Maroc / Manifeste politique : De la Refondation de l’Etat ou Les mécanismes de la mutation de l’Etat de Droit à l’Etat des droits

PREMIERE PARTIE : Le Pourquoi ? 

1)-L’acquis de conscience 

En 1997, Hassan II surprenait les Marocains par un aveu qui fut considéré comme une première de la part de ce monarque qui se voulait visionnaire et en avance d’une longueur sur son peuple, et ne reconnaissait jamais ses échecs: Le Maroc, annonça-t-il, risquait la crise cardiaque. Faisant allusion au marasme économique, il enfourcha, une fois de plus, un effet pour mieux masquer une cause institutionnelle décriée depuis longtemps. Mieux encore, Hassan II n’avait rien perdu de son légendaire louvoiement linguistique, usa en la circonstance d’une rhétorique qui faisait porter le chapeau à tout le monde sauf à lui-même. À deux ans avant sa mort et se sachant condamner, il n’avait pas pensé à faire plutôt son mea culpa qui eût pu être perçu comme un gage de bonne volonté et sincérité de sa part et rasséréner le peuple qui, endurant le marasme économique depuis des décennies, s’attendait au pire. En tout état de cause pas tant la nouvelle que l’annonce de la part du Roi qui avait surpris. Un récent rapport du Fonds monétaire international qui circulait déjà dans la presse et les sphères politiques et économiques avait dû inciter Hassan II à intervenir pour donner l’impression d’avoir personnellement diagnostiqué la situation. Il faut reconnaître qu’il y était arrivé en partie. Bon nombre de médias, d’analystes et de commentateurs de tout genre se sont engouffrés dans la brèche, et se sont empressés de lui tresser des lauriers pour sa clairvoyance et sa franchise et concentrer toutes leurs énergies à faire oublier à l’opinion publique que le ver était plutôt dans le fruit du système et que le marasme économique, endémique depuis longtemps, n’était en réalité que l’arbre qui cachait la forêt. 
Fils de Résistant, initié dès l’enfance dans le creuset familial à la politique, avant même de prendre conscience de ses enjeux, et élevé, du temps du Protectorat, dans un milieu social quasiment analphabète mais intrinsèquement pieux et honnête, totalement dépouillé de tout esprit ou agent corrupteur ou calcul partisan ou égoïste, et dans une ferveur nationaliste et patriotique inouïe, hissée à un rang quasi mystique, je suis resté marqué à jamais par cette pureté patriotique et l’ampleur et la profondeur du sentiment de sacrifice qui animait nos parents. J’ai rêvé comme tous à l’époque de pouvoir participer à l’édification du Maroc du lendemain, indépendant, havre de liberté, d’équité, de solidarité et d’émancipation, où chacun pourrait contribuer à sa manière et selon ses moyens, dans un élan général, généreux, compatissant et philanthropique, à la concrétisation de ces principes. La carrière militaire me semblait offrir la voie adéquate. Officier de la Gendarmerie royale, en prise quotidienne directe avec la réalité du pays, j’ai observé et analysé pendant quatre décennies, en toute sérénité et objectivité à la fois l’organisation et l’orientation de l’Etat, la fiabilité et le fonctionnement des institutions nationales, le développement du champ politique marocain, et la moralité et les motivations présidant à l’exercice de la fonction publique, J’ai écouté les diverses franges sociales, sondé leurs intentions profondes, recueilli leurs doléances, et noté leurs récriminations. J’en étais arrivé à une conclusion amère: à peine si je me reconnaissais dans l’espace géographique; l’Etat avait défiguré et spolié la Nation. Le changement de règne avait fait naître une lueur d’espoir. Les Marocains ont vite fait, cependant, de déchanter. Toutes les sphères de décision continuaient en grande partie d’être squattérisées par des individus qui ne devraient pas être aux commandes. Le même esprit de gouvernance persistant, l’État restait réduit à des espaces clos où dominaient majoritairement les basses manoeuvres carriéristes et les appétences matérielles ; et la politique nationale conduite par une classe d’opportunistes, de lobbyistes et d’affairistes. L’inconscience, l’injustice, la prébende, la rapine et le népotisme s’érigeaient en credo de gouvernance. Le présent et l’avenir de la Nation étaient hypothéqués par une dépravation totale gangrènant le tissu social. Le sabotage de l’esprit patriotique et le bradage du patrimoine national atteignaient une ampleur et des sommets intolérables. Le Pouvoir, s’imposant toujours en conscience nationale, confisquait à la Nation sa souveraineté, la confinant dans un rôle de simple figurante. La chape de plomb a simplement cédé place à la chape se sable. J’en suis arrivé, dès lors, à trois conclusions ; à savoir que l’État marocain était structurellement et mentalement féodal, que de la modernité et de la démocratie il n’en galvaudait que les apparences et que le remède passait nécessairement par la refondation de l’État. 
J’ai élaboré ce Manifeste pour proposer une nouvelle perspective institutionnelle, réellement démocratique, offrant à la Nation, hors des sentiers battus empruntés jusqu’à présent, le canevas et les moyens appropriés d’exercer véritablement son droit de souveraineté et de veiller de façon rigoureuse à ses intérêts. J’ai élaboré ce Manifeste en hommage à la mémoire des martyrs de l’Indépendance, pour tous ceux et celles, connus et anonymes, qui ont sacrifié leur vie, leurs biens, leur avenir, pour que leurs enfants et petits-enfants puissent vivre dans la liberté et la dignité. J’ai élaboré ce Manifeste pour les générations futures qui risqueraient de croire que leurs aînés manquaient de vision ou ont fait preuve de pusillanimité politique et ne leur avaient pas préparé le terrain pour une relève conséquente. J’ai élaboré ce Manifeste pour éviter à la Nation une dérive dont tous les observateurs avertis n’excluent pas l’inéluctabilité en l’état actuel des choses. J’ai élaboré ce Manifeste pour une véritable mobilisation patriotique des masses, autour d’un projet sociétal destiné à enrayer le cafouillage politique dans lequel s’empêtrent le Pouvoir et ses alliés. J’ai élaboré ce Manifeste pour offrir une alternative politico institutionnelle franche, avec la conviction que la majorité des marocains s’y reconnaîtra, que beaucoup d’entre eux nourrissent des projets de société similaires mais n’osent pas, pour des raisons diverses, les étaler. J’ai élaboré ce Manifeste pour réveiller les consciences engourdies ou insuffisamment formées et informées. J’ai élaboré ce Manifeste pour prévenir la jeunesse marocaine que le bilan politico institutionnel national, en l’état actuel des choses, est totalement plombé, en dépit d’un écran de fumée entretenu par une rhétorique d’autosatisfaction et de tout un show d’autocélébration de la part du Pouvoir et ses relais de communications étatiques et boutiquiers, et que si elle se reconnaissait dans cet héritage et en faisait son acquis, elle n’en serait que le dindon de la farce. J’ai élaboré ce Manifeste parce qu’il y a deux Maroc, celui des riches à qui tout est permis et celui des pauvres qui ont le tort de l’être. J’ai élaboré ce Manifeste parce qu’il y a deux Justices, celle qui viole et celle que l’on viole. J’ai élaboré ce Manifeste parce qu’il y a deux Economies, celle qui enrichit et celle qui appauvrit. J’ai élaboré ce Manifeste parce qu’il y a deux Enseignements, celui qui valorise et celui qui abrutit. J’ai élaboré ce Manifeste parce qu’il y a deux Parlements, celui qui est domicilié dans l’Hémicycle et celui de la rue. J’ai élaboré ce Manifeste parce qu’il y a deux Administrations, celle de la sinécure et celle de la corvée. J’ai élaboré ce Manifeste parce qu’il y a deux Etats, celui qui surfe sur le Droit et celui qui l’écrase. J’ai élaboré ce Manifeste parce qu’il y a deux catégories de citoyens, ceux qui se comportent comme s’ils étaient sortis de la cuisse de Jupiter et ceux que l’on prend pour des canards sauvages. J’ai élaboré ce Manifeste parce qu’il y a deux Elections, celle que l’Etat planifie d’avance et celle de la figuration. J’ai élaboré ce Manifeste pour soumettre aux forces vives de la nation une plate-forme de réflexions et d’idées susceptibles de restaurer au Marocain sa dignité de véritable citoyen et son droit de décider de la marche et de la gestion des affaires publiques. J’ai élaboré ce Manifeste avec l’intime conviction que la situation étant arrivée à un stade tel que le pays devra forcément et immédiatement choisir entre la Réforme ou la Révolte. J’ai élaboré ce Manifeste pour expliquer la nécessité de la première et la crainte de l’autre. J’ai élaboré ce Manifeste pour bâtir ensemble un système politico constitutionnel moderne, progressiste, citoyen, qui puisse ouvrir grandement à la Nation l’horizon d’une évolution dans la quiétude, la justice, l’égalité des chances, la prise méritée des responsabilités, l’exercice des obligations en toute âme et conscience dans la récompense appropriée des efforts et mérites de tout un chacun; partant du principe que nul ne peut être astreint à une obligation nationale s’il ne bénéficie pas d’abord de la plénitude de ses droits. Je veux nommer l’Etat des droits. J’ai élaboré ce Manifeste pour être en paix avec ma conscience. 

