Huawei acquiert des technologies russes de reconnaissance faciale

03.06.2019

Vedomosti

Le fabricant chinois a acheté des brevets et débauché l’équipe de concepteurs de l’entreprise russe Vokord se spécialisant sur la vidéosurveillance et la reconnaissance faciale. Ce contrat a été révélé à Vedomosti par une source informée des conditions de l’accord et connaissant un actionnaire de l’entreprise russe.

Selon le Registre public unifié des personnes morales, Huawei Digital Technologies Co. Ltd (Hong-Kong) et sa filiale russe ont acquis la société Igl Softlab, qui avait acheté les brevets et les équipements de l’entreprise russe Vokord, indique à Vedomosti une source proche d’une partie du contrat, dont les propos sont confirmés par une personne connaissant ses conditions.

Qui plus est, la plupart des collaborateurs de Vokord devraient rejoindre Igl Softlab. L’acquisition de la propriété intellectuelle et d’une partie de l’équipe de Vokord par Huawei a été également confirmée par une source au sein d’une entreprise concevant des technologies biométriques. Le quotidien Kommersant avait déjà souligné l’intérêt de Huawei pour la société russe fin janvier 2019.

L’entreprise Igl Softlab a été fondée en décembre 2018 par deux associés ayant les mêmes noms de famille que le directeur technique de Vokord, Alexeï Kaïdechvili, et le copropriétaire de l’entreprise Viatcheslav Kouzmitchev: Lioubov Kaïdechvili (elle possédait 23,6% avant le récent accord) et Vladimir Kouzmitchev (6,43%). Parmi les autres actionnaires figurent notamment les fondations S-Group Ventures (17,67%, gérée par Severgroup d’Alexeï Mordachov) et Lider-innovatsii (44,17%, société de gestion Lider), qui sont en même temps les principaux propriétaires de Vokord Softlab. Igl Softlab avait également au moins 14 actionnaires minoritaires, dont au moins six étaient collaborateurs de Vokord selon les informations des réseaux sociaux, des publications et des brevets. Oleg Guenine, un autre ancien actionnaire minoritaire, est actuellement directeur général de Vokord Softlab. Le 17 mai, ils ont tous vendu leurs titres au nouveau propriétaire.

Un représentant de Huawei a confirmé que Huawei Hong-Kong et Huawei Russie étaient devenus propriétaires d’Igl Softlab, sans pourtant préciser les détails du contrat. Alexeï Kaïdechvili, Oleg Guenine et des représentants de Severgroup et de Lider-innovatsii se sont abstenus de tout commentaire.

L’entreprise Vokord a été fondée en 1999 et s’occupe de la conception de caméras et de logiciels dans le domaine de la reconnaissance faciale, de la vidéosurveillance et de l’enregistrement des infractions au code de la route. Elle a obtenu en 2011 une bourse de 20 millions de roubles (270.000 euros) dans le cadre du projet Skolkovo. Selon les données publiques, elle dispose de 11 brevets d’équipements et de 6 brevets de logiciels. La société a déposé le 1er avril une demande d’aliénation de ses droits de propriété intellectuelle en faveur d’une entité inconnue. Selon le site de Vokord, la liste de ses clients comprend le ministère de l’Intérieur, des banques et des réseaux de distribution.

Qui plus est, un algorithme de reconnaissance faciale de Vokord a gagné en 2016 la première place au test Megaface de l’Université de Washington (les participants devaient reconnaître des visages de personnes réelles parmi un million de photos «distrayantes») avec un résultat de 75,1%. Aujourd’hui l’entreprise atteint plus de 91,76% de précision mais elle a déjà été dépassée par trois dizaines de concurrents. Aujourd’hui, le top-3 de Megaface est constitué par des sociétés chinoises.

Huawei a évalué Vokord à 40-50 millions de dollars, estiment deux sources de Vedomosti. Les Chinois ont étudié beaucoup d’entreprises russes sur le marché de la vidéosurveillance et de l’analyse des images, affirme Kirill Belov, partenaire de la fondation Impulse VC. La Chine enregistre un essor des systèmes de reconnaissance faciale, et une start-up de pointe russe dans ce domaine coûte plusieurs dizaines de fois moins cher qu’une américaine.

Vokord détient quelques pourcentages du marché de la reconnaissance faciale en Russie, explique un dirigeant d’une entreprise concevant des technologies biométriques. Huawei pourrait donc profiter de cette acquisition pour élargir rapidement son équipe de collaborateurs qualifiés sur le marché russe, stratégique pour l’entreprise chinoise.
Les leaders du marché russe des systèmes de reconnaissance faciale sont évalués à 50 voire 100 millions de dollars, alors que Vokord en coûte moins de 50 millions. «Autrement dit, Huawei a trouvé un acteur relativement peu cher offrant un portefeuille technologique complet», fait remarquer Kirill Belov.

Huawei dispose déjà de son propre algorithme de reconnaissance faciale, mais l’entreprise chinoise pourrait s’intéresser aux smart caméras HD de Vokord qui sont le principal produit de la société russe, estime Alexandre Minine, directeur général de NtechLab, un autre concepteur russe de systèmes de reconnaissance faciale.

