Algérie / Le projet de «rupture» proposé par Ali Ghediri est-il salvateur pour le pays ?

Par Houria Aït Kaci  

Le projet de «rupture» avec le système que préconise le candidat indépendant Ali Ghediri à l’élection présidentielle du 18 avril 2019 est-il salvateur pour le pays qui se trouve actuellement dans une impasse en raison du refus de l’alternance au pouvoir ? Le changement démocratique auquel aspirent les Algériens et auquel ont œuvré plusieurs générations de démocrates et de patriotes verra-t-il enfin le jour à travers le programme de ce candidat qui est en train de faire bouger les lignes ?

La candidature du général à la retraite Ali Ghediri bouleverse la donne sur l’échiquier politique national, tourné jusque-là autour du ronronnant 5e mandat pour le président sortant Abdelaziz Bouteflika que ses soutiens préparent activement alors que le concerné lui-même, très malade, n’a encore rien dit. Contrairement aux appels au boycott d’une partie de l’opposition qui estime que l’élection est «jouée d’avance», il soutient qu’il est «prêt à affronter Bouteflika». «Il n’y a de bataille perdue que celle qui n’est pas menée». Il appelle le peuple à s’impliquer dans le combat pour la «rupture» avec ce système bloqué, sclérosé.

Un candidat qui fait bouger les lignes

La déclaration électorale de Ghediri ne laisse pas indifférent. Par ses propositions radicales d’un changement démocratique citoyen pacifique, il suscite autant l’espoir à gauche que le rejet à droite chez les classes dominantes qui veulent, à la faveur de cette élection, préserver leurs privilèges. L’intrusion des forces de l’argent dans le système politique est devenue un fait avéré et des intérêts énormes sont en jeu.

«La rupture sans reniement» d’Ali Ghediri vise à mettre fin à «la corruption, à l’autoritarisme, au système rentier et clientéliste, celui des groupes d’intérêts et des oligarques». Ces derniers cherchent à accaparer le pouvoir politique pour consolider leur assise économique, obtenue grâce à leur proximité avec les décideurs qui les ont gratifiés de leurs largesses rentières, l’octroi de marchés et de crédits publics.

Le projet alternatif de ce militaire à la retraite comprend la construction d’une «IIe République, réellement démocratique et moderne, un Etat de droit reposant sur les libertés individuelles et les valeurs communes nationales où le citoyen sera le déterminant central». Son projet, il le conçoit «avec la participation du peuple aussi bien dans sa définition que dans sa mise en œuvre». Estimant que la rupture est un «combat d’idées», il fait appel au peuple pour le mener, «en indispensable jonction avec son élite». Cette dernière, disloquée, tétanisée, dévalorisée, entendra-t-elle cet appel pour sortir de cette léthargie consciemment entretenue par le système ?

Pour ce fils d’ouvrier, mineur de l’Ouenza, qui se dit le «candidat du peuple», la démocratie réelle n’a rien à voir avec la démocratie de façade actuelle, conçue au service exclusif des classes dominantes et du pouvoir en place. Elle pourra être reléguée au musée des subterfuges, des supercheries, du faux et usage de faux, mis au point par des groupes d’intérêt pour écarter le peuple de l’exercice de son droit à la souveraineté.

Il faut reconnaître que ce n’est pas la première fois qu’un projet de changement démocratique, de rupture, a été proposé par des partis et personnalités politiques mais sans succès. Comment alors Ali Ghediri pourrait-il y’arriver, là où d’autres démocrates ont échoué ? «Tout dépend du choix du moment, de l’instant T» pour engager un tel processus, a-t-il déclaré aux journalistes.

On peut déduire de cette réponse faite par une personne, qui, de par sa position, connaît bien la situation du pays, que le statu quo mortel actuel oblige à opérer maintenant un changement radical, pacifique, organisé, structuré. Car, au-delà, la situation pourrait conduire à une explosion incontrôlée, ouvrant la voie aux pires scénarios, au chaos qui se dessine.

