Algérie / Déstabiliser le régime ou le peuple ? Les dessous de la campagne de désinformation en cours

La presse et les réseaux sociaux se sont fait l’écho d’un article écrit par un général français, Dominique Delawarde en l’occurrence, sous le titre «Algérie : révolte spontanée ou déstabilisation préméditée et organisée ?», selon lequel le duo américano-israélien mènerait actuellement dans notre pays une campagne de déstabilisation, les manifestations en cours n’en seraient qu’une étape. Leur stratégie, conduire au chaos et par la suite installer un pouvoir favorable à leurs intérêts.

Dans la lutte actuelle pour l’hégémonie mondiale, entre le camp Etats-Unis-OTAN-Israël et celui ayant pour noyau la Russie- Chine-Inde, l’Algérie, selon Dominique Delaware, a su sauvegarder son indépendance en adoptant trois positions jugées inadmissibles par le camp occidental : bonnes relations avec la Russie, l’Iran et Bachar Al Assad de Syrie  ; refus de participer à la grande coalition saoudienne au Yémen  ; soutien continu à la cause palestinienne.

Pour Dominique Delawarde, le duo USA–Israël veut se débarrasser de Bouteflika. Il applique à l’Algérie le scénario syrien, raison pour laquelle, affirme-t-il, « je ne crois pas à la spontanéité de tous les événements qui agitent aujourd’hui la rue algérienne». Ces allégations auraient pu paraître banales en raison du manque de preuves tangibles, mais les circonstances très sensibles que traverse le pays en ont décidé autrement. Elles font le buzz ! Nous avons donc voulu interroger le texte de Dominique Delawarde, enquêter sur ses sources pour savoir exactement de quoi il retourne et que vise le propos dans le contexte actuel ?

Qui est Dominique Delawarde ?

C’est un général à la retraite, le dernier poste qu’il a occupé est chef du service «Situation-Renseignement-Guerre électronique » à l’état-major interarmées de planification opérationnelle. Spécialiste en guerre électronique, il a servi plus de 8 ans dans différents pays en situation de crise.

Franc-maçon, membre du Comité Valmy, un cercle souverainiste français, il est proche de Moscou et de l’Iran, il a souvent prêté son expertise et sa plume aux causes de ces deux pays, notamment dans l’affaire Skripal (agent double russe empoisonné en Angleterre) ou encore celle des attaques chimiques en Syrie. En France, il est connu pour appartenir à la mouvance souverainiste proche de Gérard de Villiers. Rien, absolument rien ne le prédispose à parler de l’Algérie sinon ses accointances avec d’obscurs réseaux. Voilà pour l’homme ; qu’en est-il pour le site propagateur de l’article ?

Le site www.Breizh-Info.com qui a mis en ligne l’article appartient à l’extrême droite française, il est dirigé par Yann Vallerie, ancien président de Jeune Bretagne, un groupuscule d’extrême droite lié au Bloc Identitaire et disparu en 2014, il est également ancien membre d’Adsav, un groupe de l’extrême droite indépendantiste bretonne.

L’article du général Dominique Delawarde est publié le 22 mars 2019, soit trois jours après que les Russes aient reçu Ramtane Lamamra à Moscou et déclaré par la voix de leur ministre des Affaires étrangères s’opposer à « toute ingérence dans les affaires internes de l’Algérie». Déclaration laissant supposer l’existence de forces extranationales parmi les protagonistes de la crise algérienne. On peut considérer que l’article du général venait à point nommé pour donner à la déclaration russe les éléments de langage dont elle avait besoin.

Les sources de Dominique Delawarde ?

Ne nous arrêtons pas à son argumentaire, il est sans intérêt, attachons-nous plutôt à analyser ses sources et les réseaux auxquels ils appartiennent. Il cite deux sites russes, Sputnik et RT France relayant les positions officielles de ce pays, et un article paru sur le blog http://stratediplo.blogspot.com.