2)- Le Constat politico historique 

Au début des années trente, le Palais et le Mouvement national font cause commune pour préparer la revendication de l’indépendance du pays. Ils prennent conscience que seule une action concertée est de nature à contrecarrer les desseins du Protectorat, et que toute initiative unilatérale ne ferait qu’hypothéquer, une fois de plus, l’avenir de la Nation et profiter au seul occupant; comme ce fut le cas des luttes menées précédemment, entre autres, par Cheikh Améziane, Abdelkrim El Khattabi, Moha Ou Hammou Zayani et Ma El Aïnine, lesquelles, en dépit des éminentes envergures charismatiques de ces héros, les éclatantes victoires guerrières enregistrées et leurs répercussions psychologiques aux plans national et international et l’unanimité des coeurs contre l’ennemi commun, ne purent déboucher sur un acquis politique, parce que les violons n’étaient pas parfaitement accordés dans les esprits. À quelque chose malheur est bon, la promulgation du Dahir berbère, le 3O mars 1930, oblige le Palais et le Mouvement national à jeter les bases de l’entente cordiale. Le texte conçu par le Protectorat, et imposé au Sultan qui l’entérine, est destiné à soustraire l’ethnie berbère à la juridiction nationale et à la placer directement sous celle de la France, avec en arrière plan le projet de diviser le pays en zones arabe et berbère avec tout ce que ce projet induit comme intention d’entretenir des tensions et luttes fratricide, ethnique, culturelle et cultuelle, qui introniseraient la France en véritable régente d’un pays auto ingouvernable. Le Sultan, à peine âgé de 21 ans, est dans sa troisième année de règne. Politiquement inexpérimenté, non-initié aux arcans juridiques, il est totalement chambré par un entourage à la botte de la Résidence Générale. Allal El Fassi, grand érudit de la pensée arabo-islamique, écrivain de talent, visionnaire et théoricien incontesté du mouvement national, conduit le mouvement d’opposition qui aboutit à l’abrogation du texte. C’est une première victoire commune que le leader paye de sa personne par un exile de neuf ans au Gabon. La dynamique nationaliste ne prend, cependant, son rythme ascensionnel qu’ à partir de la création du parti de l’Istiqlal, en 1943. Issu de la scission du Comité d’action marocaine créé dix ans auparavant, il est porté sur ses fonts baptismaux par Ahmed Balafrej. Sa direction est intellectuellement et psychologiquement diversifiée, alliant des personnalités traditionalistes, arabophones largement panarabistes et panislamistes, avec de jeunes turcs francophones et modernistes. Le gros des troupes et sympathisants provient du prolétariat tant rural que citadin. L’échelle des âges va du vieillard de l’Atlas au petit-fils de la plaine. Une composition somme toute bénéfique dans une conjoncture qui nécessite de faire évoluer vers le progrès et ouvrir sur le monde une nation fortement attachée à ses racines et quelque peu repliée sur elle-même, et une jeunesse qui, assoiffée de liberté, ne se sent pas bien dans une peau de  » protégé ». 
Le 11 janvier 1944, l’Istiqlal dépose au Palais et à la Résidence Générale un manifeste réclamant l’indépendance du pays. Bien que destiné aux seules autorités françaises, le document se veut, néanmoins, applicable à l’ensemble du pays; escamotant celui remis onze mois auparavant par le Parti de l’Unité de Abdelkhalek Torres aux autorités espagnoles. Trois mois plus tard, le Sultan réagit à son tour et annonce l’adhésion du Maroc à la Ligue Arabe. Le1O avril 1947, à Tanger sous statut international, il demande, solennellement, l’abrogation de l’Acte d’Algériras. La France répond, dès le 14 mai, par l’envoi d’un nouveau Résident Général, le futur Maréchal Alphonse Juin, condisciple et compagnon de Libération du chef de la France Libre, qu’il est le seul à tutoyer. Le protectorat deviendra botté. Homme de poigne, influent à Paris où il est craint par une bonne partie du gouvernement parce qu’il manipule tout un éventail politico-économique et sous prétexte de la nécessité de la modernisation de l’Etat, Juin élabore une série de textes qui ne tendent en fait qu’ à renforcer la dépendance du pays à l’égard de la France et la calquer progressivement sur le modèle algérien de 183O. Il les soumet au Sultan, autre compagnon de Libération, qui refuse de les signer et de renier ses rapports avec l’Istiqlal. En 1951, à court d’astuces politiques, Juin tente de faire plier le Sultan en lui imposant un ultimatum: mettre fin à la grève du sceau ou se démettre. Devant l’obstination du Sultan, Juin envisage de recourir à l’épreuve de force, mais préfère finalement quitter la fonction pour aller prendre au S.H.A.P le commandement du Centre-Europe. Son successeur, un autre militaire, le Général Guillaume s’inscrit d’emblée dans la même ligne dure et essuie le même échec devant un Sultan toujours décidé à résister aux exigences françaises. Le 15 août 1953, Guillaume passe à l’offensive et manigance la mascarade d’allégeance au vieillard Ben Arafa, organisée officiellement sous l’égide de Thami El Glaoui, pacha de Marrakech. Le Maroc se retrouve, alors, durant cinq jours avec deux sultans de la même dynastie. Dans la foulée, Guillaume fomente, le 20 août, une sédition de pachas, caïds et notabilités enturbannées et dépose manu militari le Sultan qui se voit exilé, avec toute sa famille, à Madagascar, après un bref séjour en Corse. Une demi-heure après, Allal El Fassi, stigmatisant le coup de force, à partir du Caire, sur les antennes de la Voix des Arabes, lance un appel à la résistance:  » Je déclare solennellement, dit-il, que le Roi légitime du Maroc est, et demeure S.M le Roi Mohamed V et que l’Héritier du Royaume est Moulay Hassan, son fils aîné. Nous ne reconnaissons aucun chef de façade mis en place par les autorités françaises. » et plus loin: « Le Maroc, son Roi et son peuple dont l’action vise la défense de l’Islam et la langue arabe, souffrent en effet de la colère ressentie par la France en raison de notre attachement aux institutions islamiques et à la grande Nation Arabe. Je déclare formellement aux Marocains, aux Musulmans et au monde libre que notre attitude ne cédera pas, que notre chemin sera poursuivi jusqu’au jour où nous aurons réalisé l’espoir de la Nation dans la liberté et l’indépendance et chassé les usurpateurs. » Dans une conférence de presse tenue le soir même, à vingt et une heures, Guillaume déclare à propos du Sultan:  » Aucune coopération franche n’était plus possible avec lui. Il a lié son sort à celui des nationalistes extrémistes de l’Istiqlal. » À l’égard de celui-ci, il étale un jugement débile:  » Je ne dis pas que l’Istiqlal est communiste, mais il est calqué sur le régime bolchevique. » 
La Nation est atterrée, mais Guillaume est loin de se douter que son acte est perçu comme un sacrilège. Parce qu’il a remplacé un Alaouite par un autre Alaouite, il croit avoir bouclé la boucle et ne se rend pas compte que pour le peuple, l’un a voulu débouter les  » roumis » et l’autre leur a, au contraire, bradé une nation musulmane et que de ce fait le premier apparaît plus chérif que le second. L’attachement des Marocains au sultan déchu dépasse le fait politique et chauviniste et repose sur quelque chose de mystique. Leur champ intellectuel et leurs capacités d’analyses sont certes réduits, mais leur esprit est rigidement nourri dans le credo arabo-islamique. Pour une population avoisinant la dizaine de millions, la seule Faculté du pays, la Quaraouiyine de Fes, prodigue un enseignement théologique qui, pour plus d’ouverture, nécessite un complément de formation au Caire, Damas ou Bagdad. Ses lauréats se destinent surtout aux fonctions ayant un rapport avec le statut personnel. L’assiette scolaire est ténue, concentrée surtout en milieu urbain avec quelques lycées, légèrement un peu plus de collèges et surtout des établissements primaires. Ceux qui ont le privilège de la scolarisation arrêtent généralement leur cursus à la fin du premier cycle secondaire et vont vers les fonctions subalternes dans notamment l’état-civil et les PTT ou l’enseignement dans la campagne. L’intelligentsia marocaine se limite à quelques dizaines seulement d’éléments qui ont pu crever le plafond du baccalauréat et poursuivre leurs études en Métropole. La masse n’a pas étudié Voltaire, Montesquieu et Descartes et n’a pas entendu parler de La République de Platon ni de la Révolution de 1789. Sa culture politique, elle l’acquiert au fil des jours en tendant l’oreille à la Voix des Arabes, qui fustige sans cesse l’impérialisme franco-britannique et parle de dignité, de liberté, d’émancipation et de justice sociale. Cette masse a faim de son Sultan et de ces valeurs que la radio du Caire ressasse depuis la révolution nassérienne; même si plus tard, elle aura plus l’un que les autres. 
Avec une audace inouïe, le cordonnier Allal Ben Abdellah parvient à se faufiler à travers l’impressionnant dispositif de sécurité, attaque et blesse à l’arme blanche Ben Arafa qui se rend à sa première Prière du vendredi. Il est aussitôt abattu par les forces de l’ordre, mais le fantoche sultan n’osera plus jamais se montrer en public. L’istiqlal s’approprie, aussitôt, le bénéfice politico psychologique de l’acte. Le quadrillage du pays s’accentue et la répression augmente d’un cran. Le couvre-feu est drastiquement imposé de dix-huit heures au lendemain à six heures. Dans le profond chagrin et l’isolement du soir, les masses se mettent à scruter la lune dans l’espoir qu’elle leur renvoie l’image de l’Exilé qui prend dans l’imaginaire collectif une dimension planétaire. Des soulèvements populaires s’organisent un peu partout et la résistance armée se multiplie notamment dans les principales agglomérations. Sous l’égide du Comité de libération du Maghreb arabe dont Allal El Fassi est l’un des principaux instigateurs, l’Armée de libération marocaine s’organise et opère en direction de la zone française à partir du Rif, sous l’oeil bien veillant de l’Espagne qui se réjouit de voir la fière Marianne s’empêtrer dans un supplémentaire imbroglio diplomatique dont les incidences internes accroissent une atmosphère politico institutionnelle déjà suffisamment empoisonnée par les tensions dans ses autres territoires d’outre-mer. L’Espagne garde une dent contre La France depuis leur accord secret de 1902 qu’entérinera 4 ans plus tard l’Acte d’Algésiras. L’Istiqlal bien que sérieusement disloqué parvient à maintenir sa cohésion tactique à un niveau relativement appréciable. Mais l’unité de pensée, dans ses rangs, autour de la monarchie comme axe central du devenir institutionnel du pays s’atténue et se colore au fil du temps sous l’effet de la rhétorique nassérienne. La frange moderniste dont une bonne partie est à l’extérieur, notamment en France, s’inspire tout naturellement des idées du Siècle des Lumières et des principes de la Déclaration des droits de l’Homme. L’infatigable et impétueux Torres tantôt à Tétouan, tantôt un peu partout, au Caire, à Damas, en Espagne même ou ailleurs, consolide ses accointances avec ses partenaires, coordonne sa stratégie avec Allal El Fassi et accumule, de son côté, des réalisations politiques, sociales et culturelles, parfois avec la complaisance des Espagnols et parfois malgré eux. Ces derniers adoptent à son égard durant des années des comportements de circonstance en fonction d’une stratégie mouvante qui les poussent tour à tour à le marginaliser, lui suppléer d’autres formations et personnages, le relancer et finalement le neutraliser lorsqu’ils se convainquent que ce patricien est un fanatique nationaliste fait d’une matière incassable avec une mentalité insaisissable viscéralement consacrée à la cause nationale. Au sud du pays, par contre, ils contrôlent mieux la situation en raison de leur supériorité militaire au regard de la faible densité démographique autochtone et de la nature désertique du territoire. 
Guillaume s’en va sur une cuisante défaite. Sa politique musclée n’a fait que radicaliser davantage la position marocaine et renforcer son esprit de résistance. Il est remplacé par un autre militaire, le Général Boyer de la Tour, à l’esprit tout aussi obtus que ses deux prédécesseurs dont il connaît le même sort. Un diplomate lui succède, sans grand résultat. Finalement La France fait amande honorable, mais tentera encore pour quelques temps de sauver sa face et de garder le Maroc dans son giron. Ben Arafa déposé le 1er octobre 1955 prend le large en direction de la Côte d’Azur; tout juste s’il n’y croise pas l’Exilé qui est, lui, de passage, en route sur La Celle-Saint-Cloud où El Glaoui s’empresse de lui faire acte d’allégeance et lui demande l’aman, le pardon royal. Débutent, alors, les négociations d’Aix-Les-Bains sur la base de la formule initiée avec la Tunisie. La délégation marocaine est conduite par M’barek El Bekkay Lahbil, lieutenant-colonel de l’armée française, pour laquelle il a sacrifié une jambe dans la campagne de Monte Cassino, et pacha de Sefrou qui, à ce titre, avait démissionné en protestation contre la déposition du Sultan. Y participent Mehdi Ben Barka- Abderrahim Bouabid, Mohamed Cherkaoui et Réda Guédira. Le 25 octobre, l’Istiqlal déclare les négociations périmées. Un Conseil de Régence chargé d’assurer la Restauration est aussitôt mis en place. L’esprit de triomphe explose et le pays entre en fête. Les portraits du Sultan et de sa famille, bannis depuis l’exil, réapparaissent, fleurissent les meetings, ornent les artères et les moyens de transport qui des semaines durant acheminent des vagues humaines qui convergent interminablement sur Rabat, dans une sorte de pèlerinage politique. 
Le 16 novembre, le Sultan regagne triomphalement la patrie. Apparaît, alors, dans son entourage un certain capitaine Mohamed Oufkir, ancien commando en Indochine, qui officiait, jusqu’à la veille, à la Résidence générale. Le Mouvement national qui tient à une monarchie pure, expurgée de relent colonialiste, n’apprécie pas cette incursion incongrue qu’il ressent comme une épine sous ses pieds, et qui donne déjà l’impression que les dés sont pipés. L’Istiqlal notamment accepte encore moins que le premier gouvernement, où il est pourtant largement majoritaire, soit confié à Bekkaï. Le 2 mars 1956, le Maroc recouvre une indépendance dans l’interdépendance. Mis à part la minorité initiée à la politique, personne ne prête attention à cette formule que le Maroc n’aura, d’ailleurs, aucune difficulté à balayer aussitôt dans ses rapports avec La France. Le 16 mars, l’Istiqlal reçoit une aubaine de taille: le PRN, mettant fin à son existence légale, se dissout généreusement en son sein, sans aucune contrepartie, lui apportant en dot toutes ses potentialités humaines et matérielles et son acquis historique; pratiquement par la seule volonté de Torres qui semble avoir agi plus de coeur que d’esprit, dans une intention échappant quelque peu à toute logique, comme si un soupirant concédait, dans une démarche prénuptiale, tous ses biens à sa dulcinée, sans se soucier que leurs rapports pourraient bien évoluer désagréablement. Face à la nouvelle dimension de l’Istiqlal, les autres formations apparaissent comme de simples particules gravitant autour d’un noyau central. En avril, l’Espagne, furieuse du coup de nez de son cosignataire de l’Acte d’Algésiras qui a fait cavalier seul, concède, à son tour, la Zone Nord, gardant sous son administration le Sahara dit occidental, les territoires de Tarfaya et d’Ifni, en sus des enclaves de Sebta et Melillia. Le 14 mai, sont créées les FAR. Le statut international de Tanger est abrogé en octobre. Dans le second Cabinet Bekkay l’Istiqlal fait une poussée ; mais n’y est toujours pas, pour autant, à l’aise. Il s’estime en droit d’imprimer son empreinte au nouvel Etat. Mais pour le maîtriser, le Roi confie les rênes du gouvernement suivant à l’ex-Secrétaire général du parti, Balafrej, qui avait pris ses distances avec cette formation. Un autre baron du Mouvement national, co-fondateur de l’Unfp, Abdellah Ibrahim, lui succède. Sous lui, d’audacieuses mesures sont enclenchées aux plans politique et social et le Palais se sent un peu plus marginalisé, voire menacé par une orientation gouvernementale qui sent le populisme. Il veut, certes, lui aussi, servir le peuple, mais selon sa propre conception et à sa manière qui ne s’inspirent pas, forcément, de la même doctrine que celle de son allié. Une tension feutrée, mais réelle, entre les deux camps fait lentement son chemin et finit parfois par des grincements de dents qui se font entendre en dehors de leurs états-majors. En fait, leur entente cordiale avait été ciblée, dès le départ, à court terme et échafaudée autour d’un objectif ne présentant pas la même interprétation pour les deux partenaires. Pour le Palais, cette entente était seulement tactique, destinée à créer provisoirement un front monolithique pour juguler les visées inavouées de la France. Pour l’Istiqlal, par contre, elle devrait, nécessairement, s’inscrire dans une stratégie à long terme et déboucher, le moment venu, sur une reconnaissance nationale de ses mérites, qui lui procurerait une place prépondérante dans l’Etat; d’autant qu’une tendance, en son sein, n’hésite pas à propager que tout compte fait, le Palais n’avait fait, en fait, que prendre le train en marche au temps du Protectorat. La conjoncture est défavorable au régime. L’Istiqlal conserve intacts son prestige et ses fantastiques structures et capacités de mobilisation. Les principaux rouages de l’Etat, dont le ministère de l’Intérieur et la Police, sont entre ses mains, et l’assiette territoriale est truffée de ses militants. Il devient surtout inquiétant quand il s’ingère dans un domaine que le Palais considère comme une propriété privée: les FAR, dont il exige le renvoi des officiers issus de l’armée françaises, et composées d’une bonne part d’éléments venant de l’Armée de libération qui lui restent sympathiques; pendant que le gros de ses troupes toujours cantonnées dans le Nord, refusent de déposer les armes; sous prétexte de déplacer la lutte dans le Sud, encore sous joug espagnol. Tarfaya est récupérée en avril 1958 sur fond de tension quand le Palais décide de rogner les ongles de l’Istiqlal et de réduire par la force son aile militaire. Le Prince Héritier, Chef d’Etat-Major Général des FAR et véritable architecte de la politique royale, prend l’affaire en main, secondé par le Général Kettani et le Commandant Oufkir. L’opération, connue sous le nom de la Guerre du Rif, se termine en hécatombe. Si elle écrase les guérilléros, elle fait, aussi, des ravages dans la population civile, notamment rurale, qui, manifestement, vaquait à ses occupations. Certains officiels avanceront, par la suite, officieusement, qu’elle a été nécessaire pour prévenir une révolte populaire qui couvait dans cette zone sous les auspices des jeunes turcs de l’Istiqlal, en rupture idéologique avec la ligne traditionaliste de leur direction. Le parti se trouve, du fait, privé de son fer de lance face à un Palais plus décidé que jamais à ne pas se laisser déborder. En tout état de cause, l’évènement n’est pas étranger aux déboires qu’il va connaître. Au faîte de sa puissance, il se sabre le 29 janvier1959. Son aile dure, encaissant mal le coup et tenant à en découdre, au plus tôt, avec le Palais, fait scission et crée l’UNFP sous la houlette notamment de Mehdi Ben Barka- Abdellah Ibrahim- Abderrahim Bouabid- Abderrahmane Youssoufi et Mohamed Demnati, dit Fkih Basri, auxquels s’adjoignent certaines figures de proue venant d’autres obédiences nationalistes. La nouvelle formation est radicale. Ses principaux ténors font, pratiquement, tous partie de l’élite qui a pu crever le plafond de l’enseignement national pour aller poursuivre ses études en France ou au Moyen-Orient, où les uns se sont abreuvés dans le credo hellénique et le Siècle des Lumières et d’autres se sont frotté de près au nassérisme. Dans un environnement encore subjugué par l’aura royale, elle apparaît, à plus d’un, d’essence républicaine. De plus, elle renverse à son profit le rapport des forces au sein du gouvernement et électrise davantage ses relations tant à l’égard du Palais que de la formation mère. Le conflit, jusque-là latent, éclate au grand jour en 1960. La rupture vient du Palais qui, invoquant un complot contre la personne du Prince héritier, intervient brutalement dans le processus gouvernemental, met fin à la cohabitation, congédie le gouvernement et s’installe à la tête de l’exécutif: le Roi à la présidence et le Prince héritier en qualité de vice-président et ministre de la Défense et de l’Intérieur, en sus de ses fonctions de Chef d’Etat-major des Forces armées royales. Il attribue, cependant, quelques portefeuilles ministériels à l’Istiqlal. Son président, Allal El Fassi accepte de siéger à un rang politiquement subalterne; même si sa charge de ministre des Habous et des Affaires islamiques est hautement symbolique. 
L’accusation de complot est largement contestée par les milieux incriminés qui crient à une manoeuvre du Palais pour s’emparer du pouvoir. Le journal  » Le Petit Marocain », ancien support du Protectorat, stigmatise cette intervention en la qualifiant de coup d’Etat du Roi. L’UNFP passe avec armes et bagages dans l’opposition ouverte et réclame l’élection au suffrage universel d’une Constituante qui devrait élaborer une Constitution conforme à la volonté populaire, institutionnaliser les rapports entre les pouvoirs et définir les contours géographiques du pays. L’Istiqlal reste quant à lui globalement monarchiste et ne désespère pas de reprendre les commandes du pouvoir ou du moins parvenir à une entente avec le Roi, qui puisse lui restituer sa position d’antan. Le 29 février 1960, une grande partie du Maroc est secouée par un violent tremblement de terre qui a quasiment rasé Agadir où il a fait 20.000 morts. La ville a été totalement évacuée de ses survivants. Le séisme était encore présent dans les esprits lorsqu’un autre aussi puissant vient ajouter, à peine un an après, son traumatisme. À la surprise générale, Mohamed V meurt le 26 février 1961, d’une crise cardiaque, à la suite d’une opération chirurgicale, à l’oreille, estimée par tous bénigne. Le pays en reste coi. Des crises d’hystérie collective sont ponctuées, ici et là, de cas de suicide pourtant damné en Islam. Le communiqué officiel ne convainc pas la nation sur la cause avancée et ne dissipe pas les doutes qui persistent depuis sur cette disparition mystérieuse. Certaines langues vont jusqu’à insinuer que cette disparition avait été programmée au plus haut niveau. Il faudrait peut-être en chercher l’explication dans le livre  » Le Cheval du Roi » édité bien plus tard, en 2004, par le Dr François Cléret, médecin particulier du défunt et par la suite de Hassan II. En suivent quelques passages. En pages 276 et 277:  » Mohamed V souffrit d’une nouvelle crise, il sentait le vide se faire autour de lui, le pouvoir lui échapper. » Plus loin:  » Parfois, reprenant un peu d’espoir à l’occasion d’une rémission, Sidna me confiait son désir de tout abandonner au meilleur de ses sujets, suivant ainsi les coutumes instituées par le prophète, pour aller de par le monde, avec pour unique compagnon son médecin apporter réconfort et soulagement aux malheureux. Son état lui rendit encore plus pénible la nécessité de régler au plus vite, avec le prince Hassan, un grave différend qui l’affectait beaucoup. Il venait d’apprendre qu’Etch…Ch…(Il s’agit de la starlette de cinéma Etchika Choureau) se berçait de grandes ambitions et espérait être reconnue un jour comme reine…. Il ( le Roi) essaya de ramener son fils à la raison, le menaçant de le destituer…Sur son bureau privé, un dahir attendait d’être promulgué. Il annulait celui du 9 juillet 1957 instituant un prince héritier et rétablissait les prescriptions du prophète lui-même: la direction des musulmans doit revenir < au plus digne, au plus vertueux, c’est-à-dire au meilleur et ce successeur devra être désigné par la communauté tout entière>….Il me chargea de porter ces décisions à son fils….Moulay Hassan confia son désarroi à sa mère, Lalla Habla ( lire Aabla, de son vrai nom Zahwa, originaire de Safi)…Mohamed V, contrairement à ses habitudes, ne cachait pas son désir d’avoir un garçon avec la deuxième sultane, Lalla Bahia, celle là même qui lui avait donné une fille à Madagascar….Lalla Habla (Aabla), la première sultane, originaire de Safi, fut ulcérée et commença à s’inquiéter pour son fils porteur de toutes ses ambitions. » En page 278:  » Lalla Habla ( Aabla) avait beaucoup souffert d’avoir été supplantée. Elle haïssait le roi de lui avoir fait perdre son pouvoir sur le harem en mettant au premier plan cette rivale qui risquait de plus de concevoir un éventuel prétendant au trône. » Plus loin:  » Elle me susurrait sans cesse d’user de mon influence pour amener le roi à abdiquer en faveur de son fils Hassan ». Ensuite,  » Mohamed V, se rendant compte que cette infirmité (d’incessants vertiges dus à une infection de l’oreille) ne lui permettait plus d’assumer sa charge, décida de se faire opérer. Il convoqua le médecin suisse, avec lequel il régla les modalités de l’intervention. J’essayais, mais en vain, de m’y opposer, sachant fort bien que ce geste chirurgical n’aurait aucune incidence sur ce type de vertige. J’amenais le praticien à mettre ses conclusions sur un écrit qu’il signa de bonne grâce ». En page 279:  » Le 26 février 1961, au matin, j’aidais Sidna à se lever…Il m’apprit, penaud, que devant l’insistance de Lalla Habla ( Aabla) qui lui présentait un bol de tisane comme un remède-miracle, il avait rompu le jeûne prescrit et l’avait bu aux environs de vingt-trois heures (de la veille). Je prévenais aussitôt l’anesthésiste suisse qui ne parut pas troublé. Muni de mon dossier médical, ce dernier prit aussitôt son patient à charge ». En page 283,  » Vers vingt-deux heures, le prince Moulay Hassan, toujours suivi du docteur Khatib, ainsi que d’une douzaine d’officiers et de soldats, surgit. Il nous invita, ma famille et moi, à le suivre à sa villa du Souissi, où nous fûmes enfermés. C’est ainsi que se termina le jour de mon quarante-troisième anniversaire…Cette mort, si inattendue, n’alla évidemment pas sans soulever des interrogations et faire naître des suspicions, qui nous atteignaient tous…J’avais vécu si intensément ce drame dont je ne pouvais ni ne peux expliquer aujourd’hui encore l’issue que quelques années après. C’est en anesthésie réanimation que je choisis de me spécialiser, accomplissant, dans un service d’oto-rhino-laryngologie, les mêmes gestes que l’anesthésiste suisse, et utilisant les mêmes drogues…Le 28 février, à l’aube, Moulay Hassan réapparut et m’annonça qu’il me gardait à son service. Je fus surpris car je savais qu’il ne me portait pas dans son coeur depuis ce jour mémorable où, ramenant sa Ferrari, je tombais sur le père et le fils en grande discussion dans les jardins du palais de Casablanca. Le prince paraissait énervé. À moi, surpris, il me mit alors en demeure de choisir sur le champ entre lui et son père… » En page 284  » Au moment de la levée du corps, il ( Moulay Hassan) fut pris d’un malaise. Alors devant l’assistance médusée, de la même façon confiante, il me demanda de lui faire, en injection intraveineuse, un remontant. Je pris calmement dans ma trousse une ampoule, et chargeai une seringue. Le docteur Khatib se jeta sur moi, criant: < Arrêtez! Avec un roi, cela suffit! >, Stupeur… » En page 285:  » A quelque temps de là, une vénérable servante, qui avait allaité Moulay Hassan dans ses premiers jours, devait subir une intervention chirurgicale…J’avais maîtrisé son hypertension par de petites prises de réserpine, un extrait d’une plante, le Raufolwia…Potentialisé à l’extrême par les drogues anesthésiques, le mélange déclencha une brutale chute de tension artérielle suivie d’un arrêt cardiaque. J’eus toutes les peines du monde à la tirer d’affaire…Je ne pus m’empêcher de faire un rapprochement avec la mort de Mohamed V. Quelles plantes entraient dans la composition de cette tisane qu’il avait bue la veille de l’intervention? Depuis combien de temps prenait-il cette tisane?…Il me vint soudain à l’esprit que ces crises de vertiges pouvaient être aussi d’origine toxique. En réfléchissant bien, elles n’apparaissaient que pendant les séjours du Roi au Palais de Rabat « . En page 296:  » La reine mère, regrettant ses anciennes faiblesses, supportait maintenant difficilement la vue du confident de son défunt époux. Elle cherchait maladroitement à savoir si j’avais quelques soupçons sur la mort de son époux. Je sentais qu’elle était prête à tout pour se débarrasser d’un témoin qui, averti, pourrait devenir dangereux ». En page 303:  » Un an après ( son retour à Paris, en 1967), grâce aux soins des professeurs Morax et Wolfromm, avec la vue, je retrouvais la vie. En même temps, j’apprenais qu’en vérité mon affection oculaire était d’origine toxique; j’avais été victime d’une tentative d’empoisonnement par un produit végétal neurotrope à action lente. Quelqu’un avait cherché à me faire disparaître ». 
Mohamed V n’était pas, de l’avis de ceux qui le connurent de près, aussi simple et limpide qu’il n’en donnait l’air. Plusieurs le décrivent comme une personnalité complexe, quelque peu versatile. Tout être humain a tout naturellement son avers et son revers de la médaille. Mais pratiquement tous les avertis de son règne s’accordent à dire que s’il avait vécu un peu plus, le pays aurait été sûrement suivi une autre trajectoire. Il aurait évité à la nation un tas de déboires; il l’aurait, dans une forte proportion, engagé tôt selon la volonté populaire. En tout état de cause, sa disparition précoce, si elle n’a pas été précipitée comme l’insinue le docteur Cléret qui rejoint, à sa manière, l’avis largement répandu, en fait le héros national, une sorte d’icône, dont son fils et successeur s’emploiera à perpétuer le souvenir. 
Hassan II est fougueux, érudit, d’intelligence rayonnante, à la faconde débordante, autoritaire, audacieux, et de susceptibilité à fleur de peau. Il déteste qu’on le contrarie et abhorre, par-dessus tout, les intelligences qui refusent de s’inféoder à sa personne et s’inscrire dans sa vision de la prééminence de la monarchie. Il s’avère, vite, qu’il a combattu, aux côtés de son père, pour l’indépendance du pays mais pas pour celle des esprits.  » Je n’admettrais pas que la monarchie soit mise en équation » lance t-il à l’adresse de Ben Barka et s’empresse, dès novembre 1962, soit au cours de sa deuxième année de règne, et sur fond d’un pays encore morcelé qui n’a pas été récupéré dans sa totalité, de balayer la principale revendication de l’UNFP en octroyant au pays sa première Constitution, que l’Istiqlal, au gouvernement, cautionne. Le texte occulte l’Empire au profit du Royaume. Aucune réclamation ou allusion n’y est faite pour la Mauritanie, dont le Maroc ne reconnaît pas encore l’indépendance octroyée discrétionnairement par La France, ni pour les territoires annexés par cette dernière à l’Algérie, pas plus que pour le Sahara et les enclaves toujours sous occupation espagnole. Celle d’Ifni réintégrera, néanmoins, la patrie en 1969. Il escamote, également, l’allégeance de part le simple fait de l’intronisation intervenant, automatiquement, par principe de la prééminence consanguine mâle, à la vacance du Trône. Cet escamotage obéit, néanmoins, à une certaine logique. Hassan II, pur produit d’une dynastie qui a maintes fois manipulé la Béïâ pour légitimer, à posteriori, des changements de lignées ou l’ordre de prééminence au Trône, n’avait surtout pas besoin d’avoir la mémoire trop longue pour se rappeler que moins d’une décennie auparavant, cette même Béïâ fut proclamée au profit de Ben Arafa. Lui-même, dut, selon ses propres aveux confiés à Benoist Mechin, rapportés dans  » L’Histoire des Alaouïtes », user d’un scénario, pour le moins démonstratif à défaut d’intimidant, pour faire entériner la succession: < Moulay Hassan se rendit dans le bureau de son père. Il appela le commandant de la garde royale et lui donna l’ordre de faire cerner le palais et d’interdire à qui que ce soit d’y entrer ou d’en sortir, pas même les médecins…Il fallait empêcher à tout prix que la nouvelle s’ébruitât…Puis il téléphona personnellement à chacun des gouverneurs de province…Après quoi, il convoqua séparément les membres du gouvernement. Lorsque ceux-ci arrivèrent au palais ils ne se doutaient encore de rien. Aussi furent-ils surpris de voir des sentinelles devant les portes. On les laissa passer, car le prince avait donné des consignes spéciales à cet effet. Une fois réunis dans la salle du Conseil, il leur annonça la terrible nouvelle. Les ministres furent atterrés. Il leur lu le texte du Dahir du 9 juillet 1957 par lequel Mohamed V l’avait investi du titre de prince héritier…< Puisque Dieu a rappelé Sa Majesté à Lui et que mon père m’a désigné pour être son successeur, je suis le roi à partir de cet instant! leur dit-il avec autorité. Que chacun de vous veuille bien signer cette déclaration par laquelle il s’engage à respecter la volonté du défunt…> La sommation s’adressait aussi aux dignitaires et notables du royaume présents. Au contenu, la Constitution introduit des mécanismes modernes de conception et d’organisation de l’Etat inconnus, jusqu’alors, dans la tradition nationale, et établit le bicamérisme. Elle s’inspire largement de celle de la Cinquième République française. Même leurs dispositions se suivent pratiquement dans le même ordre; au point que celles traitant de l’état d’exception ont le même article 35. La participation du professeur Maurice Duverger au collectif chargé de l’élaboration du texte marocain n’est certainement pas étrangère à cette similitude qui fait dire qu’entre les deux Constitutions, il n’y avait que…la Méditerranée. Mais derrière cette façade libérale, se cachera, en fait, un système plutôt féodal qui érige la personne du Roi en socle fondamental du nouvel Etat; et on retrouvera, plutôt, le détroit séparant le Maroc de l’Espagne franquiste. L’Istiqlal ne tarde pas à en faire les frais. Le Roi lui refuse, dans le gouvernement suivant, les portefeuilles qu’il réclame et la liste des personnalités qu’il propose. Il n’a pas dû oublier certaines phrases de l’appel du Caire:  » En tant que leader du parti de l’Istiqlal et membre du collège des ouléma de la Karaouiyine qui seuls possèdent le droit de proclamer les Rois, je… » (sic) ou encore:  » Nous tenons à souligner que le régime du Maroc sera celui que nous bâtirons en accord avec notre peuple et notre Roi…. »(sic) Allal El Fassi croit pouvoir l’intimider ou l’influencer en lui offrant sa démission qu’il accepte. Son parti quitte le gouvernement et forme avec l’UNFP, le PPS(ex parti communiste) et l’OADP, la Koutla démocratique, appelée communément la Gauche, . 
Au plan électoral, l’Etat s’empresse de monter de toutes pièces le Fdic, parrainé par Réda Guédira, qui rafle la majorité des sièges dans le premier parlement du pays. Dans une motion de censure, en 1965, la Gauche se déverse sur le gouvernement. Le Roi en prend ombrage, congédie le Parlement, suspend l’application de la Constitution et décrète l’état d’exception. La mesure vise trois objectifs: 
– Se débarrasser d’une Droite timorée et inefficiente qui, à court d’arguments n’a pas trouvé mieux que de verser dans l’intimidation et les insinuations malséantes tendant à faire croire que la motion de censure n’était que la partie apparente d’une manoeuvre tendant à déstabiliser le régime. 
– Réduire au silence la Gauche, en lui enlevant une tribune que la télévision fait accéder directement aux foyers. 
– Redéployer la stratégie du Pouvoir dans la direction économique pour convaincre le peuple que les enjeux politiques étaient stériles 
À partir de ce moment, le cours de l’histoire va s’incurver et la chape de plomb s’abattre sur le pays. À la fin de son ouvrage  » L’épopée d’Abd El Khaleq Torres », l’écrivain et journaliste belge Jean Wolf pose cette question:  » Qui nous dira pourquoi la roue tourne au mauvais moment et comment faire pour que les acteurs les mieux adaptés soient en charge des affaires à l’instant le plus opportun, pour que se crée la meilleur approche possible entre les nécessités d’un gouvernement et les qualités foncières de ceux à qui les citoyens les confient? ». Faudrait-il, encore, que ces citoyens soient traités réellement en adultes et responsabilisés convenablement pour qu’ils puissent séparer le bon grain de l’ivraie, et non perçus comme des mineurs ou des moutons de Panurge. Dans un premier épisode, le colonel Mohamed Oufkir, directeur des aides de camp du Roi, est nommé directeur général de la Sûreté nationale. Sec comme un roseau et d’allure martiale, avec un visage grêlé et de sempiternelles lunettes noires dont émane une impression sinistre, il a tôt fait d’asseoir sa réputation de ne pas faire dans la dentelle. Quelques années auparavant, en 1958, il s’était illustré dans la liquidation, militairement, des contingents de l’Armée de libération qui avaient refusé de déposer leurs armes et quelques mois avant de se voir confier la nouvelle tâche, contre les troupes algériennes, dans le conflit de Hassi Beida. Il est évident qu’il possède la personnalité nécessaire pour régenter les esprits. Il va, une fois de plus, agir comme un rouleau compresseur, d’autant que l’occasion lui permet d’assouvir un dessein personnel: se revancher du Mouvement national qui n’avait cessé d’exiger son limogeage et l’accuse, certainement plus à raison qu’à tort, de collusion avec les services de sécurité français et le sionisme, deux griefs qui s’apparentent à la haute trahison. Il dévoile, vite, ses instincts criminels; d’abord dans la féroce répression des manifestations estudiantines de Casablanca, du 23 au 25 mars 1965, qu’il mitraille, personnellement, à partir de l’hélicoptère et sept mois plus tard, le 29 octobre 1965, dans l’enlèvement et le meurtre, en France, de Mehdi Ben Barka. Deux sinistres évènements qui formeront, durant tout le règne de Hassan II, la trame d’un long processus d’intimidations, d’interpellations, de bannissements, de tortures, de disparitions et de procès fabriqués d’atteinte à la sûreté de l’Etat. S’appuyant sur l’appareil sécuritaire, civil et militaire, de l’Etat et sur un vaste réseau de délateurs, de sicaires, de collaborateurs « de bonne famille » et d’une camarilla de gigolos et de maquerelles, dont il truffe le pays à différents niveaux, Oufkir sème la terreur dans les esprits et notamment dans les rangs de l’opposition et des intellectuels où il est perçu comme Satan en personne. La situation étant, ainsi, maîtrisée et « apurée », le Roi initie, en 1970, la 2ème Constitution qui élimine le bicamérisme au profit du monocamérisme et établit la proportion de la représentation des députés à raison d’un tiers au suffrage universel direct et deux tiers au scrutin indirect. Une reculade qui s’apparente à une ruade lancée en plein visage de l’opposition. Celle-ci boycotte tant le processus référendaire que législatif. Le champ parlementaire est quasiment envahi par des élus sans appartenance politique qui se regroupent aussitôt dans le Rassemblement national des indépendants du nouveau Premier ministre Ahmed Osman, condisciple et beau-frère du Roi. Oufkir est au faîte de sa puissance. Devenu ministre de l’Intérieur, il ne parvient pas, pour autant, à éviter la tentative de putsch militaire, en 1971, au palais de Skhirat, au cours d’une garden-party, par le Général Medbouh, ancien ministre, chef de la Garde et de la Maison militaire royales, tout aussi omnipotent, et laquelle se solde par un bain de sang: une centaine de morts, dont une brochette d’officiers supérieurs et d’éminentes personnalités nationales et étrangères invitées du Roi, à l’occasion de son 42ème anniversaire. Medbouh, déjà outré , semble t-il, par l’ampleur prise par la corruption dans les hautes sphères et que le Roi se refusait à combattre aurait été surtout motivé à passer à l’action depuis son récent retour des USA où ses hôtes lui auraient dévoilé l’exigence par des ministres marocains de pots de vin quant à l’offre d’achat par leur compagnie aérienne La Panam d’une caserne militaire en plein centre de Casablanca. Ayant neutralisé le Roi mais refusant de dévoiler sa cachette au lieutenant-colonel M’hamed Ababou, chef effectif de l’opération, originaire de la même tribu, il est tué sur place par ce dernier qui croit à une trahison et quitte les lieux pour aller sur Rabat, où après un détour par la RTM où il s’assure de la prise de cet établissement par ses éléments, il rejoint l’Etat Major général. Là, grièvement blessé par le Général Bachir Bouhali, un loyaliste, qu’il abat à son tour, il ordonne à son garde-corps, l’adjudant-chef Akka, de l’achever. Curieusement, le Roi, tout en taxant Medbouh de schizophrène, impute l’évènement à la Gauche en l’accusant de perturber les esprits au moyen d’une presse trop insinuante contre les Institutions et promet au pays un  » électrochoc » (sic). Dans la foulée, il fait arrêter et condamner les ministres et leurs complices impliqués dans ce qu’on appelle, depuis, le scandale de la Panam. Une satisfaction à titre posthume pour Medbouh. 
Des bruits se propagent, aussitôt, sur le compte d’Oufkir. Pour certains, informé des intentions de Medbouh, il l’a laissé faire pour pouvoir intervenir, après coup, sous le prétexte de rétablir la légitimité, et pour d’autres, il s’était désolidarisé de lui devant la cacophonie prise par le déroulement de l’opération. Je considère personnellement qu’il est impensable qu’Oufkir ait pris le risque de se trouver piégé, comme un rat, dans les latrines, en compagnie du Roi, et ne devoir son salut qu’à un miraculeux retournement de situation. Par ailleurs, les deux personnages ne partagent aucune affinité caractérielle ou morale et se détestent cordialement. Autant Medbouh est sobre, austère, casanier, peu sociable, collectionneur et fumeur de pipe, à domicile, dans une intimité quiète et rangée, autant Oufkir impulsif et imprévisible, prodigue, noceur et luxurieux ronge son frein dans l’alcool et fuit, dans les soirées mondaines et les frasques féminines, une vie familiale décousue, qui est un secret de polichinelle, et que son épouse étalera, par la suite, avec fortes péripéties et croustillants détails, dans son livre  » les jardins du Roi ». Oufkir a probablement nourri des intentions subversives bien avant 1971, mais n’osait franchir le Rubicon. La raison en est qu’au faîte de sa puissance, Oufkir ressent, néanmoins, plusieurs menaces s’accumuler sur sa droite. De retour de la prison de la Santé, en 1967, Dlimi qui n’est plus psychologiquement le même homme, entre en conflit ouvert avec lui et lui impute le ratage de l’affaire Ben Barka et, indirectement, ses propres déboires judiciaires; au point que même Hassan II éprouva, durant trois ans, quelques difficultés à le convaincre de reprendre, en 1970, du service au ministère de l’Intérieur, en qualité d’inspecteur général, sous la houlette d’Oufkir. Moins d’un an après, le Roi change d’avis et le nomme à la tête de la DGSN, sans le consulter. Dlimi n’apprend, en effet, la nouvelle, diffusée lors des informations télévisées de vingt heures, que par son épouse qui lui téléphone, aussitôt, au bar du yacht-club de la capitale où il consommait avec des amis. Oufkir se sent négligé. La décision royale vient de lui signifier les limites de son influence dans le sérail et de faire échoir son fer de lance, la police, au profit de son ennemi. À la même période, la Gendarmerie royale, relevant statutairement du ministère de la Défense, mais sur laquelle il a prise en matière de police administrative, est rattachée directement à la Maison militaire royale, c’est-à-dire à Medbouh. Ainsi, deux forces de frappe, et en même temps deux principales sources de renseignements échappent, définitivement, à son autorité. Il décide, alors, de lancer la construction de ce qui allait devenir le bagne de Tazmamart dont la première tranche des travaux est entamée par le service du génie des Forces auxiliaires et supervisée par le Gouverneur de la province. Même les autorités locales, en l’occurrence les chefs de Cercle et d’annexe, ignorent totalement l’usage qui devrait en être fait. Aucune raison ne leur est avancée, et ils doivent se contenter d’apporter leurs contributions matérielles à l’ouvrage. Le bruit circulera plus tard que cette caserne devrait abriter la famille royale et les principales têtes de l’opposition qu’Oufkir, tissant lentement sa toile d’araignée, voulait y enfermer. Il ne s’attendait pas, cependant, à être pris de vitesse, à court terme. À Skhirat, il voit le pouvoir vaciller, abdiquer même pendant quelques heures entre les mains de Medbouh, et son propre parcours qui faillit s’arrêter là, de façon peu glorieuse. Mais au delà de toute espérance, la conjoncture tourne à sa faveur. Investi, d’abord conjointement avec le Général Driss Ben Omar, ministre des PTT, des pleins pouvoirs civils et militaire, il en prend seul les commandes; son coéquipier ayant été, pour une raison inconnue, déchargé de la mission le soir même. Ayant supervisé le poteau d’exécution des conjurés, et quelques supposés, il atterrit, simultanément, aux deux postes les plus sensibles du pays qui lui assurent une emprise directe sur l’armée: le ministère de la Défense nationale qu’il cumule avec la charge de Major-général des FAR. Il tient, donc, la queue de la poêle et fait nommer quelques amis aux fonctions clées, notamment Ahmed Bouchta, déjà ministre de la Justice, qui lui succède à l’Intérieur. Le 20 juillet 1972, l’auteur de ces lignes est convoqué pour assister, à l’Etat-major de la Gendarmerie royale, à une réunion qui devrait, selon le bruit ayant circulé, être présidée par le prince Moulay Abdellah porteur d’un message royal. C’est Oufkir qui débarque à la place. Face à l’écran de projection, dos tourné à une trentaine d’officiers, il donne l’impression d’écouter attentivement l’exposé du colonel Arzaz, commandant de ce corps, appuyé de diapositives et principalement axé sur l’organigramme et la logistique. Il s’enquiert de la dissémination des unités sur le territoire, du rapport, sur ce plan, entre le Maroc et la France et insiste sur le renforcement de l’assiette sécuritaire. Mais il devient évident, lorsqu’il se retourne, que ces domaines ne sont ni son souci immédiat ni sa préoccupation principale. Visage fermé et ton grave, il s’adresse à l’assistance: » Tous vos problèmes seront résolus. Je vous promets que votre avenir sera brillant et que votre situation sociale sera enviée. J’envisage même d’inclure dans vos salaires une prime spéciale pour vos épouses pour qu’elles puissent tenir dignement leurs rangs. L’argent n’est pas un problème; ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir compter sur vous, sur des hommes. » Il répète et martèle cette dernière phrase. Toute l’assistance est éberluée. Elle ne sait si ces propos expriment une reconnaissance royale pour la fidélité dont l’Arme a fait preuve lors du coup de Skhirat ou s’ils traduisent une intention personnelle. Souvent, les rassemblements d’officiers se terminent dans un papotage cordial, avec fortes embrassades et accents tapageurs. Celui-ci se disloque dans une totale morosité. Vingt-huit jours plus tard, Oufkir commandite et rate l’attaque du Boeing qui ramène, de France, le Roi et sa suite, dont Dlimi. Il est  » suicidé » aussitôt. Sa famille est déportée en totalité, avec des enfants en bas âge, et sa maison rasée au bulldozer. Cette fois-ci, le monarque ne s’en prend pas à la Gauche. Il reprend, au contraire, l’ancien grief de celle-ci contre son ex-féal devenu subitement une  » taupe refilée par la France coloniale au régime marocain ». Une taupe qu’il avait, tout de même, élevée au grade de général et au rang de ministre et qu’il avait, solennellement, lavée du meurtre de Ben Barka.
Si Medbouh ou Oufkir avaient réussi leur coup, l’Histoire du pays s’en serait sûrement ressentie de façon tragique. Leur personnalité, leurs motivations et leurs accointances ne pouvaient présager que d’un augure sombre. Politiquement incultes tous les deux, plus pétris, comme la majorité de leurs compères, dans la tradition militaire française que par un quelconque patriotisme marocain et complètement déconnectés du peuple ils ne pouvaient nourrir que des aspirations corporatistes et autoritaires. À l’époque où le sentiment patriotique, bien que fortement enfoui dans les coeurs depuis la disparition de Ben Barka, avait encore une valeur absolue, tout marocain digne, et la majorité des jeunes officiers fuyaient comme la peste Medbouh et Oufkir. M’hamed Ababou, produit militaire post-indépendance et fer de lance de la première tentative, ne pouvait non plus se prévaloir d’une motivation réellement nationaliste et réformatrice du fait de son implication, très tôt, dans la magouille et les délices du système. Amekrane et Kouira, réputés, quant à eux, intègres et pieux ont pour le moins mal choisi leur cheval de bataille. On leur prête l’intention d’avoir mijoté de se retourner par la suite contre Oufkir et de proclamer la république avec le soutien et la participation de radicaux de l’opposition. Pour ceux qui connaissent Oufkir, l’idée est abracadabrante; il aurait, comme dit l’expression marocaine, déjeuné d’eux avant qu’ils ne soupent de lui. Nonobstant le fait qu’en toute apparence et compte tenu d’un tas de facteurs, Amekrane et Kouira ne semblaient disposés d’aucun programme gouvernemental et encore moins de projet sociétal. Dans l’inexpérience et l’impréparation aux affaires de l’Etat, la juxtaposition de quelques idées politiques dues principalement aux frustrations subies par le peuple ne suffit pas à motiver un changement de régime mauvais par le pire. Indépendamment, donc, de tout ce qui été dit, pensé et écrit, à tort ou à raison, sur le compte des auteurs et acteurs des deux putschs, ils ne représentaient, en fait, qu’un accident de l’Histoire. Moulay Mustapha Alaoui, directeur de l’hebdomadaire  » Ousboue », y rapporte, dans un numéro très ultérieur, que l’implication de Medbouh et Ababou doit plus à des raisons de susceptibilité que politiques. Pour tester son degré de fidélité et de soumission ou pour le rabaisser, par fantasme, au plus bas degré, le Roi aurait obligé le premier à lui astiquer les chaussures. Pour le second, il aurait nourri une haine contre l’appareil de l’Etat à la suite d’un mauvais traitement de son épouse par la police, qu’il aurait ressenti comme une atteinte personnelle. Je tiens à livrer, à mon tour, ici, pour l’anecdote ou pour alimenter la chronique analytique, puisque les deux évènements continuent de rebondir épisodiquement dans certains écrits, que probablement Oufkir aussi n’avait pas dérogé à cette règle de petits faits et gestes insensés et malheureux ou simplement anodins, qui font parfois l’évènement exceptionnel. La scène se passe dans la banlieue de Fes. Par une canicule de l’été 1966, le Roi et son frère Moulay Abdellah disputent une compétition dans la piscine de Sidi H’razem. Oufkir y débarque apparemment à l’improviste, se met à pavaner sur les rebords du bassin en attendant probablement une entrevue avec le Roi. Moulay Abdellah sort furtivement de l’eau et l’y jette, d’une poussée dans le dos, tout costumé. Oufkir, de toute évidence ne sachant pas nager, se met à barboter et parvient difficilement à s’en sortir, sous les ricanements sous le manteau des officiels présents qui détournent le regard, pensant lui rendre ainsi l’offense moins pénible. L’épisode me fut rapporté le jour même par mon patron qui y était présent, le capitaine A.L, devenu général plus tard, que le commandant Tobji confond, dans son livre  » Les Officiers de Sa Majesté » avec son frère M.L qui se trouvait, selon la version officielle, avec Dlimi, le jour de l’accident. En tout état de cause, Oufkir, dont l’épouse et les enfants Malika et Raouf mettent en exergue dans leurs écrits sa solide amitié avec le prince, n’hésite pas à vouloir, six années plus tard, le faire jeter du ciel ; et je reste fort enclin à penser que le précédent de Medbouh a dû le décomplexer en lui déchirant le voile de la sacralité du Roi qui le retenait de laver l’offense, avant. 