Jusque-là, les Algériens, pour préserver la paix dans leur pays après la décennie du terrorisme, ont rejeté le recours à la rue pour porter leurs revendications démocratiques, même durant le fameux «printemps arabe» en 2011. Mais ils se rendent compte aujourd’hui que si leurs enfants ne meurent plus sous les balles terroristes, la mort a pris de nouveaux visages : harga, immolation, suicide, chômage, pauvreté, drogue, maladies, dépression, violence, etc. Face à cette mort lente, ils se disent qu’ils n’ont plus grand-chose à perdre avec un système qui génère la mort et le désespoir.

Ali Ghediri, dont la candidature dérange les intérêts des classes dominantes qui bénéficient de la distribution généreuse de la rente pétrolière, subit déjà les tirs groupés des partis de l’alliance présidentielle qui revendiquent la «continuité» du système, qui refuse l’alternance, à travers la reconduction du Président sortant, Abdelaziz Bouteflika, en dépit de son âge et de son état de santé. Leur discours sur la nécessaire «stabilité» ne sert en réalité qu’à préserver leurs intérêts matériels avant l’intérêt bien compris de la nation.

Un militaire démocrate pour changer un système autoritaire civil ?

Ali Ghediri, ce militaire qui veut une rupture démocratique avec le système autoritaire mis en place par un gouvernement civil, est le premier officier dans l’histoire de l’Algérie à briguer un poste de Président par la voie des urnes, sans être le candidat de l’armée et sans arriver sur un char. Titulaire de plusieurs diplômes universitaires et militaires, il donne une autre image d’une armée respectueuse de la démocratie, elle qui a été souvent qualifiée de «putschiste». Les militaires algériens ne forment pas une classe sociale à part, et la dichotomie entre civils et militaires est artificielle, a estimé Ghediri devant les journalistes qui voulaient savoir si son passé de militaire ne le handicapait pas pour briguer un mandat présidentiel.

Il existe plusieurs expériences de changements menées par des militaires qui ont piloté des transitions démocratiques comportant une période de construction des institutions républicaines qui ont été abolies ou affaiblies sous les régimes autoritaires ou dictatoriaux. Son projet de IIe République entre-t-il dans ce cadre-là ? On se souvient de la période du Haut Comité d’Etat (HCE) sous la présidence de Liamine Zeroual, en plein terrorisme, avec le Conseil national de transition (CNT). Cependant, celle-ci n’a pas été menée jusqu’au bout, sans doute en raison du manque de vision des dirigeants de l’époque et de la pression internationale que subissait l’ANP (qui tue qui, menace du TPI etc.), ce qui l’a poussé à retourner dans les casernes, sans avoir achevé la transition.

Dans le monde, on peut citer parmi les cas de transition réussie celle de «la Révolution des œillets» au Portugal, dirigée par le Mouvement des forces armées (MFA), après la chute du dictateur Salazar (un civil qui a régné près de 40 ans). A sa mort, en 1970, son successeur désigné, Marcelo Caetano, qui poursuivra la même politique, sera renversé le 25 avril 1974 par le MFA, qui aura le soutien du peuple, des organisations socio-professionnelles et des partis de gauche (socialistes et communistes). Le MFA, avant de se dissoudre, a piloté une transition qui a duré deux ans, avec un programme dit «trois D» (démocratisation, décolonisation et développement économique), comprenant la mise en place d’un gouvernement civil, l’organisation d’élections libres et la décolonisation des anciennes colonies portugaises en Afrique.

Plus loin dans l’histoire, il y a l’exemple de la Turquie avec Mustapha Kemal Pacha, dit Atatürk, militaire de carrière, qui a renversé la monarchie ottomane le 1er novembre 1922. Il s’est révolté contre le passé impérial de son pays et fondé la première République moderne dont il assurera la présidence de 1923 à 1938. Il entreprit des réformes radicales comme la laïcité (séparation entre le pouvoir politique et religieux), une première dans le monde musulman.

