Quatre questions à Hocine Malti : Les hydrocarbures au centre du pouvoir en Algérie

Hocine Malti est un des fondateurs de la Sonatrach, la société nationale algérienne des hydrocarbures, il en a été longtemps le vice-PDG. Il suit de près les évolutions du marché global de l’énergie et la place de l’Algérie dans ce secteur. Expert international reconnu et connaisseur expérimenté des arcanes de la géopolitique énergétique globale, il suit de près les dynamiques en cours et réagit aux préoccupations qui traversent l’opinion algérienne. Il est l’auteur de Histoire secrète du pétrole algérien, éditions La Découverte (2012).

Une rumeur persistante circule sur le web selon laquelle l’Algérie exporterait du gaz gratuitement en France, et ce conformément à une clause secrète des Accords d’Évian. Y aurait-il un fondement à cette rumeur, selon vous ?

Il n’existe pas une telle clause, ni secrète, ni publique dans les Accords d’Évian. Ce n’est qu’une grosse rumeur. Il serait d’ailleurs intéressant d’en connaitre la source.

La France bénéficie-t-elle d’avantages particuliers dans l’achat des hydrocarbures algériens ?

Il n’y a pas un vendeur qui s’appelle l’Algérie et un acheteur qui s’appelle la France. Il y a, côté algérien une entreprise pétrolière Sonatrach qui vend des hydrocarbures et de l’autre des clients français qui achètent. Je ne connais pas toutes les clauses de tous les contrats de vente existants, mais ce qui est certain c’est qu’il doit y avoir, comme lors de toute négociation commerciale, des concessions qui sont faites de part et d’autre, selon le rapport de forces qui prévaut entre les partenaires au moment de la vente. Il est certain aussi que les contingences politiques et les recherches d’alliés ont amené le pouvoir algérien actuel à consentir des avantages particuliers à certaines compagnies pétrolières étrangères. C’était le cas notamment des compagnies américaines qui ont bénéficié de privilèges exorbitants du temps où Chakib Khelil était ministre de l’énergie. À ma connaissance, il n’y a pas d’avantages particuliers qui sont systématiquement accordés aux acheteurs français à l’heure actuelle.

Il faut savoir aussi que Sonatrach n’est pas le seul pourvoyeur de la France en pétrole algérien. Les compagnies pétrolières étrangères présentes en Algérie, Total notamment, alimentent également la France en pétrole algérien. Sachant qu’elles distribuent ce pétrole souvent par l’intermédiaire de leurs filiales françaises, il est fort possible qu’elles accordent à ces dernières des conditions avantageuses.

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Le pouvoir algérien peut-il encore utiliser les ressources de pétrole et de gaz pour se maintenir et continuer à avoir le soutien des capitales étrangères dans cette phase que traverse le pays ?

Voilà la question à un million de dollars. Le régime de Bouteflika a utilisé la rente pétrolière pour l’achat de la paix civile, mais aussi pour l’achat de soutiens et de consciences à l’étranger. Ils sont très nombreux les hommes politiques, les leaders d’opinion, les partis politiques, les médias et bien d’autres organisations et organismes étrangers qui ont bénéficié des largesses du pouvoir algérien actuel. C’est une constante de la gouvernance de Bouteflika. En interne, il a aussi corrompu des franges et des tranches entières de la population algérienne. Il a permis, voire poussé les généraux, leurs hommes de main ainsi que des hommes politiques ou chefs de partis algériens à profiter au maximum de cette rente, avec un seul but, en faire des affidés. Il fallait qu’ils se sentent redevables envers lui, qu’ils sachent qu’il tient entre ses mains une épée de Damoclès, au-dessus de leurs têtes, qu’il pouvait lâcher quand il le voulait. Ce système a très bien fonctionné tant que le prix du pétrole était au-delà des 100 $ le baril ; ce n’est plus le cas depuis qu’il a chuté jusqu’à atteindre un plancher de 30 $; ce n’est pas le cas maintenant non plus, même si les choses vont un peu mieux avec un prix du baril qui oscille autour de 60 à 65 $. L’Algérie a consommé depuis la fin de l’année 2014 à ce jour, ses réserves en dinars et mis la planche à billets en marche, tout comme elle a vu fondre comme neige les réserves de change qui sont passées en un peu plus de 2 ans de 200 milliards à 75 milliards de dollars.

Comment le pouvoir peut-il encore utiliser les ressources en pétrole et gaz pour se maintenir et continuer à bénéficier du soutien des capitales étrangères ? Il lui reste un atout sur lequel il travaille actuellement. Il est entrain d’élaborer une nouvelle loi sur les hydrocarbures, dont il a confié la conception, tout comme l’avait fait Khelil en 2000, à des bureaux d’études américains. Abdelmoumen Ould Kaddour s’en est même flatté il y a peu de temps, tout comme il a annoncé, sans donner de détails, qu’ils étaient en négociation avec des compagnies qui seraient prêtes à investir en Algérie dans la recherche et l’exploitation du gaz de schiste notamment. La carotte que pourrait tendre le régime à ces compagnies c’est de leur consentir un très bas niveau d’imposition. Mais même cela serait très difficile à faire quand on sait que le prix du gaz en spot est de 4 $/MBtu (*) aux USA et de 8 à 9 $/MBtu en Europe et de l’ordre de 17 $/MBtu en Asie alors que le seuil de rentabilité du gaz algérien varie entre 10 et 15 $/MBtu, suivant qu’il s’agit de gaz naturel, de gaz de schiste ou de GNL. Il faut aussi savoir que le gaz de schiste américain qui inonde actuellement le marché européen a un prix de revient de l’ordre de 2 à 2,5 $ le MBtu. Il est donc devenu très difficile pour le pouvoir algérien d’utiliser les hydrocarbures pour acheter des soutiens.

