La décolonisation du Sahara occidental : La solution vue du côté sahraoui

Malainin Lakhal

L’occupation marocaine du Sahara occidental reste le dernier cas de décolonisation en Afrique. L’armée marocaine a envahi le territoire le 31 octobre 1975 malgré un arrêt clair rendu par la Cour internationale de Justice quelques jours auparavant, le 16 octobre de la même année1. Le 6 novembre 1975, le Maroc a organisé ce qu’il a appelé une « Marche Verte » pour envahir officiellement le nord du Sahara Occidental en installant 350.000 colons marocains sur le territoire, en complicité avec l’Espagne, la puissance coloniale sur le territoire depuis 1884.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a immédiatement appelé le Maroc à se retirer du territoire2, mais le Roi du Maroc était fortement soutenu par la France et les autres puissances occidentales. Il est évident que le Maroc viole non seulement les principes de la Charte des Nations Unies, tels que l’abstention de « menace ou emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État »3, mais aussi le principe sacré de l’Acte constitutif de l’Union Africaine de « respect des frontières existantes lors de l’avènement de l’indépendance »4. C’est pourquoi les deux organisations ont adopté la même position : le rejet du fait accompli colonial marocain et l’insistance sur la nécessité de décoloniser le Sahara occidental par un véritable processus d’autodétermination sous les auspices de l’ONU et de l’UA.

Données fondamentales

De nombreuses analyses tendent à appeler à une résolution pacifique et mutuellement acceptable de ce conflit, mais ne parviennent pas toujours à proposer des solutions qui  remplissent les conditions nécessaires à une solution juste.

Une solution « juste » ne peut en aucun cas être trouvée si les propositions avancées violent le droit international. Malheureusement, c’est ce que de nombreuses voix semblent suggérer, proposant des « solutions » qui violent la Charte des Nations Unies, l’Acte constitutif de l’UA et, pire encore, certains des principaux préceptes du droit international moderne, principalement le droit des peuples à l’autodétermination et la souveraineté des peuples sur leur terre et leurs ressources.

D’autres propositions, telles que la « large autonomie » mise en avant par le Maroc, ne sont qu’une tentative de normalisation de l’occupation illégale. L’ONU n’a jamais reconnu la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara occidental et a identifié le Maroc comme une force d’occupation dans 2 résolutions de l’Assemblée générale5. Selon le droit international, la puissance occupante ne peut exercer son contrôle sur le territoire occupé6. En fait, la puissance occupante n’a pas le droit de modifier le statut démographique, économique ou politique du territoire occupé et doit respecter les règles et principes du droit international dans son traitement des populations du territoire occupé, conformément à la Convention de Genève et au chapitre 11 de la Charte des Nations Unies, entre autres dispositions. En fait, elle ne doit pas entraver le droit du peuple à l’autodétermination et à la liberté.

L’Union Africaine (l’ex-Organisation de l’Unité Africaine[ OUA]) est allée encore plus loin. L’OUA a officiellement reconnu la République Arabe Sahraouie Démocratique en 1982 comme autorité légitime au Sahara occidental, après avoir fait d’énormes efforts pour convaincre le roi du Maroc Hassan II de mettre fin à cet acte d’agression contre ses voisins. L’Union Africaine cherche à amener les deux États membres, le Maroc et la République sahraouie, à négocier sous les auspices de l’ONU sans conditions préalables afin de parvenir à une solution qui mettrait fin à ce conflit7.

Quelles normes pour quelle solution ?

L’avis de la Cour internationale de Justice de 1975 stipule que le peuple sahraoui originaire du Sahara occidental est la seule puissance souveraine au Sahara occidental. Elle a également estimé qu’elle « n’a pas trouvé de liens juridiques de nature à affecter l’application de la résolution 1514 (XV) dans la décolonisation du Sahara occidental et, en particulier, celle du principe de l’autodétermination par l’expression libre et authentique de la volonté des peuples du territoire » (paragraphes 129, 162).

Par conséquent, toute solution proposée à ce conflit qui relève clairement de la décolonisation doit être décidée et approuvée par le peuple du Sahara occidental et par lui seul. Aucun autre pays, organisation ou entité n’est habilité à décider de l’avenir politique du territoire.