La transition démocratique est un processus politique courant dans l’histoire des sociétés, permettant de remettre de l’ordre dans la façon de diriger une nation, de gouverner un pays, en assurant le passage progressif de régimes autoritaires (monarchie, aristocratie, oligarchie, théocratie, dictature) à la démocratie, un système politique dans lequel la souveraineté émane du peuple et qui reste le meilleur système de gouvernance depuis sa naissance à Athènes (Grèce) durant l’Antiquité.

En Algérie, le choix entre la rupture ou le statu quo fait ainsi son intrusion dans la prochaine élection. Le programme d’Ali Ghediri mérite d’être connu, débattu par les Algériens qui revendiquent un changement démocratique car il apporte des réponses et propose des solutions aux problèmes restés en suspens, comme une épée de Damoclès. Il offre une alternative sérieuse au système sclérosé en place qui bloque toute avancée.

Cependant, il appartient à cet ancien militaire, qui fait son entrée dans la lutte politique, de rassurer les citoyens qui ont été trompés par les promesses non tenues de politiciens véreux. Il doit s’engager, en cas de son élection, à appliquer son programme et offrir des garanties pour empêcher un retour en arrière, notamment en matière de respect de la limitation des mandats présidentiels et des contre-pouvoirs garants de tout régime démocratique.

H. A.-K.,  Journaliste.



Présidentielle : le général Ali Ghediri et les garanties qui manquent

Par Omar Mazri.i  Comment caractériser les élections dans une ambiance rose en surface et apocalyptique en profondeur au regard du chaos institutionnel, de la diversion politicienne, de l’exclusion, du retrait des poids lourds politiques, du discrédit incontestable des autorités, des crispations sociales avec des révoltes larvées, climat de fin de règne, contexte international chargé de menaces et d’imprévus politiques et géostratégiques ? Nous revenons à la case de décembre 1991 : absence de garanties avec cette fois-ci absence du chef de l’Etat qui peut donner sa caution dans le sens d’une répression ou dans le sens de l’apaisement et du dialogue. En plus de la vacance au sommet de l’Etat, il y a un effritement des partis politiques qui ne peuvent se prévaloir du rôle d’interlocuteurs valides ou de relais au pouvoir.

Les grandes puissances étrangères par leur silence médiatique semblent montrer un désintérêt manifeste pour l’Algérie la considérant ingérable pour faire d’une manière crédible et durable valoir leurs positions stratégiques, sinon elles sont en attente de l’aboutissement du scénario de désintégration bien entamé qui arrange bien leurs affaires et, au moment opportun, ils viendront imposer une solution ou partitionner la géographie et le pouvoir politique pour continuer ce qu’ils n’ont pas réussi à faire en Syrie. Notre chaos n’est ni inédit, ni isolé, ni fortuit : il accompagne le désordre mondial qui annonce la fin de la modernité et l’émergence de la post modernité. Nos principaux partenaires, la France et les Etats-Unis sont en décomposition, ils ne peuvent apporter ni secours ni feuille de route sauf le désordre, la voracité et l’incompétence.

One two tree viva l’Algérie ou Chaâb et Djeïch tahya al-Djazaïr ne seront plus un rempart contre l’efficacité de la subversion extérieure et la prédation des rentiers intérieurs qui sont appelés objectivent à converger puis à se coordonner. «On peut tuer le général d’une armée mais non l’ambition dans le cœur des hommes», enseignait Confucius. Où est notre ambition, où sont nos hommes ? La loi de l’existence des peuples et des nations est implacable et immuable : effondrement et disparition ou salut et renaissance. Oui, le pire comme le meilleur sont des possibilités selon les conditions psycho-morales et les conditions matérielles du lieu et du moment. On ne peut pas dire que nos conditions sont bonnes ou en voie d’amélioration, à moins de se mentir ou de croire aux fables.

Ni le bouc-émissaire jeté en pâture aux crédules ne nous donnera l’illusion de catharsis ni d’ailleurs l’homme messianique ou al-mahdi al-mountadhar ne donnera l’illusion salutaire. Nous sommes une virtualité de désintégration, une entropie en puissance, une réalité morbide à qui manque le temps de réalisation pour qu’elle soit un réel actuel, une réalité tangible dans les faits sociaux, politiques, économiques et géostratégiques. Ce temps ou, plus exactement, le délai et le terme échappent à notre entendement humain, mais son processus est suffisamment avancé et ancré pour que les plus lucides le ressentent dans leur chair et le vivent déjà comme un cauchemar avec les yeux ouverts.

