Bilan du 16e anniversaire de l’intervention occidentale en Irak : chaos, islamisme, terrorisme

En 2003, après une grande campagne de désinformation, les Etats-Unis envahissaient l’Irak. 16 ans plus tard, le géopolitologue Alexandre Del Valle dresse le bilan – catastrophique – de cette opération.

Le 20 mars 2003, malgré l’hostilité de Paris, de Moscou et de Pékin, Washington lança unilatéralement l’opération «Irak Freedom» contre l’avis du Conseil de sécurité des Nations unies. Le régime de Saddam Hussein chuta rapidement, mais l’Irak sombra durablement dans le chaos. En février 2006, après l’attentat contre un mausolée chiite de Samarra, au nord de Bagdad, une interminable guerre civile éclata en Irak, elle-même permise par le démantèlement de l’Etat irakien et de son administration, puis par l’installation par les Américains, à Bagdad, d’un pouvoir chiite revanchard, qui, en humiliant et persécutant les sunnites, poussèrent les tribus et les cadres sunnites déchus du régime baassiste dans les bras d’Al-Qaida et d’autres groupes islamistes sunnites jihadistes.Lire aussi

Plus encore que la première intervention de 1990-1991, la guerre anglo-américaine en Irak de 2003, permise par une immense campagne de désinformation médiatico-politique planétaire, confirma le caractère néo-impérial et unilatéral de l’hyperpuissance étatsunienne, prête à violer le droit international, à ignorer les décisions des Nations unies et à démanteler la souveraineté d’Etats souverains qui ne l’ont pas agressé dans le seul but de servir des intérêts stratégiques et géoéconomiques. Ironie du sort, c’est aujourd’hui «l’Etat profond» américain, ses 17 agences de renseignements, ses juges, ses médias et ses hommes politiques démocrates comme républicains néoconservateurs (qui ont approuvé toutes les guerres néo-impériales de Washington : Bosnie, Kosovo, Afghanistan, Irak I et II, Libye) qui accusent aujourd’hui la Russie post-soviétique de propager partout dans le monde des «fake news» et d’influencer les élections aux Etats-Unis ou ailleurs en Europe.

Irak II : retour sur la plus grossière opération de désinformation géopolitique du XXe siècle

Pour rappel, afin de justifier moralement et politiquement le renversement du régime de Saddam Hussein, le gouvernement américain accusa l’Irak baassiste de détenir «des armes de destruction massive» (chimiques et bactériologiques) qui auraient pu être utilisées plus tard contre des minorités (kurdes, chiites, etc) et des intérêts occidentaux. Il suggérait également, sans fournir pour autant aucune preuve, que le régime de Saddam Hussein entretenait des «liens avec Al-Qaida», qui aurait carrément trouvé refuge en Irak après avoir été délogé de ses bases afghanes après l’intervention de la coalition internationale voulue par Washington en représailles aux attentats du 11 septembre 2001.Lire aussi

L’Irak faisait alors partie de l’«Axe du Mal» (remake de «l’Empire du mal» de Ronald Reagan), qui supposait que le régime de Saddam aurait été impliqué dans les attentats du World Trade Center de septembre 2001… Pourtant, au lendemain des attaques du 11 septembre, George W. Bush s’était fait livrer un rapport des services – via sa conseillère pour les questions de sécurité, Condolezza Rice – qui assurait clairement qu’aucun lien n’avait existé entre l’Irak et Al-Qaïda. Malgré cette évidence (Ben Laden avait même proposé aux Etats-Unis en 1990 ses «services» djihadistes afin d’aider l’armée américaine à renverser Saddam), James Woolsey, qui dirigeait alors la CIA, évoqua auprès du président américain un «mariage très fructueux entre Saddam Hussein et Ben Laden».