Hassan II, connu pour son obstination à ne jamais céder à la pression du moment, qu’il évacue toujours à sa manière dans les circonstances qui lui paraissent les plus propices, dissout la Chambre des députés et durcit davantage sa position qui s’appuie sur plusieurs atouts. D’une part, trois boucliers: son aura personnelle, la stabilité du régime, en dépit des deux secousses précédentes, et la maîtrise de la géopolitique internationale qu’il manipule astucieusement pour appâter ses interlocuteurs et les médias occidentaux. D’autre part, deux armes: la parfaite connaissance des faiblesses et handicaps de ses adversaires, et le facteur temps dont il se sert froidement pour les consumer à petit feu dans l’angoissante attente de réformes qu’il ne distille, épisodiquement, que pour mieux enfoncer son clou. Fidèle à ce tempérament, il fait plébisciter une 3ème Constitution qui, renversant la représentation parlementaire, avec cette fois-ci deux tiers au suffrage direct et un tiers indirect, n’entrera en vigueur que cinq années plus tard. Entre-temps, il prend trois décisions d’une extrême audace. En 1973, il marocanise, totalement, les terres agricoles appartenant aux étrangers, et à hauteur de 51 pour cent leurs entreprises industrielles et commerciales, et expédie un contingent militaire au Proche-Orient, qui prend une part active dans la guerre du kippour. Le 9 juillet 1974, il stigmatise l’intention de l’Espagne sur le Sahara.  » …Malheureusement, en dépit de nos multiples démarches et de l’attitude empreinte de souplesse, de bon sens et d’esprit pacifique dont a fait preuve le Maroc pour résoudre le problème, ce droit de notre pays n’a pas été reconnu, de même que le Maroc n’a pas trouvé en face de lui un interlocuteur faisant preuve de la même bonne volonté….Cependant, l’Espagne derrière toutes ces tergiversations, ignorait nos revendications et semble vouloir appliquer aujourd’hui une politique tendant à l’installation d’un statut d’autonomie interne qui implique, comme nous savons, toute la mainmise de l’Etat protecteur sur les affaires étrangères et sur la défense. Alors, en notre qualité de garant de l’intégrité territoriale, d’une part, et de protecteur contre tout danger qui menacerait le pays d’autre part- et nous ne saurions trop recommander cette position à l’intention de chaque marocain- nous n’admettons en aucune manière de voir s’ériger dans la partie Sud de notre pays un Etat fantoche. » En juin 1975, l’échiquier gauchiste connaît un réaménagement : l’USFP de Abderrahim Bouabid émerge d’une scission de l’UNFP qui ne cesse d’agoniser depuis. Le 6 novembre 1975, s’appuyant sur l’arrêt récent de la Cour internationale de Justice reconnaissant l’existence, de tout temps, de liens d’allégeance entre les tribus du Sahara occidental et le Roi du Maroc, il organise la mémorable Marche Verte qui oblige l’Espagne à négocier et restituer, en février1976, la majeur partie du Sahara. La province de Oued Ed-dahab revient, dans un premier temps, à la Mauritanie. Le Trône brille de tous ses feux. Toute la nation est accrochée à ses basques. Le Pouvoir, croyant avoir définitivement laminé l’opposition jette du lest en sa direction. Aux élections locales de 1976, qui se déroulent dans un climat relativement transparent, l’USFP sort grand vainqueur dans la presque totalité des principales communes et municipalités du pays. Elle inquiète, ainsi, le Pouvoir et ramasse des miettes aux législatives de l’année suivante. Le recours, une nouvelle fois, par l’Administration, aux mesures d’intimidation et autres cas de manipulation de la volonté populaire, et à la falsification du scrutin de vote lui font toucher du doigt ses limites d’espérance. L’espoir d’une démocratisation du régime s’évanouit de nouveau. Celui-ci est une fois de plus confronté aux critiques. Mais il a, incontestablement, une fée qui veille sur lui. La conjoncture va le servir d’une manière incroyable. Prenant de vitesse l’Algérie et son rejeton le Polisario, il récupère manu militari, en 1979, la province de Oued Ed-dahab; au moment où la Mauritanie s’apprête à s’en retirer et la déclarer vacante. La Gauche se rallie, aussitôt, à cette audacieuse action, oublie ses griefs et reprofile sa stratégie autour d’une aura royale au firmament du prestige et de la considération; face à un échiquier droitiste qui va, durant une vingtaine d’années, s’enrichir à chaque étape législative, de leaders d’opérette de haut niveau folklorique, véritables symboles de l’opportunisme et de l’affairisme, qui squattérisent un espace politique jadis occupé par d’éminentes figures historiques. 
Aux côtés du souverain, Driss Basri va, longtemps, gérer un large spectre de la puissance régalienne. Son parcours est atypique: Inspecteur de police, puis officier et commissaire des renseignements généraux, il intègre, jeune, le Cabinet d’Oufkir, à l’Intérieur. Successivement directeur du personnel d’autorité, Sous-secrétaire d’Etat et Secrétaire d’Etat, fonctions qu’il cumule avec celle de patron de la DST, il est, en 1979, nommé ministre plein galons de l’Intérieur. La rumeur publique et certains organes politiques et médiatiques ont, longtemps, vu en lui une sorte de bombe à retardement  » laissée » par Oufkir. Je peux affirmer qu’il n’en fut rien de cela, que probablement il ne s’attendait même pas à cette désignation et qu’il en fut sûrement le premier surpris. Ancienne éminence grise d’Oufkir, il dut, probablement, s’estimer heureux d’être passé entre les filets de la purge qui suivit la disparition de son mentor, et qu’il n’en demandait certainement pas plus. Je rapporte, ici, un petit détail dont je n’aurais pas fait mention si la rumeur n’avait pas longtemps glosé sur sa nomination. Le hasard avait voulu qu’il me fixât un rendez-vous à 16 heures, pour une affaire personnelle, le jour même où il allait gravir d’échelon. Juste à l’heure, il dut rejoindre, à l’étage supérieure, le docteur Mohamed Benhima, ministre de l’Intérieur qui accueillait à l’instant son homologue de la Justice, maître Maâti Bouabid, préssenti le matin même pour former le nouveau gouvernement et qui y était venu pour le convaincre de rempiler à la tête de son département. Benhima, arguant des raisons d’âge et de santé, lui proposa Basri pour la tâche. Les conciliabules avaient duré trois heures, et je fus mis dans la confidence aussitôt que j’aie pris, par la suite, congé de Basri, par son directeur de Cabinet, feu Benomar. Je peux même ajouter un autre détail. Fortement enrhumé, Basri, l’écharpe blanche autour du cou, était affublé, contrairement à l’étiquette en vigueur en ces lieux, d’un gros pull-over en laine noir. Fidèle, néanmoins, à la théorie oufkirienne du tout sécuritaire, Driss Basri incarne, à son tour, durant deux décennies, le deuxième épisode sombre du Maroc contemporain. Devenu personnage incontournable de la scène gouvernementale qu’il marque, crescendo, de son empreinte, il fait et défait les ministres qui le craignent et l’encensent à outrance, et s’attribue plusieurs prérogatives et secteurs revenant, habituellement, aux autres départements. Il truffe l’assiette territoriale de féaux sur lesquels il règne en maître absolu et confine, dans des proportions inoffensives, la Gauche et ses cercles intellectuels autour desquels il se love sans cesse, et chaque fois juste ce qu’il faut pour éviter leur étouffement et les amener à composer un peu plus. Le pays est totalement ‘pacifié’. La chape de plomb a l’air de vicier même l’atmosphère qui semble irrespirable. Les gens peuvent tout juste se dire bonjour-bonsoir sans que ces termes ne prennent une connotation politique, voire subversive. La méfiance est totale, les indics partout et le moindre geste ou propos à l’égard de l’Etat ou du moindre de ses agents peut provoquer pour le moins quelques désagréments avec les services de sécurité. Mais des rumeurs de plus en plus persistantes font état, aux débuts des années quatre-vingt- dix, d’exactions inhumaines dans quelques centres secrets de détention qui se révèleront de véritables mouroirs. La palme d’horreur revient d’abord au bagne militaire de Tazmamart dont le régime a longtemps nié toute existence. Nombre de conjurés militaires de 1971 et 1972, mais aussi de civils, y ont laissé leurs peaux ou en sont devenus locataires pour presque une vingtaine d’années, réduits à l’état bestial. Dar El-Mokri est un autre purgatoire géré par les services spéciaux. Rares ceux qui ont en réchappé. Cette résidence, ancien domaine agricole, était à l’époque située hors du périmètre urbain et inconnue du grand public. Elle dévoilera au fil du temps quelques uns de ses secrets, donnera la chair de poule à plus d’un opposant, verra dans ses murs même des gens qui n’ont jamais eu un quelconque rapport avec la politique et deviendra, bien plus tard, internationalement et tristement célèbre, au point de traumatiser la conscience nationale. Ksar Kelaât M’gouna, localité du sud-est du pays, a servi de camp de séquestration pour des personnes kidnappées qui y ont passé jusqu’à neuf ans, sans aucun jugement. D’autres détenus ont séjourné des mois, voire quelques années, dans les geôles des différents commissariats, notamment dans celui de derb Moulay Chrif à Casablanca, avant d’être expédiés dans l’anonymat sur le cimetière ou traduits devant une justice aveugle sur tous ces abus, ou tout simplement élargis et menacés d’être repris s’ils venaient à parler. En raison de la censure, toutes ces sinistres nouvelles vont alimenter les médias étrangers qui épinglent de plus en plus le régime. Celui-ci se dénude à mesure que s’amplifient les dénonciations et que s’érode le lustre de son image de marque. Dans ce climat délétère, Gilles Perrault, l’écrivain français, se met de la partie. Dans son livre « Notre ami le Roi », paru en 1991, il dresse un tableau peu reluisant de celui-ci qu’il qualifie de  » cas pathologique » ( sic). Driss Basri, exécuteur des hautes et basses oeuvres et spécialiste es-viol des foules marocaines fait montre, à l’occasion, d’une ahurissante méprise des fondements de la République française et de ses ressorts psychologiques. Il croit bon d’orchestrer une campagne nationale d’indignation contre la publication. De tous les coins du pays, des milliers de protestations sont expédiées sur Paris. Le résultat est des plus cocasse et Driss Basri s’en prend les pieds dans la nasse. Au plan interne, cette mascarade amplifie la propagation de l’ouvrage qui, interdit sur le territoire, est duplicaté à l’excès à partir des quelques exemplaires qui ont pu déjouer la censure, ou des fax circulant sous le manteau. Même ceux qui d’habitude ne lisent jamais ou ne s’intéressent qu’à leur pain quotidien, se mettent à s’informer. De bouche à oreille, les informations desservent le régime. Quant à La France, elle traite cavalièrement l’affaire en se retranchant, tout bonnement, derrière le principe de la liberté d’expression et le Maroc se paye, ainsi, gratuitement une crise diplomatique qui refroidit jusques aux relations personnelles entre les deux Chefs d’Etat et se répercute sur le Sommet francophone de la Baule; lequel exacerbe, à son tour, la tension. L’indifférence de François Mitterrand quant à l’affaire restera en travers de la gorge du Roi qui, dès années après, au cours du dîner officiel offert à Jacques Chirac, il demande à l’assistance de lever le verre en l’honneur de Jacques…Mitterrand. Un lapsus qui en dit long. 
La 4ème Constitution, intervenant en 1992, n’apporte aucun changement notable. Les cerveaux au sommet de l’Etat se trouvent totalement inhibés ou tournent à contresens. Les mêmes pratiques continuent de prévaloir au sein de l’Administration. La proclamation de l’Etat de Droit sonne de plus en plus faux. Les gouvernements successifs, à l’instar des précédents, comptent pour du beurre. Dame Justice est totalement asservie. Elle ne demande pas mieux que de s’offrir au plus fort ou au plus offrant. Les ministres qui se succèdent à la tête de ce département ne sont pas dupes et savent pertinemment qu’ils doivent laisser leur conscience dans le vestiaire. Un d’entre eux, juriste de son état, maîtrisant, donc, la profession et connaissant suffisamment ses magistrats, croit bien dire au Roi qu’un tiers était illettré et l’autre tiers corrompu. Il est renvoyé deux jours plus tard à sa chaire. Les juridictions de jugement et d’appel éternuent chaque fois que le Pouvoir s’enrhume. La Cour suprême, censée être le temple du Droit et des droits, courbe, sans vergogne, l’échine devant le ministre de l’Intérieur. Elle s’illustre, piteusement, dans l’affaire Abrahim Serfati. Juif marocain de longue souche, ingénieur des mines, membre du parti communiste qu’il quitte pour fonder le groupe  » 23 mars » et par la suite « Ila Al Imame » , il est arrêté et condamné à dix sept ans de réclusion criminelle. Libéré, il se voit aussitôt  » démarocanisé » par un ubuesque Arrêt de la Cour suprême qui le déclare….brésilien, et embarqué dans le premier avion en partance sur l’étranger. Au plan de la société civile, la résignation populaire est totale, effarante. La réactivation, la même année, de la Koutla ne sort pas la Gauche de sa léthargie. Réduite à l’image d’une galerie d’ombres, elle voit nombre de ses caciques ne plus se gêner de s’acoquiner avec le ministre de l’Intérieur et de manger dans son râtelier, quitte à le décrier de temps à autre pour sauver les apparences. L’écurie droitiste, clabaudant de plus en plus et se délectant de ses propres slogans soporifiques, cavale sans cesse dans l’ineptie et l’irrationnel et dessert davantage le Pouvoir qui affronte une conjoncture difficile. 
La dernière Constitution en date, promulguée en 1996, revient carrément au bicaméralisme. Elle se distingue, néanmoins, sur ce plan de sa consoeur de 1962 par un fait important. La Chambre des conseillers, composée de représentants des collèges électoraux, des chambres professionnelles et des salariés, et qui était relativement calquée, dans le premier texte, sur le Sénat français, en matière d’attributions, revient en force pour disputer les prérogatives à celle des Représentants. En somme  » Une bonne machine dont on a beaucoup soigné les freins » pour paraphraser la réplique de l’organe du Wafd, La Liberté, à la suite de la Constitution égyptienne de 1923. Avec la traditionnelle immixtion de l’Administration dans le processus électoral, la droite en profite toujours, avec en prime, cette fois-ci, une gageure ubuesque: le MDS, concocté à la va-vite par le ministre de l’Intérieur à quelques mois des élections, à l’intention de son protégé Mahmoud Archane, ancien commissaire de police, se trouve, pratiquement, logé à la même enseigne parlementaire que l’Istiqlal et l’USFP. Ainsi, le Pouvoir maintient l’étau serré autour de la Gauche, et ne pense qu’à maîtriser davantage l’échiquier politique. Il ne prend pas garde que ses inepties poussent au renflouement des rangs d’un adversaire plus redoutable encore: l’Islamisme. Sa figure emblématique, Abdeslem Yassine, est un théologien iconoclaste. Ancien inspecteur de l’Enseignement avant de succomber à une crise mystique, il jouit d’une incontestable notoriété. Auteur, en 1974, d’une épître d’une centaine de pages  » L’Islam ou le Déluge », qu’il adresse au régime, il s’érige du coup en autorité ésotérique, et en donneur de leçons au Commandeur des Croyants, dans un système qui dès l’indépendance avait, conscient de la force mobilisatrice de la religion, tenu à obtenir très vite, en sa faveur, la soumission des factions qui se disputaient l’échiquier spirituel. Deux premières condamnations, entre 1974 et 1978, totalisant trois ans et demi de prison dont deux purgés dans un asile psychiatrique n’arrivent pas à faire taire le vieux cheikh. Il édite, entre 1979 et 1983, la revue  » Al Jamâa » vite censurée par le régime. En 1983, il s’entête et parraine deux journaux qui lui entraînent une troisième condamnation de deux ans, qui sera suivie quelques années plus tard par une drastique résidence surveillée. Ces mesures lui drainent une énorme sympathie. Il jette alors les bases d’un mouvement fermement hiérarchisé, calqué sur les Frères musulmans en Egypte, se ressourçant dans la doctrine  » Al-Minhaj annabaoui », un manuel de pratiques et de recommandations de base que tous les militants, dont les élèves et les étudiants de l’université sont les premiers ciblés, doivent assimiler parallèlement au développement de certaines pratiques sportives, notamment le football et les arts martiaux, ainsi que les sorties et excursions de groupe. Le recrutement y obéit à des normes qui a travers tout un processus de progression au sein du mouvement, allant de la période probatoire du Nacir ( supporter), passant par celle de Mouhajir ( émigré) et conduisant à l’intégration dans la cellule de base  » El Ousra » ( famille) fait que le mouvement a opté plutôt pour le concept de la secte que du parti politique. Prônant une idéologie égalitariste et s’engageant à édifier une société plus en conformité avec les préceptes coraniques et la Sunna, il menace le régime dans son essence même. 
La récupération du Sahara, considérée comme le fleuron du règne, connaît une remise en cause. Après avoir proclamé, solennellement pendant des années, que l’affaire était définitivement close et que l’irréversibilité de la marocanité de ce territoire ne pouvait souffrir de la moindre contestation, le régime admet, dans un premier temps, le principe d’une autonomie interne de ce territoire et puis se range, sous la pression internationale, à la perspective d’une consultation des populations locales, qu’il croit, encore, pouvoir organiser sous son égide, avant de céder, finalement, le dossier à l’ONU qui dépêche sur place ses « casques bleus » pour le recensement des populations sahraouies et l’organisation du référendum. L’opération bute sur le clivage des positions marocaine et du Polisario, par Algérie interposée. Des années plus tard, l’ONU donne, sur ce dossier, des signes d’impuissance quant à la solution envisagée et réexamine l’idée d’une autonomie interne, dans le cadre de la souveraineté marocaine, qui a déjà été rejetée auparavant par le camp adverse 
Aux alentours de 1995, il apparaît nettement que l’action gouvernementale a tendance à s’ancrer dans une situation de moins en moins enviable. Au plan économico social, dont le pouvoir a fait le cheval de bataille, c’est l’échec patent d’un système qui a fondé son credo sur l’aspect matériel, en guise de philosophie de gouvernement et qui n’a fait, en réalité, qu’engendrer une féodalité rapace, au lieu d’investir l’effort dans l’épanouissement de l’individu. Des verrous de blocage surgissent un peu de partout. Le malaise s’étend à toutes les couches sociales. La bourgeoisie nationale n’a, manifestement, plus confiance dans la stabilité du règne. Les capitaux nationaux prennent clandestinement le chemin de l’étranger. La classe moyenne est quasiment laminée par une fiscalité lourde et injuste. Les classes populaires s’enfoncent davantage dans une paupérisation galopante. Les investisseurs étrangers rechignent à risquer leurs capitaux dans un pays où la corruption est érigée en système et la justice incertaine. La dégradation de l’état de saÿÿé duÿÿoiÿÿÿÿplement propagée au delà de l’enceinte du Palais, laisse, déjà, planer une atmosphère d’après règne et le gouvernement tourne en roue libre. La banqueroute pointe son nez, au point que le Roi, habituellement optimiste, finit par admettre la gravité de la situation, et avouer, lors de l’inauguration de la session parlementaire de 1997, que sans un redressement immédiat et sérieux  » le pays risquerait la crise cardiaque » ( sic). Sa colère s’en prend même au Parlement qu’il compare à un…cirque. Un Parlement pourtant aussi régenté, à l’instar des précédents, qu’un corps de troupes, au point de se comporter en simple chambre d’enregistrement des volontés des gouvernements de S.M le Roi. 
Hassan II a dit, un jour, qu’un Chef d’Etat se doit toujours d’avoir une longueur d’avance sur son peuple. Au plan interne, celle-ci a conduit le pays dans l’impasse. Elle aurait pu lui réussir, par contre, au plan externe, dans son double souci d’arrimer le Maroc à l’Europe à travers son fantastique projet du tunnel sous le détroit de Gibraltar et de décrocher un strapontin dans l’Union. Mais le temps lui est compté et son voeu tarde à se réaliser en cette fin du vingtième siècle où l’Europe connaît la montée au pouvoir des socialistes et socio démocrates. À défaut, donc, de pouvoir établir un lien géographique avec le vieux continent, il se contente d’une passerelle idéologique; mais devrait en payer le prix: redorer le blason du régime et décaper un Etat rouillé, grinçant de toutes parts. Amoindri par la maladie, et se sachant condamner, pouvait-il, dès lors, trouver, meilleur allié qu’un poids lourd du nationalisme marocain, en la personne d’un leader historique, à la probité au dessus de tout soupçon, et de surcroît membre, et pas des moindres, de l’Internationale socialiste? 
 » Un homme ne monte jamais si haut que lorsqu’il ne sait pas où il va » De toute évidence, cette maxime du Cardinal de Retz s’est appliquée à tous les Premiers Ministres de Hassan II. On serait même tenté à croire que ces derniers en faisaient même leur credo. Aucun d’eux ne s’était préparé intrinsèquement à la fonction; tous s’étaient laissé charrier par une conjoncture aléatoire qui eût pu conduire d’autres hommes à leur place. Quand ils s’y installaient, ils n’en endossaient que l’aspect profitable, moral et matériel, sachant pertinemment que le souverain faisait d’eux à dessein de pures marionnettes. Un seul d’entre eux, cependant, donna durant un laps de temps l’impression de savoir où il allait, où du moins le fit sciemment ou inconsciemment croire. En février 1998, Abderrahmane Youssoufi, puisqu’il s’agit de lui, Premier secrétaire de l’USFP, est pressenti pour conduire « l’Alternance », une formule magique dans le lexique politico gouvernemental marocain, à laquelle on ne connaît pas de précédent, pas plus que d’étendue et de limite, qui pèche, déjà, par son énigme. Pour les uns qui savaient les réticences du Roi à envisager de brusques changements, elle devrait conduire lentement et doucement à des réformes institutionnelles sérieuses, comptant, pour une large part, sur le patrimoine patriotique et charismatique du nouveau Premier Ministre. Pour la Gauche, elle est perçue comme étant le résultat tant attendu de sa propre pugnacité à faire échec à une gestion politique chaotique et impopulaire longtemps décriée. Les optimistes vont même jusqu’à avancer que le système s’était tellement fourvoyé dans une impasse institutionnelle qu’il ne pouvait plus faire autrement que de composer, et que l’Etat de Droit serait, cette fois-ci, véritablement instauré. 
Youssoufi adhère, dans les années quarante, avant d’atteindre l’âge de vingt ans, à l’Istiqlal où il devient l’un des représentants les plus en vue de la jeune génération du Mouvement national. Comme Ben Barka, Abderrahim Bouabid et Abdellah Ibrahim, il s’implique dans la seule mouvance ouvrière de l’époque, l’UMT de l’indécrottable Mahjoub Ben Seddik, majoritairement sous emprise de l’Istiqlal qui en fait, au plan social et de l’agitation politique, un levier efficace dans sa diversification de sa stratégie globale contre l’occupant. Il quitte le pays pour la France où il fait son Droit. Après la déposition du Sultan, il entre dans la résistance armée et accueille, dans le Nord, les militants et activistes traqués par la police française et devient, par sa maîtrise de la langue espagnole, et à l’instar de Abd El Khalek Torres et quelques autres figures nationalistes du Rif, un maillon important dans les rapports de l’Armée de Libération naissante et le gouvernement de Madrid. Exilé volontaire en Espagne, il s’efforce, en collaboration avec Allal El Fassi et à travers les services de renseignements égyptiens et les réseaux nationalistes algériens, de pourvoir en armement l’Armée de Libération, installée à Nador, et s’y impose comme l’un des dirigeants les plus appréciés. Il ressent, toutefois, une certaine amertume lorsque Abderrahim Bouabid, qui a préféré ne pas se mêler à l’action armée, accède au Comité exécutif et que lui n’y est pas admis. Il trouvera une compensation dans sa désignation comme Président du Conseil national de la Résistance. À une Indépendance jugée incomplète, il préfère continuer le combat jusqu’à la récupération de la Mauritanie toujours entre les mains de la France, et du Sahara, dit occidental, que l’Espagne rechigne de rétrocéder après qu’elle n’eut pas fait beaucoup de difficultés pour restituer le Nord. Avec Mohamed Basri, alias le fkih, Mohamed Ben Saïd Aït Idir et Ben Hammou, il crée l’Armée de Libération du Sud qui parvient à libérer les trois quarts du Sahara. Il codirige, avec Basri,  » AT-Tahrir », l’organe de presse de cette armée dont il est le rédacteur en chef. Il n’hésite pas à s’attaquer au pouvoir monarchique qu’il qualifie de féodal et de réactionnaire; et quand il déballe dans un de ses numéros l’étendue de la fortune royale, il est accusé d’atteinte, par voix de presse, à la personne du Roi, et mis, avec Basri, aux arrêts, le 15 décembre 1959, sur ordre du Prince Héritier, futur Hassan II. Il est relaxé deux semaines après, pendant que son compagnon est gardé en prison pour quelques mois. L’accusation évolue en conspiration contre la vie du Prince Héritier et entraîne d’autres arrestations. Le 16 juillet 1963, alors qu’il co-préside, à Casablanca, avec Abderrahim Bouabid le Comité central de l’UNFP, dans un climat très tendu, à la suite d’un  » autre complot » découvert par les services d’Oufkir, ils sont arrêtés tous les deux en compagnie des 1O5 dirigeants du parti présents. Bouabid sera libéré une fois au commissariat. Youssoufi nommément accusé dans une conférence de presse du ministre de la Justice de comploter, avec la Syrie, pour renverser le régime, est condamné à deux ans de prison avec sursis après qu’il a fait, pour cause, un séjour à Dar El-Mokri. Il repart pour la France d’où il attaque d’une façon virulente, lors du procès des assassins de Ben Barka, le régime de Hassan II et le met gravement en cause. Avec d’autres militants de l’UNFP, il tente de provoquer la révolution au Maroc; de même qu’il élargit, à partir de 1973, son champ d’action. Cofondateur et vice-président de l’Union des avocats arabes, il parvient à faire reconnaître la première ONG arabe par le Conseil économique et social de l’O.N.U A ce titre, il participe très souvent aux travaux de la Commission onusienne des droits de l’Homme à Genève et acquiert, ainsi, une notoriété internationale qui le fait connaître des jeunes générations arabes et marocaines. Condamné à mort par contumace à plusieurs reprises et gracié, il rentre, tout auréolé, en 1981, au bercail où il est reçu en héros. La mort de Bouabid, le 8 janvier 1992, lui ouvre la voie de la succession qui pour certains répondait à un voeu du défunt et selon d’autres à une proposition de M’hamed Yazghi qui grimpe d’un cran dans la pyramide du parti. Il semble, néanmoins, que la succession a été ardue et obtenue après moult remous, et que Youssoufi en a conçu quelques susceptibilités qui l’avaient dès lors incité à se retirer, mais que préférant différer son départ pour éviter d’en faire un échec personnel, il profitera des élections législatives de 1993 pour dénoncer l’intervention massive des autorités, claquer la porte et renouer avec son exil à Cannes. L’USFP ressemble dès lors à une orpheline et ses autres ténors se révèlent peu consistants. Ce départ ébranle également toute la Gauche qui perd, par ricochet, un maillon indispensable dans sa cohésion face à un régime jaloux de ses prérogatives. De toutes parts on s’empresse alors de le supplier de revenir, ce qu’il fait en 1995. À la surprise générale, les principales composantes de cette même Gauche, Istiqlal compris, acceptent une cohabitation plus étriquée, alors qu’elles avaient, trois ans auparavant, décliné une offre plus aisée, faite à M’hamed Boucetta, Secrétaire général de l’Istiqlal, qui n’imposait que le maintien, dans le gouvernement envisagé, de Driss Basri. Conclue comme un pacte secret entre le Roi et Youssoufi, on n’en connaît que l’épisode du serment prêté par celui-ci sur le Coran. Hassan II voulait-il enchaîner à lui, jusqu’à terme de son projet, un Youssoufi qu’il craint de n’avoir pas totalement coupé les amarres avec Cannes et qui pourrait bien l’abandonner en cours de route? Ou la suspicion née des quarante années d’opposition mutuelle avait besoin d’être diluée dans un irréversible loyalisme à l’égard de l’institution monarchique, après changement de règne pointant à l’horizon, impliquant, implicitement de l’autre côté, l’observance d’une clause tacite de concessions, à mesure de l’acheminement vers un objectif à long terme, auquel il faudrait préparer, petit à petit, les esprits et les moyens? Ou s’agissait-il de ne pas déterrer des dossiers du passé, que chacun détiendrait à l’égard de l’autre et garder les cadavres dans les armoires? Ou encore s’inscrivait-il, tout simplement, dans le rituel auquel sont soumis les titulaires accédant pour la première fois aux hautes charges de l’Etat. Les voies du Seigneur étant insondables, la rue, elle, spécule, dans sa quasi totalité, de façon globalement positive, accueillant la nouvelle comme un prélude à une réelle intention du Pouvoir de démocratiser son système, de tourner, définitivement, la sinistre page de ses quatre dernières décennies, et de construire véritablement l’Etat de Droit qui, en l’état actuel des choses, a du mal à convaincre de sa légitimité. Parce que dans sa passable conjoncture, le Maroc ressemble à un bateau à la dérive, et Youssoufi apparaît dans ce contexte comme le seul capitaine, après le désistement de Boucetta, capable de le ramener à bon port. Largement relayée à l’extérieur, l’Alternance profite d’abord, et peut-être même surtout, au Roi jugé seul dirigeant arabe à n’avoir pas peur des socialistes. Au sein de l’USFP, connue pour être traversée par des divergences pour le moins tactiques, le courant conduit principalement par des membres influents, comme Najib Akesbi, Omar Seghrouchni, Mohamed Sassi et Sefiani, s’oppose farouchement à l’expérience, qu’il juge antinomique à la stratégie de la formation. 
Un mois plus tard, Youssoufi que le Roi présente à ses fils comme  » le plus grand trafiquant d’armes que je connaisse », a-t-il dit, sans préciser s’il faisait allusion aux activités de l’intéressé du temps du Protectorat ou durant l’exil, parraine un Cabinet hétéroclite composé, autour d’un noyau dur de la Gauche, de certaines formations de Droite qui ont vite fait de s’afficher centristes, et de cinq ministères dits  » de souveraineté » dont les titulaires sont imposés par le Palais: Défense-Justice-Affaires Etrangères-Affaires islamiques et l’Intérieur avec toujours à sa tête Driss Basri. Cette architecture gouvernementale laisse plus d’un perplexe dans le camp même des supporters. À l’inverse, elle incite à plus de suspicion. Et dans l’extrême Gauche et les milieux intellectuels libéraux et des droits de l’Homme, c’est le clash. La montagne a accouché d’une souris. Des esprits assez avertis des tortueuses tractations qui se déroulent généralement au niveau du Palais et des coups feutrés que n’ont jamais cessé de se donner les frères ennemis de la Koutla, avant l’Alternance, diront que, par bas calculs politiciens de l’USFP le plat fut mijoté pour que ces portefeuilles considérés sensibles par le régime n’aillent pas à une autre formation, même alliée. 
En politique, l’opposition est l’antichambre du pouvoir. Lorsqu’elle accède aux affaires, elle arrive, logiquement, avec son équipe, son idéologie et ses dossiers sous les bras, pour initier une politique de rechange. Si la présence de la Droite dans le nouveau gouvernement est, somme toute, compréhensible pour cause de majorité parlementaire, celle des ministres de souveraineté écorche, quant à elle, la renommée du Premier ministre. Les interrogations se mettent à fuser; mais l’optimisme règne encore un peu partout et beaucoup pensent que Hassan II finirait par laisser par la suite à Youssoufi les mains libres pour engager les réformes nécessaires pour l’édification d’un véritable Etat de Droit? L’exposé, le mois suivant, devant le parlement, de la politique générale du nouveau gouvernement, marquant son entrée en fonction, conforte quelque peu cette dernière supputation. Quelques mois après la nomination de Youssoufi, Jean Daniel du Nouvel Observateur dira de lui: Un vieil ami devient Premier ministre à Rabat (…) Homme intègre, silencieux, solide, à l’aise dans plusieurs langues et dans plusieurs pays, Youssoufi- qui au physique est pratiquement le sosie de l’écrivain Emmanuel Roblès- a connu plusieurs fois les prisons du Royaume avant un long exil en France. Je connais cet homme depuis toujours. Je lui fais confiance. En dépit des préventions de ses amis français, il est monarchiste comme Ben Barka et Bouabid le furent. Dans la situation où se trouve le Maroc, il pense que le trône incarne le plus fort symbole d’unité et de stabilité. (…) L’avenir dira si Hassan II s’est inspiré de l’exemple du roi Juan Carlos lorsque ce dernier a désigné Adolfo Soarez comme Premier ministre des nouvelles institutions monarchiques…ou de l’exemple de François Mitterrand appelant Michel Rocard pour en terminer une fois pour toutes avec un homme dont il en avait assez d’entendre vanter l’intégrité et la compétence. Jean François Clément du centre d’Etudes stratégiques français éprouve quant à lui quelques doutes sur les soubassements de l’expérience  » On peut même penser que le roi a fait venir ses opposants au pouvoir parce qu’il sait, après la réforme ambiguë du 13 septembre 1996, qu’il peut utiliser les membres de la seconde Chambre pour briser les projets des députés. Il sait aussi que l’USFP risque d’éclater, avec l’aide active du ministère de l’Intérieur, et que les tensions seront très vives en mai 1999 lors du prochain Congrès du parti – qui aura lieu deux ans plus tard. Il sait enfin que la lenteur actuelle et future des réformes, dans un climat de récession mondiale et de possible sécheresse, créera des déceptions nécessaires (…) Si on veut porter un jugement lucide et réaliste, on peut dire que ce ne sera qu’un épisode de plus de l’histoire politique marocaine qui ne changera pas les règles fondamentales du fonctionnement du système politique » . 
Le 1O juin, Mohamed Basri rentre, à son tour, au pays, après 29 ans d’exil. Dans les années quarante, il est, comme Youssoufi, un jeune patriote dont le parcours politique baigne dans un confrérisme opposé au Pouvoir. Une dizaine d’années plus tard, étudiant à Marrakech, il se laisse emporter, comme nombre de jeunes, par les sirènes du socialisme scientifique. Il entre, au cours d’une grève estudiantine, dans une algarade avec le puissant pacha, Thami Glaoui, qu’il traite de protecteur de bordels. Il ne doit son salut qu’à des responsables français, présents sur place, qui interviennent aussitôt pour empêcher le Pacha de vider sur lui le contenu de sa mitraillette. L’affront devra tout de même être lavé et l’intrépide subit une flagellation de deux cents coups. Dans les années cinquante, il adhère au parti de l’Istiqlal. La décapitation de la direction et des structures du mouvement national, par le Protectorat, laisse la jeunesse nationaliste désorientée quelques temps. Basri quitte Marrakech pour Casablanca. Avec Mohamed Zerktouni, Mohamed Mansour, Ghali Iraki, Houcine Berrada et bien d’autres résistants de la première heure, il fonde l’Organisation secrète qui multiplie les attentats contre la présence française et ses suppôts. Arrêté et incarcéré à la prison de Kénitra, il s’en évade, avec ses camarades, pour rejoindre l’Armée de Libération, dans le Rif. Au lendemain de l’Indépendance, on le retrouve, avec ses compagnons dans l’Armée de Libération du Sud. À la suite de l’opération Ecouvillon menée conjointement par les armées espagnole et française, il accuse le Prince Héritier- futur Hassan II- d’avoir fait couper, suite à un accord secret avec les Espagnols, le chemin de repli à l’Armée de Libération du Sud qui sera démantelée. Il gardera, depuis, une dent contre lui; au point de conseiller, plus tard, à son successeur de suivre la politique de son grand-père, Mohamed V, plutôt que celle de son père. Si le grief fait à Hassan II est suffisamment éloquent dans cette radicalisation, celle-ci a également puisé dans une large mesure dans la rencontre avec Ben Barka et Youssoufi qu’il accompagne dans la scission de l’Istiqlal, la création de l’UNFP et l’exil où il échappe lui aussi à la condamnation à mort. Au premier, il vouera toute sa vie une fidélité sans faille, et restera profondément atteint par sa disparition. Avec le second, il forme le tandem à qui obvient tout naturellement la succession du mentor. En 1973, une attaque armée est déclenchée, de nuit, contre le caïdat de Moulay Bouazza faisant deux ou trois victimes parmi les mokhaznis. Conçue dans le cadre d’une vaste opération de déstabilisation du pays, elle a fait foirer le plan prévu à cet effet. La conjuration revêtait deux volets. Le premier consistait à attaquer simultanément, à minuit juste entre le 2 au 3 mars, plusieurs cibles, notamment les chefs lieux administratifs et les unités de la Gendarmerie et des Forces auxiliaires, implantés dans un rayon de cinquante kilomètres dans le Haut Atlas. Presque deux cents assaillants répartis en cellules étaient arrivés quelques temps auparavant sur leurs objectifs pour reconnaissance des lieux et la préparation de la manoeuvre. Ces attaques devaient également drainer et occuper dans la montagne d’importants effectifs de l’Armée et donc alléger le dispositif militaire dans les grandes agglomérations où devaient s’activer les réseaux de la subversion urbaine par des attentats contre un tas d’objectifs, des consulats étrangers, des théâtres et autres lieux. À la veille du déclenchement, toutes les cellules reçurent ordre de différer l’attaque jusqu’au 1O courant, sauf celle en place à Moulay Bouazza qui, pour des raisons restées inconnues, s’en était tenu au premier calendrier; et du coup, son action s’est trouvée circonscrite. Les forces de l’ordre sont entrées aussitôt en action et ont fait avorter le projet. Pendant cinq mois, dans une réaction de grande envergure, des rafles et perquisitions dans les villes, et des opérations militaires dans l’Atlas ont démantelé la conjuration et ses circuits. Plusieurs conjurés ont pu, cependant, réintégrer l’Algérie d’où ils étaient venus, à travers la frontière dans la province d’Errachidia ou se délayer dans la population. Des dizaines d’insurgés ont été condamnés à mort, et exécutés, ou à de lourdes peines. Pratiquement tous ceux qui devaient opérer dans la montagne avaient séjourné et subi une formation militaire à l’étranger: en Algérie de Boumédienne, la Libye de Khaddafi, la Syrie de Hafed El Assad, l’Irak de Saddam Houssein, ou encore dans le camps palestinien de Arafat avec qui nombre d’entre eux ont participé aux évènements du fameux Septembre noir où l’armée jordanienne a décimé l’OLP. À mesure des investigations, apparaissait plus nettement le profil de fkih Basri, lequel, contrairement à Youssoufi qui vire pratiquement la même année sur conseil de Bouabid vers une position moins tranchante à l’égard du régime, lui, reste accroché, depuis les années soixante, à la conviction que seul un regroupement historique entre panarabisme laïc et islamisme modéré était capable de redonner au monde arabe l’impulsion nécessaire pour refaire son unité. Il n’en démordra jamais; comme il déconseillera vivement à Youssoufi d’accepter l’Alternance qu’il ne cautionnera jamais et qui refroidira leur relation. Ni l’accueil hautement chaleureux que, par la suite, lui réservera personnellement Youssoufi et la direction de l’USFP au grand complet à l’aéroport, à son retour, ni, semble-t-il, la proposition d’un portefeuille ministériel ne suffisent pour lui faire changer d’avis. Marginalisé d’un parti qui finit par lui signifier insidieusement, sous l’impulsion d’El Yazghi et son clan, qu’il y est, désormais, persona non grata, il reprend ses pérégrinations à l’étranger, conservant son pied-à-terre à Paris. 
Hassan II meurt le 23 juillet 1999. Le Roi Juan Carlos d’Espagne, les Présidents Bill Clinton, Moubarak, Bouteflika, Jacque Chirac et d’autres, ainsi qu’une brochette de personnalités étrangères et internationales dont l’Onusien Koufi Anan, accompagnent sa dépouille dans une interminable procession pédestre de plusieurs heures, à travers les rues d’une capitale jonchée à ras bord par une foule éplorée. Les médias du monde entier se bousculent sur place pour couvrir l’évènement qui fait pratiquement la Une de l’actualité internationale. À l’interne, il clôt un règne ténébreux de presque quatre décennies, et entrebâille un peu plus celle de la personnalité du défunt. Encensé de son vivant, porté au rang d’une icône, son profil post-mortem, lui, s’accompagne chaque fois un peu plus de révélations qui viennent déteindre sur cette image encore fortement appréciée dans beaucoup d’esprits d’une large frange de l’opinion publique et certaines sphères externes, notamment politiques, diplomatiques, intellectuelles et journalistiques. Parmi ces révélations celle, assez tardive mais ahurissante, faîte neuf ans plus tard, soit le 1er mai 2008 sur les antennes de la chaîne satellitaire El Jazeera, par le célèbre journaliste, écrivain, penseur et homme politique, l’égyptien Mohammed Hassanein Heykal qui probablement connaissait le défunt mieux que quiconque et dont les nombreuses rencontres avec ce dernier laissent supposer qu’à défaut de le tenir en estime, il lui reconnaissait son envergure internationale. D’après Heykel, Hassan II tenait en piètre estime son père qu’il considérait traditionaliste et de ce fait hors-jeu; pas plus qu’il ne nourrissait aucune considération pour son peuple et encore moins pour le Mouvement national, la classe politique et tous ceux qui se targuaient d’avoir contribué à l’Indépendance du pays. Son retour d’exil, avec sa famille, il ne le devait dans son esprit qu’à sa seule perspicacité qui lui avait permis de comprendre à temps que la restauration de la légitimité monarchique se jouait en…Israël où, a-t-il ajouté, il disposait d’un parti politique influent et des personnalités au pouvoir qui lui étaient acquises à travers les Israélites marocains devenus Israéliens depuis l’exode et qui lui avaient jeté des ponts, dans les moments sombres, avec le lobby juif américain dont l’influence sur le Sénat et le gouvernement américains se passe de tout commentaire. 
La notoriété internationale de Heykel semble laisser peu de place au doute sur l’authenticité de ses propos. L’homme est connu pour sa modération, sa passion d’étayer ses arguments par des documents et preuves indiscutables, son analyse scientifique des évènements. Sa révélation semble expliquer à contrario toute l’ambiguïté de la philosophie de règne de Hassan II marquée de bout en bout, d’une part de brutalité et de mépris à l’égard de ses  » sujets coreligionnaires », dans un Maroc qui apparaissait comme sa propriété privée, et d’autre part d’une pointe d’ admiration pour ses  » autres sujets juifs » et partant de là, son entremise inlassable dans la recherche d’un règlement du conflit arabo-israélien. Néanmoins, elle pose un gros pavé: dans ce cas comment expliquer la participation militaire marocaine au conflit de 1973 où les FAR ont bien combattu les Israéliens sur les hauteurs du Golan syrien? 
Projeté subitement sur le devant de la scène, le nouveau monarque, Mohamed VI, unanimement aimé reste, néanmoins, psychologiquement assez méconnu. On le disait insuffisamment préparé à assumer la succession. On lui prête, néanmoins, un tempérament libéral et abordable, en raison de sa modestie et de sa propension pour les déshérités et les handicapés. Mais l’héritage qui lui est légué, lourdement grevé par quatre décennies d’autoritarisme et la configuration monarchique enracinée en dépit des apparences dans la stricte tradition féodale dans laquelle il a vécu, ne pouvaient ne pas impacter sa vision politique et sa liberté d’action. Il confirme Youssoufi à la tête du gouvernement qu’il maintient intact, rogne, cependant, dans un premier temps, les ongles à Driss Basri auquel il enlève la mainmise sur la DST confiée au futur général Hamidou Laânigri. Moins de deux mois après son avènement, le Roi accomplit un geste qui fut interprété comme un premier signal fort du nouveau règne, en direction des changements attendus. À tout seigneur, tout honneur, il limoge Driss Basri; et dans la foulée, lui inflige, coup sur coup, deux revers tout aussi cinglants, ainsi qu’à la Justice, au passage. Il autorise le retour d’Abraham Serfati, qui par ironie du sort, est accueilli avec les honneurs par une délégation officielle avec à sa tête…le ministre de la Justice, et fait élargir, aussitôt après, cheikh Yassine dont il transcende deux de ses récents ouvrages: le premier, intitulé  » A qui de droit » diffusé sur Internet, met ouvertement en cause Hassan II dans des opérations illicites de constitution de fortune à l’étranger, dont il demande le rapatriement, et l’accuse de collusion avec les israéliens. Le second, intitulé  » L’Etat », s’attaque à la conception et à l’appropriation du pouvoir par le régime. Tous croient que le jeune souverain veut signifier par ces gestes qu’il n’était redevable à personne des services rendus à la dynastie et qu’il entendait marquer son règne de sa propre empreinte. Il donne, ainsi, les preuves d’un caractère froid et sûr de lui. Il prend non seulement la stature d’un souverain libéral, mais juste et rassurant aussi. Du coup sa popularité, déjà au zénith, perce quelque peu le plafond. 
Après le premier discours du Roi devant le Parlement où il exhortait les partis à appliquer les règles de la démocratie interne, Youssoufi se fend d’un éditorial dans le journal Al Ittihad Al Ichtiraki où il demande une révision constitutionnelle. Revendication sans lendemain, que ne reprendra ni l’intéressé ni son parti, pas plus que les autres, qui sonne comme un coup de semonce, une sorte de chantage diront d’autres; mais qui de l’avis de beaucoup vient ternir un peu plus les relations entre les deux hommes. Tout le monde considère que Youssoufi est depuis sur les chapeaux de roue, même s’il rempile pour un deuxième gouvernement intervenant au mois de….2000, plus ramassé, avec….ministères et ….de Secrétariats d’ Etat contre respectivement…. et … dans le précédent. L’entrée en lice, dans ce Cabinet, de Abbas El Fassi, nouveau Secrétaire général de l’Istiqlal, en qualité de ministre…..,dont certaines prises de positions antérieures, mi-figue mi raisin à l’égard de l’action gouvernementale, n’avaient pas manqué pas de susciter des interrogations laisse perplexe les analystes. A t-il été « briefé » par Youssoufi pour venir le conforter face aux autres tendances ou, au contraire,  » contraint » par le Palais pour mieux limiter les espérances du Premier ministre et éventuellement pouvoir facilement enterrer celui-ci, en cas de divergence? Veut-il prendre lui aussi, date, dans l’Histoire pour ne pas demeurer en reste d’une phase considérée transitoire? La retouche gouvernementale va vite apparaître comme un simple rééquilibrage technique, plutôt qu’un changement stratégique. Le système reste figé sur ses prérogatives, les détenteurs des leviers de commande trônent toujours au sommet de l’Etat, les plaies de l’ancien règne demeurent toujours béantes et l’Alternance se révèle un simple changement de vernis. Youssoufi se retrouve dans une situation inconfortable qu’il ne se décide finalement à éclairer que le 24 février 2001; dans une langue de bois qui ne fait que rajouter des interrogations sur le devenir du pays. Dans une ambiance domestique feutrée et conviviale, télévisée, et face à trois journalistes qui manifestement évitent de lui déplaire, plutôt que de saisir l’exceptionnelle occasion d’engager un débat de fond, il s’évertue à étaler une appréciation positive de sa gouvernance; en égrenant un chapelet de réalisations qui sur le terrain de la vie quotidienne semblent s’être évaporées dans l’atmosphère. Pour les réformes essentielles tant attendues, il demande tout simplement d’attendre encore un peu plus; jusqu’à la fin de son mandat, pour pouvoir le juger globalement. En somme, il ne demande pas plus que le peuple continue à lui renouveler le délai de grâce; jusqu’au moment où ayant quitté les affaires, il deviendra insaisissable. Youssoufi semble n’avoir pas d’autres choix que de naviguer à vue, entre les récifs, dans l’espoir de parvenir à renverser la tendance en sa faveur et démontrer que le pari qu’il avait osé prendre a été concluant. C’est sûrement dans ce dernier contexte qu’il faudrait placer sa stratégie placide lorsqu’il déclare aux journalistes que la phase la plus importante de l’Alternance découlera des futures élections auxquelles il s’emploie pour que la Gauche puisse les aborder « par la grande porte » (sic). Mais de nombreux analystes le suspectent, déjà, de prendre plaisir à sa fonction et à ses délices et de se muer, secrètement, dans une reconversion idéologique tendant à rallier son parti à la monarchie; quitte à poignarder la Koutla dans le dos et à reprofiler l’échiquier politique autour d’une nouvelle alliance avec sa droite gouvernementale. Le journal  » Maroc-Hébdo » résumera l’impression générale, dans son édition du 12 avril…, par le commentaire suivant » Si l’on s’en tient aux trois années d’exercice écoulées, le procès est vite fait. Le changement espéré n’est ni lisible, ni visible, ni perceptible. » et d’ajouter plus loin « Abderrahmane Youssoufi, lui, est sur un autre fuseau horaire. Sur la base de l’engagement pris avec feu S.M Hassan II et reconduit par S.M Mohammed VI, il ne conçoit sa mission qu’en un seul point: la transition démocratique. Or, estime t-il, à juste raison d’ailleurs, il n’y a pas plus fragile qu’une transition vers plus de champ démocratique. » 