Le Coran nous enseigne que la défaite et les catastrophes ne sont pas un destin, mais l’œuvre des Hommes mal pensant ou mal agissant. La catastrophe peut être évitée si les Algériens, tous sans exception, refusent l’écœurement actuel et acceptent le changement même s’il est difficile et confus. Ce qui se trame dépasse Bouteflika, l’armée algérienne et les élites civiles. Nous sommes sur le plan socio-politique dans ce qu’Antonio Gramsci a décrit comme un interrègne, cette phase historique «où l’ancien meurt et où le nouveau ne peut pas naître. Une grande variété de symptômes morbides sont observés». Dans de telles périodes, pour les tenants de la rente, le nouveau est non seulement insensé et dangereux mais impensable. Pour les partisans du changement, il est difficile de montrer la voie et de faire des promesses à un peuple nourri à la gamelle de la rente et à la fascination du zaïm. Nous sommes dans la phase de l’effondrement de la morale la plus basique.

Jamais nous n’aurions imaginé, dans une situation «normale» que les seconds couteaux humilient, intimident et menacent publiquement et médiatiquement avec une ardeur de démons et avec l’assurance d’impunité des hommes de grand talent et de grande probité comme Mouloud Hamrouche et le général Ali Ghediri. Ceux qui croient encore que l’ANP est détentrice du pouvoir réel, qu’ils s’interrogent comment un homme instruit, de bonne éducation, discipliné, laborieux ayant servi quarante ans, puisse être traité de cette manière sans que ses pairs ne réagissent ! Combien d’officiers et de civils ont été contraints à l’exil ou à la réclusion à domicile ? J’ai toujours pensé qu’on a fait payer à l’ANP le prix de la bravoure impardonnable de l’ALN. Le FLN a payé le prix. Le peuple a payé aussi le prix et ils vont continuer à payer le prix jusqu’à être discrédités pour effacer la mémoire de la résistance populaire et du sacrifice des martyrs. Ceux qui affichent leurs insultes ne sont pas le pouvoir réel ; ils sont l’ombre de l’ombre de la revanche.

Que le président Bouteflika soit candidat, que l’armée ait son candidat, que tel parti ait son candidat, il n’y a pas de problème, nul ne doit être exclu tant qu’il est transparent et qu’il cherche la légitimité par les urnes, même si les urnes ne sont pas garants de la légitimité et ne peuvent donner la véritable légitimité lorsque les conditions et les garanties de l’expression sont noyés par la confusion, la suspicion, la haine et la panique pour certains.

Les conditions actuelles de programmation des élections hâtives et presque clandestines ne vont-elles pas cristalliser les frustrations, les méfiances et les défiances et les transformer en rancunes, en contestation et en confrontation avec tous les débordements possibles et toutes les déflagrations possibles ? La responsabilité morale, civile et politique est que sur le plan politique, social et sécuritaire, l’élection ne soit pas l’exacerbation des contradictions, affichées ou occultées, mais l’instauration de la confiance pour préparer la fondation d’un nouveau pacte républicain. Entretenir l’illusion d’un nouveau 1er Novembre est une faute politique car la génération montante ne connaît du 1er Novembre 54 que le récit scolaire tronqué et le triomphalisme chauvin. L’ancienne génération ne connaît le 1er Novembre qu’à travers son prisme idéologique. Pour les uns, c’est l’Etat-nation à la lumière du jacobinisme français, pour d’autres, c’est l’islamisme de Benbadis, pour d’autres encore, c’est le libéralisme américain. Chacun s’approprie une date comme un clocher de paroisse idéologique ou de secte partisane avec ses arrière-pensées.

