LIVRES / LES ENVAHISSEURS

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres 

Le désordre colonial. L’Algérie à l’épreuve de la colonisation de peuplement. Essai de Hosni Kitouni (préface de William Gallois), Casbah Editions, Alger 2018, 950 dinars, 378 pages 

Un livre qui se limite seulement à la période 1830 – 1900, mais qui suffit amplement à montrer et à démontrer l’ampleur des désastres auxquels ont abouti 70 années de guerre, de dépossessions et de fiscalité prédatrice. Des causes importantes (bien qu’elles ne soient pas les seules) du chaos absolu. Résultat : la création de deux «cas tes», celle des «colons» et celle des «indigènes» (la plupart du temps classés par la suite sous des termes génériques : les «pieds-noirs » et les «Arabes») ; deux castes dont l’une, la première citée, ne pouvait vivre et prospérer qu’aux dépens de l’autre «comme une sangsue de sa bête»… et ce durant plus de 130 ans. Et, au final, deux peuples irréconciliables constitutifs d’une impossible société nourrie de violence, de racisme et d’exclusion politique. Le trauma colonial est tel qu’aujourd’hui encore il «occupe» la sphère mentale des Algériens, y compris bien des jeunes, secoués par le récit des «pères»…. et se sentant incompris par une «histoire de la colonisation» (mis à part quelques exceptions à saluer) osant vanter ses «bienfaits». 

L’auteur, indépendant des institutions… et des méthodes de recherche académiques souvent (heureusement pas toujours et pas toutes) castratrices, mû par la volonté de continuer l’œuvre de Sahli M-C, pour «décoloniser l’histoire», est donc allé puiser ses informations dans des documents parfois exceptionnels comme ceux relatifs aux opérations militaires et des rapports considérés jusque-là comme ayant totalement disparu. L’ouvrage, en dehors d’une première partie introductive, s’articule donc autour de trois problématiques : 

1. «De la guerre coloniale : par le feu et par la faim», avec pour objectif de mettre tout un peuple à genoux : violence débridée et sans but, raids prédateurs et «razzias», une guerre totale contre les populations (120 000 hommes mobilisés, ce qui faisait 1 soldat pour 25 habitants… L’Algérie comptant alors environ 3,5 millions d’habitants… avant 1830 et 2,8 en 1881), des exterminations localisées… 

2. « L’Etat colonisateur : séquestre et dépossessions», avec un Etat (français) colonisateur en chef, une boulimie de terres des colons, la ruine de l’économie de montagne… 

3. «De la fiscalité ethnique», avec une imitation des Turcs, faire payer les vaincus, la mise place d’une machine à pomper les ressources, une redistribution de la rente fiscale, une fiscalité coloniale et un régime des castes (600 000 Européens jouissant de privilèges de la caste des vainqueurs et 4 millions d’indigènes confinés dans l’état de vaincus)… 

L’Auteur : Chercheur indépendant en histoire du fait colonial. Déjà auteur d’une monographie sur la Kabylie orientale dans l’histoire (2013) et de plusieurs études consacrées à la violence et aux changements induits par les dépossessions massives au cours du XIXe siècle. 

Extraits : «Les Français ne savent pas coloniser, leur passé milite contre eux : nous sommes allés partout, on nous a chassés de partout. Cela tient au caractère léger, imprévoyant, méprisant, exclusif, destructeur; nous avons tout ce qu’il faut conquérir, et rien de ce qu’il faut pour conserver» (Maurice Allart, extrait de son ouvrage édité en septembre 1830, p 45). 

Avis : On en apprend des choses… que même les historiens académiciens n’avaient pu déceler. De plus, les mots utilisés sont justes et forts car dépourvus de la froide rigueur du scientifique. D’où un livre sans ressentiment complètement utile. 

Citations : «En raison des désastres humains dont elle a été la cause, la colonisation de peuplement est devenue synonyme de barbarie et de génocide» (p 17). «Il est aujourd’hui admis par le courant des Settler Colonial Studies que génocide et colonisation de peuplement sont des compagnons inséparables. Toute la question étant d’analyser les processus réels par lesquels se réalise cet accouplement mortifère» (p 346). «L’Algérie des colons… ce sont les villes largement ouvertes à la vie et à la lumière… L’Algérie des Arabes, c’est la solitude ambiante qui comble le vide de l’Algérie française… Une minorité européenne hyper protégée et d’une population musulmane hyper exploitée, dominée, déclassée » (Camille Brunel, extrait de son ouvrage édité en 1906, pp 366-367). 

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