Youssoufi va aller, de plus en plus, à vau-l’eau. Le 6ème Congrès de l’USFP, réuni à Casablanca du 29 au 31 mars 2OOO, après dix ans de retard, se tient dans un climat électrisé qui se propage hors enceinte où la police, sur ses dents, veille à ce qu’il ne dégénère pas en affrontement. Dès le départ, Youssoufi tangue. Deux principales cartes qui l’auraient conforté lui manquent à l’occasion. Obnubilé par la Primature et la confiance que lui a renouvelée le jeune Roi, il n’a pas suffisamment fait pour récupérer son ancien allié, fkih Basri, dont l’ombre plane lourdement sur l’instance. Un autre pilier, le tout puissant Noubir Amaoui patron de la Cdt, l’aile du parti la plus active sur le terrain et la seule pratiquement qui donne le tourniquet au Gouvernement, a, de son côté, claqué la porte d’entrée de jeu; entraînant dans son sillage une importante faction de la classe ouvrière. Alias Bounaâla parce qu’il semble allergique aux chaussettes, il est d’un genre peu commode tant dans la maisonnée socialiste qu’au plan syndical. Ses déboires avec l’ancien ministre de l’Intérieur, Driss Basri, l’avaient exposé à des tracasseries administratives et poursuites judiciaires qui lui ont suscité une amertume et une rancoeur à l’égard de l’aile politique qui l’abandonnait à son sort ou ne le défendait que mollement. Considéré anti-El Yazghi et par conséquent proche de Youssoufi, il n’en demeure pas moins, même dans l’Alternance, un coriace négociateur auquel sa position dans le Bureau politique n’amoindrit aucunement ses revendications sociales. Excédé par ses positions intransigeantes, Youssoufi ne se démène pas trop à le récupérer et perd en lui, en ce moment crucial qu’est le 6ème Congrès, une véritable force de frappe, diminuant, du coup, ses chances de circonscrire la montée en puissance de El Yazghi qui domine de bout en bout les débats. Youssoufi en sort comme Achille. Reconduit au forceps, un mois après, il est fragilisé au regard de la Koutla et du système; il n’a plus pour lui que son intrinsèque stature dont il espère encore tirer profit. Il se mure, comme un sphynx, dans le silence; brouillant davantage les cartes, refusant de dévoiler sa stratégie à un an et demi des élections législatives et donnant, ainsi, une nouvelle fois, libre cours aux conjectures. Il a sûrement toutes les raisons de se taire. Son parti risque l’implosion: Yazghi, en dépit du sobriquet d’Iznogoud ( amalgame fait à partir de trois mots anglais: is no good), dont l’ont affublé ses détracteurs et une certaine presse, a accaparé les instances du parti. Désormais véritable maire du palais USFP, il est celui dont quelqu’un a ironiquement exprimé l’objectif:  » Je veux être calife à la place du calife » et d’ajouter:  » Pour ceux qui ne l’auraient pas compris, le calife, c’est ce pauvre Abderrahmane Youssoufi ». Amaoui et ses troupes menacent de ressusciter l’étique et comateuse UNFP, moribonde depuis la scission de 1975 et que son octogénaire leader, Abdellah Ibrahim, l’ancien Président du Conseil de gouvernement, s’entête à incarner symboliquement. Mohamed Hafid, Secrétaire général de la Chabiba Ittihadia et patron du journal du même nom que Youssoufi avait interdit d’impression dans les locaux du parti, avant d’autoriser sa réapparition, reste sur l’expectative. Mohamed Lahbabi, un des barons du parti, compagnon de Abderrahim Bouabid, ne cesse de se démarquer de l’Alternance dont il dresse un bilan négatif, considérant que le peu de changement enregistré est dû à la volonté et l’action du Roi et non pas au gouvernement. Il va jusqu’à lancer des appels en direction de la mouvance de cheikh Yassine, considérée, unanimement, comme la principale force du pays, avec laquelle il espère former une  » Koutla historique » associant son parti et les progressistes des autres horizons. Dans le courant anti-alternance au sein de la formation, Mohamed Sassi et Najib Akesbi reprochent, en autres, au gouvernement de se préoccuper aveuglément des directives du Fonds Monétaire International en matière des équilibres budgétaires au détriment du social. A sa droite, ses ministres cafouillent; ne se préoccupent que de leurs intérêts personnels et partisans. Ceux dits  » de souveraineté », ne l’informent même pas de leurs initiatives et décisions et n’hésitent pas à prendre des libertés d’action qui le gênent aux entournures, même s’il les avalise, par la suite, pour masquer son impuissance. Le Palais récupère à son profit tout un pan de responsabilités qui doivent normalement incomber au gouvernement; des Commissions royales, sous l’égide directe du souverain, lui retirent sous les pieds les dossiers relatifs au social et s’attribuent, sur le budget de l’Etat, une importante enveloppe qui échappe au contrôle du ministère des finances. Théoriquement chef de l’Administration, il n’apprend, souvent aussi, les nominations par le Palais, aux hautes charges officielles, notamment celles des walis et gouverneurs, et des principaux directeurs des organismes économiques de l’Etat, que par la voix de la télévision et de la presse. Les conseillers du Roi forment un véritable Cabinet fantôme et ne cessent de lui tendre des peaux de banane. Un quarteron de généraux, que la mort de Hassan II a bizarrement gonflés à bloc, se sentent pousser des ailes et se découvrent des velléités politiques. Son principal allié, l’Istiqlal, lui apporte peu d’appui dans la coalition gouvernementale et beaucoup de critiques en dehors, notamment dans sa presse. Son Secrétaire général, Abbas El Fassi, coiffé par le Conseil de supervision, ne dispose pas de coudées franches et sa participation au gouvernement n’a pas, de notoriété publique, fait l’unanimité dans son camp; il adopte une position fortement ambiguë, gardant un pied dans le gouvernement et promenant l’autre dans les coulisses du Palais, donnant l’impression de se poser en recours, d’autant qu’on lui prête des accointances avec le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Ali El Himma, condisciple du Roi, et semble-t-il maître d’oeuvre d’importants projets de textes de nature à modifier la donne politique. L’existence du PPS de Moulay Smaïl Alaoui et du Front des forces démocratiques de Thami El Khiyari dans le gouvernement, ne feront pas le poids en cas de dérobade de l’Istiqlal. Deux autres alliés, Ahmed Osman du RNI et Mahjoubi Ahardane du MNP, siégeant au gouvernement par ministres interposés, sont mal lotis. La fronde sévit au sein de leurs formations; visant principalement leur propension autoritaire, archaïque et népotiste, leur gestion douteuse des fonds, leur refus de convoquer les congrès prévus par les statuts et l’absence de démocratie interne. A la lisière, l’OADP et quelques groupuscules sans véritable ossature parlementaire viennent en appoint plus moral qu’opérationnel. Dès lors, Youssoufi donnera l’impression de s’entêter à ferrer un cheval mort. Il ne peut même pas changer de fusil d’épaule et chercher des appuis ailleurs. Le PJD de Abdelkrim El Khatib est, lui, un cas sui generis. Initialement Mouvement populaire démocratique et constitutionnel, issu de la scission du MP co-fondé avec Mahjoubi Ahardane, au lendemain de l’Indépendance, il connaît son heure de gloire avec la création du FDIC dont il est l’épine dorsale avant d’hiberner longuement, à la suite d’une brouille avec le Palais, et ne réapparaît qu’à la veille de l’Alternance, pour vite se convertir, grâce à l’apport de certains transfuges de la mouvance de Cheikh Yassine, dans ce qui est désormais appelé l’Islamisme tolérant. Il siège au Parlement avec neuf députés. Appuyant initialement l’Alternance, il s’en éloigne vite pour devenir un de ses détracteurs. L’ancienne Droite, habituée durant presque quatre décennies à faire de la figuration dans le système, et rejetée, Alternance oblige, sans préavis, à l’arrière cour, cherche ses marques dans la nouvelle opposition. Trois de ses formations, l’Union constitutionnelle, fondée par feu l’ancien Premier ministre Maâti Bouabid, le Parti national démocrate de feu Arsalane El Jadidi et le Mouvement populaire de Mohand El Ansar, sont coalisées dans El Wifaq, instigué par Driss Basri pour faire contre poids à la Koutla. N’ayant plus en commun que les séquelles de la catastrophique connivence dans les gouvernements précédents, dont elles ont mangé le fonds et le revenu, elles ne parviennent toujours pas, trois ans après, à accorder leurs violons. En dépit de quelques manifestations communes, au Parlement, qui s’apparentent plus à des sautes d’humeur qu’à une vision politique concertée, elles évitent de heurter de front un gouvernement qui, d’Alternance qu’il soit, n’en demeure pas moins, de S.M le Roi. La quatrième de même obédience, le MDS, dit, communément,  » parti du commissaire », n’étant plus en odeur de sainteté nulle part, fait cavalier seul. Elle traverse une phase de déconfiture. Son chef est dénoncé véhément, par d’anciens prisonniers politiques, parmi les principaux tortionnaires de l’ancien règne, et tout un pan de ses élus locaux et parlementaires est allé se recycler ailleurs. A la périphérie de cet échiquier s’agite une kyrielle de groupes atomisés, allant de l’ultra gauchisme à l’ultra libéralisme, dont le poids est insignifiant et les revendications balbutiantes. En face de ce microcosme, deux grandes inconnues de l’heure: d’un côté, la mouvance de cheikh Yassine, qui donne le cauchemar à plus d’un. Interdite d’exercer, elle démontre, amplement, sa force dans les manifestations populaires, et de l’avis des observateurs attentifs, elle sera la grande gagnante des futures élections. Légalisée, elle s’emparerait de la majorité; marginalisée, elle pèsera lourd dans la balance et contrôlera, potentiellement, l’assiette électorale, en basculant vers tel ou tel parti avec lequel elle passerait le compromis. Sur les campus universitaires, elle est souvent aux prises, parfois à armes blanches, avec l’USFP. Dans cette nébuleuse apparaît le cinquième cavalier: le Prince Moulay Hicham, cousin du Roi. Dans une fracassante conférence de presse à l’Institut Français des Relations Internationales, le 21 mai, il préconise l’institution d’une monarchie sur la base d’un  » Pacte familial », qualifie l’instauration du système de primogéniture de  » dérive absolutiste » et appelle à la tenue d’une conférence nationale sur le renouvellement de la structure et du rôle de la monarchie, ainsi que sur la refonte et la consolidation des institutions qui expriment et représentent la souveraineté populaire. Connu pour avoir pris depuis longtemps ses distances à l’égard du sérail, le Prince ne se doutait certainement pas que sa déclaration ferait l’effet de l’intrusion d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il était évident qu’elle ne pouvait résulter que d’une intention mûrement réfléchie. Par contre, on ignore si Ahmed Lahlimi, ministre des affaires générales, considéré comme le bras droit de Youssoufi et numéro deux du gouvernement, s’est porté en défenseur de l’Etat ou des intérêts partisans lorsqu’il dit à l’hebdomadaire Jeune Afrique:  » J’aurais aimé qu’il ( le Prince) développe ses idées au sein de la famille royale au lieu de s’épancher des les journaux. On a l’impression que ses déclarations suivent un plan minutieusement concocté. Certains vont même jusqu’à évoquer, en privé, un soi-disant complot étranger dont il serait l’instrument » Ce qui fait dire aussi à l’hebdomadaire marocain  » Demain », que ces jolis mots  » complots » et  » instruments de l’étranger » étaient, naguère, dédiés aux socialistes marocains quand ils faisaient le jeu des algériens, des Libyens, des irakiens et compagnie. 
Survenant quarante huit heures après une secousse tellurique d’une amplitude de l’ordre de 5,2 à l’échelle Richter, qui ébranle, le 28 juin, une large partie du pays, causant, heureusement, plus de panique que de dégâts, la coédition par le journal français  » Le Monde » et l’hebdomadaire marocain  » Le Journal » de nouvelles révélations sulfureuses sur la disparition, en 1965, de Ben Barka fait l’effet d’un autre séisme, quant à lui hautement traumatisant. La biographie du défunt remplirait à elle seule une encyclopédie et risquerait de trop surcharger le présent Manifeste. A titre de flash seulement, pour la génération qui ne l’aura pas connu ou qui n’a pas le temps ou le souci de s’intéresser à cette époque, Ben Barka est un des tous premiers pionniers du Mouvement national et l’un des brillants fleurons de l’Istiqlal, avant de prendre le leadership de la Gauche marocaine. Agrégé de mathématiques, ancien professeur du futur Hassan II, il s’en éloigne aussitôt son règne, pour cause idéologique antinomique. Condamné à mort à deux reprises, il vit d’abord en exil à Paris. Fixé par la suite au Caire, héraut de la nouvelle vague qui s’oppose au néo-colonialisme occidental et aspire à changer la face du monde, il sillonne la planète en pèlerin du tiers-mondisme, étendant sa toile relationnelle avec tous les grands noms de la Révolution, allant du chinois Mao Tsé Toung au cubain Castro, en passant par le yougoslave Tito, l’égyptien Nasser, l’indonésien Sokarno, le ghanéen Nekruma, et tant d’autres. Il se prépare à présider la Tricontinentale socialiste à Cuba lorsqu’il est kidnappé au cours d’une escale à Paris. Il ne réapparaît plus. L’acte est aussitôt mis sur le compte des services de l’anti-subversion marocaine, aidés par quelques policiers français et éléments de la pègre parisienne. Véritable tragédie qui secoue, du sommet à la base, la conscience internationale, sa disparition donne lieu, depuis, à un fleuve, pas prêt de se tarir, d’accusations, d’analyses, de commentaires et d’interrogations. Au pays, évoluant vite à l’instar de Becket, son fantôme hante largement au delà du Pouvoir marocain, allant jusqu’à ses anciennes relations partisanes et personnelles, tous les gouvernements français qui se sont succédé depuis De Gaulle, et sûrement aussi les armoires contenant des archives le concernant, à Washington et Londres notamment. Ahmed Boukhari, un ex-agent des services secrets marocains, affirme que le corps de Ben Barka fut ramené, clandestinement de France, à bord d’un avion militaire marocain et dissous à Dar El-Mokri dans une cuve remplie d’acide, conçue par un collaborateur de la CIA, le colonel Martin, et fabriquée par la société SCIF à Mohammadia. La précision suivante, en page 15 de l’hebdomadaire « Le Journal », fait frémir: « ….En revanche, la seule copie du film tourné lors de l’immersion dans la cuve de Mehdi Ben Barka aurait été remise au Roi par le Général Ahmed Dlimi. » D’autres entrefilets sous la plume de trois journalistes vont dans le même sens. D’abord, « …Un seul exemple; si Ahmed Boukhari dit la vérité, le premier ministre de l’alternance, le socialiste Abderrahman Youssoufi, a été nommé par le Roi qui a ordonné l’enlèvement de Mehdi Ben Barka, qui, à tout le moins, a couvert le crime ». Ensuite:  » Entre la gauche et la monarchie, il y a le cadavre de Mehdi Ben Barka » Le 5 juillet l’USFP se constitue partie civile et saisit le juge d’instruction pour l’ouverture d’une information. Mustapha Alaoui prend aussitôt le relais, affirmant, dans l’édition du 6 juillet, que  » cet engin de la mort avait continué à fonctionner jusqu’aux débuts des années quatre-vingt dix. La disparition de Ben Barka apparaît, déjà, comme la partie émergée seulement d’un horrible iceberg » La nouvelle, répercutée aux quatre coins du monde, ébranle le pays dans toute sa profondeur et occulte toutes les préoccupations nationales. L’indignation est à son comble et une véritable psychose s’installe dans le pays. Bizarre réaction, néanmoins, que le traitement post-mortem, aussi immoral qu’il fût, suscite une condamnation aussi unanime, des décades après le fait, alors que le crime même était accueilli en son temps pratiquement dans l’indifférence. Même le Prince Moulay Hicham s’en mêle. Il clarifie, aussitôt, sa position dans une interview à l’hebdomadaire  » Le Journal » du 7 juillet:  » Chaque homme et chaque femme progressiste dans ce pays porte quelque chose de feu Mehdi Ben Barka en lui » (sic) et plus loin:  » Mais je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour mon oncle pour affirmer que ce n’est pas ce triste épisode qui remettra en cause le statut de feu Hassan II en tant que grand roi et grande personnalité de la fin du XXème siècle ». Tous les regards sont tournés vers le nouveau monarque. Certaines hypothèses n’écartent pas sa bénédiction préalable à la diffusion des révélations de Boukhari, dans le but de détaboutiser un des dossiers les plus empoisonnants de l’atmosphère politique marocaine et d’instaurer la transparence et la sérénité nécessaires dans les affaires gouvernementales pour que les initiatives et décisions du nouveau règne puissent être appréciées sous un autre angle que celui qui prévalait dans l’ancien système. En attendant, Boukhari, dont le titre de voyage périmé n’a pas été renouvelé par les autorités, ne pouvant se rendre à la convocation du 19 juillet, par le juge français J.B Parlos chargé du dossier, multiplie les interviewes et confirme ses révélations. Le 31 juillet, le Parquet de Rabat rend un avis consultatif faisant valoir que les faits en question, remontant à plus de vingt ans, sont prescrits. Il estime que la plainte de l’USFP est irrecevable pour  » défaut de qualité et d’intérêt »(sic). Cela veut dire en clair que ce parti, né après la mort de Ben Barka ne peut prétendre à son héritage politique au lieu et place de l’UNFP, elle même écartée parce que  » personne morale n’ayant pas pu subir de préjudice direct »(sic). Le passage de Youssoufi sur les antennes de la chaîne francophone TV5, le 4 août, consacré à son parcours politique, montre un homme paisible et heureux, qui évite soigneusement de parler de l’affaire, se contentant de répondre qu’elle n’avait jamais été abordée avec Hassan II au plan officiel. Le lendemain, il déclare qu’elle ne pouvait faire l’objet d’aucune prescription car il s’agissait d’un crime politique où sont impliqués, directement ou indirectement, plusieurs Etats et qu’il était essentiel que les responsabilités, dont celle de l’Etat marocain, soient clarifiées. Le 9 août, Boukhari persiste et signe. Affirmant, sur les antennes de la chaîne satellitaire El Jazira, avoir assisté, incidemment, à plusieurs dissolutions de cadavres dans la fameuse cuve de Dar El-Mokri où régnait constamment le spectre de la mort, il implique l’élite politico syndicalo estudiantine dans une compromission de longue durée, sous l’effet de chantage, avec les services secrets, durant les années de plomb et porte une estocade particulière contre l’UNFP, le propre parti de Ben Barka, dont il estime le degré de collaboration à 70 pour cent. Dans la gauche honnête des petites gens c’est la consternation totale. Le Gouvernement, le Parlement et l’échiquier politique dans son ensemble, à l’exception de l’USFP, font l’impasse sur les révélations. Il apparaît nettement qu’aucun d’entre eux n’ose s’aventurer dans un champ miné au delà de toutes prévisions sans risquer de soulever un ouragan populaire qui scierait la branche sur laquelle il se trouve perché. Les quelques officiels qui se sont exprimé à titre personnel se réfugient dans la langue de bois. La presse partisane des deux bords semblent s’entendre pour la première fois de son histoire sur la nécessité d’évacuer le cactus à moindre frais; pendant que les médias occidentaux font état de quelques six cents disparitions mystérieuses qui auraient eu lieu en amont et en aval de la disparition de Ben Barka et que l’hebdomadaire indépendant  » Akhbar el Ousboue » du 10 août annonce dans un flash que les évènements estudiantins réprimés par Oufkir à Casablanca, en 1965, s’étaient soldés par au moins 1.55O victimes ensevelies, clandestinement, dans une fosse commune à proximité de Bouskoura. Mais, toute cette réserve et ce courbement d’échine sont évidemment éloquents et expliquent l’énigme qui a plané durant l’ancien règne quant à la répression policière qui s’abattait toujours sur les activistes subalternes et épargnait les dirigeants. Dans le Figaro du 4 septembre, le Roi rompt le silence sur l’affaire Ben Barka. A une première question, il répond: » Si on connaissait la vérité, il n’y aurait pas eu de dérapage. Si on savait exactement ce qui s’est passé à l’époque de la disparition de Ben Barka, et où se trouve sa dépouille, il n’y aurait pas toutes ces spéculations. Je ne sais pas ce qui s’est passé. J’aurais pu poser la question à mon père, que Dieu ait son âme, mais je ne l’ai pas fait. Je ne l’ai pas fait parce que lui-même ne m’en avait jamais parlé. J’ai respecté son silence. » (sic) Il rétorque au journaliste qui trouve que cette réponse est énigmatique:  » Je vous le répète, je ne sais pas ce qui s’est passé et les principaux acteurs de l’affaire Ben Barka ne sont plus là. Mais je trouve que la mémoire de Ben Barka est traitée de façon inacceptable: pour la presse, et certains individus; elle est devenue un produit commercial. C’est une insulte à sa famille. Il est normal que l’épouse de Ben Barka et son fils veuillent savoir où se trouve la dépouille de Mehdi Ben Barka. Je comprends d’autant mieux leur démarche que j’ai à peu près le même âge que Bechir, le fils de Ben Barka. Il serait inconvenant de ma part de demander à Bechir Ben Barka d’oublier et de tirer un trait sur le passé. Non, je ne le ferai pas. Mais le temps est peut-être venu de voir ce dossier différemment. Et je suis prêt pour ma part à contribuer à tout ce qui peut aider la vérité. Mais, de la même façon, je m’opposerai à toute récupération et à toute instrumentalisation, mercantile ou idéologique, de cette affaire. » (sic). Des réponses qui ajoutent de l’opacité à une affaire déjà suffisamment obscure, qui ont tendance à verrouiller davantage le dossier en question et laissent un arrière-goût chez beaucoup de gens qui s’attendaient à une autre attitude du souverain sur l’affaire. Pourrait-on, en effet, parvenir à la vérité dans cette affaire sans tout simplement passer par une enquête que la Justice, se murant, toujours, dans le silence, se refuse d’envisager? Boukhari est condamné par le tribunal de première instance d’Anfa à un an de prison ferme et à une amende de 150.OOO Dh pour émission de chèques sans provisions; à la suite d’un procès contesté à l’issue duquel son avocat déclare qu’il portera plainte contre le procureur du Roi pour avoir fait disparaître le dossier n° 666.98 prouvant que son client a déjà été jugé pour les mêmes faits, et s’interroge:  » Est-ce que certaines personnes cherchent une condamnation internationale du Maroc? » (sic). L’Association Marocaine des Droits de l’Homme juge scandaleux ce verdict destiné à museler  » un élément très précieux pour faire la vérité sur les enlèvements, les tortures, les emprisonnements illégaux et la liquidation physique de beaucoup de militants. » (sic). Le Forum pour la Vérité et la Justice tonne dans le même sens:  » Ce jugement est une mascarade. Au moment où le Maroc doit exploiter le dossier des enlèvements politiques ( Ben Barka, Manouzi, Rouissi, pour ne citer qu’eux), on observe un revirement qui vise à diisimiler la vérité » (sic) La Fédération Internationale des Droits de l’Homme et Human Rights Watch estiment que l’Etat marocain a  » l’obligation d’enquêter sur les déclarations de Boukhari et même de lui permettre de se rendre à Paris. » (sic) Time Magasine, à qui le souverain a accordé sa première interview après son intronisation, reconnaît que le pouvoir marocain ne semble, après tout, pas encore prêt à affronter les dérives du passé. Pour une opinion publique qui se sent quelque peu spoliée de son droit d’accéder à toute la vérité, ces réactions ne pouvaient, évidemment, que conforter davantage le Prince Moulay Hicham dont les intentions politiques semblent se dessiner suffisamment à travers son factum, au style chamarré, diffusé dans  » Le Journal » du 8 septembre, dont les extraits suivants méritent méditation:  » Quelle que soit la sphère dans laquelle je serai amené à agir, économique, sociale, culturelle ou technique, mon action, comme celles des autres acteurs, revêtira un caractère politique. Il me paraît, de ce fait, bien illusoire de vouloir me cantonner, comme le font certains, dans la position du  » juste ». Ceux qui ont exprimé ce genre d’opinion font preuve de naïveté à mon égard et vis-à-vis d’eux mêmes. »- » Ma propre position, telle que je la comprends, est guidée par le désir de favoriser une action politique d’un type nouveau, guidée par les principes de vérité et de justice. »-« …Ceci signifie la mise en place d’institutions nouvelles et réformées capables à la fois de nous sortir de l’arbitraire et d’éviter que cette sortie sombre dans le désordre »- » Méditant sur ces problèmes, il m’est apparu nécessaire d’appeler à une réforme de la monarchie qui lui permettrait de renouveler les fondements de son autorité et les mécanismes de son arbitrage; il m’est apparu nécessaire d’appeler à la révision des prérogatives constitutionnelles des différentes composantes de l’Etat, et des organisations élues, ainsi qu’à la révision des procédures électorales; il m’est apparu, enfin, nécessaire d’appeler à un changement dans les méthodes de travail au sein de nos formations partisanes. »- » Il est important de noter, à ce propos, que quand je préconise une participation de toutes les sensibilités qui oeuvrent dans le sens d’un changement salutaire, je ne vise pas uniquement l’intégration de ceux qu’on désigne par le terme passablement confus  » d’islamistes ». Ces quelques passages de nature à bousculer l’ordre établi mettent à mal, désormais, toute la Gauche au pouvoir, notamment la formation du Premier ministre, à laquelle il réserve quelques philippiques significatives: » Qu’il puisse y avoir dans tout débat des divergences et des points à préciser, cela relève de l’ordre normal des choses. Ce qui, en revanche relève de la manipulation, qui ne peut plus tromper personne, c’est de crier au complot chaque fois que l’on appelle à une discussion sur les problèmes vitaux pour l’avenir de la nation, ou que l’on propose des éléments pour une réforme des institutions centrales du pays. Il se trouve toujours des gens pour agiter des accusations de complot et collusion avec des forces étrangères. Or, on le sait bien, ceux qui propagent ce genre de discours ne font que se draper sous le manteau d’un faux nationalisme pour continuer des pratiques discréditées dont la faillite est aujourd’hui constatée par l’opinion publique. L’un d’entre eux, le ministre Lahlimi, pousse le ridicule au point de me prodiguer des bons conseils de travail de  » terrain », oubliant sans doute qu’il s’agit là d’un avis peu autorisé, de la part d’un homme ayant passé sa vie à débiter le verbe prétentieux, et à se tromper lui-même en croyant avoir réalisé des projets dont il n’a fait que parler. Ce genre de personnes passent le plus clair de leur temps non pas sur le terrain comme ils se plaisent à le laisser entendre, mais derrière leur métier à tisser des histoires au lieu de s’atteler aux tâches que réclament leurs compatriotes. »- » Ces théories, on ne peut plus grossière, du complot, trop fréquemment utilisées depuis quarante ans, sont le fait de gens qui ont passé leur temps à monter, ou imaginer, des petits complots, à défaut de reconnaître les grands. » Il est réconfortant de constater que tout le monde se rend compte qu’il s’agit là d’une technique de délation cherchant à capitaliser sur un nationalisme de façade qui ne manquera pas, un jour, d’être démasqué. »- » Ces familiers du complot, que ce soit ceux d’hier ou d’aujourd’hui, ou des mêmes hier et aujourd’hui, sont ceux-là mêmes qui entretiennent une politique de l’entrisme et de compromission faisant obstacle à la régénération de nos structures partisanes. »- » J’espère que nous aurons toujours la vigilance suffisante pour distinguer ce nationalisme des opportunistes d’un autre nationalisme, d’inspiration élevée et ouvert sur le monde. » Si l’assiette politique ci-dessus identifiée et cataloguée semble déjà suffisamment étalée, elle ne saurait être considérée, pour autant, comme un reflet patent de toutes les sensibilités du pays, parce qu’à un niveau sous-jacent, des forces virtuelles et centrifuges agissent fermement sur les principaux mécanismes de la réflexion et de l’intérêt. Toutes les formations politiques du pays renferment, en effet, en leur sein des lobbies économiques et des personnalités volubiles, dont la vision politique obéit moins aux convictions idéologiques qu’à des considérations corporatistes. Le flou qu’ils font planer sur l’échiquier politique sera d’autant aggravé que toutes les ficelles de ce dernier se trouvent nouées au niveau du Palais où l’entourage immédiat, véritable force d’influence et d’inflexion des enjeux politiques, s’attelle à ancrer ceux-ci dans le système makhzénien.  » Il est aussi nécessaire que ces citoyens et citoyennes aient la force interne de se rebeller contre l’autorité établie en tant que système makhzénien. » a dit, le Prince. Des propos exprimant une radicalisation pour laquelle, naguère, Ben Barka et tant d’autres, pour moins que cela, ont payé un lourd tribut. 
En novembre 2OOO, la publication d’une lettre  » fantôme », vieille de vingt-six ans, secoue brusquement le cocotier politique et prend des proportions nationales. Datée de 1974 et attribuée à Fkih Basri, elle fait état des contacts, quelques temps avant le coup du Boeing, avec l’ex-colonel Amekrane hospitalisé, alors, à Paris. Elle aurait été écrite par Basri à l’intention de Bouabid, Youssoufi et Allal El Fassi et remise à Bousta, un de ses proches d’exil, pour l’expédition. Celui-ci l’aurait gardée par devers lui pendant des années et remise juste avant sa mort à Omar Seghrouchni, son diffuseur. Elle comporte même le nom d’un des plus proches familiers du sérail: feu Driss Slaoui, Conseiller du Roi. Elle implique également trois figures emblématiques de la section de l’UNFP, passées à l’USFP qui ont toutes fait un bout de chemin avec Basri dans l’exil : Mohamed Lakhssassi, professeur d’Histoire, ancien député, s’occupait des relations extérieures de l’USFP- Mohamed Benyahya, impliqué dans le procès de Marrakech en 197O, rentre d’exil avec Youssoufi et dirigera deux journaux qui ont cessé de paraître depuis- et Mohamed Aït Kaddour, ingénieur, ancien directeur du port de Kénitra, qui avait deux ans auparavant publié une série, arrêtée peu de temps après, de révélations sensationnelles sur la personnalité de Basri. La veuve Oufkir jette de l’huile sur le feu, en confirmant  » l’information » à partir de Paris. Et Mme Hayat Bousta ne nie pas l’existence de cette lettre dans les documents personnels de son défunt mari. Les états-majors de l’Istiqlal et de l’USFP entrent du coup en émoi. Les réactions s’enchaînent tout azimuts. Youssoufi se laisse, bizarrement, se désarçonner facilement, à l’étonnement général. Il accourt au domicile du fkih, le presse de démentir le contenu et en sort bredouille; son hôte se contente, semble-t-il, de contester sa traduction qui ne restitue pas fidèlement la version originale. Youssoufi adresse au Roi un message de fidélité et d’attachement au Trône et invite les partis de la coalition gouvernementale a en faire autant, arguant que la publication de la lettre visait  » le pacte » entre cette coalition et la monarchie. El Yazghi juge que  » C’est une opération qui vise non seulement l’USFP mais la déstabilisation du pays et le blocage de la marche vers l’Etat de Droit ». Abdelkrim Ghallab, figure historique de l’Istiqlal, rappelle que son parti  » a été victime de la politique suivie par Oufkir et sa bande au Maroc. Oufkir avait annoncé à un conseil de gouvernement qu’il était prêt à égorger Allal El Fassi, ainsi que les militants qui avaient libéré le pays ». La Droite monte au créneau pour crier au scandale. Elle est interprétée comme étant la preuve de connivence de ces derniers avec Oufkir. Le journal Rissalat El Oumma, de l’UC, invite les responsables  » à lever le secret sur des dossiers qu’ils conservent bien à l’abri, dans leurs archives. S’il s’avérait que les dirigeants en question furent effectivement impliqués dans le complot, l’alternance consensuelle perdrait toute légitimité puisqu’elle aurait été fondée sur la duperie ». Elle découvre, bien tardivement, au Premier Ministre un côté…comploteur, comme si ses rapports avec la monarchie s’étaient déroulés, depuis l’Indépendance, sur du velours, donnant l’impression d’ignorer ou d’oublier, entre autres, sa fameuse ruée dans les brancards, en 1973 à Paris, devant un parterre de personnalités de tous bords :  » La clé de voûte du système makhzénien est le sultan, autocrate dynastique héréditaire de fait, dont l’intronisation s’accompagne d’un simulacre de cérémonie d’allégeance à laquelle participent les dignitaires, tout à fait domestiqué ». Les cercles proches du Palais sautent aussi sur le prétexte pour enfoncer un peu plus leur clou. Et même Abraham Serfaty ne demande pas moins que la démission du Premier Ministre, lui qui maintient toujours que le Sahara devra être cédé au Polisario. Les déclarations fournies par Basri après cet épisode laissent tout le monde sur sa faim. Il ne confirme ni infirme le contenu de la lettre dont il prétend n’avoir eu connaissance de sa divulgation que par Youssoufi; se contentant de regretter qu’elle ait soulevé une aussi vaste polémique. Vraie ou fausse, l’information était pourtant loin d’être un scoop médiatique; de tels ragots avaient déjà circulé bien avant, sans faire sourciller personne. Reste alors la question de l’opportunité de la divulgation? Pourquoi diffuser en ce moment précis où Youssoufi peine à reprendre ses marques après le 6ème Congrès de l’USFP, une lettre vieille d’un quart de siècle, écrite deux ans après un évènement liquidé dans la foulée. Le mois suivant ( décembre 2OOO), Youssoufi, s’appuyant sur l’article 77 du code de la presse, que l’USFP d’avant- Alternance avait tellement décrié pour en avoir fait suffisamment les frais, interdit trois publications: Le Journal et Essahifa de Abou Bakr Jamaï et Demain de Ali Lmrabet qui avaient osé mettre en cause de hauts gradés de l’armée dans des cas de tortures, du temps du règne précédent. Il dit défendre l’honneur de l’institution militaire, justification ou prétexte que relaye, aussitôt, Mohamed El Gahs directeur du quotidien Libération :  » Qui a intérêt à éclabousser l’Armée d’un pays en guerre, et en phase fragile de transition démocratique? Pourquoi cet acharnement tantôt explicite, souvent allusif à son rôle prétendu occulte? Est-ce qu’on veut l’étrangler, avec relais locaux, la discréditer, l’énerver ou lui suggérer des choses? ». El Achaâri, ministre Usfpéiste de la Culture et de l’information joue sur le même registre  » Qui est dérangé par le fait que l’armée marocaine soit restée jusqu’à présent le bras qui préserve l’intégrité territoriale, la légalité, la stabilité et la sécurité du pays et le maintien de ses institutions ». D’autres sources soutiennent que Youssoufi n’a en fait que paniqué devant les rodomontades d’un quarteron de généraux auxquels certains prêtent généreusement des velléités conspiratrices. En tout état de cause, le crédit de l’ex-défenseur des droits de l’Homme et de la liberté de la presse, Youssoufi donc, pour ne pas le nommer, et dont tout le monde attendait, en la matière, une plus grande avancée, est mis en doute. L’initiative suscite une véritable indignation dans la presse non gouvernementale et les milieux intellectuels et est jugée, pour le moins, malheureuse par les milieux libéraux; et de tous les griefs qui lui seront tenus depuis, il traînera cette initiative comme un boulet jusqu’à la fin. Le 15 juillet 2OO1, se tient à Rabat la Conférence nationale de la Gauche socialiste unifiée composée de l’OADP, le Mouvement des Indépendants démocrates, le Mouvement pour la démocratie et des anciens militants de la gauche radicale, ainsi que des intellectuels progressistes. Elle met l’accent sur l’échec des options du régime makhzénien, l’incapacité du gouvernement à répondre aux attentes populaires, les violations des droits de l’Homme et la balkanisation du champ politique. L’ancien ministre de l’Intérieur, Driss Basri, estime, dans un texte destiné initialement au journal Le Monde, mais diffusé par l’hebdomadaire Demain, que  » la troisième voie » envisagée, depuis juin 2OO1, par l’Onu, pour le règlement du dossier du Sahara et qui emporte apparemment l’aval de James Baker est un pur trompe-l’oeil, qu’elle conduirait, inéluctablement, à l’indépendance de ce territoire et la qualifie d’hérésie. Ahmed Midaoui, son successeur, en charge du dossier du Sahara, est limogé pour mauvaise gestion de l’affaire. Il est remplacé par Driss Jettou. Le 3 octobre, le Mouvement national populaire connaît une fracture qui enfante un nouveau parti, l’Union démocratique, sous les auspices de Bouazza Ikken, jusqu’alors bras- droit de Mahjoubi Ahardane. Celui-ci tient, néanmoins un congrès et se fait réélire à la tête de la formation mère. Le 18 octobre, un simple canular, malencontreusement joué au faux anthrax par un industriel à un autre confrère, et tous deux amis du prince Moulay Hicham, se solde par la condamnation du farceur à huit mois d’emprisonnement ferme. La sentence est perçue par l’opinion publique comme un pied de nez à l’adresse du Prince et la banale histoire ne tarde pas, en effet, à évoluer en une rocambolesque affaire politico sécuritaire; révèle que le Prince et son épouse font depuis quelques temps l’objet de filatures, d’écoutes téléphoniques et de harcèlements par les services secrets.  » C’est le patron de la DST, le général Laânigri. C’est lui qui est derrière cette histoire. Il peut être pire que l’anthrax…Je l’ai connu dans le passé, c’est un professionnel du renseignement que j’ai fréquenté et respecté, mais il faut qu’il sache qu’il ne peut pas faire ce qu’il veut avec des gens ayant le sens de la dignité et de l’honneur. Le reste, c’est du Walt Disney », dira le Prince, et de rajouter  » c’est uniquement grâce à SM le roi que ma sécurité a été protégée dans ces moments critiques, ce dont je lui suis reconnaissant ». 
Le 19 octobre, les contestataires socialistes, conduits par Noubir Amaoui et Abdelmajid Bouzoubaa, déjouant l’opposition de Youssoufi qui a introduit un recours en justice pour empêcher la tenue d’une assemblée pour corriger les erreurs du 6ème congrès de l’USFP, provoquent la scission de la formation en créant le parti du Congrès national unioniste. Abdelmajid Bouzoubaa en est élu premier Secrétaire national. Quelques jours plus tard, le Prince Moulay Hicham, revenant sur ses déboires avec la DST fera une série de déclarations dont quelques extraits:  » Je dispose d’éléments irréfutables prouvant la volonté manifeste des enquêteurs de me porter atteinte…Ces derniers ont demandé de m’impliquer dans des opérations de déstabilisation de l’Etat (…) Effectivement, j’ai appris que Belhadj, qui était à mon service, il y a quelques années, a reçu la visite de trois policiers en civil qui ont essayé de lui extraire un témoignage mensonger sur mes supposées fréquentations avec de hauts gradés de l’armée (…) Je persiste à mettre nommément en cause le général Laânigri. La décision de cette manigance n’a pu être prise qu’à son niveau. D’ailleurs, rappelez-vous d’une chose importante et grave, il n’a jamais nié être à l’origine des déclarations que lui prête Sarah Daniel du  » Nouvel Observateur » à qui il avait affirmé que la monarchie est faible « . Le canular dérape en affaire d’Etat et le Palais se trouve insidieusement interpellé. Le 21 novembre, Ali Lmrabet, mis en examen par le Parquet de Rabat, une quinzaine de jours auparavant, pour propagation d’une  » désinformation  » selon laquelle… le palais royal de Skhirat serait en vente pour être transformé, par la suite, en complexe touristique, est condamné à quatre mois de prison ferme et trente mille dirhams d’amende, sur la base d’un acte d’accusation on ne peut plus ubuesque, qui fera certainement date dans les annales judiciaires. Pour étayer son argumentation, le procureur s’empara d’une imposante pierre, la souleva au dessus de sa tête et affirma:  » Cette pierre est à priori banale, mais si elle avait servi à bâtir une mosquée ou un palais royal, elle deviendrait sacrée! » De la justice à l’ineptie, le dérapage peut parfois tenir au simple délire d’un magistrat. Il faut reconnaître, néanmoins, à celui-ci le mérite d’enrichir la jurisprudence marocaine grâce à sa trouvaille de ce qui pourrait bien s’appeler, désormais  » la théorie de la pierre sacrée « . Face à cette mascarade, Ali Lmrabat se montre quelque peu magnanime, refuse d’interjeter appel, déterminé  » à aller en prison pour éviter que la justice ne soit ridiculisée une fois de plus » a t-il rétorqué. Dans une interview, il impute sa condamnation à l’intervention de Omar Azziman, le ministre de la justice, qui semble définir selon des critères personnelles les règles de la justice, aux ordres du général Laânigri, le patron de la DST, d’André Azoulay, principal conseiller royal qui avait fait une entrée fracassante sur le devant de la scène, quelques mois auparavant, en déclarant que du moment que le Roi gouverne, les partis politiques n’avaient plus de raison d’exister et du très controversé Ali Al-Himma, condisciple et ami du Roi, jeune Secrétaire d’Etat à l’Intérieur que l’on donne parfois comme le véritable stratège de la politique de son département et parfois comme un simple pion de la DST. Le journaliste Khalid Jamaï résumera l’impression générale qu’a suscité la sentence par ces propos:  » Depuis trente ans que je fais ce métier, je n’ai jamais assisté à une telle infamie et pourtant c’était le temps des années de plomb ». Il ajoutera:  » nous sommes revenus à l’âge de la pierre » Des personnalités de la société civile s’élèveront elles aussi contre cette sentence. Dans un article de soutien, elles diront notamment:  » Ce retour délirant à l’âge de pierre n’ayant aucune raison de s’arrêter là, demain, ce seront les tomates ou les pamplemousses de telle ou telle ferme royale qui seront déifiées ». 
Toute cette agitation se déroule sur fond d’une fronde suscitée par la cérémonie oecuménique organisée en la cathédrale St Pierre de Rabat, à la mémoire des victimes des attaques perpétrées, le 11 septembre, au moyen d’avions de ligne Boeing contre les deux tours du World Trade Center à New-York et le Pentagone à Washington, faisant, dans un premier bilan officiel, 6.ooo morts, revu à la baisse par la suite, pratiquement de moitié. Une brochette de Ouléma élabore une Fatwa à l’encontre du ministre des Habous et Affaires islamiques, Medaghri Alaloui, accusé d’avoir cautionné cette cérémonie considérée d’une part inadéquate et incongrue dans le fond et dans la forme, et d’autre part comme un soutien aux intentions belliqueuses des USA qui, sans présenter la moindre preuve tangible et imputant l’acte à des milieux et pays arabo musulmans qualifiés de terroristes, mettent aussitôt en branle une large coalition internationale militaire contre les Taliban, au pouvoir en Afghanistan, qui abritent Oussama Ben Laden, le chef de l’organisation Quaïda, supposé être le commanditaire des deux opérations. Le ministre réagit en faisant pression sur certains signataires de la Fetwa, les obligent à se rétracter. Plus de deux cents personnalités de tous bords de la société civile dénoncent la manoeuvre du ministre et appuient la pétition des Ouléma. Cette fronde se greffe à son tour sur une polémique entre l’Istiqlal et l’USFP, à cause du mépris affiché par le ministre Usfpéiste des finances quant aux corrections proposées par la l’Istiqlal à la loi de finances de l’année 2OO2 et à la réclamation par son homologue istiqlalien des affaires sociales du déblocage des 5O.OOO postes budgétaires réservés par le gouvernement au titre de la résorption du chômage. La tension entre les deux principales composantes du gouvernement tend lentement, en dépit des tentatives des deux parties de circonscrire le différend, vers la mésentente ouverte. Abderrazak Afilal omnipotent dirigeant de la centrale syndicale UGTM d’obédience istiqlalienne accuse en pleine séance parlementaire le gouvernement Youssoufi d’incurie et demande à son parti de quitter la coalition gouvernementale. D’autres personnalités de l’Istiqlal lui emboîtent le pas et réclament une motion de censure contre le gouvernement. Dans les autres formations affiliées au gouvernement des voix dissonantes quittent les rangs pour protester contre la tiédeur ou la complaisance de leurs dirigeants à l’égard d’une politique conduisant à l’impasse, jugée de plus en plus impopulaire. 
Le treize décembre, Boukhari qui vient de purger sa peine, réduite à trois mois de prison pour chèques sans provisions, est condamné de nouveau à trois mois d’emprisonnement ferme et trente mille dirhams d’amende dans une action en diffamation intentée contre lui par Mohamed Achâachi, Abdelkader Saka et Mohamed Mesnaoui directement impliqués tous les trois dans le meurtre de Ben Barka. Une sentence qui ne manque pas elle aussi de soulever quelques interrogations et estimée destinée seulement à empêcher l’intéressé de répondre à une nouvelle convocation du juge Parlos, pour le vingt du même mois, alors qu’à Rabat la Justice refuse d’instruire la plainte déposée depuis cinq mois par l’Usfp; une plainte qui a tout l’air d’avoir été introduite pour la forme par un parti qui donne de plus en plus l’impression qu’il souhaite, en dépit de sa position officielle, que le dossier Ben Barka reste enterré. 
En janvier 2OO2, Moulay Hicham prend femme et enfants et part s’installer aux USA, un départ considéré par les uns comme un exil volontaire et probablement de longue durée, et par d’autres comme une sortie stratégique lui permettant de mieux transcender les remous suscités autour de sa personne et de ses positions qui de l’unanimité des observateurs ont fini par agacer le régime. Le 24 du même mois, Florence Beaugé note dans Le Monde:  » Très critique à l’égard du premier ministre et peu mobilisée pour l’instant par le scrutin à venir, la population marocaine traverse une période de morosité. Qui gouverne le pays? Sur quoi va déboucher la transition actuelle? Pourquoi rien ne semble-t-il bouger? Toutes ces questions reviennent comme un leitmotiv, ces temps-ci, dans un climat fait de désenchantement et d’inquiétude (…) En nommant, en juillet 2OO1, une équipe de super-walis dans les régions, à la faveur de la décentralisation, puis en les dotant, le 9 janvier 2002, de pouvoirs décuplés pour donner à leur action le maximum d’efficacité, le souverain a créé une dynamique indéniable, mais aussi dépouillé le gouvernement d’une partie de ses prérogatives, ce qui en inquiète plus d’un (…) Dans une interview qu’il lui accordée, Youssoufi soutient que la situation économique du pays était satisfaisante et affirme « …qu’en 2oo1, l’inflation a été inférieure à un pour cent et le taux de croissance s’est élevé à 6,5 pour cent » Le même jour, André Azoulay rétorque que les performances économiques étaient faibles en raison de l’inexpérience de l’équipe au pouvoir. Le lendemain, il confirme, sur un autre média, que l’inaptitude de ce gouvernement était consécutive aux quarante années passées dans l’opposition. Lmrabet, dans Demain du 2 février renchérit  » Ce gouvernement dit d’alternance, arrivé en 1998 avec trompettes et tambours, était en fait une grande escroquerie. Un coup de maître de Hassan II, avant le grand voyage, au détriment d’une USFP lassée par quarante ans d’opposition et dont les cadres piaffaient d’impatience pour devenir ministres et responsables administratifs. Dans les rangs des opportunistes socialos, on voulait une part du gâteau et l’accès aux salons feutrés et aux sièges en cuir des strapontins ministériels (…) Pour le pouvoir royal, le gouvernement de Abderrahman Youssoufi est une croix qu’il faut porter religieusement jusqu’à septembre 2OO2, quitte à ce que le pays s’enfonce dans la crise économique et sociale (…) Au fait, il ( Palais) gouverne et laisse le gouvernement régner, et quand il y a un problème, quand les impairs s’accumulent, il fait porter le chapeau à ce gouvernement de nuls, qui n’a jamais, comme ses prédécesseurs, pu faire valoir ses prérogatives. 
Dans  » Lettre ouverte à deux petits-fils de Mohamed V, parue dans Le Journal du 2 au 8 février, Omar Seghrouchni crève le plafond et tance carrément le Roi et Moulay Hicham  » Vous, petits-fils de Mohamed V, n’engagez pas le Maroc dans un faux combat, après lui avoir offert de grands espoirs. Les marocains ne veulent plus être des sujets. Ils souhaitent être des citoyens. Vous, petits-fils de Mohamed V, vous pouvez participer à construire le Maroc des citoyens ». Le 14 février apparaît, en France, le livre tant attendu de Boukhari, interdit au Maroc. La presse en rapporte de larges extraits ahurissants sur les méthodes abominables couramment utilisées par les services secrets, dès l’orée de l’indépendance, d’abord sous les ordres de Mohamed Laghzaoui  » Les hommes de Laghzaoui pratiquaient la torture et l’assassinat. Ils arpentaient le pays en bradissant leur carte de police avec un ordre de mission spécial et permanent spécifiant qu’aucune autorité, ni les policiers, ni les gendarmes, ne pouvaient les interpeller ou les interroger sur la nature de leur activité secrète. Ils circulaient impunément à bord de voitures puissantes sorties du parc de la famille Laghzaoui et portant de fausses plaques d’immatriculation (…) les règlements de comptes, les enlèvements et les assassinats devenaient un peu trop visibles, sans pour autant assurer la sécurité dans le pays. De plus, les victimes des exactions policières se trouvaient trop exclusivement du côté des adversaires de l’Istiqlal. Sur le cynisme d’Oufkir et Dlimi, le Journal précise  » Quand Dlimi assistait à un interrogatoire, il lui arrivait d’utiliser un godemiché de bois pour défoncer le fondement de ses ennemis. C’était sa séance préférée. Oufkir, lui, arrachait les dents des suppliciés avec une tenaille, pratique apprise, disait-il, durant la Seconde guerre mondiale, quand il faisait la collecte des dents en or sur les cadavres des soldats allemands. Il aimait aussi manier le stylet et appréciait tout particulièrement les électrodes branchées sur le sexe des prisonniers. Avec Dlimi, il lui arrivait de jouer à la roulette russe: une seule balle dans le barillet, le canon sur la tempe du prisonnier…Et le coup partait. Ou non. Il y avait aussi l’épreuve de la bouteille: dans des toilettes à la turque, une bouteille était fixée dans le trou d’aisance et le supplicié devait s’accroupir au-dessus; les tortionnaires le forçaient alors violemment à s’asseoir et le culot s’enfonçait jusqu’à déchirer le rectum » Sur les méthodes du Cab1, on note  » Du plus petit des sous-fifres aux patrons du Cab1, la torture était pratiquée de manière quasi industrielle. L’horreur et l’avilissement absolus. Quand aux tortures régulières, elles étaient pratiquées dans la cave où se trouvait une vieille chaudière à mazout. Le matin, dans les bureaux du Cab1, Mohamed Achaâchi désignait quatre ou cinq hommes des Brigades spéciales puis leur donnait le programme de la journée et les noms des prisonniers à martyriser. Les gars prenaient alors la route du P.F2, s’arrêtant au passage dans une épicerie pour acheter des caisses de vin rouge, de la viande et des légumes. A Dar El Mokri, ils confient les denrées aux gardiens afin qu’ils leur préparent leur déjeuner et commençaient leur sinistre besogne vers 1O heures. Le bonhomme était emmené dans les sous-sols, entièrement nu, les menottes aux poignets et les pieds entravés. Alors les spécialistes commençaient à boire et à torturer en même temps. Ils pratiquaient successivement plusieurs types de sévices. Le plus souvent consistait à ficeler la victime sur un banc et à soulever l’ensemble à la verticale, les pieds du supplicié se trouvaient alors en l’air et sa tête plongeait dans un baquet d’eau sale posé sur le sol. La victime suffoquait et croyait se noyer. Le banc était ramené à l’horizontal in extremis, et la séance reprenait, levé, baissé, plusieurs fois de suite. Puis, le malheureux étant recroquevillé sur lui-même, les mains autour des genoux, les bourreaux lui passaient une barre sous les bras et les jambes et soulevaient leur victime, la balançant lentement en lui donnant des coups violents sur les pieds au moyen d’une cravache. Et tout en pratiquant ces supplices, ils avalaient de larges rasades de vin, sans doute pour se donner du coeur à l’ouvrage. Pour comble d’abomination, les tortionnaires se plaisaient à violer les plus beaux et les plus jeunes des opposants persécutés, souvent des gamins de dix-huit à vingt-deux ans » 