La corporation chinoise pourrait s’avérer un actionnaire problématique: le ministère américain du Commerce a introduit mi-mai des sanctions interdisant aux entreprises américaines de travailler avec Huawei. Selon les médias, cela pourrait notamment concerner Google, ainsi que les producteurs des puces électroniques tels que Qualcomm, Intel ou AMD.

Le contrat avec Huawei pourrait donc priver Vokord d’accès au marché occidental, mais il est peu probable que l’entreprise ait eu des accords importants aux États-Unis, fait remarquer Alexandre Tchatchava, gérant de la fondation Leta Capital. Qui plus est, elle obtiendra désormais un partenaire fort sur le marché chinois qui est plusieurs fois plus important que le marché russe. Vokord a annoncé en 2016 sa volonté de s’installer sur les marchés américain et canadien, mais n’a pas rapporté les résultats de ses projets d’expansion. La société a pourtant présenté le bilan de son travail en Inde et en Indonésie.

Comme Huawei est obligé de réduire ses centres de recherche aux États-Unis et qu’il y a un déficit d’experts de la reconnaissance faciale dans le monde entier, l’acquisition des technologies et de l’équipe de Vokord est une initiative logique, souligne Dmitri Dyrmovski, directeur général du groupe TsRT. Dans tous les cas, les algorithmes de Vokord ont obtenu de bons résultats aux tests du National Institute of Standards and Technology aux États-Unis, rappelle-t-il.

Les opinions exprimées dans ce contenu n’engagent que la responsabilité de l’auteur de l’article repris d’un média russe et traduit dans son intégralité en français.


24.06.19

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«Techniquement nous sommes prêts»: l’opérateur russe MTS

commente l’accord avec Huawei sur la 5G

Aliya Zaripova

Où en est la réalisation de l’accord entre l’opérateur russe MTS et Huawei sur la 5G ? Le vice-président de la compagnie russe se confie à Sputnik.

Signé par Huawei et l’opérateur russe MTS l’accord pour le développement des technologies 5G en Russie a fait réagir la presse mondiale. Ainsi la chaîne américaine CNN a mis en garde que «Huawei permettrait à la Russie de devancer l’Amérique». Sputnik s’en est interrogé avec un haut responsable de la compagnie russe en question.

En marge du 2e Congrès international de cybersécurité Valery Shorzhine, vice-président de MTS, a confié que l’accord passé avec le géant chinois permettrait à la Russie de surtout gagner en expérience et d’obtenir des solutions ainsi que du matériel de Huawei. Il est ainsi question de l’utilisation par Huawei de l’infrastructure de MTS, du développement de son réseau commercial LTE, du lancement de zones de tests et de réseaux pilotes 5G incluant les infrastructures.

Valery Shorzhine, vice-président de MTS
Valery Shorzhine, vice-président de MTS © SPUTNIK . ALIYA ZARIPOVA

«Techniquement, nous sommes prêts, c’est-à-dire que l’équipement que nous achetons déjà convient à la 5G», a expliqué l’expert.

Ce qu’il reste à régler entre les sociétés russe et chinoise relève de la mise au point. La question des fréquences pour la 5G est aussi ouverte. La discussion porte également sur le schéma de lancement de la technologie et du nombre d’opérateurs impliqués.

Dans le contexte de la course technologique entre la Chine et les USA, il était plus facile de coopérer avec les Chinois dans le domaine des technologies 5G car Huawei était moins dépendante des États-Unis dans le développement de ce réseau.

«Nous évaluons sobrement les risques liés aux sanctions imposées à Huawei dans différents domaines, car Huawei est moins dépendante de la technologie américaine dans certaines questions. De manière générale, nous considérons qu’en ce qui concerne la 5G, ils (Huawei) sont moins dépendants, car ils utilisent leurs propres technologies», estime-t-il.

Sur fond d’inquiétudes quant au danger de la 5G pour la santé évoqué par des experts, le représentant de MTS reste optimiste. Selon lui, la nouvelle génération réseau n’est pas plus nuisible que les technologies 3G ou 4G.

«Il y a le risque de radiophobie: les gens utilisent des fours à micro-ondes et personne ne pense à leur santé», a-t-il souri. «Le réseau 5G devient même plus dense, c’est-à-dire que la puissance de rayonnement diminue constamment. Comme les stations de base sont plus fréquentes, vous avez besoin de moins d’énergie pour passer de votre téléphone à la station de base», a ajouté M.Shorzhine. «les gens se plaignent le plus souvent de la proximité des stations de base, quand ils les voient. Mais en fait, ils reçoivent une plus grande dose de rayonnement de leur téléphone, et plus la station de base est éloignée du téléphone, plus les dommages, respectivement, sont considérables».

L’accord de développement des technologies 5G en Russie a été signé par Huawei et MTS à la veille du Forum économique international de Saint-Pétersbourg 2019. La cérémonie officielle s’est déroulée au Kremlin en présence des chefs d’État Vladimir Poutine et Xi Jinping.


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