L’immense intox planétaire fut découverte quelques années plus tard : le général Powell le regrettera amèrement

En 2002, le vice-président Dick Cheney affirma durant une tournée mondiale que Saddam Hussein «développait des armes de destruction massive», une intox largement co-diffusée par le Premier ministre britannique d’alors, Tony Blair. Ce dernier alla jusqu’à présenter, quelques mois plus tard, un rapport plein de fake news de 55 pages «démontrant» que l’Irak développait des armes chimiques, bactériologiques et même nucléaires, pouvant être «opérationnelles d’ici un à cinq ans»… Au Conseil de sécurité de l’ONU, Hans Blix, auteur d’un précédent rapport contraire, et Mohamed ElBaradei, à la tête des inspecteurs de l’ONU, avaient pourtant assuré que rien ne pouvait corroborer ces allégations. Malgré cela, le 5 février 2003, Colin Powell, alors secrétaire d’État américain, tenta de convaincre le Conseil de sécurité des Nations unies de la «légitimité» d’une intervention militaire en Irak en mentionnant des «écoutes téléphoniques» et en brandissant des «photos satellitaires» et même une fiole supposée contenir de l’anthrax… L’immense intox planétaire fut découverte quelques années plus tard : le général Powell le regrettera amèrement, et George Bush et Tony Blair eux-mêmes reconnurent qu’ils avaient accusé à tort l’Irak de collusion avec Al-Qaïda et de détention d’armes de destruction massive.

La CIA plaida coupable, mais le mal était fait

D’après l’aveu même de la CIA, qui plaida coupable, les informations colportées par les dirigeants anglo-saxons étaient mensongères et les analystes responsables de l’intox furent accusés d’avoir «bâclé» leurs conclusions. Un rapport officiel d’enquête publié en 2005 parla même de la plus «préjudiciable faillite du renseignement de l’histoire américaine». En février 2011, un agent nommé Rafid Ahmed Alwan al-Janabi (alias «Curveball», proche de la CIA) avoua au journal The Guardian que c’était lui qui avait inventé de toute pièce l’intox dans le but de convaincre les États-Unis de renverser Saddam Hussein.

N’oublions pas à cet effet que Dick Cheney en personne avait été président en 1995 d’Haliburton

Plus personne ne nie aujourd’hui que la diabolisation de Saddam par George W. Bush et Tony Blair puis que l’intervention militaire anglo-américaine qui s’en suivit contre l’Etat irakien ne visait pas du tout à instaurer la démocratie, mais plutôt à renforcer la main-mise anglo-saxonne sur les hydrocarbures du Golfe arabo-persique, d’où aussi l’idée de faire surgir un Kurdistan indépendant sur les ruines de l’Etat irakien bassiste. Pour les néo-conservateurs du clan Bush jr, liés aux milieux d’affaires et pétroliers, le but était, dans le cadre de la compétition mondiale pour le contrôle des routes et de la commercialisation du gaz et du pétrole, à évincer de la région la Chine, la Russie et les Européens (France en tête). N’oublions pas à cet effet que Dick Cheney en personne avait été président en 1995 d’Haliburton…Lire aussi

Le mépris des néo-conservateurs américains pour les instances internationales se manifesta cyniquement lorsque la conseillère de George Bush à la Sécurité nationale, Condoleeza Rice, déclara à la veille de cette deuxième guerre anglo-américaine contre l’Irak que «les Etats-Unis sont prêts à répondre militairement à la menace représentée par l’Irak, même en cas de rejet par le Conseil de sécurité de l’ONU, d’une résolution des Etats-Unis autorisant la guerre». Dans le même sens, le président américain George W. Bush jr, en annonçant le début des hostilités contre l’Irak, prétendait que son but consistait à «désarmer l’Irak, libérer son peuple et défendre le monde contre un grave danger», promettant ainsi de surmonter les «dangers» qui menaçaient l’Amérique et le monde et «d’apporter la liberté» à d’autres. Quant à Richard Perle, néoconservateur très influent au sein l’équipe de Bush junior, il décrivit cette guerre comme «le tsunami de la liberté qui déferle sur le Moyen-Orient». L’idée affichée était de remodeler entièrement le Moyen-Orient en renversant tous les régimes nationalistes-arabes liés à la Russie, à la Chine et aux Etats européens les moins atlantistes. En fin de compte, cette seconde guerre du Golfe, bien plus unilatérale que la première, fut condamnée par le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, qui déclara, le 8 février 2003, que «toute décision de désarmer l’Irak par la guerre doit être prise par les Nations Unies (ONU) et seulement si toute autre alternative a échoué».