En outre, la manière de consulter le peuple du Sahara occidental préconisée par les résolutions 1514 et 1541 de l’Assemblée générale des Nations Unies et confirmée dans plus de 100 résolutions de l’ONU, ne peut être obtenue que par un vote authentique et libre lors d’un référendum d’autodétermination supervisé par l’ONU et l’UA, dans lequel le peuple a plusieurs choix, y compris l’indépendance, la libre association avec une autre entité ou son intégration à une entité existante. Par conséquent, toute consultation qui exclurait   l’indépendance serait  en totale violation du droit international8.

 Une solution juste, durable, réaliste et mutuellement acceptable

Une formule qui a été adoptée par les différentes résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU considère que la solution mutuellement acceptable au conflit doit être juste, réaliste et durable. Diverses interprétations peuvent être données à ces quatre termes, mais une lecture qui ne peut être ignorée devrait certainement être liée aux réalités sur le terrain et aux faits politiques et juridiques.

Une solution juste doit respecter la loi. Aussi simple que cela ! L’ONU ne peut permettre au Maroc d’imposer un fait accompli colonial au Sahara occidental en violation des principes de l’ONU. Le Maroc est une force d’occupation et, en tant que telle, il doit simplement se retirer du territoire pour permettre à sa population de contrôler ses terres et ses ressources. Permettre au Maroc d’étendre son territoire en recourant à la force comme il essaie de le faire détruira tout le système international moderne.

De même, une solution durable ne peut être qu’une solution juridique approuvée par le peuple du territoire colonisé. Une fois que celui-ci aura décidé du sort de son territoire dans le cadre d’un processus légitime, la décision qu’il aura prise permettra de rétablir la paix.

D’autre part, priver le peuple sahraoui de la liberté de décider librement de son avenir risque de le pousser à contester les résultats de toute solution qu’il interprétera comme lui ayant été imposée de l’extérieur. Personne ne peut prédire l’ampleur de la réaction des Sahraouis dans de telles circonstances, ni l’ampleur de l’instabilité et des conflits qu’elle provoquera dans la région, sur le continent et dans le monde.

La solution au conflit doit aussi être « réaliste » selon les différentes résolutions de l’ONU. Mais encore une fois, nous devons évaluer correctement la réalité des faits sur le terrain et poser les bonnes questions : Le Maroc contrôle-t-il vraiment le territoire ? Peut-il légaliser son occupation illégale ? Les propositions du Maroc sont-elles réalistes ? Si oui, pourquoi n’a-t-il pas réussi à convaincre les Sahraouis ?

Une solution « réaliste » ne peut être qu’une solution qui garantisse une paix durable sur le territoire. Toute solution qui n’est pas acceptée ou n’est pas satisfaisante pour le peuple sahraoui n’aidera jamais à résoudre le problème. La réalité sur le terrain, c’est que le Maroc est toujours une puissance occupante. Il n’a pas réussi à normaliser son occupation et fait toujours face à d’énormes défis dans l’administration quotidienne du territoire. Le Maroc déploie des milliers de militaires et de policiers pour contrôler le territoire, commettant toutes sortes d’abus contre les droits humains et violant toutes les normes du droit humanitaire international. Son exploitation illégale des ressources naturelles du territoire est dénoncée par le Front Polisario. Les deux arrêts marquants de la Cour de justice de l’Union européenne de 2016 et 2018 sont les derniers exemples en date des succès que le Polisario a enregistrés dans le domaine légal.

Des solutions équitables et mutuellement acceptables

Le règlement du conflit au Sahara occidental ouvrira une nouvelle ère dans les relations internationales. Toute solution qui viole les droits légitimes du peuple du Sahara occidental à l’autodétermination et à l’indépendance ne fera qu’aggraver les conflits et privera toute l’Afrique du Nord et l’Afrique tout entière d’énormes possibilités de développement, d’intégration et de stabilité.
Une solution équitable serait de mettre en œuvre les principes de la Charte de l’ONU et de l’Acte constitutif de l’UA, en demandant au Maroc de se retirer immédiatement du territoire, de respecter ses frontières internationalement reconnues et de permettre à la République sahraouie, membre fondateur de l’UA, d’exercer son plein contrôle sur tout son territoire. Les deux États pourront ensuite négocier un accord de paix détaillé dans lequel les préoccupations et les intérêts des deux parties seront pris en considération. Ainsi, l’Afrique du Nord pourra enfin construire son union régionale tant attendue, qui profitera non seulement à l’Union Africaine mais aussi à l’Europe et au monde.

