Retour sur les armes françaises qui tuent au Yémen : autopsie d’un scandale

Par Mesloub Khider

 Cachez ces informations que je ne veux point dévoiler. La France se découvre soudainement pudique en matière de dévoilement d’informations relatives à son immonde commerce des armements. Pourtant, longtemps, pour vendre ses engins de mort, le complexe militaro-industriel français exhibait de manière obscène sa technologie meurtrière devant les caméras et les journalistes du monde entier. Au reste, ces journalistes lui servaient, notamment lors de l’organisation des salons de l’armement, de VRP chargés de vanter dans leurs périodiques les performances du matériel militaire de fabrication française, notamment le Rafale, le Jaguar et autres fleurons funèbres.

Au reste, ce marché de la mort est très fructueux. Les ventes d’armes constituent des ressources importantes pour la France. Ces ventes d’armes de la France «démocratique» ne cesse d’augmenter. Ses commandes d’armes à l’exportation ont progressé de plus de 30% en 2018, atteignant le chiffre de plus de 9 milliards, contre 6,9 milliards en 2017. Déjà, en 2015 et 2016, la France avait réalisé respectivement 16,9 milliards et 13,9 milliards de commandes d’armes. Parmi ses meilleurs clients figurent les pays du Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite. Or, ce pays musulman, connu pour sa piété, livre avec dévotion, dans le cadre d’une coalition de pays sunnites réputés pour leur respect des principes islamiques, depuis 2015, une guerre sainte exterminatrice contre le Yémen, pays musulman et extrêmement pauvre. Et cette guerre génocidaire est perpétrée au moyen de l’équipement militaire de pointe vendu par les principales puissances impérialistes occidentales : les Etats-Unis, l’Angleterre et la France.

Or, quoique l’information sur l’utilisation des armes françaises par l’Arabie Saoudite au Yémen ait filtré depuis le début du déclenchement de la guerre, la France a toujours refusé de le reconnaître.

Aujourd’hui, la France ne peut plus persévérer dans la dénégation. En effet, le 15 avril dernier, l’organisation journalistique Disclose a publié un document classifié rédigé en octobre 2018 par la Direction de la sécurité de l’armée à l’intention du président Macron et des principaux ministres. Ce document apporte des informations précises sur l’utilisation d’armes françaises par l’Arabie Saoudite au Yémen, notamment des chars, des missiles et des systèmes de guidage laser. Ce document fournit la preuve du mensonge de nombreux dirigeants français, notamment la ministre des Forces armées, Florence Parly, quant à l’usage des armes françaises dans les crimes de guerre au Yémen.

Sans surprise, quelques jours après la publication du rapport par le Disclose, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a convoqué trois journalistes impliqués dans la diffusion du document pour un interrogatoire. La DGSI a signifié aux «accusés» qu’une enquête était ouverte en vertu des lois sur le «terrorisme et les attaques contre la sécurité nationale».

Comme l’a écrit Disclose : «Ceci prive les journalistes de Disclose des protections garanties par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La police a cherché à les contraindre à identifier leur source.» «La formulation des questions avait pour seul objectif de violer les protections fondamentales du droit de la presse au secret des sources, élément essentiel de la liberté de la presse.» «Avant d’exercer leur droit au silence, Mathias Destal et Geoffrey Livolsi ont donc déclaré aux enquêteurs qu’ils agissaient dans leur mission d’information du public.»

Quoi qu’il en soit, le gouvernement Macron s’apprête probablement à porter plainte contre ces journalistes, conformément à la loi extraordinaire adoptée en juillet 2009 sur «la sécurité des secrets de la défense». Cette loi interdit d’entrer en possession, de «détruire» ou de «porter à la connaissance du public» tout document jugé sensible par l’Etat français. Cette «infraction» est passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 5 ans et d’une amende de 75 000 euros.

Pourtant, dans sa déclaration, Disclose note : «Les documents confidentiels révélés par Disclose et ses partenaires présentent un intérêt public majeur. Celui de porter à la connaissance des citoyens et de leurs représentants ce que le gouvernement a voulu dissimuler. Ils sensibilisent les citoyens et leurs représentants à ce que le gouvernement a cherché à dissimuler. A savoir des informations indispensables à la conduite d’un débat équilibré sur les contrats d’armement qui lient la France aux pays accusés de crimes de guerre.»

A l’évidence, ces méthodes d’intimidation de l’Etat français s’inscrivent dans le cadre de l’entreprise de «répression journalistique» conduite par les principales puissances occidentales en vue de criminaliser l’action d’alerte de la population et de la liberté d’information. En effet, ces pressions judiciaires de l’Etat français s’intègrent dans le prolongement des persécutions du journaliste Julian Assange et de la lanceuse d’alerte Chelsea Manning.

Assurément, dans la perspective de ses prochaines imminentes guerres exterminatrices, le pouvoir français affine ses armes judiciaires répressives contre l’ensemble de sa population insoumise et une frange des médias dissidents, opposés au militarisme et aux entreprises guerrières tricolores. De toute évidence, par ses dernières lois sécuritaires votées au cours du mouvement des Gilets jaunes, tout comme par ses méthodes d’intimidation contre les journalistes, le gouvernement français prouve sa volonté d’ériger un Etat policier pour museler et réprimer toute opposition.

Le rapport de Disclose démontre que l’Etat français a violé le droit international en matière de vente d’armes. En effet, la France a vendu des armes à l’Arabie Saoudite en sachant qu’elles seraient utilisées dans des crimes de guerre.

Curieusement, par une inversion accusatoire, ce sont les journalistes, auteurs de la divulgation de l’information portée à la connaissance de l’opinion publique, qui sont accusés de porter atteinte à la sécurité nationale et seraient donc passibles de poursuites judiciaires. Pourtant, c’est l’Etat français, qui est coupable de complicité de crimes contre l’humanité, qui porte atteinte au droit international et à l’éthique universelle humaine. Pour ses forfaits scélérats commis par cupidité, c’est la France qui devrait être déférée devant le TPI.

Egale à elle-même, hostile à toute repentance pour ses nombreux crimes, la France, par la voix de sa ministre des Forces armées, confirme son arrogance, son indécence et son cynisme. En effet, lors d’une audience de la Commission des services armées et de la défense nationale tenue à l’Assemblée nationale, la ministre Florence Parly a défendu le droit de la France à vendre des armes à l’Arabie Saoudite, mais aussi aux pays coupables de crimes de guerre.

«Une fois la guerre déclenchée, quand nos partenaires utilisent la force d’une manière qui ne nous paraît pas compatible avec le droit international humanitaire, nous ne manquons pas de le leur dire. Devrions-nous pour autant cesser toute vente d’armement à ces pays et interrompre le service des équipements déjà fournis ? Je crois plutôt que dans cette situation, il nous faut exercer notre discernement», a-t-elle déclaré lors de cette audience. Elle a ajouté : «Par ailleurs, ce serait porter un coup sérieux à la réputation de la France auprès de ses clients, en donnant l’impression qu’elle peut lâcher ses partenaires en cours de route si elle désapprouve telle ou telle de leurs actions. Enfin, ce serait fragiliser tout un écosystème industriel et technologique dans notre pays, qui dépend de nos contrats à l’exportation.»

La leçon de la ministre est claire : quel que soit l’usage des armes vendues par la France, l’important est de soutenir et de fructifier le capital du complexe militaro-industriel français.

M. K.

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