La «flypaper strategy» ou la guerre des apprentis-sorciers

Rétrospectivement, les experts s’accordent aujourd’hui sur le constat que la guerre d’Irak de mars 2003 a été un véritable désastre géopolitique pour l’ensemble de la région qui en paie encore les conséquences directes, à savoir notamment l’émergence de l’Etat islamique. On a même découvert a posteriori que l’administration américaine a cherché à créer artificiellement en Irak une «terre de djihad», afin notamment de détourner l’attention des terroristes d’Al-Qaida du territoire américain puis dans le but de se concentrer dans leur lutte contre le djihadisme sur un terrain plus proche que l’Afghanistan et plus accessible comme l’Irak.Lire aussi

Il est vrai que, depuis 2003, des milliers des jihadistes ont convergé du monde entier vers ce pays pour y combattre l’armée américaine ou leurs alliés locaux «apostats» chiites. Cette approche est connue sous le nom de «stratégie du papier tue-mouches (flypaper strategy)». Elle consiste à attirer les ennemis dans un endroit où il serait plus facile de les éliminer et à partir d’où ils seraient incapables d’atteindre les points vulnérables de leur adversaire. Elle a été décrite par le Général Ricardo Sanchez, qui a commandé les forces terrestres américaines en Irak : «C’est ce que j’appellerais un aimant pour les terroristes, où l’Amérique, étant présente en Irak, crée une cible d’opportunité… Ils sont exactement là où nous voulons les combattre, ce qui préviendra le peuple américain de subir leurs attaques sur le sol étatsunien».

Cependant, l’utilité de cette stratégie dépend du nombre de nouveaux ennemis créés et du nombre d’entre eux qui seront attirés par «le papier tue-mouches». Selon un rapport d’un organisme américain Center for Strategic International Studies (CSIS), le nombre de combattants étrangers éventuellement affiliés à Al-Qaida, serait compris entre 4 et 10% de 30 000 combattants rebelles, ce qui montre la très faible efficacité de cette stratégie. En même temps, le nombre de nouveaux djihadistes qui n’étaient pas issus d’Al-Qaida est monté en flèche, conduisant à la création de nouvelles organisations terroristes dont l’Etat islamique n’est que l’un des exemples. En même temps, le nombre de victimes dans la guerre d’Irak entre 2003 et 2011 a été estimé à 500 000 morts, dont la majorité écrasante était composée de civils. Un chiffre bien plus élevé que celui des «crimes» attribués à Saddam Hussein.

Les conséquences de l’interventionnisme américain au Moyen-Orient : l’expansion du terrorisme islamiste

Comme je l’ai expliqué en 1997 dans mon ouvrage «Islamisme-Etats-Unis, une alliance contre l’Europe», qui poursuivait les travaux du général Pierre-Marie Gallois, les attentats du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis tout comme les différents attaques terroristes attribuées à la nébuleuse Al-Qaïda contre les Etats-Unis, leurs intérêts ou leurs citoyens dans le monde depuis 1992, furent des conséquences prévisibles de la politique étrangère américaine pro-islamiste initiée dès la guerre d’Afghanistan durant laquelle les Etats-Unis et d’autres pays atlantistes appuyèrent sciemment, aux côtés du Pakistan islamiste de Zia ul-Haq, de l’Arabie saoudite wahhabite et des Frères musulmans, les légions de djihadistes venues du monde entier pour combattre la Russie soviétique.

L’expansion de Daesh dans le contexte de la déstabilisation des Etats baassistes irakien et syrien consécutivement aux interventions occidentales en Irak et en Libye ou en Syrie ne fut que l’ultime manifestation paroxystique des dérives interventionnistes étatsuniennes

De la même manière, la stratégie occidentale à l’œuvre durant l’intervention en Irak pour «libérer» le Koweït et protéger les monarchies sunnites du Golfe en détruisant l’Etat arabe nationaliste le plus anti-islamiste et en livrant Bagdad aux chiites revanchard, était à la fois périlleuse et contradictoire : elle ne pouvait que mécontenter à la fois les nationalistes arabes et les islamistes sunnites, de ce fait ligués face aux chiites pro-américains ou pro-iraniens devenus maîtres de Bagdad. Telle est la vraie genèse de Daesh. Par ailleurs, cette stratégie anti-Etat-Baassiste ne permit pas pour autant de réconcilier Washington et Téhéran, pourtant bénéficiaire direct du renversement de Saddam Hussein, et elle radicalisa contre les Occidentaux les masses musulmanes qui allaient assimiler la présence étrangère occidentale à un néo-colonialisme et à une «coercition infidèle». Certes, Le Grand Mufti et président du Conseil des Oulémas d’Arabie saoudite, cheikh Ibn Baz, avait produit une fatwa qui justifiait, en 1990, au moment de la première guerre du Golfe, le recours à l’armée infidèle américaine et à sa présence massive sur le sol koweïtien et saoudien face au taghout (tyran mécréant) Saddam Hussein.