Dans une longue et exceptionnelle interview accordée à RFI dans la même période, Youssoufi ne semble se soucier ni de son inconfortable posture dans le système, ni de l’inconsistance de son bilan au regard des attentes populaires, dont il affiche un optimisme quelque peu délirant qu’il a, selon ses propres propos, quelques difficultés à justifier. A diverses questions à ces sujets, il répond:  » Ils sont naturellement déçus, ceux qui s’imaginaient que, du jour au lendemain, le chômage allait être résorbé ou que leur salaire allait augmenter substantiellement. C’est cela qui préoccupe le plus les marocains en ce moment, car, dans chaque famille, hélas! on compte un ou deux chômeurs. Notre population est en majorité constituée de jeunes; nos écoles forment et mettent sur le marché beaucoup de cadres plus ou moins adaptés aux besoins de l’économie…Alors, nous avons fait ce que nous pouvions. La fonction publique ne peut pas créer plus d’emplois et nous avons convaincu le secteur privé d’embaucher, même s’il ne l’a pas fait dans la proportion que nous souhaitions. Pour qu’il y ait plus d’emplois, il faut davantage d’investissements (…) Notre situation a également empiré à cause de la sécheresse (…) Or cette sécheresse frappe près de la moitié de notre population qui est une population rurale…Nous avons fourni une telle aide que certains en arrivent même à appeler de leurs voeux une nouvelle année de sécheresse, car jamais ils n’ont bénéficié d’autant d’attentions de la part du gouvernement marocain (…) Les préfets, super ou ordinaires, sont en général proposés par le ministre de l’Intérieur. C’est donc un membre du gouvernement qui propose à Sa Majesté une liste. C’est le roi qui, constitutionnellement, est l’autorité qui nomme et les gouverneurs et les hauts fonctionnaires. Ce processus est tout à fait normal, même si notre presse se pose la question de savoir si le Premier ministre était au courant ou pas. Quelle importance? Si je suis au courant, si je peux donner mon avis, j’en suis satisfait, mais que le ministre de l’Intérieur propose des candidats à Sa Majesté, ou que Sa Majesté elle-même veuille proposer de bons candidats, je ne peux que m’en féliciter (…) Je ne me considère pas comme un monsieur qui sait tout ni comme le dirigeant le plus capable du pays. Je préside une équipe politique qui constitue le gouvernement et cette équipe est aidée par une administration où il y a des gens d’expérience. Je ne pense pas avoir la science infuse, mais nous travaillons comme nous devons le faire et avec un certain nombre de difficultés, par exemple, la sécheresse ou le manque d’investissements. Aussi, les appréciations de certaines personnes ou de polémistes ne me paraissent pas de mise.  » Principal partenaire de la Koutla et ministre de l’Emploi, Abbes El Fassi serait-il, lui aussi, polémiste lorsqu’il déclare, le 18 du même mois, à Tanger:  » …Notre intérêt porte sur l’administration qui constitue l’obstacle majeur devant l’investissement (…) Nous savons tous que l’investisseur, marocain soit-il ou étranger, se plaint, en premier chef, de la bureaucratie. Son projet se heurte à des difficultés pendant une, voire deux ou trois années pour voir le jour (…) En évoquant le bilan, nous devons souligner qu’il y a une erreur originale ( plutôt originelle) qui est en l’occurence le fait que notre frère le Premier ministre ait accepté dans son équipe des ministres de souveraineté qui n’appartiennent pas aux partis politiques (…) Le résultat fait maintenant que les ministères fondamentaux ne relèvent pas du Premier ministre, comment alors ce gouvernement va-t-il réussir dans sa tâche? » 
Dans une énième péripétie concernant l’affaire du Sahara dont la troisième voie butte contre l’intransigeance du Polisario, James Baker fait état dans son rapport à l’Onu de l’impossibilité de parvenir à un compromis entre les parties, et de la proposition algérienne d’examiner une quatrième option: l’attribution au Polisario de la province de Dakhla. La proposition algérienne se révèle cousue de fil blanc. Après s’être cramponnée pendant plus de deux décades au principe de l’autodétermination des peuples, l’Algérie dévoile sa véritable visée : faire obtenir à son protégé une sorte d’Etat-couloir qui lui servirait, à elle, de marche vers l’Atlantique. Dans l’élan, Bouteflika, jetant les masques fait, le 27 février, une  » visite d’Etat » au camp des réfugiés de Tindouf. La démarche est perçue au Maroc comme une véritable provocation. L’hostilité algérienne devient ouverte. Dans une réplique immédiate, le Roi entreprend le 5 mars une visite officielle dans la région. Il préside, le même jour, à Dakhla un Conseil des ministres qui entérine les principaux projets de réformes de la gouvernance Youssoufi dont notamment la révision du code électoral. 
Le 7 avril une gigantesque manifestation de soutien au peuple palestinien rassemblant trois millions de participants, selon l’association organisatrice, se retourne contre le gouvernement et les chefs des partis politiques de la coalition, bloqués par des milliers de manifestants, à la porte du Parlement. Youssoufi, conspué à l’occasion, en sort sous forte escorte policière mais sera obligé de chercher refuge, quelques centaines de mètres plus loin, dans la salle des pas perdus de la gare Oncf de Rabat-ville. Embarqué dans le premier train, il sera débarqué à la gare suivante d’Agdal où le récupère une voiture du ministère de la Justice qui l’amène chez lui. C’est le premier affront qu’il subit publiquement, par un peuple en colère qui a cuvé depuis quelques temps déjà sa désillusion quant à une Alternance qui a eu le mérite de mettre à nu Youssoufi, traité dans une interview parue le même jour dans le quotidien espagnol  » El Mundo » de clown du Makhzen par Nadia Yassine, et toute la Gauche qu’il personnifie, face à un Pouvoir qui n’en attendait pas tant pour lui compliquer la tâche. Depuis, Youssoufi se sentira sur la corde raide face au Pouvoir, et la multiplication des gestes de soumission au Pouvoir restera sans effet. 
Les élections législatives du 27 septembre 2002, la sixième consultation du genre depuis la promulgation de la 1ère Constitution, en 1963, dans le cadre du renouvellement des 325 sièges de la Chambre des Députés mobilisent une quarantaine de partis politiques, mais seuls 26 sont retenus pour la campagne. La procédure suivie connaît une innovation: le mode utilisé cette fois-ci, le scrutin de liste au plus fort restant, tranche avec la pratique d’antan, le scrutin universel uninominal à un tour largement décrié pour avoir toujours charrié des personnages peu recommandables et fréquentables et favorisé les pratiques de prébende, népotisme, intervention de l’Administration et falsification de la carte électorale au profit de ses protégés. Par ailleurs, ce scrutin de liste est à deux volets: listes locales et liste nationale, cette dernière étant destinée à assurer un quota minimum de trente sièges aux femmes qui gardent, néanmoins, la latitude de se présenter également sur les listes locales. Par ailleurs, les Marocains résidant à l’étranger qui étaient représentés par cinq députés dans l’assemblée précédente, n’ont pas eu cette fois-ci droit au vote. Motif plausible de leur élimination: sanction, voire vengeance pour raison de transhumance de députés encartés à l’USFP du Premier Ministre et qui étaient passés dans la précédente législature au Mouvement populaire 
Nombre des inscrits: plus de 14 millions 
Résultat global des deux opérations: 
– Union Socialiste 
des Forces populaires ( USFP): 5O sièges 
– Parti de l’Istiqlal ( PI): 48 sièges 
– Parti de la Justice 
et du Développement ( PJD): 42 sièges 
– Rassemblement National 
des Indépendants ( RNI): 41 sièges 
– Mouvement Populaire (MP): 27 sièges 
– Mouvement National 
Populaire ( MNP): 18 sièges 
– Union Constitutionnelle ( UC): 16 sièges 
– Parti National Démocratique ( PND): 12 sièges 
– Front des Forces 
Démocratiques ( FFD): 12 sièges 
– Parti du Progrès 
et du Socialisme ( PPS): 11 sièges 
– Union Démocratique ( UD): 10 sièges 
– Mouvement Démocratique 
et Social ( MDS): O7 sièges 
– Parti socialiste 
Démocratique ( PSD): O6 sièges 
– Parti Al Ahd: O5 sièges 
– Alliance des Libertés ( ADL): O4 sièges 
– Parti de la Réforme 
et du Développement ( PRD): O3 sièges 
– Parti de la Gauche 
Socialiste Unifiée ( GSU): 03 sièges 
– Parti Marocain Libéral ( PML): O3 sièges 
– Forces Citoyennes ( FC): 02 sièges 
– Parti de l’Environnement 
et du Développement ( PED): O2 sièges 
– Parti Démocratique 
et de l’Indépendance ( PDI): 02 sièges 
– Parti du Congrès National 
Ittihadi: 01 siège 
La représentation féminine globale: 34 sièges – pourcentage: 10, 86 pour cent, dont 30 sur liste nationale répartie comme suit: 
– USFP: 05 sièges 
– Parti de l’Istiqlal: 04 sièges 
– PJD: 04 sièges 
– RNI: 04 sièges 
– FFD: 02 sièges 
– PND: 02 sièges 
– PPS: 02 sièges 
– MP: 02 sièges 
– UC: 02 sièges 
– MNP: 02 sièges 
– UD: 01 siège 
Remarques: 
3 chefs de partis- 7 chefs de groupes parlementaires- 6 membres du Bureau de la Chambre des Députés et 3 chefs de Commissions parlementaires ont perdu leurs sièges 
4 chefs de parti, Youssoufi- Osman- Aherdane et Labied, de l’U.C, ne se sont pas présentés aux élections pour ne pas s’impliquer dans une consultation qui les débouterait personnellement et leur ferait perdre leur crédit au sein de leurs propres formations. 
Le pourcentage de vote: L’Intérieur avance le chiffre de 51 pour cent; l’opposition parle de 4O pour cent. 
Les bulletins nuls: L’Intérieur les limite à 15 pour cent; la rue prétend qu’ils ont atteint les 5O pour cent des suffrages exprimés. 
L’électorat féminin se chiffre à 6 millions, soit presque 5O pour cent de la masse électorale. En dépit de ce taux élevé, 4 femmes seulement ont pu être élues sur les listes locales. L’absence ou l’indigence de la représentation féminine au sein des partis et la méfiance à l’égard de leurs congénères ont dû pousser les femmes à porter leurs voix sur les hommes. 
Des urnes ont disparu. 
Moyens frauduleux ou abusifs de certains candidats assumant des fonctions officielles, utilisant les moyens et personnel de leurs départements. 
Percée fulgurante du PJD quant au suffrage dont il a bénéficié, les places fortes qu’il a enlevées notamment dans les grandes villes du pays, surtout Casablanca et Rabat, et dans les circonscriptions bourgeoises. 
A l’aune de ces premières élections du pays quelque peu expurgées des flagrantes fraudes de l’ancien régime, et sur lesquelles se fonde l’espérance de voir le Maroc émerger véritablement sur la scène démocratique, les partis et la société civile se préparent, fébrilement, à inaugurer la nouvelle Alternance tant attendue: naturellement, celle résultant des urnes. Avec ses 5O sièges qui lui assurent la première place, l’USFP s’attend, par la logique électorale, à rempiler pour une deuxième législature, avec la reconduction, pratiquement acquise, de Youssoufi dans ses fonctions; même s’il ne pouvait se prévaloir que d’un maigre bilan et qu’il n’a pas su, ou oser, aborder les grandes orientations politiques qu’imposait une conjoncture désastreuse qui a accumulé les faillites, le chômage etc.., et qu’il aurait, selon certaines sources proches, préféré mépriser ou reléguer à plus tard, dans la perspective de les entamer à l’aise, au cours d’un deuxième mandat. L’Istiqlal ne l’entend pas de la même oreille; il laisse entendre que son score véritable a été ramené en seconde position pour ménager une USFP frileuse qui risquait de ne pas participer à un nouveau gouvernement où elle n’aurait pas la prééminence. Son Secrétaire général, Abbes El Fassi, tente d’emboîter le pas à Youssoufi à la tête du prochain Cabinet, rase large, rassure l’entourage du Palais, colle à Ali El Himma, coltine à la fois avec les deux principaux partis de la mouvance populaire, le MP et le MNP, et le PJD, pousse le bouchon jusqu’aux islamistes de Yassine et cherche à rallier à sa cause le clan Yazghi qui ne cache pas ses intentions de rempiler pour une nouvelle expérience, quitte à se défaire d’un Youssoufi qui de toute évidence n’accepterait pas moins, par dignité, que la primature. A cette étape de l’évolution du pays, il me revient en mémoire l’interrogation de Jean Wolf, dans son livre que j’ai évoqué précédemment :  » Qui nous dira pourquoi la roue tourne au mauvais moment et comment faire pour que les acteurs les mieux adaptés soient en charge des affaires à l’instant le plus opportun, pour que se crée la meilleure approche possible entre les nécessités d’un gouvernement et les qualités foncières de ceux à qui les citoyens les confient? ». En politique, comme dans les courses de chevaux, il arrive parfois que tout le monde mise sur le favori et que c’est l’outsider qui arrive en tête et provoque la surprise; mais cette fois-ci, la surprise est de taille. Contre toute attente, le couperet tombe quelques jours seulement après les élections. Le Roi donne un coup de pied dans la fourmilière, congédie Youssoufi qu’il remplace par Driss Jettou, le ministre de l’Intérieur sur lequel, vingt quatre heures avant, aucun n’aurait misé un copek. La Droite jubile et applaudit à tout rompre à l’éviction d’un Youssoufi dont elle craignait, probablement à tort, qu’il ne se montrât plus tonifié par le suffrage universel pour reprendre et dépoussiérer des dossiers et un passé pour lesquels elle a investi une énorme énergie pour les maintenir enterrés. L’Istiqlal, lui, salue allègrement la décision, content de voir sa rivale USFP mordre la poussière et revenir à des sentiments plus humbles. Et même si la presse gauchiste crie, aussitôt, à l’état d’exception, à l’ingratitude du Palais, à un coup d’arrêt à l’espérance démocratique et à un retour à la case départ et à l’esprit de 1963, la direction de l’USFP qui rechigne momentanément par un communiqué formel destiné à calmer la mauvaise humeur dans ses rangs, fait vite de plier l’échine devant le fait accompli, et le PJD qui, en raison de l’hospitalisation de son chef, le Dr A. El Khatib, avait, dans un premier temps, préféré laisser entretenir la confusion sur ses véritables intentions opte, finalement, pour l’opposition parlementaire. Dans le discours inaugural de la première session de la nouvelle législature, le monarque ne fait même pas allusion au gouvernement précédent, ne souffle mot ni à l’égard de celui-ci ni à l’expérience de l’Alternance initiée par son père, et met l’accent sur la priorité économico sociale. Les termes et le ton, modérés mais fermes clouent au pilori la coalition gouvernementale sortante. Il n’en demeure pas moins que l’éviction de Youssoufi, aussi justifiée qu’elle pourrait l’apparaître au premier abord, compte tenu des griefs accumulés à son encontre, et du pouvoir discrétionnaire du Roi en matière de nomination, laisse plus d’un analyste sur sa faim. Faudrait-il peut-être ne pas en exclure l’idée de sanction contre un gouvernement qui, en plus de son incapacité à maîtriser les priorités nationales, n’a eu de cesse de se targuer, depuis la mort de Hassan II, d’avoir permis de par sa présence d’assurer pacifiquement la succession au Trône; comme si l’avènement devait être attribué à son seul mérite et que s’il ne se trouvait pas là, au moment opportun, le pays aurait plongé dans l’incertitude et l’instabilité. Une telle prétention ne pouvait naturellement plaire au Palais et à son entourage. La reconduction de Youssoufi aurait pris valeur de reconnaissance pour un rôle dont il était, en réalité, un simple figurant. Il devait donc partir, pour couper court à des propos qui auraient entretenu, dans l’esprit des non avertis, l’idée d’un partage légitime du pouvoir. Faudrait-il peut-être y inclure aussi une raison simple, subjective, affective mais relevant hautement de la symbolique. Par la mesure et son timing, le Roi ne voulait-il pas prendre le contre-pied d’un éventuel projet scellé entre son père et Youssoufi pour le confiner dans un rôle pour le moins temporairement secondaire en attendant de faire son apprentissage de chef d’Etat pour lequel on le disait impréparé, peut-être même désintéressé, dévoilant du coup un aspect inconnu et décisif d’un tempérament avec lequel il faudrait compter, qu’il ne tardera d’ailleurs pas à exprimer dans le concept de la :  » Dans un pays comme le Maroc, où les choses comptent plus que les institutions, ces choses-là peuvent peser aussi fort sur le cours de l’Histoire que le nez de Cléopâtre », avait commenté Paris-Match du 2 septembre 1972, après le coup d’Oufkir. En tout état de cause, sur son triste sort, Youssoufi se contentera d’une appréciation lourde d’amertume:  » J’ai tout perdu, la monarchie m’a abandonné », confie-t-il à un de ses anciens ministres. Faisant, cependant, bonne figure contre mauvaise fortune, il négocie avec son successeur certains portefeuilles pour ses poulins: Fethallah Oualaâlou conserve L’Economie et les Finances et hérite du Tourisme, Mohamed Bouzoubaâ passe à la Justice, Khalid Alioua, anciennement ministre des Affaires sociales et porte-parole du premier gouvernement Youssoufi, prend en charge l’Enseignement supérieur, et Habib El Malki, lui aussi ancien titulaire de l’Agriculture, endosse l’Education nationale. Mais il était évident que le Pouvoir pouvait se passer, aisément, du soutien personnel de Youssoufi; puisqu’il était de notoriété publique que les intéressés, eux-mêmes, n’avaient nul besoin de se faire prier pour sauvegarder ou retrouver leurs privilèges ministériels. La satisfaction qui lui a été concédée s’inscrivait, en pratique, dans le simple contexte d’une mouture gouvernementale, poudre aux yeux, qui devait plutôt entretenir, comme par le passé, le mirage démocratique, en réunissant autour du nouveau Premier ministre, encarté comme technocrate apolitique, une coalition majoritaire au parlement. Celui-ci, chef d’entreprise industrielle de son état avant de débarquer pour la première étape de son parcours ministériel, comme un cheveu sur la soupe dans le gouvernement de Abdellaltif Filali, rallie autour de lui, de prime à bord, la classe patronale et les milieux d’affaires. Sa réussite dans le négoce lui sert de gage au plan économique, et sa bonhomie incite à croire qu’il sera, à leur égard, plus conciliant et abordable que Youssoufi. Mais ces deux simples éléments dont il peut se targuer ne suffisent pas en politique, à la place qu’il occupe, et sa gouvernance est d’ores et déjà considérée, par l’opinion publique, comme une perte de temps supplémentaire, pour retarder encore inutilement les réformes structurelles nécessaires qui s’imposent. Son programme de politique générale présenté devant le parlement, reprenant dans ses grandes lignes les litanies des gouvernements précédents, laisse la classe politique, désabusée, dans l’indifférence. Le Roi décide d’abaisser l’âge de vote à 18 ans; un volet qui eu pu, quelques semaines encore auparavant, permettre à 1.6OO.OOO jeunes de participer aux élections et sur lequel Youssoufi était tant attendu mais qu’il a superbement ignoré, bien qu’il s’inscrivait dans les revendications de l’USFP d’avant l’Alternance. Après son départ du gouvernement, Youssoufi tente, encore, de continuer à peser sur le cours de L’Histoire; et dans une première démarche, il veut entraîner son parti à revenir dans l’opposition; il n’est pas suivi, les amis de Yazghi ne voulant pas retomber dans les erreurs du passé et faire de l’affrontement avec la monarchie le credo de l’avenir de leur formation. Dépité, il se sert, par la suite, d’une sortie médiatique à Bruxelles, en novembre 2OO2, où il met en cause l’expérience de l’Alternance et la nomination de Driss Jettou, s’oppose à l’existence des ministères dits de souveraineté, dont il s’était pourtant bien accommodé durant sa primature, remet sur le tapis la révision constitutionnelle et émet des doutes sur l’opportunité et l’efficience de la deuxième chambre parlementaire. La déclaration fait chou blanc et se retourne contre lui; ses amis s’en désolidarisent, considérant que de telles idées ne devraient pas être exprimées à l’emporte-pièce, de manière unilatérale, mais débattues lors du prochain congrès du parti. Youssoufi ne lâche pas pour autant prise. Pour affaiblir le clan Yazghi, il essaye d’éloigner du pays Driss Lachgar, principal soutien de Yazghi, chef du groupe parlementaire USFP, en proposant sa nomination au poste d’ambassadeur à Damas. Celui-ci décline l’offre. La marge de Youssoufi semble arriver à terme. 
Le 16 mai, entre 21h et 22h, 5 explosions quasi simultanées perpétrées, à Casablanca, par des radicaux islamistes provoquent une quarantaine de morts et une centaine de blessés et plongent le pays dans un réel traumatisme national. Entre les deux évènements ( Journal n° 111 du IO au 16) Basri, l’ancien ministre de l’Intérieur s’épanche dans une interview à un quotidien arabe sur son passé dans le gouvernement, édulcorant à son aise certains aspects de son action gouvernementale, niant carrément d’autres et faisant porter le chapeau au seul Hassan II pour ceux qu’il ne pouvait travestir, frisant le ridicule ou prenant les marocains pour des oies sauvages, surtout lorsqu’il veut faire croire que Tazmamart, il n’en avait jamais entendu parler; c’était l’affaire des militaires. 
Les élections communales se déroulent le 12 septembre 2OO3. 
Nombre des communes: 1.497 
Nombre des circonscriptions électorales: 23.689 
Nombre d’électeurs: 14.62O.937 inscrits 
Nombre de votants: 7.918.64O 
Taux de participation: 54,16 Pc 
Suffrage exprimé: 7.147.O62 
Bulletins nuls: 771.578 
Répartition des sièges par tendance en lice:…..26 partis politiques auxquels s’ajoutent les élus indépendants regroupés sous l’étiquette des SAP ( sans appartenance politique) 
– Istiqlal 3.89O 
– USFP 3.373 
– RNI 2.841 
– MP 2.248 
– UD 1.515 
– MNP 1.4O6 
– PPS 1.2O7 
– UC 959 
– PND 889 
– FFD 726 
– PJD 593 
– PS 469 
– Al Ahd 437 
– Alliance des Libertés 429 
– PGSU 3O3 
– MDS 3O1 
– PRD 253 
– CNI 24O 
– PED 168 
– PRE 125 
– PML 114 
– PDI 96 
– PID 71 
– PFC 71 
– PCS 67 
– PA 43 
Les SAP: 1O9 
Remarques: 
– Trois partis, L’istiqlal, l’USFP et le RNI dépassent en taux de participation et en sièges la barre des 1O Pc 
– L’USFP gagne du terrain dans les petites villes et le monde rural; il en perd dans les grandes métropoles et notamment à Casablanca. 
– Quatre Le MP, L’UD, le MNP et le PPS se situent entre 1O et 5 Pc dans les deux cas 
– Onze, viennent entre 5 et 1 Pc 
– Le PED se situe dans la frange précédente en nombre de voix avec 1,O7, mais dans celle inférieure en nombre de sièges avec O,73 
– Les autres formations, au nombre de 7 s’éparpillent entre O,82 en voix, et O,54 en sièges pour le PRE et O,44 et O,19 pour le PA 
– Les SAP enregistrent 1,13 Pc en voix et O,48 en siège et occupent de ce fait la 22ème place. 
Le PJD donne l’impression, en comparaison avec les législatives, d’avoir dégringolé vertigineusement. D’aucuns ont vite réagi en faisant le rapprochement entre ce faible score et la vague de répression qui s’était abattue, entre temps, sur des groupuscules islamistes à la suite des attentas du 16 mai 2OO3 à Casablanca, bien que ce parti a été lavé de tout soupçon dans cette dramatique affaire. Mais bien que ses dirigeants n’ avaient pas cessé de claironner à tout vent que le parti allait se contenter de ne couvrir que certaines circonscriptions arrêtées d’avance, où il avait le plus de chance de remporter la majorité des sièges, notamment certaines grandes villes, personne n’a pensé que cette tactique cachait en réalité une stratégie à long terme, à savoir que le PJD a une triste impression de la gestion des communales caractérisée particulièrement par les détournements de budgets et les dépenses infructueuses tels qu’il aurait opté, cette fois-ci, à limiter sa participation pour d’une part ne pas risquer d’hypothéquer inutilement sa renommée dans une mentalité qu’il n’est pas encore en mesure de modifier et d’autre part de préserver son entrée en force dans les communales le jour où grâce aux législatives, il parviendrait au pouvoir et aurait alors les moyens d’agir et de réformer la mentalité gestionnaire à partir d’une position de force qui lui drainerait davantage d’adhésion et de soutien pour le long terme. Lhoussain Boukharta, ingénieur staticien et aménagiste urbaniste traduira l’impression dominante sur ces élections:  » Cette nouvelle expérience nous a montré qu’on est en présence d’un paysage politique illogique, irrationnel et dans la plupart des cas immoral. Un paysage où domine abusivement l’influence personnelle des élites plus que l’aspect idéologique des tendances politiques. Un paysage ayant justifié dans la majorité des cas la continuité historique de la notabilité mais sous d’autres formes et avec de nouveaux critères de légitimation. Pire encore, sous forme d’un réseau clientéliste bien ficelé et articulé du haut vers le bas et inversement, c’est-à-dire de l’élite nationale à l’élite de proximité, ce paysage politique verrouillé ne laisse aucune chance à l’émergence de nouveaux jeunes acteurs locaux. On est en présence d’une soumission imposée des volontés des élites ( minorité) à la volonté et aux objectifs de l’ensemble ( majorité). » La création de six Mairies instituées pour la première fois dans l’Histoire du pays, sous dénomination de Conseils de la ville, pour Rabat, Casablanca, Marrakech, Meknes, Tanger et Fes, donne une fois de plus au peuple l’occasion d’assister, contre tout entendement, à de surréalistes marchandages entre les directions des partis, pour acquérir à leurs féaux les sièges lucratifs. 
Sur ce fond de climat politique combien déjà malsain, se poursuit une cascade de procès judiciaires qui s’abat particulièrement sur la mouvance islamiste  » La Slafia ijtihadia », enrôlés à tour de bras par les tribunaux de Casa et Rabat, dans d’interminables audiences marathon jusqu’à tard dans la nuit, et qui se soldent par seize peines capitales et des centaines d’autres, totalisant plus de deux cents ans de réclusion. Dans le tas, deux jumelles de 14 ans sont condamnées à cinq ans de prison ferme pour des  » crimes graves »: atteinte à la personne du Roi et sa famille et tentative d’attentat contre le Parlement. Le procès rappelle celui d’un étudiant condamné, en 1977, à 15 ans de prison pour un…simple poème. 
Homme politique hors norme pour certains, grand maître d’un jeu dangereux pour d’autres, mais toujours irréductible opposant à la personne de Hassan II jusqu’à la mort de celui-ci, et tout aussi intransigeant à l’égard de l’absolutisme monarchique, bien que quelque peu conciliant vis-à-vis de Mohamed VI à qui il a osé conseiller, au cours d’une visite officille du souverain à Demnate, de suivre la politique de son grand-père plutôt que celle de son père, fkih Basri décède le 14 octobre 2OO3. A la cérémonie funéraire, certains entendent Youssoufi dire  » la prochaine fois ce sera mon tour »; ils comprennent qu’il s’agit de la  » mort  » politique. Quelques jours auparavant, Youssoufi avait, en effet, dans un dernier sursaut, tablé sur Khaled Alioua pour décrocher la nouvelle mairie de Casablanca, au détriment de Mohamed Karam, un autre proche de Yazghi, qui avait, semble-t-il, plus de chances de l’emporter. Il essuya un nouveau désaveu: le clan Yazghi, conforté par l’Istiqlal, avait voté pour le candidat U.C. De l’avis des observateurs, le diktat constitua la goutte qui a fait déborder le vase. Le 27 octobre, Youssoufi baissant pavillon, quitte définitivement le parti et la scène politique, après 60 ans d’activisme. La démission provoque, d’abord, une profonde perplexité sur l’ensemble de l’échiquier politique. S’il était partout admis que Youssoufi, agonisant politiquement, peinait à reprendre, sous les coups de boutoir de Yazghi, les rênes d’un parti déchiré, désarticulé, en déclin notoire depuis la déroute des élections communales, rares sont ceux qui s’attendaient à ce qu’il jette le bébé avec l’eau du bain. Dans les cercles familiers, les réactions sont mitigées. Omar Seghrouchni, militant de l’USFP esquisse, à cet effet, une rétrospective ne manquant pas de subtilité:  » 1956, c’est l’indépendance. Les instruments de souveraineté sont à construire: L’armée, la Police, la RTM, la Banque du Maroc…Très vite se posent les questions;  » Qui construit quoi? ». La monarchie souhaita être le seul architecte, l’affirma, l’imposa et invita le Mouvement national à se contenter du rôle de maçon. Une frange de celui-ci accepta, une autre refusa et revendiqua son droit naturel à être co-architecte. Cela a donné en 1959 l’UNFP…et des années de répression féroce. Dans la logique du pouvoir, le  » sujet » était « maçon », et ne pouvait être architecte…En 1975, Abderrahim Bouabid essaya une autre formule: être architecte avec une carte visite de maçon. Les résultats furent maigres. En 1998, Abderrahmane Youssoufi finit par accepter d’être maçon avec une carte visite d’architecte…La politique moderne ne semble pas avoir réussi à ce personnage qui reste malgré tout fascinant. Ce fut une période lugubre dont le début fut tristement accompagné par la disparition de Mohamed Bahi et la fin assurément marquée par celle de Mohamed Basri. Quel gâchis! Pourquoi n’a t-il pas démissionné plus tôt? Ou plus tard?…Il aurait fallu qu’il assume ses responsabilités avec moins d’autosuffisance ». Selon Najib Akesbi, militant du courant  » Fidélité à la Démocratie »:  » Youssoufi n’avait en réalité pas d’autres choix que cette sortie peu honorable de la vie politique nationale. Autrement ce qu’il risquait n’était pas moins qu’un humiliant désaveu, voir une destitution lors des prochaines réunions des instances dirigeantes du parti, largement dominées par les amis de Mohamed Yazghi…Ceci étant, Youssoufi ne peut s’en prendre qu’à lui-même puisque, à force de multiplier les coups tordus, les reniements et les boniments, il avait fini par creuser lui-même sa propre tombe politique…revenu de Cannes métamorphosé, (Youssoufi) changea complètement de camp, et choisit de se jeter pieds et poings liés, dans les bras du Makhzen. Cette  » trahison » était d’autant plus mal ressentie qu’elle s’opérait au mépris des règles les plus élémentaires de la démocratie interne du parti, la base n’ayant jamais été consultée ni de prés ni de loin pour donner son avis sur ce qui n’était rien moins qu’un changement de stratégie…Youssoufi a également excellé dans l’art de se mettre dans des situations impossibles. Ayant renoncé à solliciter le soutien de la base avant de s’engager dans l’aventure gouvernementale, il a dû se contenter en guise de  » garantie », d’un serment fait, la main sur le Coran, en tête-à-tête avec Hassan II…Lequel avait au préalable pris toutes les précautions nécessaires pour verrouiller le  » système » et rendre impossible tout dérapage éventuel. Privé du soutien réel, même de ce qui restait de son parti, en butte à l’indifférence, sinon au scepticisme de la population, le Premier ministre Youssoufi était « nu », totalement démuni devant le redoutable système du Makhzen. Sa marge de manoeuvre était si faible qu’il ne pouvait se résigner à avaler couleuvres sur couleuvres, accumuler les reniements, multiplier les compromissions…Que pouvait-il encore cet homme qui avait méprisé la base de son parti, trahi ses anciens camarades et alliés, déçu les catégories sociales qui avaient pu un moment croire en lui, si ce n’est continuer dans la logique de la fuite en avant? Le seul « jugement » qui comptait était celui du Makhzen puisque seul celui-ci disposait encore du pouvoir de vie ou de mort…politique. On comprend le désarroi de cet homme lorsque, à l’issue des élections de septembre 2OO2, on lui signifia qu’il avait servi, qu’il avait cessé de servir ». Nadia Hachimi Alaoui tient un langage sensiblement analogue  » Le départ de la vie politique de A. Youssoufi et la déroute morale et financière de l’USFP sont une sorte de triomphe posthume de Hassan II sur l’ancien Premier ministre. Le cynisme de ce haut commis de l’Etat n’a d’égal que celui du Makhzen à l’égard de ceux qui, un jour, ont cru qu’il était possible d’être plus forts que le système. Un système rodé depuis des années à avaler et broyer les velléités contestataires…Lorsque Youssoufi fait acte d’allégeance le 4 février 1998, le roi Hassan II n’est pas dupe. Il sait que c’est là une concession de l’ex-opposant politique plus qu’un acte de sincérité. La tactique du chef de file des socialistes est simple: pénétrer dans un premier temps dans l’arène du pouvoir avant de finir par en prendre les rênes. Car le ténor des ex-opposants comptait sur le temps et sa légitimité politique pour faire basculer la souveraineté en sa faveur. Peut-être pensait-il même que le roi saurait être reconnaissant. N’avait-il pas répondu à la demande royale? Car c’est au régime que Youssoufi a rendu grâce et non au pays…Où l’histoire devient tragique, c’est que l’USFP a donné plus que n’en demandait la monarchie ». Najib Ba Mohamed considère, lui, que:  » Youssoufi était, par son sens éthique et politique, l’homme ressource, à l’intérieur et à l’international, en mesure d’assurer la double transition successorale et politique. Les risques étaient cependant nombreux, les attentes exigeantes et l’adversité prompte au dénigrement quand ce n’est pas la prédation politique. A cela A. Youssoufi a opposé courage, engagement et loyauté. Sa démission, au demeurant, n’apporte assurément rien à ce qu’il est, à ce qu’il entreprit. L’histoire l’a pourvu de lettres de noblesse pour la postérité. C’est pourtant  » le plus grand reste politique » généré par cette démission-suffrage impromptue qui est problématique. On ne dira jamais assez que l’homme politique qui l’habite, narcissiquement éprouvé, se soit lassé, soit déçu autant par les siens, partisans et alliés naturels, que par les revers d’un système à logiques contradictoires et tendances imprévisibles. Il est donc à croire que prioritairement, la décision de M. Youssoufi est une réaction impulsive contre les multiples remous et dissensions au sein de l’USFP conséquents à la participation à l’expérience d’Alternance et revivifiés à l’occasion du congrès de la scission de mars 2OOO. La démission pourrait signifier alors l’échec de M. Youssoufi dans sa mission de leader fédérateur d’un parti aux prétentions avant-gardistes affichées. Le départ de M. Youssoufi est également à interpréter à l’aune des relations de l’ex-Premier ministre avec ses partenaires de la Koutla, dont la mort lente s’est faite dans l’agonie des élections de 2OO3. Enfin le retrait politique du Premier ministre socialiste comporte des signes récurrents de frustration puisque l’arithmétique politique post-législative de septembre 2OO2 l’accréditait pour une nouvelle primature ». Pour Mehdi Lahlou,  » Si le passé de l’homme, jusqu’à la mort de Abderrahim Bouabid et quelles qu’en soient les ombres supposées, est intact, son histoire récente retiendra surtout une série d’erreurs qui ont fait basculer sa vie et changé sa nature, en tous les cas, celles de l’homme politique qu’il était jusqu’à ce mois d’octobre 2OO3″. Listant 18  » chefs d’inculpation », dans ce qui sonne comme un véritable réquisitoire qui n’épargne Youssoufi sous aucun angle, il lui reproche notamment 
– d’avoir pris la direction de l’USFP, pratiquement à titre intérimaire, sans avoir songé, préalablement, à la prise de décisions importantes 
– de s’être impliqué dans un processus de  » réformes et constitutionnelles » en tablant constamment sur la bonne foi de son vis-à-vis sans jamais essayer de l’institutionnaliser et sans jamais exprimer lui-même ce qu’il en voulait. 
– d’avoir accepté de constituer un gouvernement d’alternance au sortir d’élections communales et législatives qu’il savait truquées. 
– de n’avoir plus accepté, à partir de ce moment, aucune critique, aucune voix discordante. 
– de n’avoir pris aucune garantie pour la réussite de son projet-aventure: pas de soutien préalable des instances de son parti, et à fortiori des militants, pas d’engagement clair de ses partenaires de la Koutla, pas d’annonce des modalités de l’engagement auquel il s’est trouvé lié vis-à-vis de feu Hassan II. 
– d’avoir fait preuve, lorsqu’il a été contraint, d’une connaissance très superficielle de la plupart des grands dossiers économiques et sociaux. 
– d’avoir agi après le 23 juillet 1999 comme si les donnes du pouvoir, si les conditions qui avaient été à l’origine de sa désignation en 1998 n’avaient pas fondamentalement changé. 
– de n’avoir jamais réellement compris les messages qui lui étaient adressés par le pouvoir, et notamment de n’avoir jamais été reçu par le Palais pour  » transmettre les conclusions des travaux du 6ème congrès de l’USFP » alors qu’il en avait fait expressément la demande dans son discours de clôture de ce congrès. 
– d’avoir exprimé une forte colère, réelle ou feinte, à la suite de son éviction du poste de Premier ministre au mois d’octobre 2OO2, puis d’avoir abdiqué très vite après sous la pression. 
– d’avoir battu en retraite et abandonné en chemin des projets de réforme importants. 
– d’avoir manqué, dans la même veine, d’être l’initiateur de l’abaissement de l’âge de la majorité politique à 18 ans. 
– d’avoir agi, lui qui voulait donner une certaine consistance à l’institution du Premier ministre, comme une caisse d’enregistrement. 
– de ne s’être jamais adressé sur aucun sujet national. 
– d’avoir failli sur la question des droits de l’homme. 
– d’avoir tenu vis-à-vis du pouvoir et de l’opinion publique un triple langage: un à la télévision française ( TV 5 notamment) un à Bruxelles et un autre au Maroc, si bien qu’il a fini par brouiller tous les messages et faire retourner contre lui le noyau central du pouvoir après s’être aliéné la frange la plus importante des militants de son ancien parti et ceux de la gauche la mieux disposée à son égard. 
– d’avoir fait naître et laissé entretenir, chez ses partisans, au sein de son parti et à sa marge, qu’ils ont du pouvoir, qu’ils sont au pouvoir.  » Qu’ils sont le pouvoir », cette illusion, sera à plus d’un titre, fatale. 
– d’avoir donné l’impression que le  » combat » pour la mairie de Casablanca était le sien, mené en son nom, par procuration, par un postulant qui s’est partout et constamment vu chef à la place du chef. 
– de n’avoir jamais été un fédérateur de troupes et d’idées. 
D’autres militants de l’USFP font état de leur surprise devant une démission jugée inopportune, à un moment crucial de la vie politique nationale qui se caractérise de plus en plus par une régression des libertés publiques et une résurgence d’une mentalité de gouvernance plus proche des années de plomb que de l’Alternance. Hors du sérail, des personnalités politiques exprimeront, de bonne foi ou par déontologie politique à l’égard d’un pair frustré, leurs regrets devant le vide que ne manquerait pas de susciter une telle décision et leurs considérations pour un homme ayant consacré sa vie à la défense de la cause nationale. Le message dithyrambique du Roi, charriant une charge d’émotion, lui dresse un véritable piédestal. Une phrase, cependant, du texte,  » En homme d’Etat avisé et pétri de sagesse, tu as fait preuve de grande perspicacité politique », pousse certains à y voir un soulagement du Palais, débarrassé définitivement de la seule personnalité politique, bien que fragilisée et quelque peu marginalisée, qui persistait, en dépit des avatars subis, à garder un tant soi peu de crédit et dont le seul maintien sur l’échiquier politique continuait, même par ses silences, à gêner le système à ses entournures. Elle donne à penser, en tout cas, que ce départ était la meilleure issue que pouvait entrevoir Youssoufi. 
Si la fin politique de Youssoufi ne pouvait en toute logique laisser la classe politique indifférente, il en est autrement de la rue. Celle-ci, déçue, lui avait tourné le dos bien avant même qu’il ne quitte le gouvernement. Depuis le gouvernement Abdellah Ibrahim, aucun Premier Ministre n’a eu les faveurs du peuple. Tous ceux qui lui ont succédé, ont été créés par le Palais. Leur manque de charisme d’abord, leur inféodation au Palais et leur manque de compétence les désignaient, d’emblée, comme de simples commis qui devaient attirer sur eux les récriminations et, tout naturellement, sauter comme des fusibles en cas de surcharge contestataire. Youssoufi n’a pas seulement émergé au moment où le Palais se devait de contourner une véritable impasse politique qui prenait des allures de crise institutionnelle, mais aussi parce qu’il a fait rêver les marocains pour des lendemains enchanteurs. Il a incarné, disparition des dinosaures politiques de sa trempe oblige, et probablement plus qu’il n’espérait et le souhaitait même, l’espoir des opprimés et de la lutte pour la dignité et le respect du Marocain. Mais sa timide gestion de l’intérêt général, son maigre bilan gouvernemental, en l’absence d’un programme politique défini, ponctué par de surprenantes décisions et prises de position impopulaires dévoilant une personnalité inconnue, imprévisible, problématique, plus qu’emblématique, le profil bas adopté à l’égard d’un lobbysme dévastateur, le reniement d’un tas de principes sur lesquels l’attendait la masse ont fait que le désenchantement a été ressenti amèrement; ce qui explique l’absence de réactions lors de son limogeage d’abord et de sa démission ensuite. Les délices du pouvoir pouvaient-ils l’avoir tellement influencé, au point de constituer la seule cause d’une politique et d’une attitude décriées par l’ensemble des forces vives dès, pratiquement, la première année de sa gouvernance? Avait-il misé sur le temps et la proximité de Hassan II pour l’amener à plus d’infléchissement? Ou, sachant que ce dernier était condamné cliniquement, pensait-il pouvoir influencer plus facilement son successeur? Ou avait-il, en vieux rusé de la chose politique, fait sienne la maxime de Napoléon III  » On ne dit, jamais, jamais en politique », et que partant de là, il a préféré s’accrocher à une position inconfortable, dans l’attente de Godot, plutôt que d’opter pour un départ intempestif comportant le risque, comme le bruit en a circulé, de voir une junte militaro-sécuritaire intervenir, à l’instar du modèle turc ou des colonels grecs du temps du roi Constantin, sur l’échiquier constitutionnel? Ou est-ce, tout simplement, de la faute d’une majorité silencieuse, non avertie des arcanes de la politique et des véritables tenants et aboutissants d’un système mystérieux, qui l’avait tacitement plébiscité, probablement malgré lui et au delà de toute appréciation rationnelle, en croyant avoir chevauché la meilleure monture pour se défausser des endémiques scories makhzéniennes et ouvrir la voie à une véritable politique d’émancipation, de démocratisation et de justice sociale qui était, peut-être, au dessus de ses capacités politiques et de ses possibilités manoeuvrières ou n’entrait tout simplement pas dans ses intentions ou ses priorités . Des questions et d’autres qui resteront peut-être à jamais sans réponse. Il n’en demeure pas moins que quelles que fussent ses raisons propres, Youssoufi, cultivant le mystère autour de sa personne du temps de l’opposition, avait pris, dans l’imaginaire populaire, la stature de l’iranien Mossadeq ou de l’égyptien Saâd Zaghloul. Avec la disparition des grands ténors du Mouvement national qui était entré en dissidence ouverte avec Hassan II, il était devenu, dans une large mesure, la dernière icône vivante sur laquelle, à défaut de vénération, se focalisait une admiration sans limite. Il est parti en concentrant sur lui un tas de rancoeurs. A-t-il raté sa mission? D’abord laquelle? Celle que lui a confiée, ou dans laquelle l’a confiné, le Roi? Ou celle qu’attendait de lui la majorité du peuple? Faudrait-il, encore, être sûr qu’il était resté mû, seulement, par une espérance altruiste et qu’il n’avait pas fini par céder, avec l’âge ou pour toute autre raison intime, à la veille ou durant l’Alternance, à une ambition personnelle, comme l’en accusent certains détracteurs au sein de son propre parti. Des proches avancent qu’il était parti avec beaucoup d’amertume au coeur. A-t-il raté son destin? Si, par principe, dans une monarchie, il ne peut y avoir deux monarques, Youssoufi, ayant accédé au plus haut poste après le monarque, n’a donc pas raté son destin. A-t-il pris tardivement conscience qu’il avait, seulement, servi de sorte de cheval de Troie, à l’instar de l’iranien Chapour Bakhtiar, ou du russe Kerensky, au moment où le Palais se devait de contourner une véritable impasse politique qui prenait des allures de crise institutionnelle et qu’une fois celle-ci jugulée, il devenait inutile. 
Les Marocains ont l’habitude de dire  » Fi Al Maghrib, lâ tastaghrib » ( au Maroc, il ne faut s’étonner de rien). Donc, sauf surprise dans un pays qui n’en manque pas, et pour s’éloigner de toute sentence subjective, il ne serait pas politiquement incorrect de clore le chapitre Youssoufi en y faisant une place à la fatalité, comme le laisse entendre Jean Wolf dans son livre évoqué précédemment:  » Cependant, on peut conclure, avec une certaine mélancolie, que s’il existe des êtres de toutes sortes qui n’égalent pas leur destin, il y a, à l’opposé, des destinées qui ne se hissent pas à la hauteur de leur héros. Elles les abandonnent quelque part, au bord de la route, au lieu de les conduire là où on les attendait vraiment. La fragilité des chances d’une rencontre heureuse, dans la politique d’une nation, entre un homme et le moment choisi par les dieux, défie les probabilités les plus savamment établies ». Youssoufi entre-t-il dans la première ou la seconde catégorie? Beaucoup espèrent qu’il s’en ouvrira un jour, pour apporter, pour les besoins de l’Histoire, un témoignage qui puisse apporter un tant soi peu d’éclairage sur un échiquier politique embrouillé et un système ombrageux; et aussi pour éviter que sa propre postérité ne tombe dans la poubelle de cette même Histoire qui a tendance à broyer ses hommes pour reprendre, chaque fois, peut-être à cause d’une mauvaise roue ou d’un mauvais moment, son infernal cycle d’espérances et de déceptions dont seul, finalement, fait les frais le petit peuple qui, lui, n’étant pas dans les secrets des dieux, ne sachant ni décoder les apocryphes soubassements de la politique politicienne, ni sonder les véritables visées personnelles ou partisanes qui agitent le microcosme politique, et ne retenant de la voltige idéologique que les promesses dont il est arrosé à chaque échéance électorale, n’a d’autres alternatives que d’attendre…attendre et encore…attendre, depuis un demi-siècle que par une Grâce divine, une lumière jaillisse dans une situation ténébreuse et lui indique le chemin à suivre. Yousfi a-t-il trahi? Personnellement, je n’y crois pas; il semble simplement qu’il a inauguré une nouvelle école politique ou initié un nouveau principe politique qui semble dire qu’un programme d’opposition ne constitue qu’une tactique partisane et n’évolue en stratégie que lorsqu’on arrive au pouvoir, et qu’une fois que l’on y est on s’aperçoit que l’opposition est une chose, le pouvoir en est une autre; c’est ce qui, peut-être, motive à la fois une des raisons du serment qu’il a prêté devant Hassan II et le profil bas qu’il a adopté durant ses deux gouvernances. A moins que croyant traité avec le Roi, Youssoufi aurait découvert une arrière-boutique monarchique plus puissante que le Roi, qui à défaut de détenir le sceptre pèse, néanmoins, assez lourdement dessus pour bloquer ou fausser toute velléité de réformes ; avec l’espoir que Youssoufi ne referme pas derrière lui, comme l’a fait fkih Basri, son rideau sur la scène politique marocaine post- indépendance et qu’il ne maintienne pas tout un pan de l’Histoire du pays dans une opacité que probablement les survivants, moins libres de pensée et d’action, n’oseront jamais élucider. Et qu’il évite aussi, par un ultime acte patriotique, à la Nation de continuer à vivre seulement sur l’historiographie officielle. 
Beaucoup de militants de l’USFP, d’observateurs et analystes politiques ont cru que si Youssoufi était parti, c’en était pas encore fini de lui et qu’il détenait probablement une dernière carte dans sa manche. Elle s’appelle Abdelouahad Radi. Président de la 1ère Chambre parlementaire depuis le début de l’Alternance et considéré le plus proche et le plus fidèle à Youssoufi, c’est lui la  » personnalité importante » à laquelle fait allusion celui-ci quand il a appelé la direction de son journal pour lui réserver l’encart qui devait insérer la démission. C’est aussi lui qui a acheminé cette dernière au Bureau politique. Et c’est encore lui qui se positionne, lors de la première réunion de l’instance pour la succession, face à Yazghi, faisant ex-aequo avec lui, 9 voix contre 9, avec l’avantage d’avoir pour lui des voix ministérielles, et en filigrane la bénédiction du Palais où Yazghi ne semble pas être en odeur de sainteté. Le report de la réunion avait, du coup, présagé d’un avantage en sa faveur; mais à l’USFP on dément toute intention de Radi de briguer le poste. Dans la nuit du 26 au 27 Ramadan, la Nuit du Destin où chacun espère voir s’ouvrir la Porte du Paradis, El Yazghi s’engouffre dans celle de Khalid Alioua qui reçoit, à domicile, bon nombre de membres du Bureau politique, annonce sa réconciliation avec son adversaire d’hier, lui apporte son soutien et exorte à voter pour lui. El Yazghi fait parvenir à Radi, par deux émissaires, Driss Lachgar et Abdelhadi Khayrat, son message verbal, et allusif quant à l’avenir du parti. Radi le décrypte que s’il ne retirait pas ses billes, la formation pourrait voler en éclats. Pour parer à un tel risque sans pour autant décerner à El Yazghi un chèque en blanc, il se désiste et suggère d’opter pour la cooptation plutôt que le vote, dans l’attente du prochain Congrès du parti. Le 28 novembre, El Yazghi est porté par consensus, pour la première fois dans les annales du parti, à la tête de l’USFP. Il obtient son baccalauréat au lycée Goureaud à Rabat. Ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration de Paris, il est titulaire d’une licence en Droit de la Faculté de Rabat. Avocat du barreau de Paris, puis de Rabat, il assure les fonctions de chef du bureau du budget et de l’équipement au ministère des finances. Membre du Conseil National de l’UNFP de 1962 à 1972 et de la Commission Administrative Nationale de l’USFP, entre 1972 et 1975, il est élu, cette année, membre du Bureau politique. Directeur du quotidien arabophone Al-Mouharrer en 1975, Secrétaire général du Syndicat National de la Presse Marocaine en 1977, il accède à la députation, la même année, au titre de Kénitra et est réélu en 1984. Lorsque Youssoufi remplace Bouabid, El Yazghi est son Premier secrétaire adjoint et directeur du quotidien en langue française  » Libération ». Conseiller municipal de Rabat, puis député de la même ville en 1993, il est réélu en 1997. Ministre, sous Youssoufi, de l’Aménagement du territoire, de l’environnement, de l’Urbanisme et de l’Habitat, il garde son portefeuille sous Driss Jettou, défalqué des deux derniers départements, et prend (de) l’Eau à la place. 
 » Donne-moi au moins l’occasion que nous devenions des ennemis » Ces propos de Gensis Khan à l’adresse d’un allié ayant trahi le serment de fidélité vont régir les rapports entre l’ancien ministre de l’Intérieur Basri et la Monarchie. Basri, adoptant un profil bas de courte durée après son limogeage, profite de son départ en France pour raison médicale, transforme celle-ci en séjour définitif et se met à ouvrir un feu de plus en plus nourri sur l’entourage royal d’abord avant de lancer, tous azimuts pendant des mois sur différents organes d’informations, des piques sur l’institution monarchique et indirectement sur la personne du Roi même, en prenant soin, cependant, de brouiller ses intentions réelles du moment et de se positionner chaque fois comme le défenseur de l’héritage de Hassan II que braderait son successeur manipulé par des conseillers incompétents et inconscients. Entre autres motifs de ses pamphlets, la question du Sahara lui sert de leitmotiv. Pour lui, ce dossier, d’une extrême sensibilité nationale, ne pourrait trouver de solution définitive que dans le cadre de la voie qu’il a parrainée de son temps, avec la bénédiction du roi défunt. Le 25 mars 2006, Mohamed VI lui donne la réplique. A l’issue d’une tournée de 6 jours dans le Sahara, il annonce la proposition d’autonomie de ce territoire, qui devra être soumise au Conseil de Sécurité onusien, et crée le Corcas ( Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes). Basri se fend aussitôt, dans un entretien accordé au quotidien espagnol  » La Razon », de certains propos qui témoignent du degré de son toupet. La décision royale, dit-il, n’obéit pas au principe démocratique et nécessitait au préalable un régime véritablement démocratique, donc parlementaire où le roi règne et le gouvernement gouverne. Dans la foulée, il blanchit le Polisario  » Ce sont des gens honnêtes, des gens qui croient en leur cause depuis une trentaine d’années. Tout cela, il faut que le Maroc en tienne compte pour trouver une solution qui lui assure honneur et dignité ». Envers le Roi, il affirme avoir tout fait pour qu’il soit roi, tout ce qui est imaginable pour assurer son accession au trône. A son propre égard, il geint:  » depuis le temps de Socrate, de Machiavel ou de Robespierre, jamais un régime n’a traité avec autant d’injustice un serviteur fidèle ». Il y a tout lieu de croire que si le Roi ne l’avait pas congédié à temps, le pays se serait trouvé avec un roturier prétendant au Trône. 

