L’Europe : Accusée de tous les maux, mais qu’en est-il réellement ?

par Daniel MARTIN

A la veille des élections Européennes, de nombreux citoyens s’interrogent sur l’utilité de cette élection, mais également de l’utilité de l’union Européenne, dont ils considèrent qu’elle est responsable de presque tous les Maux dont souffre notre pays. Est-ce vraiment la réalité ?

Quelques rappels

Au départ, l’Europe, ce n’est rien d’autre qu’un groupe de pays qui ont décidé de mutualiser leurs forces dans divers domaines sur la base de traités (d’abord l’économie, puis institutionnel et pour une partie d’entre eux, la monnaie). Ils ont créé une instance : la Commissionchargée de faire respecter les textes signés par tous (elle est la « gardienne des traités ») et de défendre l’intérêt collectif. L’instance, avec son président (actuellement le très controversé Jean-Claude JUNCKER ) et ses 28 commissaires (chargés chacun d’un domaine, économie, pêche, culture, etc.) tient, pour prendre une référence politique nationale, du pouvoir exécutif.

Elle a aussi l’initiative des lois européennes (appelées « directives » ou « règlements »). Car pour être acceptée par tous, une loi ne peut venir d’un Etat particulier, mais d’une institution neutre. Cependant, elle ne peut proposer des textes que s’ils entrent dans le cadre de la politique générale fixée par le Conseil européen, qui réunit périodiquement tous les chefs d’Etat et de gouvernement des 27 (ou 28 avec le Royaume-Uni) et qui décide des orientations du moment. Surtout, elle propose des textes mais ne les adopte pas. Le rôle revient aux deux autres côtés du « triangle institutionnel européen » : le Conseil de l’Union, qui réunit les différents ministres des Etats, et le Parlement, qui représente le peuple européen.

Accuser sans cesse l’Europe de tous les maux, n’est-ce pas se tromper de cible ?

Contrairement à ce que prétendent les anti-Européens, mais aussi souvent des gouvernements ou certain(e)s responsables politiques nationaux, ravis de se défausser en cas de mesures impopulaires qu’ils prennent ou soutiennent, tout ce qui nous est prétendument imposé par Bruxelles a en fait été décidé par des gouvernements et des députés. Par ailleurs, ultime garantie démocratique, cette Commission est investie par le Parlement et travaille sous son contrôle. Avec le vote des 2/3 de ses députés, il peut la renverser.

Les rapports de force entre Etats pour des « marchandages de tapis » sont-ils déterminants et dans ce cas est-ce bien l’Allemagne, le pays dominant, qui dirige tout ?

On pourrait évacuer cette idée-là en disant qu’elle relève de la vieille ficelle Germanophobe dont raffolent nos grands « Eurosceptiques », plus enclin à des replis nationalistes – populistes identitaires. L’exemple du Rassemblement National de Mme. LE PEN qui osait faire croire, en janvier, que la France allait « vendre l’Alsace-Lorraine » à Berlin !… Est-il raisonnable de fustiger ainsi un grand pays démocratique avec qui nous sommes alliés pour faire le jeu de POUTINE et TRUMP dont le but évident est de diviser les Européens pour les affaiblir ? Dans la compétition économique des espaces intercontinentaux où l’Europe est la seconde puissance derrière les USA, devant la Chine et la Russie (également en terme d’impact écologique), mais reste le maillon faible sur le plan politique. L’entente TRUMP-POUTINE, chacun avec leur style différent ont un objectif commun : celui de déstabiliser l’Europe pour éliminer un concurrent.