Toutefois, cette décision ad hoc fut fortement contestée par les plus grands «savants» salafistes, y compris des confrères de Bin Baz, notamment le plus respecté de tous, Al-Albani, qui dénonça sa fatwaen accusant les dirigeants saoudiens d’avoir «autorisé les mécréants à venir dresser des croix en terre sacrée islamique puis à leurs femmes de défiler nues dans les rues». Une grande partie de la communauté salafiste-wahhabite se révolta et des avis de nombreux chouyoukh comme Al-Albani furent invoqués par des groupes djihadistes-salafistes pour justifier le djihad total contre les Américains, tant en Arabie saoudite, qu’au Koweit, au Qatar, en Irak et partout où les armées des «croisés» occupent une terre islamique. Les néo-conservateurs américains, par leur intervention anti-irakienne fondée sur la fausse accusation de collusion Saddam/Ben Laden, produisirent finalement une «prophétie auto-réalisatrice» en créant les conditions optimales pour que l’Irak devienne une terre de jihadisme. L’expansion de Daesh dans le contexte de la déstabilisation des Etats baassistes irakien et syrien consécutivement aux interventions occidentales en Irak et en Libye ou en Syrie (après le «printemps arabe») ne fut que l’ultime manifestation paroxystique des dérives interventionnistes étatsuniennes. Les dirigeants européens et américains favorables à cette entreprise belliciste unilatérale porteuse de chaos portent en conséquence une responsabilité accablante dans la montée de l’islamisme radical dans le monde et sur le sol même des démocraties occidentales.

La responsabilité occidentale dans les chaos syrien et libyen

Étonnamment, les puissances atlantistes (Grande-Bretagne, France et Etats-Unis) n’ont pas renversé la Libye de Kadhafi lorsque ce pays appuyait le terrorisme panarabe durant la guerre froide, mais au contraire après qu’il ait renoncé au terrorisme et même à son programme nucléaire. Au moment du printemps arabe, lorsque la France, la Grande Bretagne puis les Etats-Unis et l’OTAN ont renversé le régime libyen avec l’aide de forces islamistes djihadistes, il était pourtant devenu un pays «fréquentable» et aidait même les Européens à contrôler les flux migratoires et à lutter contre le terrorisme islamiste qui menaçait autant le régime «apostat» socialisant de Mouammar Kadhafi que l’Occident. Bizarrement, ce dernier a littéralement agressé la Libye alors qu’elle n’a jamais été aussi proche des pays européens. Kadhafi ne menaçait pas ou plus nos valeurs, il coopérait avec nous, et cette collaboration sécuritaire et migratoire était très utile de l’avis de tous les experts et responsables des questions terroristes.

Du point de vue militaire, nous savons aujourd’hui que les pays de l’OTAN ont mis en place en Libye des islamistes que leurs armées et services spéciaux ont même entraînés. Ils ont renversé un régime qui ne nous menaçait pas pour mettre en place des islamistes qui eux, nous menacent de plus en plus par leurs visées anti-occidentales, terroristes et leur projet de submersion migratoire des îles du sud de l’Europe (Lampedusa, Malte, etc). D’où notre observation depuis des années selon laquelle l’Occident se trompe systématiquement d’ennemi et persiste à aider des mouvements islamistes anti-occidentaux dans le cadre notamment d’un endiguement contre-productif et suicidaire de la Russie et des pays alliés de Moscou ou de Téhéran. On sait qu’en collaboration étroite avec la DGSE et des services extérieurs de pays de l’OTAN, dont la Grande Bretagne et les Etats-Unis, des groupes islamistes libyens liés au terrorisme international ont été récupérés et entraînés, via le Qatar et la Turquie, afin de renverser et tuer Mouammar Kadhafi et pour installer un pouvoir islamiste pro-Frères musulmans et salafiste en Libye. Ainsi, la plupart des postes de commandement militaires ont été confiés juste après la chute de Kadhafi à des islamistes jihadistes notoires : Abdelhakim Belhaj (Tripoli), Ismaël as-Salabi (Benghazi), Abdelhakim al-Assadi (Derna), Ali Salabi (CNT). Le cas d’Abdelhakim Belhaj, «gouverneur militaire de Tripoli» et «chef militaire du Conseil national de transition libyen», est particulièrement représentatif du «syndrome afghan» qui consiste à répéter l’erreur de l’Afghanistan en appuyant des islamistes djihadistes contre un ennemi (Russie soviétique, Libye de Kadhafi). Belhaj fut présenté par l’administration Obama comme un djihadiste «repenti», en raison de son ralliement aux forces occidentales face au régime de Kadhafi. Il est tout de même un ancien membre fondateur du Groupe islamique combattant en Libye, organisation islamiste-jihadiste qui luttait contre le colonel libyen aux côtés d’Al-Qaïda.