Le 30 juillet 2007, dans le discours du Trône, à l’occasion du 8ème anniversaire de son intronisation, le Roi se déclare Roi citoyen et annonce l’avènement de la monarchie citoyenne qu’il qualifie par la même occasion de monarchie agissante dont il évoque le principe et des mécanismes qui ne laissent aucun doute sur sa détermination à continuer à dicter les orientations et les contours de la vie nationale. Ce discours s’inscrivant parfaitement dans la traditionnelle conception de l’absolutisme régalien introduit pour la première fois une surprenante singularité qui ne manque pas de piquant. Le Roi y fait allusion aux partis de la coalition aux affaires ou affiliés, loue leur vision et leur action et fustige au passage les critiques qui leur sont faites sur leur platitude devant le Pouvoir. Un discours, véritable coup de semonce, incisif, qui se veut dans le détail et le ton une confirmation solennelle de la monarchie exécutive précédemment formulée par le souverain et qui fait évaporer les dernières illusions nourries au cours de ces huit années du nouveau règne quant à une quelconque espérance d’une véritable démocratisation du système. Si de constat général, et en dépit de la survivance de certaines pratiques autoritaires de l’ancien règne, l’impression globale qui prévalait avait privilégié une certaine volonté de démocratisation des moeurs et de la pratique du Pouvoir, il en ressort désormais manifestement que ce n’était qu’un miroir aux alouettes, que si le contenant avait été quelque peu rafistolé en terme d’image, le poids du contenu demeurait quant à lui aussi pesant qu’auparavant et que, donc, poids pour poids tout laisse à croire qu’à la chape de plomb s’est substituée la chape de sable. Il est écrit sur le temple d’Amon, à Louxor, dans la Vallée des Rois, en Egypte, que  » seuls vivent les morts dont on prononce le nom ». Le discours du 30 juillet 2007 n’a pas d’autre but que de rappeler qu’au Maroc, le temple s’appelle Constitution hassanienne et la Vallée des Rois hégémonisme royal. Ceux qui ont enterré un peu trop vite Hassan II, et n’ont pas compris que dans l’esprit et la tradition du Pouvoir, entre la liberté de palabrer et de politiquer dans les salons et sur les terrasses de café et la démocratie il y a une ligne rouge infranchissable, n’ont que le loisir de déchanter. Pouvait-il en être autrement dans un credo de gouvernance qui veut faire croire qu’il pouvait y avoir un changement dans la continuité, deux termes antinomiques qui traduisent au delà de la sémantique tout au plus l’intention de procéder à quelques petits pas sans conséquence évidente sur le devenir national même à longue échéance. Cela reviendrait, à l’exemple des moyens de transports, à changer la bicyclette par la mobylette à l’époque des jets supersoniques. Produisant sur l’intelligentsia démocratique, même la plus sympathique à l’égard du Pouvoir, et sur les forces vives de la Nation les plus tolérantes, une onde de choc tétanisante qui vient rappeler la première déconvenue avec le brutal renvoi de Youssoufi, ce discours est perçu comme une mise au point on ne peut plus clair, et un avertissement qu’une une sorte de principe de  » la verticale du pouvoir » à laquelle les autres institutions doivent se contenter d’apporter leur soutien, demeure de mise. Dans le discours du 20 août, à l’occasion du 54ème anniversaire de  » La Révolution du Roi et du Peuple » le souverain, en prévision des élections législatives du 7 septembre suivant, pour le renouvellement des 325 sièges de la Chambre basse, renouvelle son estime aux partis politiques, les exhorte au respect de la libre volonté populaire, met en garde contre la corruption électorale et ordonne à l’Administration d’observer, à l’occasion la stricte neutralité; bien que les résultats de celle de 2002 n’ont pas encore été publiés dans le Bulletin officiel, sans qu’aucune source, ni gouvernementale, ni législative, ni judiciaire et encore moins partisane, ne s’en émeuve. Interrogé à ce sujet récemment, Chakib Benmoussa, le Ministre de l’Intérieur en date, justifie cette lacune par le fait que les responsables des partis politiques avaient tous reçu notification du procès-verbal ad hoc et s’en étaient satisfaits: bel exemple de l’Etat de Droit et belle preuve de la collusion qui préside à l’exercice de  » la démocratie marocaine » qui dénie, en catimini, au commun des mortels, c’est à dire le peuple, même le droit d’une information officielle sur un scrutin censé être l’expression de la souveraineté nationale, même s’il ne représente, en fait, comme le souligne Fathia Bennis, que le  » smic civique ». 
Malade et aigri, après avoir longtemps tempêté contre son éviction qui lui restait à travers le gosier, s’arrêtant à un doigt du Roi, qualifié ses détracteurs d’analphabètes et de nains politiques et agité tous azimuts la menace de révélations explosives, Driss Basri décède à Paris, le 27 août 2007, d’un cancer de foie. Enterré contre sa volonté, à Rabat au lieu de Settat aux côtés de son père, dans une indifférence générale, il a emporté avec lui ses secrets dont il épouvantait, semble-t-il, le nouveau règne pour, à défaut d’un statut lui permettant de peser de nouveau sur le cours de l’Histoire, lui assurerait un piédestal de Maréchal du royaume, auquel il s’était auto hissé dans l’une des ses dernières interviewes à un journaliste français, oubliant qu’en guise de maréchalat, il n’avait eu de cesse durant un quart de siècle de se comporter autrement qu’en maréchal-ferrant de Hassan II, ferrant le pays au point de s’enorgueillir, un jour, en disant  » Au Maroc, l’administration territoriale contrôle même les déplacements des fourmis » . 
Aux élections législatives du 7 septembre, pour le renouvellement de la Chambre des Députés, le parti de l’Istiqlal et le PJD emportent les deux premières places avec respectivement 52 et 46 sièges, avançant de 4 sièges chacun par rapport à 2002. Si l’Istiqlal était attendu qu’il se maintînt plus ou moins dans cette fourchette, le second a par contre déçu, ou du moins étonné, ceux qui en attendaient un ras de marée électoral, et à la fois satisfait ceux auxquels cette perspective donnait des sueurs froides. En effet, si ses responsables tablaient sur 60 à 70 sièges en couvrant 95 pour cent du territoire, la performance de 4 sièges supplémentaires par rapport à 2002, où sa représentation ne dépassait pas le tiers des circonscriptions électorales semble quelque peu inexplicable au plan mathématique. La Mouvance populaire ne doit, quant à elle, sa 3ème position, avec 41 sièges, au lieu de la 5ème et 6ème, qu’à la réunification de ses deux principales tendances qui lui a évité un éparpillement qui lui eût sûrement été fatal. Elle a perdu néanmoins, globalement, 4 sièges par rapport à 2002. Le RNI, avec 39 sièges, en perd lui aussi 2, mais conserve son quatrième rang devant l’USFP qui, trônant au sommet de l’échiquier politique avec 50 sièges, dégringole au 5ème rang, avec 38 sièges seulement, et charrie à la fois une énorme perte en prestige et influence, une profonde amertume en son sein, et une grande interrogation sur un El yazghi, son Premier secrétaire qui avait préféré, pour la première fois, s’esquiver de la compétition pour des raisons politiquement peu convaincantes . L’UC avance d’un rang et récolte 27 sièges, soit 11 de plus qu’auparavant. C’est la meilleure progression en chiffres, suivie de celle du PPS passant de 11 à17 sièges et du coup de la dixième à la 7ème place. Mais sans son chef, Ismael Alaoui, a été battu à Taounat où il rechignait à se présenter avant de céder en dernier lieu aux insistantes sollicitations de ses partisans locaux. Il n’est pas pour autant le seul ténor politique à faire les frais de la consultation. Son bras-droit, Nabil Benabdellah, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, ainsi que Lachgar et El Achaâri respectivement chef du groupe USFP à la Chambre sortante et ministre de la Culture, Oujjar du RNI et Kadiri de l’UC ont tous connu la même déconvenue. Les 27 autres formations restantes vont devoir continuer à chercher leurs marques respectives dans la future Assemblée. Elles peuvent être cataloguées en trois groupes réduits à de simples vestiges des traditionnels courants droitiste, gauchiste et centriste, et un quatrième, constitué de groupuscules couvrant un large spectre hétéroclite et peu crédible, allant d’Annahj Addimocrati, l’héritier d’Ilal Amam, à l’islamisme en passant par les tendances libérales, l’environnement et de vagues prétentions de renouveau, équité et développement. Mais tout ce rééquilibrage en sièges et en personnes, ayant été dans une grande proportion motivé et actionné par l’achat des voix, reproduisant sensiblement le même panorama législatif que dans les précédentes assemblées, n’augure nullement d’une évolution et encore moins d’innovation quelconque, prédestinant, une fois de plus, la nouvelle Chambre basse aux mêmes réflexes et comportements que par le passé. Si cette consultation présente alors un intérêt quelconque, il réside sûrement ailleurs; et l’on peut avancer même que le grand vainqueur en est le grand absent, même s’il y a pas de corrélation patente entre un taux d’abstention de vote de l’ordre de 63% et l’appel au boycott de la mouvance islamiste Al Adl wal Ihsane, de cheikh Yassine. En tout état de cause, et mathématiquement, il est indéniable que ce taux ahurissant et totalement inattendu a déréglé tous les pronostics, laissé perplexe toute la gamme des analystes politiques et jeté bas toutes les espérances à la fois du Pouvoir et de la majorité gouvernementale de chevaucher communément une participation massive qui légitimerait leur philosophie de gouvernance et leur bilan. Les premières investigations entreprises vont jusqu’à assurer que le taux de participation réel se chiffrerait à 10 points de moins que l’officiel, soit 27 au lieu de 37%. Tout en retenant le taux officiel de participation et qu’on en déduise les 19% de bulletins nuls, il ne devait pas rester grand-chose dans les urnes. A cette situation déjà préoccupante par elle-même, il y a lieu d’ajouter deux autres données essentielles pour se faire une idée aussi précise que possible de la réalité de l’enjeu politique. La première est que 3.000.000 de marocains en âge de voter n’ont pas voulu se donner la peine d’aller s’inscrire sur les listes électorales; la seconde étant que tout autant de résidents marocains à l’étranger ont été, eux, privés de vote pour, officiellement, manque de logistique appropriée à l’étranger. Ce motif serait malheureux en lui-même s’il était réel; il donnerait une exécrable impression de l’impuissance et de l’incompétence de l’Etat à organiser, en 2007, quelques démarches pratiquement domestiques; cet Etat qui, une décennie auparavant, ambitionnant d’organiser l’Année du Maroc en France qui n’a dû son annulation qu’à l’impondérable brûlot de Gilles Perrault, avait pourtant dépensé tous azimuts, à tort et à travers, dans des opérations légales et plus encore illégales, les shows et caravanes publicitaires, sur la table et sous la table, une véritable fortune. En plus que l’opération était décriée par tous et que l’argent dépensé pouvait bien couvrir des secteurs vitaux au lieu d’aller, pour une part dans les poches et banques étrangères. La raison est en réalité tout autre: l’USFP qui espérait remporter la victoire craignait un vote majoritairement islamiste qui aurait notamment conforté sensiblement le PJD. En tout état de cause, ce scrutin revêt toutes les caractéristiques d’un avertissement nécessitant qu’on lui prête une oreille suffisamment attentive et l’ouverture d’esprit adéquate, et surtout ne pas faire la politique de l’autruche et le schématiser dans un contexte réducteur de simple désaveu partisan ou d’une dépolitisation d’une population préoccupée uniquement par les difficultés de la vie quotidienne. Il ne s’agit sûrement pas d’une affaire de  » pain » et  » de ventres creux ». Cela conduirait sûrement à confondre les lanternes avec les vessies, à passer carrément à côté de la plaque politique. Ce sont majoritairement  » les ventres creux » qui ont voté, ou plus précisément vendu leurs voix. Dans de nombreuses circonscriptions urbaines, les candidats ont monnayé des immeubles entiers de 150 à 250 dirhams par votant, ou encore intégralement réglé à leurs frais à tout un quartier, les factures d’eau et d’électricité. En plus clair, et pour rester dans les indications officielles, une telle proportion abstentionniste, soit les 2/3 de l’électorat, donc une dizaine de millions de voix, mais aussi le 1/3 de la population marocaine, démontre bien qu’il y a crise. Trois questions se posent. Les boudeurs des urnes ont-ils sanctionné les partis, pour juguler un leadership partisan qui aurait conduit à un gouvernement politique, signifiant par là au Roi de persévérer dans l’optique technocrate? Ont-ils, au contraire sanctionner celle dernière qui a été en charge de la chose publique au cours des cinq dernières années du gouvernement Jettou, nommé discrétionnairement par le Roi? Ou l’esprit partisan a-t-il été totalement transcendé pour céder place à un mouvement contestataire et frondeur prenant forme aux abords des fondements et mécanismes institutionnels même qu’il tient pour directement responsables de la faillite gouvernementale, puisque le Roi ayant solennellement, à deux reprises et à quelques jours d’intervalle, cautionné les partis et condamné l’emploi de l’argent, semble ne pas avoir été entendu. C’est une première, lourde de sens. La seconde, est que pratiquement pour la première fois de l’histoire récente du pays, l’enjeu politique échappe aussi brutalement et ouvertement aux dirigeants et devient l’objet de la rue. Le Roi allait-il se donner la peine de méditer l’adage  » Dans le silence des peuples, il y a une leçon pour les rois ». Il ne tarde pas à le faire savoir. 
A l’instar d’une comète qui sort du vide sidéral et percute la Terre, la nomination de Abbas El Fassi à la Primature, le 19 septembre, au lendemain de son 67ème anniversaire, tétanise la classe politique. Aussitôt il annonce la couleur: » Sa Majesté, dit-il, m’a prodigué des conseils et des orientations que je respecterai à la lettre pour que le Maroc soit doté d’un gouvernement à la hauteur des défis et pour que le Royaume puisse régler les questions posées, notamment au plan social ». L’homme est connu pour ses propos lénifiants et ses positions rampantes, toujours premier à renchérir à toute démarche du monarque, la codifiant aussitôt si ce n’est dans le programme du parti, du moins dans sa pensée. Du pur Driss Basri, version Istiqlal. Déjà dans sa dernière déclaration électorale, il n’avait pas hésité à flanquer par terre un programme fleuve, soigneusement concocté par les quadras du parti, pour lequel il aurait fallu trois législatures successives ou trois gouvernements dans une même législature pour se partager la tâche, en le résumant en quelques mots :  » mon programme électoral est le discours du Trône ». A plusieurs reprises auparavant, à mesure que l’échéance électorale approchait, son sens de docilité s’aiguisait davantage, devenant à la limite caricatural, notamment dans deux déclarations mémorables que même les leaders de la Droite n’ont jamais osé formuler:  » Il n’y a pas assez de maturité chez les partis politiques pour toucher aux prérogatives du Roi. Je milite pour qu’Amir Al Mouminine soit le garant de ma liberté et de mon intégrité territoriale. En tant que citoyen, c’est à lui seul que je fais confiance ». Même Jettou a été gratifié d’un hommage auquel sûrement il ne prétendait pas:  » Les partis ne rassurent pas encore. Aujourd’hui, les gens font confiance à Jettou parce qu’ils ont l’impression que c’est le Premier ministre de tout le monde ». Ses pairs au gouvernement en ont eu, par contre, pour leur grade:  » Ce n’est malheureusement pas encore le cas des ministres partisans ». Une appréciation qui a dû choquer plus d’un dans sa propre formation même, d’autant que quatre de ses ministres, jeunes, dynamiques et intègres faisant l’unanimité d’un bilan positif étaient donnés favoris à la Primature. C’est à cet anti-héros de l’action partisane, à la rhétorique politique de caporal, et à la vision peu flatteuse de la place, du rôle et de l’action des partis, au point de se demander légitimement s’il n’avait pas quelque peu incité involontairement l’électorat à bouder les urnes, donc les partis, que revient, prééminence électorale oblige, la nouvelle Primature. La prouesse n’est donc que plus considérable pour le récipiendaire, à deux titres : Historiquement, c’est la première fois depuis l’Indépendance que l’Istiqlal est porté au pinacle de la gouvernance. Ahmed Balafrej, Azzedine El Iraqui et Abdellatif Filali, avaient pour leur part pris leur distance avec le Parti avant d’endosser, intuiti personae la charge. Affectivement aussi, du fait de l’imbrication de la famille El Fassi dans la genèse et l’évolution du Parti, couronnant la saga familiale d’un prestige qui a plus cours dans les esprits étroits qu’ouverts à la chose publique, compte tenu de l’emplacement réel du centre de gravité du pouvoir. Mais cet homme, aux dehors simples, courtois et affables, dont nul n’a jamais mis en doute son intégrité, se présente quelque peu en  » canard boiteux » à une si haute fonction qui le projette dans la ligne de mire de plus d’un qui n’attendaient que l’occasion d’en découdre. La foireuse affaire « Annajat » qu’il avait cautionnée en tant que ministre de l’emploi sous Youssoufi, sur laquelle il avait même surfé lors des législatives précédentes lui colle aux pieds comme une casserole. Du nom d’une société maritime Emaratie qui avait projeté une opération d’embauche de grande envergure, trente mille emplois, pour pourvoir des bateaux de luxe, celle-ci s’était avérée une gigantesque escroquerie au détriment de la classe déshéritée. L’opération n’a, en fait, que fortement renflouer les caisses d’une clinique médicale casablancaise conventionnée pour la délivrance de certificats médicaux, à raison de 900 Dh l’acte, pour une cinquantaine de milliers de postulants.  » Annajat », elle, si jamais elle a existé, s’est tout bonnement volatilisée, ni vue ni connue, tant au Maroc qu’aux Emirats Arabes Unis. La profonde répercussion de l’affaire fait dire à certains augures qu’il a été choisi par défaut et à d’autres qu’avec un tel personnage pratiquement handicapé politiquement et hypothéqué juridiquement, puisque l’affaire Annajat est toujours entre les mains de la Justice, le Pouvoir ne pouvait trouver meilleur Premier ministre sans portefeuille, allusion à son dernier poste, et meilleure occasion de renvoyer toute perspective de réforme aux calendes grecques. L’hebdomadaire Telquel préfère introduire une note humoristique:  » Mais ceux qui le ( Abbas) connaissent ont dû, ce mercredi de Ramadan, rompre le jeûne avec un cachet d’aspirine ». Néanmoins aussi inattendue qu’elle le fut, sa nomination est on ne peut plus légitime. Le Roi, dans le strict respect de la parole donnée de renouer après l’échéance électorale avec le principe démocratique, ne pouvait, comme certains l’espéraient, le contourner au profit d’un autre quadra du parti sans risquer de faire imploser celui-ci. L’incapacité de Abbes El Fassi à former le gouvernement ne tarde pas à apparaître au grand jour. Peinant à trouver au sein même de son parti un lot suffisant de personnalités ministrables, il se heurte, pour cause, à la surenchère des autres formations, tant au niveau de l’attribution des sièges qu’au plan des compétences. Le PJD, venant en deuxième position électorale est écarté d’office, en raison de l’animosité traditionnelle l’opposant à l’USFP, membre de la Koutla. La Mouvance populaire qui suit dans le scrutin, insatisfaite des propositions qui sont faites, préfère rejoindre, pour la première fois de son existence, l’opposition parlementaire. Abbes El Fassi qui a toujours réclamé un gouvernement fort, homogène et capable de prendre en main les destinées du pays donne vite des signes d’essoufflement. De persistantes rumeurs circulent sur son intention de se désister. Mais comme l’a si bien souligné un connaisseur des arcanes du sérail, son échec aurait été celui du Roi, et  » la parole du Roi ne tombe pas ». Abbes El Fassi n’a dès lors de choix que de s’en remettre au Palais. Par la grâce de celui-ci, d’illustres inconnus sur l’échiquier politique, se voient imposés à des partis et en charge de portefeuilles. Certains sont passés dans la même journée d’une étiquette politique à l’autre. Tous les observateurs politiques voient dans la manoeuvre la main de l’omnipotent Conseiller royal Méziane Belefkih dont l’influence au sein du sérail et surtout l’intrusion dans la manipulation de l’assiette gouvernementale, ne cessent de s’amplifier depuis le limogeage de Dris Basri. Grand architecte déjà du gouvernement sortant de Dris Jettou, il sauve la mise à Abbes El Fassi qui finalement présente son Cabinet le 15 octobre, composé de 34 membres dont 18 nouveaux ministres. 4 partis sont représentés par 23 ministres: 10 de l’Istiqlal- 6 du RNI- 5 de USFP et 2 du PPS en constituent une ossature sans aucune affinité idéologique commune, avec seulement le souci principal qui a, une fois de plus, tourné autour du partage des positions de pouvoir.11 membres sans étiquette politique brouillent davantage le panorama gouvernemental qui réserve 7 postes ministériels à des femmes. L’une des bizarreries de ce gouvernement puise dans le fait que Abbes El Fassi, s’étant fait un point d’honneur de fermer l’accès à son Cabinet aux ministres sortants et autres ministrables battus aux élections, n’ a pas rechigné, pour autant, d’une part devant la reconduction d’El Yazghi ministre sans portefeuille et Taïeb Fassi Fihri ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, et, d’autre part, le parachutage de personnages qui n’ont pas mené campagne, dont son propre gendre Nizar Baraka, nommé Ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des affaires économiques et générales. Nawal El Moutawakil, récompensée par Hassan II par un strapontin de Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, dans le premier gouvernement Youssoufi, pour, simplement, avoir été la première femme arabe à décrocher la médaille d’or dans le 400m haies des jeux olympiques, revient en force avec le titre de ministre à la tête du même département. D’autres ministres venant de la Fonction publique ou du secteur privé ne présentant aucun atout plaidable en leur faveur, quand bien même nombre de leurs prédécesseurs avaient eux aussi brillé par leur impréparation à leur charge et leur médiocrité, sinon nullité, dans l’obligation de résultat, ont contribué à embrouiller l’assiette gouvernementale. Mais le cas le plus stupéfiant est sûrement celui de Touria Jabrane propulsée, à la stupéfaction générale, des planches du théâtre au poste de Ministre de la Culture. Cette promotion vertigineuse, contre-nature, a été ressentie comme un affront par l’intelligentsia marocaine, un mépris même pour l’intelligence marocaine, que l’intention de promouvoir le rôle et le statut de la femme marocaine ne peut certes expliquer et encore moins justifier, la gente féminine marocaine ne manquant pas en son sein d’éminentes figures dignement représentatives. 
Fragile, provisoire, rapiécé, bricolé, minable, ubuesque, les épithètes n’ont pas manqué de fuser aussitôt pour caricaturer le nouveau Cabinet. Nombre de cadors de l’USFP qui n’avaient pas tardé, dès le lendemain du scrutin électoral, à demander à la direction de passer à l’opposition, ont trouvé dans le quota dévalorisant réservé à leur parti, et la composition amateuriste du nouveau gouvernement, matière à justifier et renforcer leur position. Si la majorité des observateurs politiques, ainsi qu’une bonne part de la masse populaire, concordent à exprimer au minimum des réserves sur la fiabilité de ce gouvernement, Abbes El Fassi, dont presque personne ne donne cher, est dores et déjà perçu comme un personnage fragilisé, incrédible et même fallot, coincé entre le marteau du Palais et l’enclume de l’opposition parlementaire parrainée, cause commune oblige, par la Mouvance populaire et le PJD qui sur le vif réclame déjà pas moins que l’annulation du dernier scrutin et la tenue d’une nouvelle élection législative. En tout état de cause, ce dernier épisode de gouvernance semble éloigner un peu plus tout espoir d’un véritable redressement du Maroc et condamner celui-ci à végéter encore dans l’inextricable enjeu politique des rendez-vous manqués comme l’a si bien souligné l’une des figures les plus ultras, en l’occurrence Mahmoud Archane, qui note dans son dernier livre  » La Tentation de la médiocrité », que  » N’ayant pas su évaluer correctement les grands enjeux et les mutations qui se dessinaient à travers le globe, nos responsables politiques, économiques et associatifs se sont empêtrés dans leurs contradictions subalternes et leurs égoïsmes archaïques et ont négligé les paris de la croissance, de la construction démocratique et la nécessité du renforcement de la solidarité et de la cohésion nationales ». Un jugement d’une évidence incontestable s’il ne venait pas tout simplement d’un homme qui a lui-même surgi précisément de l’une de ces occasions manquées dont il parle. Le 24 du même mois, Abbes El Fassi présente la déclaration du gouvernement devant le Parlement. Un jour avant, le nouveau Président français Nicolas Sarkozy dont la visite d’Etat au Maroc a coïncidé avec la signature par le juge Patrick Ramaël, qui instruit le dossier de la disparition de Ben Barka, de cinq mandats d’arrêt internationaux dont deux concernant les Généraux de Corps d’Armée Housni Benslimane, commandant de la Gendarmerie royale et Abdelhak Kadiri ex- Inspecteur général des FAR, avait affirmé sa volonté de consolider le caractère privilégié des relations bilatérales et réitéré l’une des idées maîtresses de sa campagne électorale, l’Union méditerranéenne qu’il a développée le même jour à Tanger d’où il a invité les Etats de la Méditerranée à un sommet, à cet effet, en 2008 en France. 