La solution extrême qui pourrait le tenter serait de consentir la propriété des réserves de pétrole et de gaz de certains ou de tous les gisements à des intérêts étrangers à des prix quasiment symboliques, mais qui lui suffiraient pour tenir le coup durant un court laps de temps. Mais là, on entre déjà dans une autre dimension, celle de la forfaiture.

Que pensez-vous de la suspension des discussions entre Exxon Mobil et Sonatrach en raison des manifestations en Algérie ?

L’information rapportée par Reuters concernant la suspension par Exxon-Mobil des négociations en cours avec Sonatrach porte en réalité sur l’exploitation du gaz de schiste sur le permis de l’Ahnet, dans la région d’In Salah et non pas sur le gaz naturel. Ces négociations ont été entamées voici une année et devaient aboutir à un accord avant la fin de l’année 2018. Le retard enregistré est dû notamment à la question de la rentabilité du projet, que nous avons évoquée dans la question précédente, sur laquelle elles ont butée. Le fait que la population d’In Salah s’était soulevée comme un seul homme voici 3 ans et avait protesté contre l’exploitation du gaz de schiste dans la région a également été une des causes du retard.

Chakib Khelil et sa femme Najat Arafat, dépositaire de comptes offshore au Panama, entre autres broutilles

La raison qu’évoque Exxon-Mobil pour justifier la suspension de ces négociations est autrement plus importante et impossible à satisfaire par le pouvoir dans les circonstances actuelles. C’était – il faut le savoir – pour retisser les liens avec les milieux pétroliers américains, des liens qui s’étaient effilochés lors du limogeage de Chakib Khelil, qu’était intervenue la nomination d’Abdelmoumen Ould Kaddour au poste de PDG de la Sonatrach. Il faut se souvenir aussi que cet homme avait occupé durant plus d’une décennie le poste de PDG de BRC, que cette entreprise avait été la pompe à finances de l’associé américain Brown & Root, elle-même filiale du géant Haliburton dont le PDG était le vice-président des États-Unis, Dick Cheyney. Nous savons également qu’Abdelmoumen Ould Kaddour a été traduit en justice et condamné à la prison pour intelligence avec une puissance étrangère, pour avoir fait commander par BRC, auprès de Raytheon, les fameuses mallettes de commandement, qui ont coûté la bagatelle de 1,5 milliard de dollars et qui ont permis aux services de renseignements américains d’espionner l’armée algérienne. Rappelons-nous enfin que sa nomination a coïncidé avec le retour de Chakib Khelil en Algérie et sa réhabilitation par les zaouïas. Ceci pour dire qu’Abdelmoumen Ould Kaddour est effectivement l’homme des Américains et que son sort est intimement lié à celui de Bouteflika.

Abdelmoumen Ould Kaddour, binational franco-algérien, titulaire d’un master (converti en « doctorat » dans son CV officiel) du MIT de Boston, accusé par l’inspection générale des finances d’Alger d’avoir détourné, en surfacturations, 1 milliard de $ entre 2001 et 2005, à l’époque où il était président de BRC. Condamné à 30 mois de prison le 26 novembre 2007 pour « divulgation d’informations classées secret défense » par le tribunal militaire de Blid, il a purgé 20 mois. Deux mois après sa sortie de prison en mars 2009, il a acquis un appartement de luxe à Neuilly sur Seine au 74 boulevard Maurice Barrès grâce à des fonds occultes provenant du Liban. Nommé PDG de la SONATRACH en 2017

Il est donc certain que les négociations de Sonatrach avec Exxon-Mobil ne reprendront pas de sitôt. L’accord éventuel n’interviendra qu’après le départ de Bouteflika et après la prise en mains des rênes du pouvoir par une nouvelle équipe. Tout comme il est également fort probable que les autres négociations ou accords de Sonatrach avec des partenaires étrangers (Total, BP et Eni, entre autres) connaitront à leur tour des retards.

Je dirais donc en conclusion que si Bouteflika et son clan aiment réellement leur pays et veulent le bien du peuple algérien, il faudrait qu’ils dégagent le plus tôt possible, comme le leur demandent des millions d’Algériens depuis plus d’un mois.

(*) Le prix de cession du pétrole s’exprime en $ par baril ; pour le gaz il est exprimé en $ par million de Btu (British thermal unit). MBtu = Million British thermal unit.

Merci à Algeria-Watch
Source: https://algeria-watch.org/?p=71620
Date de parution de l’article original: 21/03/2019

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