Les alertes de Stratediplo est un blog d’obédience ultra droite souverainiste. En date du 13 mars 2019, il a mis en ligne un article sans nom d’auteur sous le titre : «Déstabilisation de l’Algérie». Dès le chapeau, le ton est donné : «La fièvre du vendredi matin, que l’on constatait en Syrie en juin 2011, touche à présent l’Algérie» (on a l’impression de lire Ouyahia). L’article est truffé de fausses informations, de tics complotistes, d’allégations mensongères tendant à faire accroire à un vaste complot ourdi par le duo Etats-Unis – Israël visant à chasser le président Bouteflika.

Le complot existerait de longue date, depuis le mouvement Barakat et il se poursuivrait avec les manifestations du 22 février. En effet, il est écrit : «Dans tout le pays, en fin de matinée et en synchronie surprenante, les gens se sont spontanément mis à manifester en sortant des dizaines de mosquées des grandes villes, comme si une révélation prophétique leur était soudainement apparue sans que personne ne leur donne de consigne.»

Alors qu’en Kabylie «la réaction assez générale des journaux et des réseaux sociaux semble être un appel à la sécession.» (sic) Les manifestations pacifiques prépareraient selon l’auteur une situation de chaos qui conduirait à une intervention militaire en cours de préparation au Maroc où «dans un centre de coordination installé à Rabat, un certain nombre d’agents étatsuniens, marocains et de spécialistes d’Otpor (l’agence initialement serbe financée par Soros pour les “révolutions de couleur”) travailleraient depuis déjà un an à la planification, au financement et au ravitaillement de mouvements activistes en Algérie, et des cadres algériens auraient suivi là six mois de formation intensive.

Deux douzaines d’officiers étatsuniens, marocains, serbes et français (et quelques Algériens félons), seraient déjà à pied d’œuvre dans deux états-majors de conduite opérationnelle déployés à Oujda et Er Rachidia (Maroc), et des dizaines d’autres formeraient déjà un millier de futurs miliciens dans trois camps d’entraînement (dont un en Mauritanie), tandis que deux bases de soutien logistique auraient été installées en Tunisie.»

Mais d’où l’auteur de ces affirmations tient-il ses informations ? Il dit les avoir tirées d’un article publié le même jour, le 13 mars 2019, par le site électronique algérien Algérie Patriotique, sous le titre : «Un plan de destruction de l’Algérie est entré en action à partir du Maroc».

Etrange coïncidence  !

Comment cela se peut-il qu’un journaliste professionnel attende la dernière minute pour aller pêcher son information principale dans une publication parue le même jour et à la même heure  sur un site étranger ? Plus intrigant encore, Algérie Patriotique n’en est pas producteur, mais le relais. Allons voir du côté d’Algérie Patriotique.

Algérie patriotique et la source iranienne

Youcef Benzatat, auteur de l’article que cite largement le blog alertes de Stratediplo, donne les détails techniques sur les camps de mercenaires qui se prépareraient à attaquer l’Algérie. Il dit détenir ces informations d’un analyste iranien, Mohammed Sadeg Al Hosseini, qui les aurait obtenues d’«une source (américaine) de renseignements spécialisée dans l’analyse des mouvements populaires dans le monde». Ce Mohammed Sadeg Al Hosseini, ancien conseiller du président iranien Khatami, est connu pour être un propagandiste alimentant par ses articles des sites complotistes de la blogosphère. Quant à la source américaine à l’origine de ces informations, nous n’en saurons rien, puisque ni Benzatat ni son informateur ne la dévoilent.

Résumons 

Le 22 mars, le général français spécialiste en «désinformation électronique» publie sur un site d’extrême droite un article décrivant un projet de déstabilisation de l’Algérie. Il dit détenir ses informations de deux sites russes et d’un article paru le 13 mars sur un site de l’extrême droite française. Ce dernier reprend in extenso les informations données par Y. Benzatat d’Algérie Patriotique qui affirme les détenir d’un analyste iranien, qui atteste les reprendre de révélations faites par un spécialiste américain inconnu au bataillon. Voilà comment se fabrique une fake new. Une sorte de vases communicants qui débouchent sur le vide.