Nous savons tous que l’impérialisme mène une guerre d’usure contre notre existence comme il mène une prédation sans limite contre nos ressources, nous savons aussi l’ampleur et l’intensité de nos clivages culturels et idéologiques, et ce n’est pas en jetant des anathèmes que nous allons les surmonter. Le seul dépassement est de participer tous pour l’émergence du citoyen et que celui-ci ait non seulement le droit, mais les moyens de participer à la conduite des affaires publiques.

N’est-ce pas que Hamrouche et Ghediri sont dénoncés comme usurpateurs par des «partisans» du 1er Novembre alors qu’ils s’en réclament ? Il y a volonté de brouiller toutes les cartes et toutes les représentations mentales sur l’avenir, le présent et le devenir de l’Algérien. Cette date historique et bénie fut paradoxalement à la fois l’élan libérateur contre le colonialisme et le socle fédérateur de tous les clivages idéologiques pour affronter le colonialisme, en laissant en suspens l’édification nationale, la citoyenneté. L’Algérie était fracturée avant la Révolution de libération nationale par des imaginaires incompatibles. L’incompatibilité est toujours ancrée dans notre imaginaire collectif.

Nous pouvons envisager une nouvelle appropriation sociale, idéologique, culturelle et politique du 1er Novembre si nous prenons le temps de lui donner un nouveau contenu, une nouvelle perspective et, surtout, un nouveau socle rassembleur et résistant. Les mots, plus que jamais, doivent coller à notre réalité actuelle et à nos défis présents : «Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté», disait Confucius. Ce chantier de réappropriation historique et de remise à niveau idéologique n’est pas ouvert, car il n’y a ni débat ni conditions pour débattre. Il n’y a que des passions sur la culture, l’idéologie, le pouvoir et la rente.

La politique consiste à pratiquer l’Etat et à gérer le bien-être de la cité investie par des citoyens, c’est-à-dire des Hommes libres, consentant à vivre ensemble malgré leurs diversités, à exercer leurs devoirs de solidarité et à trouver un dénominateur commun qui transcende les clivages idéologiques. A deux mois avant l’élection – de tous les dangers –, nous n’avons pas de débat autre que des déclarations d’intention qui sont trainées dans la boue lorsqu’elles suggèrent la rupture, une nouvelle République. Je ne pense pas que la rupture avec Bouteflika soit l’essentiel de nos préoccupations. L’homme a accompli son temps et celui-ci sera témoin en sa faveur ou contre lui le Jour de la Justice suprême.

Pour l’instant, nous n’avons pas d’engagement solennel de respecter le résultat des élections. Nous n’avons pas une vision philosophique, mais réaliste et partagée, sur l’Etat. Avec qui faire la rupture et contre qui débattre. Il n’y a rien de consistant, de cohérent, de sensé à part le cynisme et la méchanceté de ceux qui se sont imposés tuteurs des Algériens.

Pour le débat, il est trop tard. Par contre, si on veut aller vers une élection sans grand enjeu civilisationnel ou stratégique, mais honnête et respectable en tant que processus «formel», il nous faut des garanties. Il nous faut admettre que le processus électoral n’est pas la démocratie et que la démocratie n’est pas la liberté. Un jour ou l’autre, nous devons les débattre sereinement non plus sous la perspective de l’Etat-nation hérité de la modernité française ou américaine qui arrive à son échéance historique et à sa décadence sur le plan civilisationnel. Ni dans celle de l’Etat islamique qui n’existe que dans les fantasmes de ceux qui pensent que la «solution islamique» peut faire l’économie d’une culture politique et d’une gouvernance scientifique.

Dans les conditions actuelles de rente, d’arbitraire et d’inculture politique, un tel débat finirait par le ridicule ou par la violence. Pour débattre, on ne vient pas avec l’idée d’éradiquer l’autre, d’imposer des solutions du passé des autres ou d’accaparer un butin de guerre, mais communiquer, partager, tenter de convaincre avec empathie et responsabilité sur la vision qu’on a de l’avenir. Il y a un minimum procédurier à respecter faute de plateforme démocratique : présenter donc plusieurs garanties pour garantir la sécurité, la stabilité et la viabilité du processus qui semble non seulement improvisé, mais confus, voire vicié et vicieux.