On ne peut toutefois nier la réalité : Oui, l’Allemagne est aujourd’hui le pays dominant et de fait la grande bénéficiaire de l’Europe telle qu’elle est. Comme on peut tous le constater, avec l’euro fort qu’elle a contribué à imposer, elle réussit à accumuler des excédents vertigineux ? N’a-t-elle pas profité de l’élargissement pour faire des pays de l’Est son arrière-cour ? Ne réussit-elle pas, du haut de sa puissance économique, à contrôler ou empêcher toute réforme ? C’est vrai aujourd’hui. Pourquoi serait-ce définitif ? Le propre des unions est que les équilibres peuvent changer. L’Allemagne est incontestablement la grande force économique de l’UE. Mais, avec le départ des Britanniques, la France, malgré son alignement inconditionnel à la politique étrangère des USA et sa crédibilité mise à mal sur le plan international, notamment au moyen Orient, reste toutefois en position de force diplomatique et militaire au sein de l’Europe. L’Allemagne ne peut pas se passer de notre puissance. Elle a autant besoin de nous que nous avons besoin d’elle.

Il est aussi évident que la perte de la maîtrise monétaire des Etats ne va pas sans poser des problèmes

Si un gouvernement cherche à relancer l’économie en y dépensant de l’argent public, la Commission viendra le rappeler à l’ordre : avec la monnaie unique, vous avez interdiction de faire dépasser votre déficit de plus de 3 % du PIB. L’euro présente des avantages : d’une part, Il facilite le commerce, puisqu’il a supprimé tous les risques de change entre les pays qui l’ont adopté. D’autre part, au plan mondial, Il tient son rang face au dollar et il a prouvé sa solidité en survivant à la crise de 2008.Mais il a aussi deinconvénients, d’ailleurs, des économistes tout à fait proeuropéens le reconnaissent : Avec l’euro, nos gouvernements ont perdu la maîtrise de la politique monétaire, désormais gérée par la Banque centrale Européenne (BCE) de Francfort. Par exemple, ils ne peuvent plus faire baisser le cours de la devise pour stimuler les exportations, ou augmenter le taux d’intérêt auquel on emprunte l’argent pour freiner l’économie en cas de surchauffe.

A cause des limitations imposées du déficit et de la dette, les gouvernements ont aussi sacrifié en grande partie leur politique budgétaire. Le principe peut se comprendre. L’euro est une sorte de club monétaire où aucun membre ne peut dilapider comme il l’entend un bien qui appartient aussi à d’autres. Cela contribue à accentuer un paradoxe. L’euro, pensé pour faire converger les économies, réussit surtout à les faire diverger  : il y a celles qui se portent comme des charmes (dans le Nord) et celles qui, après des années d’austérité forcée par ce carcan monétaire, semblent dévisser de plus en plus (dans le Sud).

Faudrait-il pour autant revenir à nos monnaies nationales ?

Il est évident que plus personne, excepté quelques agités du « Frexit », ne défend cette hypothèse, fort risquée. Sortir de l’euro, c’est la garantie de catastrophes dont on aurait du mal à se remettre : l’effondrement du cours de la nouvelle monnaie par rapport à l’ancienne ruinerait les épargnants, ferait flamber les prix de tout ce qu’on importe, et exploser les taux auxquels on emprunte. Que faire ? Pour quelques économistes, dont Thomas PIKETTY, le seul moyen serait de doter le club d’un véritable budget qui lui soit propre, assorti d’un Parlement spécifique pour le voter et le contrôler. Cela permettrait d’engager des politiques de relance à l’échelle de toute la zone. Emmanuel Macron lui-même avait parlé, après son élection, de « budget de l’euro ». L’Allemagne et ses amis du Nord, craignant les paniers percés du Sud, disent officiellement en accepter le principe et freinent des quatre fers pour qu’il ne voie pas le jour.

Mais pourquoi les Etats ne retrouveraient-ils pas leur la maîtrise monétaire, n’y a-t-il pas des aberrations ?

La BCE est totalement indépendante, ni elle même, ni les banques centrales nationales de l’Eurosystème, ni les membres de leurs instances de décision ne peuvent solliciter ou accepter d’instructions d’un autre organisme. Les institutions de l’Union européenne et les gouvernements des États membres sont également tenus de respecter ce principe.

