Les colères algériennes

par Kamal GUERROUA. 

Imprévisible, la grande vague des colères citoyennes qui submerge, à présent, les arcanes du régime est sans commune mesure avec le passé récent du pays, caractérisé généralement par la multiplication d’émeutes sociales sporadiques, teintées de violences et sans grande incidence politique.

La société entend tout nettoyer et récupérer les clés de la maison, indûment saisies par une poignée de politicards opportunistes depuis l’indépendance. Mais une question revient avec insistance sur toutes les bouches : où trouver la bonne personne pour incarner les espoirs de la nation, dans ce climat régional « crisogène » sur lequel pèsent tant d’incertitudes ? Pour cause, ceux qui sont aux commandes ont toujours formaté les esprits, défiguré l’image des opposants, déstabilisé les partis, les associations et les syndicats autonomes, la seule pépinière de véritables cadres et de militants, en prise directe avec les préoccupations de la rue.  

Force est de constater que, même avec une télévision officielle ouvertement propagandiste, haïe par la majorité des Algériens et un président devenu virtuel durant plus de sept ans, l’opposition n’a pu faire le poids devant des rentiers aux bras longs, disséminés partout dans les appareils d’Etat, les administrations publiques, les médias, les secteurs de d’import-import ainsi que du foncier, les organisations de masse (étudiants, moudjahidine, fils de martyrs, etc.), et même dans les couloirs du ministère du Commerce dont le premier responsable, on s’en rappelle tous, s’est plaint en public, mais en vain, devant un parterre de journalistes des agissements illégaux de groupes de pression informels, en connivence avec un lobby influent sur la scène politique. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est à un véritable travail de sape que s’est évertué le clan Bouteflika durant ses vingt ans de règne. Coquilles vides, les institutions sont devenues des jouets entre les mains d’un conglomérat de potentats sans scrupules, au point que l’argent de la collectivité se transporte, fait inédit dans l’histoire, dans de gros sacs noirs dans des malles de voitures, ou est transféré illégalement en devises à l’étranger, direction « paradis fiscaux ».

L’échec à jeter les bases d’un Etat démocratique n’a d’égal que la mégalomanie du chef, prêt à toutes les combines pour mettre l’Algérie à genoux et s’accorder les hochements de têtes d’une piétaille de larbins serviles jusqu’à l’obséquiosité. Le clientélisme et ses corollaires, le régionalisme et le tribalisme, sont promus au rang de vertu cardinale, sorte de vieux grimoire pour la gestion des hautes affaires dans le palais. Les coups fourrés pleuvent sur tous ceux qui tentent de se dresser, tant de l’intérieur que de l’extérieur, contre la volonté du roi. L’affaissement des poutres de ce réseau perfide n’a pu se réaliser qu’après le désenchaînement de ce peuple dont on a voulu acheter la conscience par la rente. La corruption qui gangrène, actuellement, l’Algérie n’est que le fruit de la dépravation des hommes de ce clan-là. C’est une maladie convulsive et violente propagée à dessein, en amont comme en aval de l’Etat, pour ne laisser aucune chance au « devoir de l’obéissance », lequel constitue le socle même de la démocratie, de surgir. 

Kamal Guerroua


25.05.2019

Driss Djazaïri met en garde les Algériens contre la réédition du cas irakien

Par Houari A. Le descendant de l’Emir Abdelkader, Driss Djazaïri, a mis en garde contre le nihilisme et les appels à évincer, sans discernement, tous ceux qui sont supposés avoir fait partie du pouvoir.

«L’exclusion devra concerner uniquement ceux qui ont exercé le pouvoir d’une façon directe», a mis en garde le directeur du Centre de Genève pour les droits de l’Homme et le dialogue universel dans une tribune publiée dans un journal arabophone. Driss Djazaïri argue, en effet, que «ceux qui sont sortis dans la rue l’ont fait en raison [justement] des exclusions à l’emporte-pièce qui ont poussé beaucoup de jeunes à vouloir quitter le pays clandestinement et d’autres à émigrer pour pouvoir mener une vie décente sous d’autres cieux». «Il est illogique que ceux-là rééditent les mêmes pratiques que celles du pouvoir qu’ils dénoncent», a-t-il affirmé, tout en appelant à ne «pas punir tout responsable qui a servi le pays avec abnégation quand bien même il l’aurait fait sous un régime défaillant».

Driss Djazaïri rappelle que «de nombreuses révolutions ont connu une situation pareille, lors de laquelle des pans entiers de la société subissent la persécution, ce qui conduit à une détérioration de la situation économique et sociale permanente qui s’aggrave avec le départ forcé des talents et des experts vers l’étranger». Il en veut pour exemple le cas irakien après l’invasion américaine qui s’est soldée par le bannissement par les forces d’occupation de toutes les compétences qui avaient servi sous le règne de Saddam Hussein. «Cela a eu pour conséquence une décadence dont l’Irak continue de souffrir à ce jour», a-t-il expliqué.