Bizarrement, l’Occident a littéralement agressé la Libye alors qu’elle n’a jamais été aussi proche des pays européens. Kadhafi ne menaçait pas ou plus nos valeurs

En 1988, il rejoignit le djihad afghan contre l’occupation soviétique, aux côtés d’autres volontaires arabes, dont la plupart formeront ensuite le noyau dur d’Al-Qaïda. Il fut arrêté au Pakistan après les attentats du 11 septembre 2001, puis à nouveau en 2004 en Malaisie, puis détenu à Bangkok, pour appartenance à des réseaux terroristes. Il fut tout à coup proclamé «combattant de la liberté» en 2011 par les Etats-Unis et secrètement appuyé par la France, lors de la guerre menée par le tandem franco-britannique et l’OTAN en Libye. Son groupe armé servit même de principale force pour mener l’assaut sur Tripoli et pour assassiner Kadhafi. Nombre de services occidentaux suspectent Belhaj de double jeu et d’avoir contribué à l’attaque qui tua l’ambassadeur américain Christopher Stevens le 11 septembre 2013 à Benghazi. Et des membres du GCIL de Belhaj ayant combattu et fui la Libye de Kadhafi avant d’y revenir prendre des fonctions après sa chute ont atteint une certaine notoriété au sein de la sphère jihadiste: Anas El Libi, qui a participé, en 1998, aux attaques terroristes contre les ambassades américaines de Dar El-Salam en Tanzanie et Nairobi au Kenya ; Abdel Hakim al-Hasidi, officier en chef commandant les défenses de Dernah, arrêté en Afghanistan en 2002 puis transféré aux autorités américaines et renvoyé en Libye (libéré en 2008).

Deux autres membres prédominants d’Al-Qaïda libyens impliqués dans la révolte contre Kadhafi sont Abd El-Moneim El Madhouni, alias Mustafa el-Zawi, alias Ibn el-Ward. Ainsi, dans la Libye post-Kadhafi «libérée» par les Occidentaux et leurs alliés du Golfe, salafistes et frères musulmans, tous les postes de commandement militaire ont été confiés aux islamistes (à l’exception du cas du général Haftar, ex-Kadhafiste anti-islamiste appuyé par les Emirats et l’Egypte d’Al-Sissi) souvent dénoncé d’ailleurs par ces mêmes Occidentaux : Abdelhakim Belhaj (Tripoli), Ismaël as-Salabi (Benghazi), Abdelhakim al-Assadi (Derna), Ali Salabi (CNT).