Les propagateurs…

L’article de Dominique Delawarde est vite repris par Press TV, un site de la TV iranienne : www.presstv.com. Le site de la chaîne Al Manar-Liban (Hezbollah chiite) : www.french.almanar.com. Le site d’extrême droite français www.auxfrontieres.com Le site pro-iranien www.parstoday.com

Pour avoir une idée de la ligne éditoriale du site Parstoday, rappelons les titres de ses derniers articles : Algérie : Riyad/ Tel-Aviv se réactivent ; Algérie : la mise en garde russe ; Algérie, les USA menacent ! ; L’Algérie et l’objectif occidental ; Algérie : «les mains sales israélo-américaines»…

En Algérie, c’est le site Raina.com qui se présente comme le porte-voix d’une « alternative anticapitaliste» qui, dès le 23 mars, publie l’article in extenso dans sa rubrique contribution en précisant qu’il l’a reçu directement de son auteur. Ensuite, le texte du général spécialiste de la guerre électronique fait le buzz…

Entendons-nous bien, ce qui pose problème dans ces prises de position se relayant les unes les autres, ce n’est pas de vouloir attirer l’attention sur une hostilité avérée du camp occidental à l’égard de notre pays. Personne de sensé ne peut en douter. Ce qui doit être dénoncé avec vigueur, ce sont les sous-entendus selon lesquels les manifestations actuelles feraient partie d’un plan de déstabilisation visant l’Algérie. Parce que cette thèse fait l’impasse sur l’origine réelle de la crise et qu’elle tente de réveiller chez les Algériens les vieux démons de la peur, elle doit être fermement dénoncée.

Qui a intérêt à promouvoir la thèse du complot ourdi ?

La question qui se pose est celle-là : pourquoi la thèse de la déstabilisation extérieure a pris de la vivacité juste après le voyage de Ramtane Lamamra à Moscou ? Pourquoi ce sont les sites de la mouvance souverainiste française et ceux proches de l’Iran et de la Russie qui la propagent ?

A cette série de questions, vient s’ajouter une autre essentielle : qui a intérêt à voir échouer le Hirak ?

L’entrée en force du peuple algérien sur la scène politique, l’exemplarité de sa mobilisation, la créativité, l’inventivité dont il fait preuve font peur au pouvoir algérien, mais aussi bien au-delà. Qu’en Algérie un mouvement populaire d’une ampleur sans précédent réussisse à mobiliser dans le calme et la bonne humeur des millions de personnes pour réclamer la chute du régime et la fin d’un système prédateur n’est pas pour plaire aux maîtres du monde, qu’ils soient de l’Est ou de l’Ouest. Un peuple debout est toujours un mauvais exemple.

Mauvais exemple aussi, les formes de luttes qui sont apparues dans les manifestations populaires, où l’auto-organisation par le bas a permis au mouvement de prendre de l’ampleur et de libérer des potentialités créatrices.

Mauvais exemple aussi, la dynamique politique qui a permis aux sans-voix de prendre la parole et d’avancer leurs revendications pour le changement pacifique. Les élites traditionnelles se trouvant ainsi dépassées et obligées de s’immerger dans le peuple.

Stopper l’insurrection éthique du peuple algérien arrange bien des oppresseurs. Il est sûr que de nombreuses officines sont à l’œuvre ici et là, peaufinant des stratégies, des éléments de langage, pour semer le doute parmi le peuple, briser sa solidarité, casser son élan, le dévier de sa trajectoire et l’entraîner sur de fausses pistes. En ces heures très difficiles, la vigilance doit être de mise. Que tout le monde sache que nous n’avons qu’un seul adversaire : le système actuel et qu’un seul but : donner à notre pays un Etat réellement représentatif des aspirations de son peuple.  

Lire : Algérie: révolte spontanée ou déstabilisation préméditée et organisée ?

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