3)- Le constat socio-économique 

Le Maroc apparaît, durant les quatre décennies précédentes, à tout observateur averti comme un Etat anémique, souffrant de multiple maux endémiques et ne survivant que grâce à une série de perfusions financières que lui insufflent à intervalles réguliers les institutions monétaires internationales, et les emprunts étrangers qui hypothèquent de plus en plus son devenir. Les abondantes analyses sur la situation du pays, auxquelles ne cessent de se livrer les observateurs politiques, tant nationaux qu’étrangers, se rejoignent dans la conclusion d’une réalité amère et dans la crainte d’une perspective plus alarmante et plus sombre, qu’aucune des politiques initiées jusqu’à présent ne semblent prévenir d’une banqueroute. L’Etat marocain persiste à afficher des prétentions libérales au plan économique. En réalité la tendance oscille toujours entre le dirigisme et le semi dirigisme, et toutes les initiatives d’envergure proviennent de l’Etat ou sont soumises à son contrôle ou à son agrément. La création d’offices ou de divers organismes ainsi que l’intervention de l’autorité locale interfèrent constamment dans le secteur privé. Aucune entreprise ne peut voir le jour sans l’autorisation préalable de l’autorité de tutelle. Souvent quand bien même l’autorisation est accordée au niveau local, un blocage arrive d’en haut et remet tout en cause ou retarde le projet, parfois de plusieurs années. Les ministères concernés pointent leur nez dans chaque entreprise et chaque projet, soit par la complication des procédures pour permettre à leurs relations de s’engouffrer dans les affaires si elles étaient jugées juteuses, soit en guise de pression pour en récolter des dividendes. Quand aux grands chantiers, nécessitant de gros investissements, l’Etat les prend en charge, soit par pleine propriété soit par l’actionnariat majoritaire. Des projets parfaitement viables et estimés rigoureusement selon l’enveloppe budgétaire du moment, sont renvoyés aux calendes grecques ou retardés abusivement pour finalement voir le jour avec des dépenses décuplées, parfois centuplées. Le trajet ‘Palais-concrétisation sur le terrain’ transite par tout un labyrinthe de départements, de milieux d’influences, de centres de décisions, et d’autorisations que même lorsqu’un projet partait sain du Palais, il atterrit complètement avachi à terme, nonobstant le coût financier de l’opération. La raison en est que durant pratiquement les quinze premières années du règne de Hassan II, la tendance de la gouvernance a dévié vers un dosage régionaliste, voire même ethnique. Auréolé par la Marche Verte, le Roi change de fusil d’épaule et se lance dans une série de Cabinets dits technocratiques. En guise de technocratie, ce sont surtout les relations et les affinités de copinage et d’intérêts qui prévalent sur les compétences politiques, le tout sous emballage mandarinal. Ces expériences font émerger une pléiade d’individus de tous bords et acabits qui, dans un abominable rush sur les ressources et potentialités du pays, monopolisent tous les secteurs vitaux. L’affairisme supplante les authentiques valeurs morales et nationales. Une meute de parvenus de la cinquième heure devient l’archétype du nouveau patriotisme se mesurant désormais à l’aune de la fortune et de la mise à sac de la nation. Ils causent plus de dégâts moraux et matériels que toutes les calamités naturelles qui se sont abattues sur le pays durant tout le siècle. Les monopoles se constituent toujours entre les mêmes opérateurs et les dividendes se répartissent dans les mêmes sphères. Les ministères concernés et les institutions bancaires oeuvrent dans le même sens. Tout pour les riches, rien pour les pauvres, si ce n’est plus de misère encore sous le prétexte de libéralisme économique. Les crédits alloués pour l’encouragement des investissements industriels, agricoles, hôteliers, d’habitat et autres projets servent d’aubaine pour s’enrichir avant même de monter les unités. La surfacturation des projets et la connivence des banquiers incitent surtout à enrichir les intéressés plutôt qu’à générer des emplois et doter le pays d’un véritable tissu économique. Dans d’innombrables cas, les projets se limitent aux dossiers et aux lancements des travaux pour déboucher immédiatement après sur les dépôts de bilan et les déclarations de faillite, faisant passer, ainsi, dans les escarcelles personnelles les énormes crédits alloués par des institutions sensées gérer les capitaux sociaux. Les fortunes ainsi constituées et celles provenant de détournements des budgets de l’Etat, de pots-de-vin, de la corruption et de toutes sortes de malversations et de machiavéliques procédures génératrices de gains illicites prennent le chemin des banques étrangères. Incroyablement, ces voleurs enrichissent les caisses des pays étrangers auxquels le Maroc s’adresse pour obtenir des crédits dont souvent une partie reste sur place, passant dans des comptes personnels, ou est acheminée sur une destination plus sûre. La dette extérieure flambe au fil des années et la crise interne terrasse la masse au fil des jours. La classe moyenne qui doit normalement servir, dans un régime libéral, de relais économique entre les promoteurs et les consommateurs se rétrécit comme une peau de chagrin et se retrouve réduite à la survie. Quarante années d’un pouvoir qui a assied sa philosophie de la gouvernance sur la gabegie, l’inconscience, les pratiques frauduleuses, les connivences, le clanisme, l’affairisme, la cupidité et autres procédés immoraux finissent par pousser le peuple à la lassitude morale, à ne plus croire en ses gouvernants ni en ses politiques, ni en ses législateurs, ni en ses juges, ni en son administration, ni même en un espoir de redressement, tant le gâchis politico-économique est profond et suscite une énorme méfiance qui s’instaure dans les esprits quant à la chose publique. Malheureusement, l’alternance ne produit aucun effet sensible et tangible en la matière, quand bien même Youssoufi et son ministre des finances, Oualalou, reprenant les mêmes arguments que leurs prédécesseurs en attribuant les causes de la persistance de la crise économique à certains facteurs endémiques défavorables dont notamment la sécheresse, la hausse du dollar et du pétrole, s’évertuent, néanmoins, à inscrire à leur actif la réduction, en l’espace des trois premières années de leur gouvernement, d’un tiers de l’énorme dette extérieure, évaluée avant l’expérience à 24 milliards de dollars. S’il apparaît en effet que le remboursement de la dite dette grève d’un tiers le budget national et que le second tiers va aux émoluments des fonctionnaires, il en résulte, donc, que le tiers restant est consacré aux projets socio-économiques, soit un montant de 80 milliards de Dirhams. La démographie galope, la sécheresse sévit, la misère se développe, le chômage se propage, les énergies s’estompent, les entreprises déposent les bilans, les cerveaux se referment, la qualité de l’enseignement se dégrade, les moeurs se dissolvent, le tissu social s’effiloche, l’insécurité s’amplifie, le trafic et la consommation de la drogue deviennent phénomène social et l’angoisse du lendemain s’installe, pousse des franges de jeunes, désenchantés, rêvant de l’Eldorado à l’étranger, à emprunter des moyens de fortune pour fuir le pays et risquer de finir dans les bas-fonds marins, faisant leur la maxime de l’homme politique libanais Najah Ouakim, chef du Mouvement du peuple:  » il est préférable pour moi de savoir pourquoi je vais mourir que de ne pas savoir pourquoi je vis ». 

4)- Le Constat institutionnel 

41)- De l’Etat de Droit: 
L’Etat de Droit est un concept indéfini aux plans académique, philosophique et juridique. La pensée politique la plus répandue le consacre, néanmoins, comme étant le système étatique érigé sur le principe du règne de la loi; celle-ci étant considérée, universellement, comme l’expression de la volonté populaire. La loi sert donc de socle fondamental à l’Etat de Droit. Exprime-t-elle nécessairement la volonté populaire? L’Etat qui en découle véhicule-t-il, pour autant, les valeurs de démocratie, de justice, de respect de la dignité et des droits de l’Homme? L’Allemagne nazie, l’Italie de Mussolini, l’Espagne franquiste, le Chili de Pinochet, l’Afrique du Sud de l’apartheid, l’URSS, l’Iran des Pahlavi et l’Irak de Saddam Hossein, pour ne citer que ceux-là, furent , eux aussi, des Etats se réclamant de la loi. D’autres systèmes toujours en place, issus de coups d’Etat militaires ou régis par le parti unique ou prônant un multipartisme de façade se sont empressé dès leur arrivée au pouvoir à promulguer des lois pour asseoir leurs dictatures et écraser leur peuple au nom précisément de ces lois? Faut-il admettre qu’au Maroc, l’Etat de Droit est une évidence pour la simple raison que la loi est évoquée comme expression suprême de la Nation dans l’article 4 d’une Constitution octroyée? La majorité des lois en cours, au Maroc, ont été conçues par le Protectorat pour servir ses propres intérêts et museler la volonté populaire. Celles post-indépendance se caractérisent, elles aussi, par des cheminements qui sont sujets à controverse. Entre 1956 et 1963, date d’entrée en vigueur de la première Constitution, les lois ont été conçues au niveau de la sphère exécutive, sans possibilité aucune de discussion et encore moins de contestation. La période de l’état d’exception, entre 1965 et 1970, connut la même procédure. Il en fut de même entre 1972, date de renvoi du deuxième Parlement et 1977, date de rétablissement de l’institution législative. L’arsenal juridique promulgué dans les intervalles fut dans sa majorité inspiré par le Pouvoir et entériné par des législateurs affidés à l’Administration ou ayant bénéficié de la fraude électorale. Cet arsenal ne peut, donc, servir de justification à la prétention que le Maroc est un Etat de Droit. L’avènement du gouvernement d’Alternance s’inscrit, lui aussi, dans la même mentalité législative. Les projets de loi relatifs aux libertés publiques et au découpage électoral ne reprennent les textes existants et décriés que pour mieux verrouiller les positions acquises, répartir dans un nouvel esprit le champ d’action entre les parties au pouvoir et juguler les velléités des réformes nécessaires. Quand bien même les lois en vigueur seraient suffisantes pour justifier l’existence de jure de l’Etat de Droit, celui-ci revêt-il, pour autant, de facto, les attributs nécessaires dans une réalité qui ne cesse depuis quatre décennies de s’alimenter d’exactions de toutes sortes en violation, précisément, de ce même concept? En réalité, l’Etat de Droit, au Maroc, est l’expression de la vie institutionnelle fondée sur une Constitution politique octroyée, sciemment élaborée pour gérer un système gouvernemental au profit du pouvoir en place. Tous les constats démontrent, donc, clairement, que le schéma institutionnel actuel fonctionne, pour le moins que l’on puisse dire, de manière inappropriée à l’esprit que la Constitution prétend lui insuffler, en raison précisément de l’ incapacité de celle-ci à promouvoir des mécanismes institutionnels de nature à assurer une véritable démocratie et un environnement politique, économique et social qui puisse répondre concrètement à l’attente populaire dans l’esprit de l’article 5 consacrant l’égalité de tous les Marocains devant la loi. La loi censée être l’expression suprême de la volonté de la Nation a toujours été utilisée par le Pouvoir comme outil de son hégémonie contre le citoyen. L’institution législative censée incarner cette volonté a toujours été, elle aussi, manipulée pour légitimer l’exercice autoritaire du pouvoir. La séparation des pouvoirs repose sur des arguties constitutionnelles destinées à présenter une façade démocratique, à tromper les esprits non avertis et à voiler une dérive absolutiste. L’Etat de Droit repose-t-il seulement sur l’existence d’un arsenal juridique? De ce point de vue le Maroc est largement doté en la matière; mais depuis quatre décennies il n’est pas pour autant un Etat de Droit. Une loi n’est pas forcément un texte juste. Aucun credo, aucun paramètre, aucune règle, aucun principe ne définit les contours d’une loi, ne garantit son équité et ne sécurise le citoyen, puisque elle ne vaut que ce que valent à la fois les hommes qui l’engendrent et ceux en charge de son application. Et nous avons vu précédemment que ce prétendu Etat de Droit a engendré Oufkir, Dlimi et comparses, les années de plomb, une cohorte de sbires et de tortionnaires, la corruption systématisée à tous les niveaux de la pyramide administrative, la misère, le népotisme, l’affairisme, les disparitions physiques, Tazmamart, Kalaat M’Gouna, derb Moulay Chrif, Dar el-Mokri et autres lieux dantesques. Et si certains esprits ne manquent pas de rétorquer que des réalisations positives et incontestables ont bel et bien été enregistrées dans certains domaines, il n’en demeure pas moins que ces dernières restent foncièrement entachées de sang et d’horreur et largement en deçà du résultat minimum que l’effort national a investi en la matière, humainement, matériellement et financièrement, et lequel a servi, plutôt, à asseoir, en grande partie, l’influence et les intérêts de la classe dirigeante et à accentuer le déséquilibre social ; et que de ce fait le bilan est globalement négatif. En réalité, ce prétendu Etat de Droit a tout bonnement servi de sorte de chienlit à la raison d’Etat. Si dans le nouveau règne certaines lueurs, notamment dans le domaine de l’expression, donnent à penser que le régime infléchit quelque peu sa tendance, la réalité pousse à constater que globalement les démons de l’ancien règne persistent dans toute leur force, et que la notion de l’Etat de Droit continue à être galvaudée à des fins servant surtout le régime et ses alliés. Tout comme la Beïâ a perdu toute crédibilité en consacrant l’intronisation de Ben Arafa, l’Etat de Droit a perdu sa légitimité dans la confiscation de la souveraineté nationale au profit du Makhzen, véritable nébuleuse extra constitutionnelle qui gouverne le pays depuis plus de quarante années, en droguant les esprits au moyen d’une rhétorique démagogique et débilitante qui a fini par écoeurer et pousser de larges franges de la société à se démarquer, dans la méfiance et la résignation, de la gestion de son propre destin.  » Il n’y a pas de place, a dit le Roi dans le discours du 20 août 2007, aux pratiques illégales, dans quelque domaine que ce soit, et par qui que ce soit. Ensemble, nous devons nous engager dans une lutte sans relâche contre la corruption et la prévarication, l’abus de pouvoir et de biens sociaux, les féodalités rentières, les rapines et la pratique de partage des butins. Cette lutte est la responsabilité de tous: autorités, institutions, citoyens et collectivités. C’est une action de salubrité publique qui doit s’inscrire dans le cadre de l’Etat des institutions, et dans celui de la bonne gouvernance ». Cet aveu de la plus haute instance sur l’état piteux du pays, expose, de façon on ne peut plus solennelle, toute la négativité du système de gouvernance. Il équivaut à lui seul à un constat terrifiant et à une condamnation sans appel de cet Etat de Droit qui engendre tant de maux au pays. C’est aussi un désaveu formel à l’adresse des partis politiques au pouvoir ou alliés qui par leur imbrication dans ce système de gouvernance qu’ils ne cessent d’encenser, se trouvent ainsi totalement décrédibilisés et portent une bonne dose de responsabilité de ce fiasco. Ce passage du discours royal, quand bien même exprimerait-il une prise de conscience tardive, après huit années du nouveau règne, semble à priori, il vaut mieux tard que jamais, comporter une volonté ferme et décisive d’en finir avec un système décrié par tous et inciter à un sursaut civique et patriotique pour éradiquer définitivement les principales causes qui gangrènent et hypothèquent la vie nationale. Il pose cependant problème. Qu’entend le Roi par  » ensemble »? Ignore-t-il que les forces vives de la Nation susceptibles d’infléchir le cours des choses se trouvent, depuis des lustres, marginalisées, harcelées, arrêtées même et condamnées? Ignore-t-il que chaque fois que s’élève une voix ou un mouvement de dénonciation, la répression s’abat aussitôt sur eux, sous divers prétextes que la Justice s’empresse de dénicher dans le code pénal? Ignore-t-il que le sinistre constat dont il a fait état est l’oeuvre de personnes et de partis qui ont la faveur du régime? Ignore-t-il que cette désastreuse situation résulte d’institutions et d’une administration dont les membres sont honorés par des traitements exorbitants, privilèges, promotions, décorations et autres faveurs qui leur assurent impunité et les encouragent à persévérer dans la voie ? Ignore-t-il que ce sont ces hommes qui ont la charge de veiller sur l’Etat de Droit qui l’exploitent à leur profit? Et surtout croit-il, sincèrement, que ces hommes-là vont magiquement se muer, en un jour et une nuit, en chérubins incorruptibles et intègres et recouvrer miraculeusement des  » vertus » qui ne leur venaient pas auparavant à l’esprit? et pour paraphraser l’argentier du royaume Oualalou : ‘sortir du cercle vicieux pour entrer dans le cercle vertueux’ qui ignore, cependant, que le cercle qu’il considère vicieux est en fait vicié ? Ou tout simplement ces belles paroles vont-elles rejoindre la poubelle des voeux pieux précédents qui n’ont pas vu la moindre once d’exécution à quelque niveau que ce soit de cet Etat de Droit qui en fait devra disparaître avec son concept, ses hommes et ses mécanismes. 

42)- De la séparation des pouvoirs: 
La Constitution actuelle véhicule une conception de la séparation des pouvoirs qui semble, à priori, correspondre au principe admis universellement en la matière. La lecture attentive du texte révèle qu’au delà des arguties qui y sont déployées, la séparation est, en réalité, purement formelle et qu’elle se définit en un pouvoir maximaliste, exclusif, écrasant et décideur et un autre minimaliste, atrophié, aphone et corvéable. Cette lecture révèle, en effet, que l’Exécutif est totalement soumis à la volonté royale de part la nomination et la révocation du gouvernement ou des ministres ( article 24) et de la présidence du Conseil des ministres par le Roi ( articles 25 et 66). Il en découle que l’article 60, 1er alinéa, rendant le Premier ministre responsable devant le Roi et devant le Parlement introduit une certaine équivoque. Comment pourrait-on attribuer au Premier ministre la responsabilité de l’Exécutif lorsque celui-ci se manifeste, plutôt, dans sa véritable dimension en Conseil des ministres présidé par le Roi, et que les prérogatives qui lui sont conférées intuiti personae, en vertu des articles 61 à 63 et 65, obéissent implicitement au fait qu’elles doivent recevoir préalablement l’aval du Conseil des ministres ou requérir le contre seing des ministres chargés de l’exécution. Il apparaît dans ce contexte comme un simple fusible destiné à sauter en cas de disjonction. 

43)-L’Institution judiciaire : 

Celle-ci est, quant à elle, une véritable nébuleuse. L’article 82 la définit comme étant  » une autorité » indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Si ces derniers sont symbolisés par le Parlement et le Gouvernement, l’autorité judiciaire se caractérise par l’absence de  » domiciliation » . Le ministre de la Justice étant membre de l’Exécutif ne peut, constitutionnellement, se prévaloir de cette qualité  » d’autorité indépendante ». Le Conseil supérieur de la Magistrature a pour tâche, en vertu de l’article 87, de veiller à l’application des garanties accordées aux magistrats quant à leur avancement et à leur discipline ; son rôle est donc d’ordre purement gestionnaire de l’état moral et matériel de ce personnel. La Cour suprême est une juridiction de pourvoi et de cassation, totalement étrangère au champ politique. Constitutionnellement donc, il n’existe pas véritablement, en terme de Pouvoir,  » d’autorité » judiciaire; pas plus que son indépendance. Si celle-ci se manifeste, quelque peu, au niveau des juridictions, il n’en demeure pas moins que ces dernières sont, directement pour les Parquets, ou indirectement pour la magistrature du siège, sujettes à la prédominance hiérarchique du gouvernement par ministre de tutelle interposé. 

44)-Le Législatif : 
De son côté, le Législatif ne peut se targuer d’une indépendance absolue. L’institution royale y interfère largement, sinon elle s’y impose carrément. La véritable orientation de la politique générale de l’Etat est souvent définie par les discours du Roi à l’occasion de l’inauguration de la cession parlementaire ou par des messages qui ne peuvent faire l’objet d’aucun débat, en vertu de l’article 28. Nonobstant le fait que la composition même de cette institution est toujours pipée dès le départ de par la qualité de ses ‘ honorables députés et conseillers’ qui débarquent, comme indiqué précédemment, à chaque échéance dans l’hémicycle par des voies et des procédés frauduleux qui les contraignent à la soumission, quand bien même on voudrait leur faire l’honneur de les considérer intellectuellement un tant soi peu à la hauteur de la tâche. En fait, une lecture entre les lignes de la Constitution et le vécu de la réalité de l’exercice des institutions soutiennent aisément qu’au Maroc n’ont jamais existé trois pouvoirs; mais plutôt soit un seul, totalement concentré de façon patente ou latente entre les mains du Roi, soit quatre en y incluant le pouvoir régalien comme quatrième dimension incarnant et intervenant, en fait, dans tous les aspects de la souveraineté nationale. 
À cela s’ajoute un acteur dont le rôle en matière législative échappe totalement au commun des mortels, et probablement à nombre de spécialistes du droit constitutionnel, qui vide totalement l’institution législative de sa substance et ne lui confère en réalité qu’un rôle mineur, sinon de façade seulement dans l’élaboration des lois. Cet acteur relève théoriquement exclusivement de l’Exécutif mais c’est à lui, en réalité, que revient le premier et le dernier mot tant pour les projets de loi que pour les propositions. Il n’est autre que le Secrétaire général du gouvernement. C’est lui, en fait, qui pour les premiers textes décide de leur priorité , définit et délimite leur teneur et juge du timing de leur envoi devant l’instance législative. Après adoption par cette dernière, ces textes reviennent à lui qui juge de nouveau discrétionnairement de la suite à leur réserver, soit les soumettre à promulgation soit y apporter des amendements avant de les renvoyer pour une nouvelle lecture, soit tout simplement en différer la promulgation, parfois pour quelques années pour paraître dans une nouvelle mouture. Les propositions de loi également ont beau être formulées par les représentants de la Nation, finissent par atterrir sur son bureau, soumis à son seul agrément. Ce responsable est le véritable décideur en matière législative; à côté le Parlement et le Conseil constitutionnel jouent le rôle de marionnette. Aucune autorité ne peut le contrecarrer, aucun texte de loi ne passe s’il rechigne sur un mot. Même le Premier ministre ne peut oser entrer en conflit frontal avec lui, d’autant que dans le contexte global du système politique, bien qu’il relève statutairement du gouvernement avec rang de ministre, il est avant tout et après tout l’oeil du Palais. S’il est une fonction dans le gouvernement qu’aucun Premier ministre pressenti ne pense à pourvoir, c’est bien la sienne. 

45)- De la souveraineté: 
De tout le contenu de la Constitution, l’article 2 est indiscutablement le plus déterminant. Il constitue le point central de toute l’assiette constitutionnelle. Il stipule:  » La souveraineté appartient à la Nation, qui l’exerce directement par voie de référendum et indirectement par l’intermédiaire des institutions constitutionnelles « . Ce principe de la  » Souveraineté » nécessite un examen attentif. Il comporte deux parties qui, si elles paraissent, à première vue, complémentaires, il n’en demeure pas moins que l’une vide pratiquement l’autre de sa substance. Si, en effet le binôme  » souveraineté-nation » s’inscrit théoriquement dans la logique démocratique universelle et se passe de commentaire, l’autre binôme ‘référendum-institutions constitutionnelles’ suppose que l’exercice de cette souveraineté étant tributaire des échéances épisodiques, la Nation est entre-temps réduite à un simple rang de figurine, confinée dans le suivisme et l’attentisme, sans aucune possibilité d’intervenir à aucun moment dans le débat public. Parfaitement conçue dans la maxime de Montesquieu:  » laisser le droit et ôter le fait », cette souveraineté fait tout au plus de la Nation une sorte de société civile à responsabilité limitée, appropriée en fait depuis quatre décennies dans les faits et le vécu quotidien par le seul Pouvoir, sans aucune possibilité de contestation. C’est le Pouvoir seul qui pense pour le peuple, juge du bien et du mal fondé de la marche des affaires de l’Etat, décide quand et comment orienter la politique, fixe les priorités nationales, leurs dimensions, leurs ampleurs, innove quand il veut, progresse ou recule à sa guise. Autant, donc, l’article 2 de la Constitution devra retrouver toute sa dimension et sa consistance, autant celles-ci devront actionner des mécanismes institutionnels qui devront les traduire dans les faits et ériger la Nation en véritable creuset de la souveraineté. Mais si déjà au plan interne, cette souveraineté censée être celle du peuple est totalement ravie par le Pouvoir, au plan externe, elle subit depuis quelques années une rude épreuve d’érosion qui la mette de plus en plus en lambeaux. Si pratiquement de tout temps, depuis l’Indépendance, des ingérences extérieures n’ont jamais manqué pour le moins d’en baliser le champ, elle a tendance depuis le déclenchement de l’affaire du Sahara et surtout depuis les évènements du 11 septembre à subir des assauts contraignants. L’Algérie, l’Espagne, la France et les USA ne se gênent plus de s’investir dans le devenir du pays, par des intrigues et convoitises ouvertes par certains, des pressions diplomatiques, économiques ou autres par d’autres, tantôt isolément tantôt en concertation, dévalorisant le Maroc au rang de chasse gardée ou de zone d’influence. Cette situation n’a d’autre raison que parce que ces puissances sont convaincues que le Pouvoir marocain a beau être fort au plan des commandes intérieures par la maîtrise des institutions conçues à dessein, il ne repose pas pour autant sur la véritable force que confère à un Etat digne de ce nom, une souveraineté réellement populaire. 

46)- De la révision constitutionnelle: 
Depuis l’avènement du nouveau règne, des voix s’élèvent de plus en plus pour réclamer une révision constitutionnelle et s’accordent principalement autour d’un même objectif, à savoir : l’instauration d’un régime de monarchie parlementaire; tant il est vrai que la monarchie marocaine est au centre de la vie sociale, de toutes les constructions constitutionnelles qu’a connues le pays et du fonctionnement de l’Etat. Il est, donc, tout à fait normal que ces intentions de réformes se manifestent, après une si longue période au bilan largement contestable, autour de la forme monarchique dans le but de mieux l’adapter aux exigences du moment. Tout comme il est compréhensible que l’article premier de la Constitution, qui définit cette forme comme étant constitutionnelle, démocratique et sociale, est de nature à ouvrir un large horizon à la réflexion politico intellectuelle et à inciter les esprits à en revendiquer une interprétation maximaliste, sans pour autant transgresser l’article 106 qui stipule que la forme monarchique et les dispositions relatives à la religion musulmane ne peuvent faire l’objet de révision. De l’avis largement répandu, le Roi, qui ne manque certainement pas de clairvoyance politique, se retient ou se refuse d’atteler la monarchie à la locomotive psychologique ambiante et de la faire évoluer dans le sens souhaité par la Nation. La priorité à l’action socio-économique à laquelle il s’investit personnellement, les incessantes tournées qu’il effectue inlassablement à travers le royaume, les innombrables voyages officiels à l’étranger, la révision de la Moudouana, la création de l’Institut royal de la culture amazigh, de I.E.R, les multiples inaugurations de réaménagement du tissu urbain, les créations portuaires, l’élaboration du programme de développement humain, les lancements tous azimuts de projets d’emploi, culturels et sanitaires, prouvent sa détermination à bâtir son règne sur la vision d’un leadership omnipotent, reconduisant l’option technocratique qui a toujours prévalu dans le règne précédent et qui avait abouti à l’impasse, voire au risque de la crise cardiaque. Cette détermination du Palais à s’imposer comme le seul centre, incontestable et incontesté, d’appréciation et de décision des mesures, moyens et manières de faire évoluer le pays, apparaît, dans l’esprit des citoyens, comme tendant à l’exemple de celui qui donne du poisson au lieu d’apprendre comment pêcher. Elle a pour corollaire de maintenir l’échiquier gouvernemental et politique en  » état de congélation » dans un habit institutionnel étriqué qui l’enferme dans une Constitution surannée, un esprit de règne féodal, où se profile toujours une volonté d’assujettissement, et hypothéqué par la présence incompréhensible de l’ancienne garde qui trône encore au sommet des principaux rouages de l’Etat et ne semble pas disposée à baisser pavillon. À celle-ci, s’ajoute un entourage royal jeune, politiquement novice, aussi pressé de faire sa place au soleil, voire aussi vorace, préoccupé par ses ambitions personnelles et carriéristes, formé à l’école courtisane et incapable d’initier, au-delà des projets de services, une réforme politique globale susceptible de développer la synergie adéquate pour un meilleur agencement entre le régime et les espérances démocratiques exprimées par la Nation. À défaut de sens politique engrangeant un ensemble de principes, le régime verse, comme auparavant, dans une philosophie de bien public sans grand effet sur la substance des attentes populaires. Si, donc, la monarchie n’est pas contestée dans ses fondements, et si elle doit être, comme se plaisait à le rappeler Hassan II, un joyau au dessus de la tête de chaque marocain, elle doit être une couronne…de fleurs, constitutionnelle, démocratique et sociale comme le souligne la Constitution dans son article premier; et non un ornement d’épines qui ont pour nom l’absolutisme, une administration omnipotente, un parlementarisme de façade, l’aliénation de la volonté populaire, un capitalisme sauvage, inhumain, la gabegie, l’abus de pouvoir, une corruption systématisée du bas au haut de la pyramide administrative, une Justice pourrie jusqu’aux os, Tazmamart, Dar El Mokri, Kellat M’Gouna et autres sinistres lieux recensés ou de substitution. Le nouveau règne donne l’impression qu’il n’a rien oublié pour ce qui est de la primauté de la monarchie sur les institutions du pays; mais aussi qu’il n’a rien appris sur les concessions que cette monarchie se devra de faire pour continuer à maintenir une place privilégiée dans le coeur des marocains. La Nation entame une phase de bouillonnement d’idées. Deux raisons en soutiennent le fondement. La première est que la notion de nationalisme et d’intérêt public est depuis l’avènement de Hassan II totalement accaparée par la monarchie qui ne les conçoit que dans sa propre interprétation et en a fait le credo constitutionnel. La seconde, conséquente, se rattache précisément à ce credo même qui ne correspond plus à la mentalité actuelle de la majorité du peuple qui le ressent comme un frein à son épanouissement. Il y a, donc, une crise constitutionnelle indéniable qui constitue la pierre d’achoppement entre la Monarchie et la Nation, et qui se fige dans un climat pour le moins délétère ne profitant à aucune des deux parties. Même dans les sphères modérées, certes largement majoritaires, la fronde constitutionnelle est indéniable. À l’opposé, des mouvements radicaux connus et patentés, et d’autres obscures, perdant tout espoir d’une évolution moderniste du régime, élargissent de plus en plus leur espace, mobilisent plus d’adeptes, déversent haut et fort leur rhétorique pamphlétaire et envisagent des alternatives institutionnelles carrément en rupture de légitimité et de la tradition dynastique. En ce début du 21ème siècle, face au chamboulement total des mentalités, à l’émergence de générations de jeunes hautement sensibilisés à la politique et à la gestion des affaires de l’Etat, à l’évolution du niveau intellectuel de plus en plus fortement imprégné d’idées et de philosophie politiques, à la mondialisation des idées, avant celle économique, à la propagation vertigineuse des mass médias, à l’intrusion des chaînes satellitaires et de la messagerie électronique, à la profusion des débats politiques et à l’ouverture des esprits sur les avancées géo politiques et économico sociales des nations occidentales, il serait suicidaire pour le régime marocain de s’accrocher à un concept d’une monarchie paternaliste et protectionniste, qui de toute évidence puise sa philosophie dans l’idée chère à Hassan II, attribuée à son père: » le Marocain est un lion qui doit être mené avec une chaîne », en réalité empruntée à Lyautey qui s’était montré plus clément:  » les Marocains sont des lions qu’il faut mener avec un fil de soie et non des chaînes » Si l’image donnée par l’ancien Résident général véhiculait en fait une vision de protectorat  » intelligent » qui eût pu initier une évolution du pays en douceur, dans le respect de la personnalité et de la tradition marocaines, et donc écarter les intentions brutales que préconisaient certaines sphères de la Métropole et leurs représentants locaux, Hassan II, lui, au mieux, croyant flatter la fibre nationale, bien qu’il vaille mieux être un lapin libre qu’un lion enchaîné, n’a pas lésiné sur les chaînes, en or pour les laudateurs, en acier pour les contempteurs, oubliant vite que c’est précisément ce lion qui, ayant rompu les chaînes, avait ramené la famille royale de l’exil où elle eût pu rester à ce jour. Craignait-il que ce même lion ne rugît un jour dans l’autre sens? Force est de constater que le nouveau règne ne s’écarte pas de ce credo anecdotique qu’il a simplement enrobé dans une phraséologie plus subtile dans un premier temps de  » monarchie exécutive », et le 30 juillet 2007 de  » monarchie agissante », en fait tout autant, l’une comme l’autre, césarienne, en totale violation de la monarchie constitutionnelle, démocratique et sociale que stipule l’article premier de la Constitution, bien que des signes d’ouverture sur une démocratisation semblent manifestes, mais seulement aux crédules qui, sans culture politique, confondent le virtuel et le potentiel. Si, en effet, l’ancien règne, ouvertement, brutalement et franchement, sans scrupules ni états d’âme, avait tout verrouillé dans les esprits, les textes et les centres de détention, le nouveau préfère laisser les esprits s’agiter dans le vide et s’user dans la palabre vaseuse et les conciliabules sans lendemain, s’appuyant sur une société de Cour, qui, développant plutôt une stratégie de  » public relations » qu’une politique nationale, dont elle est d’ailleurs incapable, agit plus à son propre profit que pour l’intérêt de la monarchie. Tout régime politique qui enchaîne ses concitoyens, s’enchaîne en fait lui-même et tout régime qui renforce les assises populaires consolide les siennes. La réalité palpable quotidiennement est que le pays s’enfonce dans une voie sans issue qui ne peut conduire à terme que vers la faillite sous toutes ses formes si un brusque changement n’intervient pas dans les institutions et le choix des Hommes, si des réformes structurelles radicales et profondes ne sont pas impulsées pour permettre une réelle et massive participation de tout le peuple aux décisions de l’Etat et un contrôle rigoureux de la gestion quotidienne des affaires publiques. L’Etat est gangrené par la corruption, l’affairisme et le népotisme. L’incivisme se répand dans toutes les sphères du pouvoir et de l’Administration. Le profit personnel s’érige en credo de la vie sociale. Le clanisme supplante le patriotisme. Le nationalisme devient une notion obsolète. Les sacrifices consentis par les précédentes générations pour assurer au pays son indépendance et sa dignité servent exclusivement de » leitmotive  » ressassés épisodiquement dans les meetings et les médias pour anesthésier les esprits, endormir davantage la vigilance populaire et masquer les déviances vers des buts inavoués. Les ressources du pays sont spoliées honteusement au profit de quelques capitalistes, trafiquants et parasites de tous genres qui tiennent et tirent rigoureusement les ficelles. Les libertés publiques concédées dans le cadre des textes existants, censées développer les courants de pensées n’aboutissent finalement qu’à servir de tribunes à la propagation du laïus des dirigeants où qu’ils se situent, relayée par le bavardage et les ragots de terrasses de café et les joutes médiatiques. Le peuple, las des promesses fallacieuses et des intrigues, assiste impuissant à la dérive du pays. Les participations électorales auxquelles il est convié épisodiquement n’ont d’autre objectif que de recourir à des mises en scène pour légitimer des politiques impopulaires, tendant à renforcer la main mise sur les potentialités de la Nation. Le gouvernement d’alternance, fait de bric et de broc, issu d’une compromission entre le Pouvoir et certaines mouvances politiques qui prétendent représenter la conscience nationale et parler au nom du Peuple se dévoile chaque jour comme le dindon de la farce. La Mémoire marocaine est usurpée et pervertie au profit de desseins partisans. La Monarchie gagnerait, donc, à abandonner la pratique de la personnalisation du pouvoir sous quelle que forme que ce soit, et à admettre la révision de sa conception de la gouvernance pour se mettre hors d’atteinte d’éventuels soubresauts qui pourraient se produire en réaction à une situation statique de moins en moins tolérée, et pouvoir cheminer et évoluer avec la Nation, côte à côte, la main dans la main, dans une nouvelle vision qui puisse renforcer leurs assises mutuelles, dans un Etat respectueux des droits de chacune des deux parties s’appuyant l’une sur l’autre, puisant leur force l’une dans l’autre et se complétant par l’apport de l’une à l’autre, dans une symbiose autour d’une monarchie certes  » citoyenne » mais dans un concept de gouvernance autre, inédit, dont les mécanisme doivent être conçus et élaborés dans une véritable volonté de démocratisation qui impliquerait la nécessité d’une profonde mutation institutionnelle passant du prétendu concept de l’Etat de Droit, en fait Droit de l’Etat, à celui de l’Etat des droits. 

