Le Maroc : une société structurellement inégalitaire

2 mai 2019

Par Béligh Nabli

Le Royaume du Maroc incarne le « Maghreb extrême » ou l’extrémité occidentale du monde arabe. Tel est le sens de son nom arabe (« Al-Maghrib el Aqsa », « couchant extrême »).
Une réalité géo-culturelle qui semble se prolonger en matière (….) socio-économique. Le Maroc s’avère en effet être le pays le plus inégalitaire d’Afrique du Nord.


Une impression qui frappe le simple voyageur, mais qui est confirmée par le récent rapport de l’ONG Oxfam. Celui-ci dresse un portrait sombre (…) des inégalités (sociales, territoriales, scolaires, sanitaires, homme/femme, etc.) au sein d’un royaume toujours gangrené par le fléau de la corruption. Et rattrapé à la fois par la contestation sociale et par le spectre du terrorisme islamiste…
Une trajectoire historique singulière
L’image d’un pays « à part », trait d’union entre l’Europe et le monde arabe, mais aussi entre la culture islamique et les cultures africaines, est confortée par son histoire et sa géographie propices à l’émergence d’une identité arabe, berbère et africaine.
L’union des tribus par la dynastie des Idrissides, aux VIIIe et IXe siècles, a jeté les bases d’un État : le Makhzen. La création d’un noyau d’État au Maroc est donc due à l’islamisation de tribus berbères jusqu’alors désunies.
Elle-même fruit d’un mariage mixte arabo-berbère, la dynastie des Chérifs Alaouites règne au Maroc depuis 1672. Cette continuité n’a pas empêché que la période coloniale soit synonyme de confrontation avec des puissances européennes.
La France jouissait de « droits spéciaux » sur le Maroc depuis 1906 (Conférence d’Algésiras), avant qu’un traité de 1912 ne place le pays sous un double protectorat : espagnol au nord, français au centre.
Le système de protectorat a maintenu le Sultan et le makhzen traditionnel, mais la réalité du pouvoir était exercée par le Résident général et le Haut-commissaire, respectivement représentants de la puissance de tutelle française à Rabat et espagnole à Tétouan (Tanger échappe à ce dispositif et relève d’une zone internationale).
À partir des années 1930, un mouvement nationaliste émerge et porte les revendications indépendantistes après la Seconde guerre mondiale. À l’indépendance du pays en 1956, la monarchie est rétablie et s’impose face au parti nationaliste l’Istiqlal.
Le Roi, « Commandeur des croyants », exerce le pouvoir politique. Successeur de son père Mohamed V, le roi Hassan II accède au trône en 1961 et engage le pays dans une voie médiane entre tradition et modernité, conservatisme et ouverture à l’Occident, positionnement qui tranchait d’emblée avec la « révolution algérienne ».
Forte d’une autorité symbolique et historique, la monarchie a dérivé vers l’autocratie et la captation des richesses, dérives qui ont nourri les contestations, issues de courants nationaliste, socialiste, marxiste et de mouvements rifain et berbère, puis islamiste et toutes durement et systématiquement réprimées.
Durant ces « années de plomb », plusieurs tentatives de coup d’État échouent. Le régime se durcit jusqu’au début des années 90. En 1999, l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI coïncide avec une modernisation du pays : lancement de grands projets d’infrastructures, implantation de nouvelles activités industrielles, obtention d’un « statut d’État avancé » auprès de l’Union européenne, réformes à caractère social (le nouveau Code de la famille de 2004 améliore le statut des femmes, en autorisant le
mariage sans consentement des parents ou en limitant la polygamie) et politique (sur le plan du pluralisme et de la liberté d’expression).
Dans la période de 2005-2012, la croissance du PIB d’une moyenne de 4,5% s’est appuyée sur une consommation intérieure soutenue par l’émergence d’une classe moyenne.
Aujourd’hui, la volonté politique de sortir du sous-développement passe par l’autosuffisance agricole (qui suppose la modernisation de l’agriculture et des techniques agricoles), la modernisation de l’appareil industriel et l’entrée dans l’économie numérique et la révolution des nouvelles technologies. Le Maroc s’est engagé dans la promotion de l’innovation, notamment par la création de technopôles et zones industrielles qui ont attiré l’investissement étranger direct et développé les activités manufacturières. Le tableau actuel s’avère toutefois beaucoup plus contrasté : les castes perdurent et se perpétuent, pis, les inégalités se creusent irrémédiablement…
Une dynamique inégalitaire
Souvent loué pour son niveau de croissance (qui a permis une réduction remarquable du taux de pauvreté), et d’attractivité (pour les investisseurs privés étrangers), le Maroc n’en reste pas moins le pays d’Afrique du Nord le plus inégalitaire; ce au regard des écarts de richesse (monétaire et patrimoniale) qui caractérisent la condition des sujets du royaume.
La politique économique de ces dernières années s’est traduite notamment par un désinvestissement de l’Etat du secteur éducatif, synonyme de large privatisation de l’éducation et de reproduction des inégalités sociales, via notamment le chômage élevé des jeunes et leur inégal accès (en fonction de l’origine sociale et du sexe) sur le marché du travail…
Si le rapport de l’ONG Oxfam plaide pour une fiscalité plus juste pour sortir de cette impasse, la singularité marocaine s’inscrit dans une situation plus globale de pays maghrébins toujours en quête d’un modèle de développement…

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