Ces pays sont parmi les plus pauvres du monde, mais très riches en matières premières —coltan, uranium, or, pétrole et de nombreuses autres— exploitées par des sociétés transnationales basées aux États-unis et en France, qui redoutent de plus en plus la concurrence des sociétés chinoises, lesquelles offrent aux pays africains des conditions beaucoup plus favorables.

La tentative d’arrêter avec des moyens militaires, en Afrique et ailleurs, l’avancée économique chinoise est en train d’échouer. Probablement même les machines à coudre, données à Djibouti par les militaires italiens pour les réfugiés, sont-elles « made in China ». Manlio Dinucci

Traduction  Marie-Ange Patrizio
Source  Il Manifesto (Italie)

AfriCom : Contrôle de l’Afrique

A l’horizon 2013, un quart du pétrole et des matières premières consommés aux USA devraient provenir d’Afrique. Sur la base de constat, un think tank israélo-états-unien l’Institute for Advanced Strategic & Political Studies (IASPS) a préconisé la création d’un commandement militaire US pour l’Afrique, l’Africom. Il a été inauguré par l’administration W. Bush à la fin de son mandat et placé sous le commandement du général afro-américain William E. Ward, ancien coordinateur de la sécurité entre Israël et l’Autorité palestinienne. 
L’annonce de ce dispositif a suscité une forte résistance en Afrique et aucun État n’a accepté d’héberger le commandement général, lequel s’est en définitive installé en Allemagne et en Italie. 
La montée en puissance de l’Africom devrait s’articuler autour de la base US de Djibouti où stationnent déjà des troupes israéliennes. Une emphase particulière devrait être portée au contrôle du Golfe de Guinée. Dans un premier temps, pour des raisons diplomatiques, elle devrait prendre la forme d’un réseau de petites bases, plutôt que de la construction de grandes installations. Washington devrait aussi prendre des initiatives pour se donner une image plus conciliante, notamment en acceptant l’exploitation chinoise des champs pétroliers soudanais, donc en cessant de déstabiliser ce pays. 
Simultanément, la France devrait réduire sa présence militaire, la partager avec d’autres États de l’Union européenne, et la mettre au service des opérations de maintien de la paix de l’Union africaine. Paris dispose encore de 9 000 hommes sur place, stationnés en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Gabon, en Centrafrique, au Tchad et à Djibouti. 
En 2011, l’OTAN a envahit la Libye « Bab el Africa » (porte de l’Afrique), notamment avec l’intention d’y installer à terme la base principale de l’Africom.

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