France-Serbie / retour sur plusieurs mois de vexations

Après l’annulation de la visite du président serbe en France, le spécialiste des Balkans Alexis Troude revient sur les derniers mois des relations entre Paris et Belgrade marquées par les brimades diplomatiques sur fond de tensions avec le Kosovo.

Le 2 juillet, Emmanuel Macron devait recevoir à Paris le président de Serbie Aleksandar Vucic. Ce dernier a finalement refusé de venir à Paris, répliquant que les autorités kosovares et l’Union Européenne, le garant des discussions, ne respectent pas leurs engagements. Après de nombreux efforts diplomatiques, la Serbie a donc décidé de ne pas se rendre à Paris.

Pour saisir cette décision de Vucic, il faut comprendre que les vexations ont été nombreuses. A l’occasion des commémorations du 11 novembre 2018, le président de Serbie avait été relégué au troisième rang, alors que les présidents de pays ennemis (Turquie, Allemagne, Bosnie) ou inexistant en 1918 (Kosovo) étaient placés au premier rang ou aux côtés d’Emmanuel Macron.

En décembre 2018, la politique très habile des Albanais du Kosovo a abouti à l’installation du drapeau albanais, aux côtés de nombreux drapeaux des pays vainqueurs de la Première guerre mondiale, à l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Cela est d’autant plus tragique que c’est au sein de cette même cathédrale, siège des rois de France, qu’en juin 1389, les cloches ont retenti pour saluer les premières victoires serbes contre l’envahisseur ottoman !

Les 250 000 Serbes et 60 000 Roms expulsés de leur terre natale par ces mêmes autorités depuis 1999 seront contents de savoir que «la paix règne au Kosovo»

Enfin, en mai 2019, les autorités auto-proclamées de Pristina ont réussi à inverser totalement le sens de l’histoire. Grâce à la bénédiction du gouverneur militaire des Invalides et d’un appui au gouvernement français, l’ambassadeur du Kosovo à Paris a réussi le tour de force d’organiser, au sein de la chapelle des Invalides, jouxtant la tombe de Napoléon, une soirée en l’hommage, selon lui, des «20 ans de paix au Kosovo» et, ultime sacrilège, de faire chanter à un muezzin l’appel à la prière musulmane dans un des plus hauts lieux du christianisme français. Les 250 000 Serbes et 60 000 Roms expulsés de leur terre natale par ces mêmes autorités depuis 1999 seront contents de savoir que «la paix règne au Kosovo»; sans parler des 135 églises orthodoxes détruites et du pogrom anti-serbe de mars 2004, durant lequel 19 personnes ont été tuées et 34 églises orthodoxes serbes ont été détruites sous le regard quasiment impassible de l’ONU et des soldats de l’OTAN sur place.

En 2018, plusieurs événements ont amené le Kosovo au bord de la guerre civile. En mars 2018, le directeur du bureau du Kosovo-Métochie, Marko Djurić, en visite officielle auprès des maires des communes serbes du Kosovo-Nord, a été scandaleusement interpellé à Mitrovica puis molesté dans les rues de Pristina par la police du Kosovo. En décembre 2018, les autorités autoproclamées de Pristina ont déclaré un blocus commercial aux frontières avec la Serbie, provoquant des manques alimentaires importants dans la partie majoritairement serbe du Kosovo-Nord.

C’est en suivant cette escalade des tensions que Pristina a également décidé de transformer la Force de sécurité du Kosovo en véritable armée et ce, contre l’avis de l’OTAN, des Etats-Unis, parrain du Kosovo, et de la plupart des pays Occidentaux.

Par son refus de venir à Paris, Vucic a donc décidé de rejeter les pressions exercées envers lui et la Serbie. 

La question est donc, dans ce contexte très tendu, de savoir ce que Macron va proposer à Vucic pour continuer les discussions entre Belgrade et Pristina. En effet, la Serbie a entamé en 2008 les négociations d’adhésion à l’UE et nous en sommes à l’article 25 sur 34. L’UE repousse à chaque fois l’entrée de la Serbie et, aux dernières nouvelles, ce devrait être en 2025. Mais le point 35, le dernier chapitre, est le point crucial. Il concerne la province autonome méridionale de la Serbie : le Kosovo-Métochie.

Même si les autorités albanaises de Pristina ont déclaré la sécession en février 2008, la résolution 1 244 de l’ONU stipule que le Kosovo-Métochie fait partie intégrante de la Serbie. D’autre part, plus de 115 pays sur 193 de l’ONU n’ont toujours pas reconnu l’indépendance autoproclamée de Pristina. Enfin, les accords de Belgrade, signés en 2013, prévoyaient un compromis entre Belgrade et Pristina, avec notamment l’obligation pour les autorités albanaises de reconnaître la création du Kosovo-Nord, c’est-à-dire une autonomie de cinq communes à majorité serbe au sein du Kosovo.

Par son refus de venir à Paris, Vucic a donc décidé de rejeter les pressions exercées envers lui et la Serbie. En effet, au cas où le président serbe subisse une pression en lui imposant la perte du Kosovo-Métochie, consubstantiel à l’identité serbe et à l’existence de l’état serbe, en échange d’une accélération du processus d’intégration européenne, on assisterait à une inversion des valeurs défendues jusque là par l’UE. Ce serait la première fois qu’en temps de paix, une région se sépare d’un pays – un blanc-seing serait donné à des dirigeants – le président kosovar Hashim Thaci et son Premier ministre Ramush Haradinaj, tous deux pourtant poursuivis par plusieurs cours de justice en Europe.

Et enfin, l’UE reconnaîtrait de facto en son sein un Etat failli, plaque tournante du trafic d’héroïne et du trafic de femmes en Europe, en contradiction avec la Charte européenne des droits de l’homme et avec celle de l’ONU.

Alexis Troude, spécialiste des Balkans, chercheur en géographie et en géopolitique et chargé de cours à l’Université de Versailles-Saint Quentin.


Photo mise en avant : Source: AFP. Le président serbe Aleksandar Vucic et Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse de l’Elysée le 17 juillet.


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