La folie du regime change évitée de justesse en Syrie par l’intervention russe

En Syrie, les dirigeants occidentaux ont cru dès le début de la guerre civile pouvoir se permettre le luxe de ne pas définir l’ennemi principal et ont même considéré dès le départ que le «danger originaire», la cause du chaos et de la montée d’Al-Nosra et de Daesh était Bachar al-Assad, alors que celui-ci, comme peu avant lui Mouammar Kadhafi, Slobodan Milosevic ou Saddam Hussein, n’agressait et ne menaçait point les pays occidentaux, et alors que personne ne nie aujourd’hui que le djinn jihadiste est sorti des expérimentations chaotiques anglo-américaines en Irak. Au contraire, le régime de Bachar coopérait depuis le milieu des années 2000 (comme La Libye de Kadhafi) avec les capitales occidentales dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Dans le cadre de l’enthousiasme béat qui caractérisa le traitement des révolutions arabes par les Occidentaux, on put alors entendre le sénateur John McCain, ancien candidat à la présidence des Etats-Unis, face à Barak Obama en 2008, déclarer, en février 2014, lorsqu’il se rendit à la Conférence de sécurité de Munich : «Nous remercions Dieu pour les Saoudiens, le prince Bandar et nos amis qataris», après avoir rencontré, en mai 2013, les «combattants de la liberté» islamistes syriens. McCain posa même fièrement sur une photo où l’on pouvait distinguer visiblement, aux côtés du général Idris de l’Armée syrienne libre, des combattants d’«Al-Nosra» (Al-Qaïda en Syrie) passés entre temps du côté de l’Etat islamique, ce qui permet à ce dernier de présenter la venue en Syrie auprès des djihadistes de McCain comme une source de légitimité… Et en juin 2012, lorsque fut organisée la première rencontre du Groupe d’action sur la Syrie à Genève pour tenter de trouver une solution à la guerre civile en Syrie («Genève I»), la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, parlait d’«ère post-Assad».

L’objectif du gouvernement américain et de la CIA était alors de faire chuter le régime d’Assad : les Occidentaux ont à ce moment non seulement soutenu l’avancée des forces rebelles lors des défections des hauts responsables et officiers supérieurs du régime comme Tlass, Moufleh, etc, mais aussi appuyé une attaque massive de l’ASL (soutenue par la Turquie et les Etats du Golfe). La CIA est allée jusqu’à organiser l’attentat du 18 juillet 2012 au cœur du siège de la sécurité nationale syrienne à Damas dans le but de décapiter le régime syrien. Des brigades dites de «l’armée libre» armés par les Occidentaux et leurs alliés sunnites ont alors débuté une offensive près de Damas.

Comme l’a très bien montré Maxime Chaix, dans son récent ouvrage, La guerre de l’ombre en Syrie (2019), les Etats-Unis ont financé, dès 2011, en Syrie, «l’une des plus vastes opérations clandestines» de l’histoire de la CIA visant à équiper, entrainer (Train and Equip) et financer des djihadistes syriens (liés à Al-Qaïda/Al-Nosra et parfois indirectement à Daesh) dans le but de renverser le régime pro-russe de Bachar al-Assad qui abrite des bases militaires russes et qui s’est mis le Qatar à dos après avoir préféré être une zone de transit d’hydrocarbures pour les compagnies russes et iraniennes plutôt que pour celles de Doha… Cette opération nommée Timber Baltimore, a été co-financée, comme jadis les opérations pro-jihadistes de la CIA en Afghanistan ou en Bosnie-Kosovo, par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie.Pareille stratégie de soutien aux islamistes/djihadistes sponsorisés par Ankara et/ou les pays du Golfe (suivant les groupes et sous couvert d’ASL) et à faire table rase du régime baassiste en place («syndrome afghan»), s’avéra hautement sismique, incontrôlable et donc dangereuse.

Il suffit pour s’en convaincre de voir ce que sont devenus les Etats afghan, irakien, libyen, ou même l’ex-Yougoslavie, aujourd’hui morcelée en mille morceaux «multiconflictuels» comme la Macédoine, la Bosnie-Herzégovine ou le Kosovo, autant de pays déstabilisés durablement par les stratégies cyniques pro-islamistes et ou anti-russes et anti-bassistes des stratèges étatsuniens. Seule l’intervention militaire et diplomatique russe, décisive, a permis de mettre en échec en Syrie le plan anglo-saxon initial de regime change pro-islamiste de Washington et de ses alliés du Golfe ou turcs. Le régime libyen n’a pas eu la même chance d’être protégé par Moscou. Et le message pour nombre de pays désireux d’acquérir la bombe nucléaire ou pressés de l’abandonner est clair : le meilleur moyen d’être victime d’un regime change est d’y renoncer, et la meilleure façon de s’en prémunir est de conserver cette «assurance-vie» hautement dissuasive qu’est l’atome. Comme l’observe fort justement Fiodor Lukyanov, «la guerre d’Irak initia une destruction accélérée de la stabilité régionale et globale, sapant les dernier principes d’un ordre mondial durable. Tout ce qui s’est passé depuis lors, y compris le flirt avec les islamistes pendant le Printemps arabe, la politique américaine en Libye et l’action des Etats-Unis en Syrie, tout cela sert de preuve que la dernière superpuissance agit dans un délire stratégique

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