DEUXIEME PARTIE: Le Comment ? 

21)- De l’Etat des droits: 
Il est établi que les textes ne valent que ce que valent les Hommes chargés de leur application. Il est avéré aussi que si ces Hommes sont inconscients, incompétents ou de mauvaise foi, il est impensable d’espérer d’eux un quelconque sursaut de bonne foi, et s’ils n’ont pas face à eux une structure qui les endigue, contrôle en permanence et les incite à plus de raison, de probité et de conscience, il faut s’attendre à tous les dérapages. La nature humaine a tendance a entraîné les Hommes vers l’appétence du gain facile et le moindre effort de concentration et de labeur, notamment en matière de la fonction et de la chose publiques entièrement minées par la corruption, la dépravation et l’avidité, d’autant que du sommet à la base de la pyramide, puisque ce sont les supérieurs qui inspirent les subordonnés par le mauvais exemple, le système entier fonctionne à l’argent, prébende, rapine, népotisme, détournements, gabegie et autres trafics et malversations, qui souvent s’accompagnent et se tissent dans un cadre et une ambiance de relations, alliances, passions et intrigues d’alcôves; au point qu’en l’état actuel des choses, il n’est pas seulement difficile de faire admettre, dans les esprits, l’existence d’un Etat de Droit, mais de l’Etat lui-même, de l’Etat tout court, tellement celui-ci semble dépourvu de toute conscience nationale et ressemble à une simple holding au service exclusif de quelques rapaces dont le souci principal est de phagocyter inlassablement et impitoyablement cette Nation à laquelle il ne reste que les yeux pour pleurer. Sinistre réalité, mère de tous les fléaux qui gangrènent la vie politico sociale, qui fait dire à certains que le Maroc n’a jamais eu de gouvernement depuis celui de Abdellah Ibrahim, et vont jusqu’à avancer que le pays n’a même jamais été indépendant, le colonisateur ayant simplement changé de nationalité. Si l’Etat de Droit que galvaude le Pouvoir se fonde sur la primauté de la loi et la séparation des pouvoirs, il a été démontré précédemment que ces deux principes n’ont dans les faits servi qu’à favoriser une classe particulière et à écraser la Nation. l’Etat des droits, par contre, qui ne considère pas la loi comme une fin en soi mais comme un simple outil réglant la vie sociale, vise à fonder la société sur l’Homme, non pas en tant que bouche à nourrir, mais citoyen auquel il faut ouvrir réellement l’accès à tous les niveaux de la construction de l’Etat, pour qu’il puisse s’y impliquer par une adhésion volontaire, totale et permanente, dans le souci de son épanouissement politique et mental qui puisse lui permette d’exercer réellement sa souveraineté et son ambition de prendre réellement en main sa destinée, en palper quotidiennement l’évolution, l’orienter quand, et dès que, le besoin s’en ressent, et ne pas attendre continuellement d’hypothétiques échéances électorales ou référendaires pour se retrouver, de nouveau, en train de tourner en rond. Chaque citoyen devra s’y considérer, à lui seul, la pierre angulaire de tout l’édifice. Cette forme d’esprit ne peut prévaloir que si les citoyens construisent eux-mêmes une assiette institutionnelle qu’ils puissent contrôler, impulser, rectifier et bloquer à tout moment. L’Etat des droits tend à réintroduire la Nation au centre des préoccupations des gouvernants en quadrillant ces derniers par un système qui non seulement devra les dissuader d’outrepasser et d’abuser de leurs pouvoirs, et de la confiance ou résignation populaire, mais également les maintenir constamment aux aguets des doléances du peuple, en érigeant autour d’eux des barrières institutionnelles telles que si l’intérêt national venait à en pâtir, la réaction des autres institutions, et des citoyens, déclencherait instantanément la procédure adéquate pour remédier à la situation et sanctionner les errements. 

22)- De la pondération des Pouvoirs: 
 » Il faut arrêter la Pouvoir par le Pouvoir ». Cette célèbre formule de Montesquieu a servi à nos jours de base fondamentale à la théorie de la séparations des Pouvoirs. Elle est considérée comme la référence politico institutionnelle par excellence pour l’érection du système démocratique. Implicitement, Montesquieu apparaît, du fait, pour certains, comme l’inspirateur de l’Etat de Droit. Ce serait sûrement trop lui prêter. Le régime marocain a plutôt, quant à lui, privilégié une autre de ses maximes:  » laisser le droit et ôter le fait ». Nous avons vu précédemment que le principe de la séparation des pouvoirs n’assure pas forcément un équilibre entre les institutions, et que le pouvoir régalien n’étant comptable que devant Dieu et sa conscience, le Maroc est dans un cas de figure typique dont émanent tous les dysfonctionnement de l’Etat. La solution réside dans une refondation en profondeur de l’échiquier constitutionnel, par, d’une part, le réajustement du pouvoir régalien qui devra être identifié comme quatrième dimension institutionnelle, et, d’autre part, des innovations tant aux plans des trois autres institutions qu’au niveau régional, dans le contexte d’une assiette constitutionnelle inédite qui puisse assurer une pondération des pouvoirs, seule alternative pour renforcer, à la base, la souveraineté populaire et générer un nouvel Ordre moral imposant la prééminence de l’éthique, le règne de l’intégrité, du sens du devoir et de conscience dans la responsabilité et la gestion de la chose publique. 

23)- Du principe monarchique: 
L’esprit politique marocain, bien qu’imprégné dans sa majorité du principe monarchique n’est pas pour autant crédule. S’il est profondément et majoritairement convaincu que l’institution monarchique détient de par l’Histoire, la tradition et la mentalité nationales, des droits légitimes de règne et de gouvernance qu’il serait illusoire de lui contester, il est tout autant convaincu que ces droits ne peuvent être considérés absolus ni immuables, et qu’ils doivent accompagner l’évolution du temps et des esprits, et répondre aux véritables impératifs qui se posent, dans le sens souhaité par la Nation. La revendication dominante, ouvertement exprimée ou insinuée jusqu’à présent, en matière de réajustement du pouvoir régalien focalise sur le modèle européen, notamment espagnol, probablement en raison de la proximité géographique et de certaines affinités historiques entre les deux pays. Dans l’interview accordée à la veille de son départ aux USA, le Roi a affirmé que le modèle espagnol n’était pas transposable au Maroc. Si la monarchie ne peut, et ne doit, en effet, être reléguée à inaugurer les chrysanthèmes, on pourra aussi déduire, par une interprétation attentive que le propos royal ne verrouillait pas, en fait, le débat, qu’il balisait seulement le champ de réflexion et indiquait que si le modèle espagnol était le seuil qu’il ne faudrait pas chercher à atteindre, c’est qu’en deçà de cette limite d’autres propositions étaient envisageables. Même le concept de  » monarchie agissante » laissait encore entrevoir la possibilité d’un assouplissement du poids de cette institution. Mais le discours du 30 juillet 2007, véritable  » niet royal », évacue toute velléité de remise tant soi peu en cause de l’hégémonisme monarchique. Le citoyen n’en continue pas moins de constituer la pierre d’achoppement de la vie sociale et du dysfonctionnement des institutions, et de conditionner tout espoir d’évolution. Il ne peut, dans l’intérêt national, perdurer dans sa nature et dimension actuelles. La solution résiderait dans une voie intermédiaire de rapprochement et d’harmonisation des positions dans un contexte monarchique consensuel. L’institution du Conseil du Trône est de nature à sortir de cette crise. 

24)- Du Conseil du Trône: 
Instance suprême de l’Etat, ce Conseil réunira autour du Roi un pôle formé des trois plus hautes personnalités de l’Etat, toutes issues de scrutins: les Chefs de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire ( après les réformes préconisées dans les pages suivantes). Il sera chargé de parrainer les grandes orientations nationales et devra, de ce fait, se substituer au Conseil des ministres dans les prérogatives conférées à ce dernier par l’article 66, sous réserve de quelques modifications en faveur de l’Exécutif. On ne peut plus clair, il s’agit de corriger le pouvoir régalien, pour une meilleure coordination et efficacité entre les Pouvoirs censés, constitutionnellement, fonctionner de façon harmonieuse et complémentaire dans l’intérêt de tous; et aussi de juguler l’intrusion au sommet de l’Etat de personnages ( conseillers et courtisans, pour ne pas les nommer) qui ne peuvent se prévaloir d’aucune légitimité électorale ni représentativité quelconque et, par conséquent, non habilités constitutionnellement à disposer d’un droit de regard sur les affaires nationales, qui ont tout à gagner de la gloire de la monarchie et rien à perdre en cas de retournement de la situation; tout au plus le prix d’un billet d’avion pour se mettre, vite, à l’abri à l’étranger. L’Histoire abonde d’exemples de ces Conseillers, très mauvais conseilleurs, qui, par leur inconscience de la gravité des enjeux politiques et des aspirations populaires, ont largement contribué à précipiter la chute de régimes. 

26)-Du Pouvoir Exécutif: 
Dirigé par le Président du Conseil de Gouvernement, il devra nécessairement incarner la formation ou la coalition majoritaire sur l’échiquier politique. Ce nouveau titre est de nature à élever le chef de l’Exécutif, du rang de simple primus inter pares qu’est le Premier ministre actuellement, à une dignité étatique qui puisse lui octroyer l’autorité discrétionnaire sur son Cabinet et sur les mécanismes de l’Administration. Cependant la latitude de planifier et de gérer sa gouvernance selon les impératifs et le calendrier appréciés en fonction de sa conscience et de ses engagements électoraux ne sauraient lui procurer une sorte d’imperium lui permettant d’intégrer d’autorité dans le gouvernement et les sphères stratégiques des personnes présentant des aspects disqualifiants. La procédure d’habilitation sénatoriale indiquée ci-dessous devra veiller au grain. 

27)-Du Pouvoir Législatif: 
-Du bicamérisme actuel: La double représentation parlementaire actuelle ne se fonde sur aucune justification d’intérêt public de nature à motiver la ressuscitation de la Chambre des conseillers dont le Roi Hassan II avait dit, à la suite de la dissolution du premier Parlement, en 1965, que c’était un luxe que ne pouvait se permettre le Maroc. Tout indique que dans l’état actuel du pays, cette appréciation demeure de rigueur et que la mission assignée à cette assemblée consiste en fait, compte tenu des prérogatives que lui confère la Constitution, des modalités de son élection et de la qualité de ses membres, à faire, de façon inavouée, contrepoids à sa consoeur des députés, de servir de moyen à la fois de pression et de ‘jugulation’ d’un éventuel dérapage de la part des Représentants, et de retarder et d’alourdir la procédure parlementaire dans les cas contrecarrant la vision gouvernementale. En tout état de cause, sa véritable fonction n’est certainement pas de renforcer l’action législative mais plutôt de glisser  » l’oeil de Moscou » au niveau législatif. Le système bicamériste devra donc disparaître au profit d’une nouvelle conception législative. 
– Une nouvelle formule: le Sénat: 
– De sa composition: Instance de 100 à 150 membres, le Sénat sera l’organe législatif suprême de la Nation. 
-De son mode d’élection: L’élection à cette institution, par suffrage universel direct, sera élevée, à terme, au niveau national, le pays étant pris pour circonscription unique. Il va de soi qu’une application brutale de ce mode reviendrait, dans le contexte politique actuel, à pratiquer sur un patient une opération chirurgicale à vif; elle entraînerait sûrement un arrêt cardiaque. Elle nécessitera donc une première expérience, sur deux législatures à venir, dans une aire plus réduite, régionale, pour préparer les élites régionales à la responsabilité nationale 
– Des impacts escomptés: – neutraliser la pratique de l’achat des voix en la rendant pratiquement impossible, parce qu’il faudrait aux candidats malhonnêtes, investissant dans les élections comme dans le show-biz, débourser des sommes fabuleuses qu’ils ne seront jamais en mesure de récupérer; sauf si l’Etat y compense par l’octroi de prébendes et privilèges indus sur le dos des contribuables. 
– sasser un échiquier politique fortement parasité par des intrus de la dernière pluie et des formations bricolées, qui deviendra, ainsi, plus aéré, mieux adapté et structuré à la compétition électorale, et d’office au processus d’alternance, générant 2 à 4 formations  » dinosaures ». Les autres formations passant inéluctablement à travers le tamis se trouveront dans l’obligation de se regrouper et former, à leur tour, bloc pour pouvoir peser potentiellement sur l’enjeu politique, servir virtuellement d’appoint aux partis maîtres du jeu politique ou disparaître de l’arène politique. 
– rehausser la compétition électorale autour des idéologies et des programmes de société, au lieu de considérations personnelles et boutiquières, comme il en a été toujours le cas jusqu’à présent. 
– obtenir une assemblée plus réduite quantitativement mais plus compacte, mieux visible, plus abordable que le Parlement actuel dont la majorité des élus se distinguent par un absentéisme quasi permanent aux travaux et débats parlementaires. 
– peaufiner le panorama législatif, en obtenant une assemblée avec des élus aux mérites, stature et charisme dignes de la représentation nationale. 
– restaurer la raison d’être de l’instance législative qui, contrairement à l’actuelle, servant de planque aux blanchisseurs d’argent et hommes d’affaires véreux, devra être un véritable creuset pour l’émergence de futurs hommes d’Etat. 
– faire économiser à l’Etat, en matière de budget de substantielles dépenses que lui cause un Parlement pléthorique et inefficace réduit à une simple galerie propagandiste. 
– juguler l’intrusion de l’Etat dans la compétition partisane, lui ôter la possibilité de rafistoler, à sa guise, la carte électorale, de tripatouiller les scrutins et de confectionner des majorités hybrides, incrédibles et affidées, pour bénéficier de soutiens inconditionnels à une politique impopulaire. 
– De l’exercice législatif: 
Une lecture attentive de la Constitution actuelle fait apparaître que le gouvernement est le vrai maître du champ législatif, réduisant le Parlement à une simple instance d’enregistrement. Dans le système sénatorial, le Sénat partagera avec le Gouvernement l’initiative des lois, conformément au 1er alinéa de l’article 52 de la Constitution, dans un esprit compétitif. Les projets de lois, émanant tant du gouvernement que du Sénat, seront discutés par ordre d’antériorité de leur dépôt. La notion de proposition de lois sera revisitée. Elle sera usitée par le Sénat comme une sorte de recommandation  » non contraignante » à l’adresse du gouvernement, pour des textes ou amendements nécessitant au préalable une discussion paritaire. Les autres articles touchant à la mission législative seront réexaminés en conséquence. 

28)- De la Procédure d’habilitation: 
Par souci, d’une part, de conforter la représentation populaire du Sénat sur l’action et la gestion gouvernementale, et, d’autre part, permettre au peuple de disposer préalablement du profil de ceux qui seront amenés à assumer de hautes charges publiques, le Sénat devra initier des enquêtes  » intuiti personae », de compétence et d’honorabilité, sur les membres du gouvernement, ceux du pouvoir judiciaire des Hautes Cours, les cadres supérieurs de l’Administration, des entreprises étatiques et semi étatiques stratégiques, des organismes à caractère social national, les ambassadeurs et les responsables nationaux de la Sécurité. 

29)- De la Cour des comptes: 
Le rattachement de cette Cour au Pouvoir judiciaire devra répondre à deux objectifs. 
– Un objectif politique: Si le Législatif vote la loi de Finances et l’Exécutif se charge de son application, il doit, naturellement, revenir à la première institution de veiller à la bonne foi que requiert cette application, et d’exercer directement un droit de regard et de contrôle dans un des domaines vitaux de la vie nationale qu’est la gestion des deniers publics, pour lequel il est élu. 
– Un objectif citoyen: Les scandaleuses et intarissables manoeuvres frauduleuses et criminelles qui ont, toujours, sabré les finances publiques se trouvent explicitement ou tacitement favorisées par l’intolérable sentiment d’impunité qui prévaut chez les manipulateurs de ces dernières. La Cour des comptes actuelle, par l’adoption du profil bas et la position expectative qui lui sont connus, en raison de l’influence et ingérence gouvernementales, s’est toujours dérobée à ses responsabilités; se contentant tout au plus de rédiger à la fin des exercices budgétaires des rapports complaisants, même lorsque les scandales financiers sont étalés sur la voie publique. D’autre part, cette nouvelle Cour devra apurer le budget arrivant à échéance et soumettre ses conclusions au Sénat avant que celui-ci n’entame l’examen de la loi de Finances suivante. 

3O)- Du Conseil consultatif sénatorial: 
Auprès du Sénat, siégeront en conseillers les anciens chefs de l’Exécutif, Législatif et Judiciaire et d’anciens hauts magistrats, bâtonniers, juristes et autres responsables, ayant accompli leur Législature ou leur mandat sans faire l’objet d’une mesure de défiance ou de poursuites infamantes. Le but en sera de renforcer le Sénat en hommes d’expérience ayant servi loyalement la Nation et encore en mesure de faire bénéficier l’institution de leur savoir et de leur expérience. 

31)- De la durée des sessions sénatoriales: 
le Sénat sera amené à siéger sur des sessions de 9 mois ininterrompus. 

32)- De la durée de la campagne sénatoriale: 
Elle revêtira deux aspects: 
– Aspect de proximité: En raison de l’étendue de l’aire électorale, et pour permettre aux candidats de disposer de suffisamment de temps pour parcourir le pays et aller à la rencontre des électeurs, la campagne électorale sera étendue sur une période de 3 mois. 
– Aspect de médiatisation et confrontation: Pour renforcer la prise de conscience des électeurs quant à l’importance de l’enjeu, leur permettre d’analyser les programmes des uns et des autres candidats, se faire une opinion aussi approchée que possible sur leurs programmes et se prononcer en connaissance des causes des hommes et des idées, les meetings et interventions des candidats seront relayés sur une chaîne spéciale de télévision qui programmera également des confrontations oratoires entre les candidats. Cette même chaîne continuera à transmettre, par la suite, de façon permanente les séances et débats du Sénat. Ainsi, le peuple aura l’occasion de juger, directement et de visu, le vrai profil de ses représentants. 

33)- des conditions matérielles de travail: indépendamment des avantages financiers et moraux afférents à la fonction, chaque sénateur bénéficiera, aux frais de l’Etat, d’une « permanence », sorte de lieu de domiciliation, qui sera dotée en ressources humaines et matérielles nécessaires à l’exercice de la charge, hors hémicycle. 

34)- Du Pouvoir Judiciaire: 
Au Maroc, quand l’Exécutif éternue, la Justice s’enrhume. La prétendue indépendance de la Justice clamée dans l’article 82 de la Constitution relève tout simplement de la chimère. L’analyse précédente de la Constitution, exposée dans le paragraphe relatif à cette question, démontre que le pouvoir judiciaire réel puise dans la puissance régalienne, dont il constitue en fait un volet, notamment à travers la nomination des magistrats, et qu’il est géré par le ministre de la Justice, partie intégrante de l’Exécutif, qui a tout intérêt à s’en tenir au strict respect d’une certaine ligne de conduite, docile, s’inscrivant scrupuleusement dans les intentions et les visées de la puissance régalienne. L’indépendance de la Justice ne sera réellement assurée que si cette dernière est restructurée de façon inédite : Le ministère de la Justice et la Cour Suprême devront, de ce fait, être supprimés et absorbés dans une nouvelle formulation du Pouvoir judiciaire. 

35)- De l’instrumentalisation de l’Islam dans le Pouvoir judiciaire: 
L’article 6 de la Constitution instaure l’Islam comme religion d’Etat; mais cette stipulation reste, à nos jours, une simple énonciation confinant l’Islam dans le domaine privé de la foi et de la pratique individuelle, ou tout au plus dans une religion de mosquée et de veillées religieuses ramadanesques; pendant que d’occultes entreprises menées tant de l’intérieur que de l’extérieur du pays s’acharnent à saper le fondement islamique de la Nation. Ce fondement ne pourra être préservé que, d’une part, s’il est institutionnalisé dans les rouages de l’Etat, dans le cadre constitutionnel où il pourra disposer de moyens appropriés pour sa propre défense et que, d’autre part, le citoyen s’identifie parfaitement à la notion de Justice que véhicule cette religion, pour que les deux parties puissent se développer et s’épanouir dans une adhésion réciproque, dans une sorte de cohabitation harmonieuse de coeur et de raison où chacune des deux puisse trouver son compte et peut compter sur l’apport de l’autre. 

36)- De l’organisation judiciaire: 
L’Islam étant avec la monarchie et la patrie l’un des trois fondements du Maroc et son champ de prédilection étant le règne de la justice, il est tout naturellement nécessaire qu’il occupe la place qui lui revient: le Pouvoir judiciaire. 
– Du Mufti du Royaume, Chef du Pouvoir judiciaire: Coopté par le collège national des Ouléma, et entouré de sa propre administration et de hautes juridictions composées de magistrats triés sur le volet, maîtrisant à la fois le Droit séculier et la jurisprudence islamique, le Mufti du Royaume devra symboliser la parfaite adéquation entre la notion et l’exercice de la Justice dans une vision alliant à la fois l’aspect moderniste et les assises spirituelles de la charge. Celle-ci impliquant d’office l’incarnation exclusive de la Fatwa ne devra entamer en rien les prérogatives de la Commanderie des Croyants dévolue au Roi dont le Mufti sera, comme précisé plus haut, le Conseiller au niveau du Conseil du Trône. 
– des hautes instances: 
– La Cour constitutionnelle: Se substituant au Conseil constitutionnel, elle officiera, en plus des attributions conférées à celui-ci, en matière de procédure « d’impeachment » initiée par toute personne physique ou morale et consistant à introduire auprès de cette juridiction des recours à l’encontre des lois en vigueur et projets de loi censés charrier des dispositions préjudiciables à la sauvegarde nationale, à l’unité spirituelle de la Nation, à la cohésion sociale, à la qualité de la vie et à tout intérêt personnel ou collectif. 
– La Haute Cour de justice: connaîtra de l’opportunité des poursuites pour les crimes de haute trahison dans lesquels seraient impliqués, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, toutes les personnalités soumises à la procédure de l’habilitation sénatoriale, et les membres du Sénat. 
– La Haute Cour pénale de contrôle et de révision: sera appelée à statuer en dernier ressort en matière de peine capitale. 
– La Haute Cour civile de contrôle et de révision: clôturera le processus judiciaire dans les litiges civils susceptibles de déstabiliser l’économie nationale ou d’avoir des incidences négatives sur le patrimoine de l’Etat, les acquis sociaux et l’environnement. 
Néanmoins ces deux dernières Cours auront, parallèlement à leurs attributions sus-mentionnées, à veiller à la régularité de l’action des juridictions subalternes, entreprendre les inspections nécessaires des rouages de l’institution et surveiller les comportements de leurs personnels. 
– Des juridictions de recours: Seront composées de deux chambres: 
– La Chambre de cassation: Dans le fonctionnement judiciaire actuel, le pourvoi en cassation représente la phase finale d’un procès qui aura déjà duré, dans la majorité des cas, au minimum de cinq à huit dans les phases précédentes. Arrivé à cette instance, le jugement y stagne entre une décennie à deux. Si celui-ci est cassé, l’affaire repart de zéro; le procès est relancé pour une vingtaine d’années encore, avec toutes l’angoisse d’attente et les contraintes financières qu’il exige; nonobstant le fait que l’expérience a démontré que certains procès ont été cassés au moins à deux reprises; ce qui veut dire que lorsqu’un plaideur engage une affaire en justice, il n’est jamais sûr de la voir tranchée de son vivant. A cela, il faut ajouter le fait que la procédure y étant très lente, une centaine de milliers de dossiers sont en permanence en instance à ce niveau. Par ailleurs, ce système de centralisation de tous les pourvois en une unique instance, de niveau national, dont seule sa sentence est considérée définitive, favorise indirectement la corruption aux échelons subalternes où les magistrats magouillent en fonction de l’offre et de la demande, avec même une certaine paix de l’esprit, puisqu’ils partent du fait que le dernier mot revient à la Cour de Cassation. Si celle-ci confirme le jugement, ils se sentent confortés dans leur injustice; si elle le casse, ils n’ont rien à perdre pour leur part; ils ont empoché le magot, et le plaideur corrupteur n’a qu’à renouveler ses manigances avec le nouveau magistrat qui aura la charge du dossier. Pour mettre un terme aux avatars de ce système, il est indispensable de procéder à une réforme en la matière. Pour accélérer la liquidation des procès et combattre la pratique des jugements tendancieux, le pourvoi en cassation devra intervenir avant l’interjection en Appel; en ce sens que les sentences rendues par les juridictions de jugement devront être examinées en premier lieu par la Chambre de cassation tant dans le fond que la forme. Cette Chambre devra se réunir, à huis clos, en séance plénière de cinq magistrats. Son rôle étant d’examiner le bien ou le mal fondé des jugements prononcés, elle devra connaître exclusivement des dossiers, sans aucune compétence ni de citation à comparaître, ni d’audition, ni de quelque procédure que ce soit. En cas de vice quelconque, insuffisance de preuves, contradictions, omissions procédurales et autres défauts entachant la procédure, celle-ci devra être cassée et renvoyée aussitôt soit devant la juridiction initiale, soit devant une autre si l’une des parties en fait la demande. 
– La Chambre d’appel: ne seront examinées en Appel que les sentences jugées fondées et inattaquables par la Chambre de cassation. Pour mieux assurer en Appel la sérénité et l’équité nécessaires et y éviter l’introduction de pratiques illicites, cette Chambre connaîtra du système du jury qui aura, par le vote majoritaire, le dernier mot clôturant le procès; exception faite pour les cas devrant être soumis aux Hautes Cours. 
– des juridictions de jugement: Se répartiront en juridictions pénales et juridictions civiles. Tous les litiges à caractère commercial, foncier, administratif, social etc…relèveront de ces dernières. Toutefois, en cas d’imbrications de caractères pénal et civil, délicats et difficiles à dissocier, le pénal prévaut, mais les deux juridictions pourront siéger en séance commune. 
– du droit à la défense: En matière pénale, le droit à la défense sera étendu à la phase de l’enquête préliminaire. Tout citoyen prévenu dans le cadre d’une poursuite judiciaire aura droit de se faire assister au niveau de l’élaboration de la procédure par un défenseur du barreau, dont le contreseing du registre de garde-à-vues devra authentifier cette mesure si elle venait à être décidée contre son client. 
– du juge des enquêtes: Si, au cours de l’enquête préliminaire, la défense constate que son client n’est pas traité dans les normes fixées par la loi, que sa dignité et son intégrité morale et physique s’en trouvent menacées, que ses alibis et justifications ne sont pas pris en considération , elle pourra requérir sur le champ la présence du juge des enquêtes qui devra instruire la requête, faire cesser les errements et abus constatés, demander au Procureur de prononcer la dessaisie des enquêteurs et de prendre à leur égard les mesures adéquates. Ses constatations et interventions devront figurer in fine de la procédure ou jointes à celle-ci pour servir, à la juridiction compétente, parmi les éléments d’appréciations dans l’élaboration de l’intime conviction et le prononcé du jugement. 
– De l’indépendance de la Magistrature: Si la réforme de la Justice telle que préconisée ci-dessus est de nature à donner au concept de la pondération des pouvoirs la signification de jure et de facto qu’il doit renfermer, et à promouvoir une véritable indépendance de la Justice en tant qu’institution, cette indépendance doit se refléter au sein même de cette dernière. La syndicalisation des magistrats, dans le cadre d’un organisme corporatif purement professionnel en est une pierre de renforcement qui doit leur assurer la défense de leurs intérêts matériels et moraux en toute liberté et conscience, sans crainte de représailles de la part de la hiérarchie. 

37)- De la Régionalisation: 
La Région devra constituer l’ossature gouvernementale de base de la Nation. L’actuelle assiette régionale devra être remodelée de façon à obtenir démographiquement et économiquement un ensemble territorial cohérent qui puisse s’ériger en entité politico législative en mesure de légiférer et se gouverner de façon autonome dans les différents domaines qui ne relèvent pas forcément du Pouvoir central. Une révision de la Constitution devra établir le fondement juridique des pouvoirs régionaux et l’assiette des mécanismes devant régir les rapports entre le Parlement régional et le Gouvernement régional, dans la conformité et le respect de la lettre et de l’esprit de la Constitution nationale. 

38) Des Parlements régionaux: 
L’expérience acquise, durant les quatre décennies écoulées, en matière électorale, permet la mise en place, aussitôt, de Parlements régionaux. Provenant, contrairement au Sénat, du scrutin indirect, pendant une certaine période, résultant en deuxième ressort des élections locales, ils devront doter les différentes zones du pays d’un arsenal législatif plus approprié à les accompagner dans leur quête légitime d’une vie plus décente, et à répondre à leurs spécificités et potentialités économiques, sociales, culturelles, et toutes autres perspectives particulières. En complément du souci de renforcer les fondements de la démocratie et de la décentralisation, ces Parlements seront destinés à promouvoir une meilleure prise de conscience politique et civique et à inciter les citoyens à participer à une action législative de proximité, mieux l’influer, mieux en contrôler l’évolution, mieux connaître leurs représentants et mieux les sanctionner. Mais il est un autre aspect, capital, qui motive lui aussi l’institution des Parlement régionaux. Le Parlement régional devra être pour le Sénat ce qu’est le lycée pour l’université, une pépinière d’hommes et de femmes qui devront se préparer à intégrer un univers plus vaste et plus ardu de la connaissance et de l’ouverture d’esprit, et mieux s’armer pour prendre la relève aux hautes charges de l’Etat, en l’occurrence au niveau du sénat et du gouvernement. Après une période transitoire, l’élection au Parlement pourra évoluer vers le suffrage direct régional. 

39)- Du Gouvernement régional: 
A l’issue de deux législatures régionales, l’expérience dans ce domaine aura sans doute permis aux citoyens de mieux maîtriser les mécanismes de la gestion législative régionale, et les aura préparés mentalement à prendre en charge le volet politique qui devra en découler. Dans ce cas, l’institution de Gouvernements régionaux devra se substituer au Gouvernement central dans tous les aspects de la vie courante dont les exigences ne nécessitent pas forcément l’intervention directe de ce dernier pouvoir 

TROISIEME PARTIE : L’APPEL 

Marocaines et Marocains, nous tous qui aspirons à une vie décente, à la conduire de notre propre destinée dans la dignité et l’honneur, à l’amélioration de notre condition sociale, à la contribution à l’essor de la Nation, au combat contre les inégalités sociales et l’injustice, à la pleine jouissance de nos droits de citoyennes et de citoyens, à la répartition juste et équitable des ressources de notre pays, engageons nous tous dans un même élan qui puisse nous assurer la maîtrise de notre devenir et la concrétisation de nos aspirations, sur la base de valeurs et critères tangibles au lieu de continuer à moisir dans l’espérance d’hypothétiques rendez-vous avec l’Histoire, que les gouvernants ne cessent de promettre en attendant de faire leur temps, et qui ne viennent jamais 
Notre pays est conduit depuis des décennies par des hommes et des formations qui exploitent à leur seul profit nos aspirations, et s’enlisent dans des enjeux politiques stériles qui s’écartent continuellement de la volonté populaire, par une interminable série de manoeuvres politiques qui tendent toutes à assurer leurs positions, sécuriser leurs privilèges et aggraver la paupérisation des masses. 
Notre Nation perd son âme chaque jour un peu plus, parce qu’elle a remis son sort entre les mains de gouvernants incompétents et incapables de répondre à l’attente du peuple autrement que par des rhétoriques et des promesses vaseuses. L’échiquier politique marocain est miné par une élite opportuniste dont le souci principal est d’ordre purement égoïste et mercantile, qui squattérise les potentialités du pays et réduit l’idéologie et l’action politiques à une simple stratégie de combines et de combinaisons désastreuses pour la nation. La réalité est amère. Elle nous revient chaque jour à la face, et nous cherchons inutilement à la voiler en reportant continuellement notre espoir dans de nouvelles échéances aussi décevantes les unes que les autres, et de nouveaux leaders qui se révèlent aussi inconsistants et incrédibles que leurs prédécesseurs. 
Marocaines, Marocains, n’attendez pas l’homme providentiel; il ne viendra pas, il n’existe pas. Construisons notre Histoire au lieu de la subir en spectateurs ou en pions. Pour y parvenir, nous devons savoir que notre salut réside essentiellement dans une prise de conscience globale des masses, dans un rejet total des hommes qui monopolisent actuellement la scène politique et l’enferment dans une impasse politique et économico sociale dont nous payons, continuellement, le prix cher. Notre salut devra être notre oeuvre. Nous ne pourrions le maîtriser que si nous nous unissions dans une même volonté et nous nous levions dans un même élan pour sanctionner, électoralement, ces hommes et condamner judiciairement leurs pratiques. Nous devrons inaugurer une nouvelle dynamique politique qui puisse répondre véritablement à notre voeu. Créons cette opportunité dans le cadre d’un mouvement des masses, une formation de femmes et d’hommes honnêtes mus principalement par le souci de servir loyalement l’intérêt public, d’enraciner la démocratie, de promouvoir l’émancipation de la société, d’asseoir la justice sociale, de combattre la dépravation des moeurs et de faire échec au matraquage psycho médiatique des litanies inhibantes sur le thème d’un patriotisme de circonstance que les politiciens actuels chevauchent à chaque échéance électorale, à défaut de pouvoir innover et présenter une alternative idéologique. En adhérant massivement à la vision exposée dans le présent Manifeste, nous prendrons nous mêmes en main notre propre destinée. Nous façonnerons nous mêmes notre devenir et nous l’orienterons et impulserons, par la Grâce de DIEU et des femmes et hommes de bonne volonté, en fonction de nos besoins et aspirations. In-Cha-Allah. 

Mohamed Mellouki 
Colonel gendarmerie royale en retraite, écrivain. 

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