Les Etats pourraient très bienmodifier les dispositions du traité pour mettre fin à l’indépendance de la BCE et des banques centrales nationales, ainsi que reprendre leur souveraineté monétaireSous réserve de la mise en place d’une autorité Européenne de contrôle pour éviter la dérive de la planche à billet, rôle qui pourrait être attribué à la BCE,Ils pourraient égalementreprendre le droit d’émission de la monnaie,ainsi que d’imposer la spécialisation bancaire. Autrement dit, Interdire aux banques de dépôt de spéculer par des opérations boursières. Pour les opérations boursières il y a des banques d’affaires. A cet effet, en France, la réforme qui fut, au début du quinquennat de François HOLLANDE, fait par MOSCOVICI n’a pas séparé réellement sur le plan juridique les banques de dépôt et les banques d’affaires.

On pourrait aussi abroger l’article 123 du traité de Lisbonne qui stipule : « 1. Il est interdit à la banque centrale Européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales », d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par centrale européenne ou les banques centrales nationales des instruments de leur dette est également interdite »

En clair les états signataires s’interdisent de se financer directement à taux zéro auprès de leur banque centrale ou de la BCE et sont obligés de s’adresser aux banques privées qui leur proposent les taux qu’elles décident tout en se finançant actuellement elles mêmes à un taux quasi nul, voire à taux négatif auprès de la BCE, un comble !

Cette situation est identique pour tous les pays du monde occidental et dure en France depuis 1973.
certains considèrent qu’il s’agit d’un véritable coup d’état financier.

Dès lors que les Etats ont conservé leur maîtrise économique, encore qu’ils ne peuvent pas faire totalement ce qu’ils veulent par rapport à la concurrence et bien que que toutes ces dispositions soient possible, cela nécessiterait une révision des traités, voire des référendums dans les pays membre, mais là, actuellement n’est-ce pas mission impossible ?

Autre sujet controversé : en cas de crise financière ce sont toujours les Etats qui servent « de filets de sécurité »

Il y a crise financière, quand les banques ont toutes besoin de liquidités au même moment, sans parvenir à s’équilibrer entre elles et que les crédits qu’elles ont consentit ne sont plus remboursés, le pays connaît une crise de liquidités. C’est ce genre de phénomène qu’ont connu les banques Américaines au cours de l’été 2007 sous le nom de crise des ‘’subprimes’’et qui a entraîné dans ses sillons la crise financière que l’on a connu en 2008 et qui s’est à nouveau imposée depuis 2011.

Il a bien les banques centrales, mais que peuvent-elle faire ? Tout d’abord il faut se convaincre qu’elles ne vont pas pouvoir, ni à court ni à moyen terme, agir sur les causes de la crise qui dépasse largement leur périmètre d’action. Par contre les outils dont elles se sont dotées peuvent leur permettre d’assouplir les tensions constatées sur le marché monétaire.

 Dans l’immédiat, provisoirement les banques centrales peuvent se substituer au marché interbancaire, bloqué, pour fournir davantage de liquidité. Ces actions à court terme visent à rétablir la confiance au sein du marché interbancaire, mais il ne faut pas oublier que Lorsque les rouages se grippent ainsi et que tout le système est sur le point de s’effondrer, il y a désormais le filet de sécurité des états qui n’hésitent pas à injecter des Milliards d’euros… ou de dollars… Empruntés, notamment en Europe sur les marchés Financiers à des banques privées à des taux d’intérêts toujours supérieurs à ceux que ces Banques ont empruntées aux banques centrales. Bien curieuse conception du libéralisme économique !…

Quand on sait par ailleurs que les mêmes Etats qui vont devoir emprunter sur les marchés financiers sont à la limite du dépôt de bilanet que l’on ne cesse de demander des sacrifices à la population, alors que les banques vont ainsi se refaire une santé financière et n’hésiteront pas à annoncer des bénéfices à Milliards d’euros…Telles en France pour 2010, la BNP près de 8 Milliards, la Société générale 5 Milliards… C’est à nouveau le règne tout puissant des traders et leurs bonus exorbitants…Jusqu’à la prochaine crise et tout recommencera…Sauf qu’à force de répétition, le système risque un jour un effondrement généralisé…

Les Lobbys sont également un problème récurrent que l’on ne peut nier, mais qui n’est pas une exception Européenne