Une autre alternative est bien sûr de revenir au Plan de règlement OUA-ONU de 1991, qui a été signé et approuvé par les deux parties. Ce plan de règlement constitue une importante concession de la part de la République sahraouie, mais il garantit également la souveraineté du peuple du Sahara occidental sur ses terres. Cela donnerait au Maroc une chance de sauver la face et d’échapper au piège qui entrave son potentiel au plan régional depuis quatre décennies.

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Affiche de  Rafael Enriquez, Cuba,pour l’ OSPAAAL (Organization de Solidarité avec les Peuples d’Afrique, Asie et Amérique Latine), 1978

Conclusion

Le Sahara occidental est situé dans une région affectée par le terrorisme, la criminalité transfrontalière, le trafic de drogue et la migration. Si le conflit n’est pas résolu pacifiquement et dans le respect du droit international, l’Afrique du Nord risque d’être plongée dans la tourmente. D’autre part, le règlement pacifique, durable et équitable du conflit permettra aux pays d’Afrique du Nord et du Sahel d’intensifier leurs efforts et de se coordonner de manière appropriée pour trouver des solutions à leurs problèmes, notamment par des programmes intensifs d’investissements économiques et sociaux dans les zones frontalières insuffisamment développées, ainsi qu’une meilleure coordination en matière de sécurité.

La violation du droit à l’autodétermination constituerait également un dangereux précédent en droit international. Cela entraînerait la communauté internationale dans un avenir incertain où des nations fortes pourraient violer l’intégrité territoriale et la liberté des plus faibles.

43 ans après son invasion militaire et son occupation du Sahara Occidental, le Maroc n’a pas réussi à légaliser son statut au niveau international ou régional et n’a pas réussi à convaincre le peuple sahraoui occupé d’accepter le fait accompli de la colonisation. Pire encore, le gouvernement marocain a des difficultés à gérer son propre territoire à l’intérieur de ses frontières   internationalement reconnues, comme en témoignent tous les problèmes politiques, économiques et sociaux que subit le peuple marocain. La résolution du conflit au Sahara Occidental selon le droit international soulagera le Maroc de ce fardeau et donnera peut-être à son peuple une chance de résoudre de façon adéquate ses propres problèmes internes.

 Notes

[1] Résumé  de l’Avis consultatif de la Cour Internationale de Justice (CIJ) disponible ici :  https://www.icj-cij.org/files/case-related/61/6197.pdf

2 Le Conseil de Sécurité a suivi l’invasion et la Marche Verte déclarées par le Maroc. Il a émis trois résolutions successives en 1975 : S/RES/ 377-1975, S/RES/ 379-1975 et S/RES/ 380-1975, appelant toutes le Maroc à « Mettre immédiatement fin à la marche déclarée sur le Sahara occidental ».

3 L’article 2(4) de la Charte des Nations Unies.

4 Acte Constitutif de l’Union Africaine, Article 4 (b).

5  Résolutions de l’AGNU 34/37 de 1979 et 35/19 de 1980.

6 La puissance occupante a des obligations spécifiques là où elle exerce un contrôle effectif sur les territoires occupés.  Ce sont les obligations de respect des droits humains, de la loi et de l’ordre, en plus du respect des dispositions ad hoc de la loi humanitaire concernant l’occupation.

7c Décisions de l’Assemblée de l’Union Africaine en 2017 et 2018.

8 La résolution 1541 complète la résolution 1514 en spécifiant la façon dont la nation occupée doit être consultée. , https://undocs.org/en/A/RES/1541(XV)

*Poète, journaliste et militant sahraoui, né en 1971 à El Ayoun, Malainin Lakhal a été victime de disparition forcée dans les prisons marocaines avant de s’enfuir, au risque de sa vie, du Sahara occidental occupé. Il a été l’un des fondateurs de l’Union des journalistes et écrivains sahraouis (UPES), dont il a été secrétaire général, et il est actif au sein de l’Observatoire des ressources naturelles sahraouies.


Merci à Tlaxcala
Source: http://tlaxcala-int.org/article.asp?reference=25602
Date de parution de l’article original: 21/03/2019
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=25607

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