L’engagement formel par l’ensemble des corps constitués que l’expérience de 1991 ne sera pas reconduite et qu’il faut accepter et collaborer avec le président élu. Le candidat élu n’est pas autorité de droit divin, mais homme faible qui peut être révoqué par le peuple dans certaines conditions à définir juridiquement lorsqu’il met en péril l’existence de l’Algérie, sa souveraineté et sa cohésion sociale.

L’engagement formel par l’ensemble des candidats d’accepter le résultat des urnes. Si l’abstention dépasse un seuil intolérable, alors le résultat devra être invalidé et les élections refaites dans un délai acceptable.

L’engagement formel par l’ensemble des corps constitués de servir l’Etat dans la forme institutionnelle qu’il a actuellement ou dans celle qu’il aura plus tard et non de servir des hommes, des clans, des rentes.

L’engagement formel par l’ensemble des corps constitués de laisser voter leurs personnels en public.

La mise en place d’une commission électorale indépendante et souveraine.

La liberté de parole, d’écriture et de rassemblement des Algériens libres de débattre, de s’organiser et d’exprimer leur soutien sans crainte pour leur vie et leur sécurité.

L’interdiction de la violence sous toutes ses formes. Toute forme d’éradication politique ou idéologique doit être interdite et punissable par la loi.

Donner le temps aux candidats de former leurs états-majors, de débattre, de lever leur financement dans la transparence. L’Etat devra rembourser les dépenses de campagne au prorata des résultats. Aucune personnalité morale ne doit financer les candidats. Les dons relèvent des personnes physiques et doivent être plafonnés par la loi et sous le contrôle d’un organisme transparent.

Donner le temps aux candidats d’éditer leurs journaux ou de constituer une presse alternative.

Mettre fin aux rentes de publicité des médias actuels et mettre en place un comité indépendant d’éthique et de contrôle de l’information pour que chaque candidat ait le temps de parole équitable sans exclusivité ou exclusive.

Permettre aux Algériens poursuivis pour motifs politiques de rentrer en Algérie et de s’engager activement dans la vie politique.

Trouver un autre mécanisme de validation des candidatures, car l’administration et la rente omniprésentes vont invalider les candidats ou falsifier les parrainages. L’administration et les réseaux de rentes sont suffisamment établis et structurés pour rendre impossible la collecte des 60 000 voix.

Faire endosser aux corps sécuritaires et aux préfets de police la responsabilité du maintien de l’ordre pour éviter les dépassements et les intimidations. Les réseaux de l’argent noir peuvent entrer en contact avec la délinquance de toute nature et engager des épreuves de force contre ce qui reste de l’Etat ou contre les candidats. L’expérience égyptienne des baltaguiya et du non-droit ne doit pas être sous-estimée en termes de violences et de nuisance.

Toutes les garanties doivent être données sous formes de lois, de décrets et d’arrêtés et relever de la justice sous l’autorité d’un haut magistrat dont la nomination doit être transparente et à qui on donne les moyens d’exercice et les protections pour sa sécurité.

Dans un délai court convenu et sous les mêmes garanties, l’élection présidentielle devra être élargie à toutes les représentations populaires en commençant par les échelons locaux. Les nouvelles élections effectuées doivent permettre la révision constitutionnelle qui ne doit pas être une affaire d’experts de droit, dont la charge est de donner une forme juridique, mais une affaire de peuple qui donnera le contenu. Sur ce temps de deux ou trois ans, les assises républicaines et démocratiques pour relancer l’Algérie devraient être réunies, c’est-à-dire un cadre pour donner un contenu, une forme, des mécanismes et des garanties tant pour la définition de la République que de la démocratie.