A Bruxelles, il y a environ 44 000 fonctionnaires (33 000 à la commission, 7500 au parlement, 3500 au Conseil, dont 6000 Français). On estime parfois à plus de 30 000 le nombre des lobbyistes. Certes, le mot recouvre des réalités diverses avec des « lobbyistes » aux objectifs différents, souvent opposés . A Bruxelles on va trouver, un syndicaliste, le représentant d’une région, ou le militant d’une association écolo. Mais aussi ceux qui défendent les intérêts de la grosse industrie et ils sont particulièrement doués. Ils ne sont dans la capitale européenne que pour « éclairer » les parlementaires ou la Commission, plaident-ils. En 2015, la très officielle Agence Européenne de Sécurité des Aliments rassure la Commission qui doit autoriser ou interdire le célèbre glyphosate : aucun danger ! Deux ans plus tard, on apprend que son rapport était constitué de petits textes écrits par MONSANTO qui commercialise le produit. Que dire des congrès de partis européens financés par des industriels ? Et des anciens commissaires qui se recyclent dans le privé pour y utiliser sans se gêner le carnet d’adresses rempli au service de l’Europe ?

Oui, le lobbying est un gros problème dans l’Union. Est-il seulement un problème européen ? Aux Etats-Unis, c’est pire, et en France, pas mieux. On peut se rassurer en se disant que l’échelon européen n’est pas le plus mauvais pour lutter contre cette dérive déplorable. L’affaire du  » rapport MONSANTO  » a été sortie par une ONG Autrichienne et relayée par de grands journaux Européens. Au sein même du Parlement de Strasbourg, de nombreux députés (dont des socialistes et des Verts) s’efforcent d’agir contre les pratiques les plus scandaleuses. Ils ont réussi à faire voter un texte qui oblige tous les parlementaires européens à rendre publics leurs rendez-vous, pour qu’on sache au moins qui ils ont rencontré avant de voter.

Immigration : l’Europe serait une passoire, qu’en est-il réellement ?

En 2015, plus d’un million de réfugiés avec des Syriens en grand nombre fuyant la guerre déferlent sur la Grèce et les Balkans,. Ils cherchent asile dans la vieille Europe. Dans l’urgence, la Commission propose une solution : pour ne pas laisser la Grèce seule face à cette masse de réfugiés désemparés, elle prévoit de les répartir dans tous les Etats membres, selon des quotas. Viktor ORBAN, le Premier ministre nationaliste de Hongrie, refuse et bloque tout. Du coup, seuls quelques pays, à commencer par l’Allemagne d’Angela Merkel, leur ouvrent les bras avant, quelques mois plus tard, de devoir reconnaître les limites de cette politique. En mars 2016, un accord est signé entre l’Union et la Turquie : on paie ERDOGAN pour s’occuper des réfugiés afin qu’ils ne viennent pas chez nous. Mais ça passe toujours avec les drames en mer que l’on déplore tristement.

Dès lors, la tactique des partis « nationalistes – populistes » est simple. Elle consiste à faire croire que l’Europe faible et inefficace de Bruxelles est une « passoire »ce qui est faux, et se présenter comme les seuls capables de faire face au « déferlement », ce qui est également faux. Il va de soi que cracher constamment sur l’Europe (rappelons que donner l’asile fait partie des devoirs de toute démocratie) n’empêche nullement les dirigeants hongrois ou polonais d’empocher les généreuses subventions accordées par Bruxelles à leurs pays. Jusqu’à quand les Européens vont-ils accepter de se faire traiter ainsi sans réagir ? au même titre que la question centrale de l’écologie, avec la démographie et les problèmes d’espace par l’artificialisation des sols, ce sera la grande question qui se posera au prochain Parlement et à la prochaine Commission.

Pour conclure

Au moment où l’Europe est en péril par la faute des politiques libérales et du rôle joué par les technostructures, il serait suicidaire que chacun des Etats de l’UE se replie sur lui même en se jouant une musique « nationaliste populiste » aux relents parfois fascisants. N’oublions pas ce vieil adage populaire de bon sens qui dit qu’à plusieurs on est toujours plus fort que seul et isolé des autres…


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