Insistant sur la nécessité impérieuse de préserver l’unité du peuple et de la nation, Driss Djazaïri appelle à une solution «consensuelle» et exhorte les citoyens à «éviter la vengeance et les règlements de comptes». «Il ne faut pas considérer l’idée selon laquelle une décision contre Untel ou tel autre serait l’alternative à la stratégie de sortie de crise», a-t-il conclu, tout en souhaitant que la «modération» l’emporte car cette dernière, non seulement «représente la véritable force et le vrai courage chez ceux qui ont souffert de l’injustice» mais «constitue une des grandes vertus de l’islam».

H. A.


Usage de la force contre la révolution populaire : le parti de Benflis met en garde

Le bureau politique du parti d’Ali Benflis, Talaie El-Hourriyet, «met en garde les autorités publiques contre la tentation du recours à la force contre la révolution populaire».

«Malgré toutes les provocations, la révolution est demeurée foncièrement pacifique depuis le début des marches. Le devoir des éléments de la sûreté publique est de protéger les manifestants contre toute tentative de provocation et de menace à leur sécurité et non de réprimer les manifestations pacifiques», souligne cette formation politique qui dit constater «avec inquiétude, l’impasse politique générée par la mise en œuvre exclusive de l’article 102 de la Constitution comme solution de sortie de crise».

«L’échec consommé de l’élection présidentielle, initialement prévue le 4 juillet, que le peuple a rejetée, considérant ses conditions de déroulement inappropriées et inacceptables, commande, impérieusement, le recours à la voie politico- constitutionnelle», ajoute le parti de Benflis qui appelle dans ce sillage à «l’ouverture d’un dialogue pour dégager, dans les meilleurs délais, une solution politique consensuelle qui réponde aux aspirations du peuple et évite à notre pays un vide constitutionnel, politique et institutionnel, aux conséquences imprévisibles, au terme du mandat constitutionnel de la présidence de l’Etat».

Le bureau politique de Talaie El-Hourriyet rappelle les conditions de succès de ce dialogue, «à savoir des interlocuteurs crédibles qui recueillent l’assentiment populaire, un cadre adéquat et un objet clair, pour ne pas s’exposer à la réédition du fiasco du 22 avril 2019, précisément parce que ces conditions n’étaient pas réunies».

Le parti de Benflis estime que «les figures emblématiques du régime, encore à la tête des principales institutions de l’Etat, récusées par la révolution populaire, sont disqualifiées comme interlocuteurs pour un tel dialogue. La partie invitante à ce dialogue doit être d’une autorité morale et politique incontestable et irrécusable».

Aussi, poursuit cette formation, «le dialogue doit réunir les représentants de la révolution populaire et de la société civile et ceux des partis et personnalités nationales qui se sont illustrés dans la lutte contre l’ancien régime et ont soutenu la révolution populaire pacifique depuis ses débuts».

«Un tel dialogue doit, également, viser un plan global de règlement de la crise, assurant au pays une continuité institutionnelle transitoire jusqu’à l’élection du prochain président de la République avec, notamment, la création d’une instance indépendante pour l’organisation, la supervision et la surveillance de cette élection jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin», soutient ce parti pour lequel «l’objectif final de ce dialogue doit être l’élection du président de la République dans des conditions qui lui confèrent toute la représentativité, la crédibilité et la légitimité pour mener à bonne fin son mandat qui sera, de toute évidence, le mandat de la transition démocratique véritable à laquelle notre peuple aspire».

Le bureau politique de Talaie El-Hourriyet «note, avec intérêt, une prolifération d’idées et de propositions émanant de partis politiques et personnalités nationales, d’académiciens et de chercheurs dans différentes sphères d’activité en vue de contribuer à la recherche d’une sortie de crise qui réponde aux aspirations du peuple». Il estime que l’appel pour un règlement consensuel de la crise lancé par Ahmed-Taleb Ibrahimi, Ali Yahia Abdenour et Rachid Benyelles «s’inscrit clairement dans cette perspective et mérite toute l’attention, eu égard à la qualité morale et au parcours historique et politique de ses auteurs».

Le parti de Benflis se dit «convaincu que l’Armée nationale populaire a un rôle important à jouer dans ce dialogue pour une sortie de crise, comme accompagnatrice et facilitatrice et comme garante de la mise en œuvre de la feuille de route qui sera adoptée, par consensus, par les partenaires à ce dialogue».

M. S.

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