C’est un travail de titans qui exige la responsabilité, la liberté, la solidarité. Dans ce cadre apaisé, alors, les grandes questions d’identité peuvent être élaborées ainsi que la forme de gouvernance la plus adaptée à notre culture, à notre histoire et à notre vision de l’avenir. C’est ce cadre qui servira l’apaisement, par sa portée pédagogique et par sa dimension démocratique. Nul ne devrait être exclu et c’est le consensus qui doit primer, sinon il faut faire des référendums ou recourir à la justice séparée de l’Exécutif. Le président nommé devrait alors relancer sa propre candidature en compétition avec d’autres pour couronner le recadrage institutionnel et engager les grandes réformes sociales, éducatives, juridiques, économiques, la séparation des pouvoirs, ainsi que la révision des traités internationaux etc.

Chacun devrait sentir que l’Algérie lui appartient et qu’il a la responsabilité de s’engager à la servir ainsi que la légitimité de s’approprier des biens, des statuts et des compétences. Il faut souligner que la véritable légitimité qui résiste au temps et aux crises est celle de la reconnaissance sociale de la compétence. La compétence ne peut s’exprimer et se faire valoir que dans la transparence et la compétition équitable. Le contraire de la rente, c’est le travail et la justice.

Les corps intermédiaires ne doivent pas interférer dans la campagne électorale, leur vocation est de défendre les intérêts sociaux et professionnels des corporations et non de désigner le personnel politique. Plus tard, les Algériens doivent rompre avec toute forme de monopole pour promouvoir le principe de libre adhésion ou de contrat dont les fondements sont la liberté et la justice. La vocation de L’Etat et d’apporter les garanties à la liberté et à la justice ainsi que de réprimer toute atteinte à celles-ci.

Il faut interdire et réprimer toute forme d’ingérence étrangère.

Sur le plan social et économique, la rente et le monopole sont les poumons du système algérien. La vraie politique, c’est de s’engager à mettre fin à la rente, de mettre fin à l’effondrement du dinar et à l’absence de productivité du travail et d’efficacité économique et financière. Pour commencer, il faut déjà arrêter la planche à billets qui sert à financer la rente et octroyer des marchés aux rentiers. Sur ce terrain est-ce que le futur président, en supposant qu’il soit honnête et militant de la cause nationale, est capable de décider de la fiscalité, de la planche à billets, de nommer les cadres supérieurs, de nommer le directeur général de la douane ?

Où sont les garanties de laisser l’élu ou le désigné de finir son mandat ?

Le général Ali Ghediri est un retraité de l’armée, il est libre de disposer de son temps et de disposer de sa vision pour continuer à servir l’Algérie. Il devrait exiger un minimum de garanties sinon un maximum de solidarité de ses pairs devenus civils ou toujours en activité. Le soutien des militaires actifs ou en retraite pose cependant le problème du risque de division de l’armée et des implications négatives de l’armée dans ce qui n’est ni sa vocation ni son rôle. L’idéal serait que l’armée exprime son refus de s’impliquer dans les processus électoraux. Le peuple doit exercer sa souveraineté sans tutelle et dans le cadre du multipartisme. Cela ne veut pas dire que l’ANP n’a aucune mission politique. Sa mission devrait être transparente et constitutionnelle sans être partisane. Construire une doctrine de défense nationale, une économie de résistance nationale civile et militaire, ainsi qu’une stratégie de sécurité nationale est une tâche éminemment politique et exigeant une grande expertise. Le soutien des pairs signifie une protection contre les menées subversives venant de l’intérieur du système. Il ne nous importe pas de savoir ou de distinguer les statuts des hommes, mais leur programme et leur désir.

Je n’aurai pas l’indélicatesse de donner un conseil, mais il devrait aller au-delà de l’intention et ne pas chercher les appuis des puissants ou des riches pour mener campagne, mais partir en campagne comme un militaire qui livre bataille en allant chercher renfort et soutien auprès des Algériens «sans dents» et sans grade. C’est le peuple qui doit décider en premier de son devenir.

«Malheur à ceux qui nous portent secours, nous serons leur tentation», aimait dire Malek Bennabi lorsqu’il méditait la tragédie de l’Algérie. En effet, il aurait fallu plus d’un an de préparation pour apporter le minimum de garanties, sinon nous sommes dans la stratégie du fait accompli, c’est-à-dire du choix entre nous et le chaos. Les diables sont experts en matière de chaos.

O. M.

Auteur, écrivain

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