Montée de violence en Équateur : la liberté de presse parmi les victimes

Janie Dussault, analyste en formation,
École de politique appliquée, Faculté des lettres et sciences humaines,
Université de Sherbrooke (Canada) / 01.10.2018 /

Le 26 mars 2018, deux journalistes du quotidien équatorien El Comercio et leur chauffeur ont été enlevés en plein reportage dans nord de l’Équateur. Enquêtant sur la violence et les tensions dans la région, les trois hommes s’étaient déplacés jusqu’à la frontière de la Colombie, lieu de l’enlèvement. Cette prise d’otages a pris fin le 13 avril 2018 avec l’assassinat des trois hommes, laissant l’Équateur dans un drame national(1). 

Hausse de violence à la frontière colombienne 

Plusieurs régions entourant la Colombie, dont sa frontière avec l’Équateur, ont connu un regain de violence au cours des derniers mois. Attaques de voitures piégées ainsi que présence de mines et de bombes ont fait plusieurs victimes et engendré un déplacement de population(2). 

Malgré un processus de paix mis en place depuis 2016, les actes de violence n’ont cessé d’augmenter en Colombie. Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et autres groupes paramilitaires ont pour objectif de « nettoyer le pays » en s’attaquant aux partisans des mouvements de gauche et aux défenseurs des droits de la personne, faisant plus de 300 morts dans les 18 derniers mois(3). 

Dans ce contexte, le niveau de violence à la frontière colombo-équatorienne est très élevé. Les auteurs de ces assassinats font partie d’un groupe dissident des FARC, implanté dans la région frontalière pour le trafic de drogue et d’armes(4). L’homme à la tête de ce rassemblement, Walter Patricio Arizala Vernaza, surnommé « narcoterroriste Guacho », ainsi que ses combattants ont concentré leurs activités en Équateur, causant plusieurs actes de violence dans le nord du pays (5). 

Cafouillage entre les autorité

Le 26 mars 2018 en soirée, les trois journalistes équatoriens ont franchi un poste de contrôle militaire dans la ville de Mataje, avant de disparaître. Deux jours plus tard, après 55 heures de séquestration, plusieurs informations contradictoires ont été divulguées par les médias et les autorités des deux pays sur la localisation des victimes(6). 

Le réseau de télévision colombien Radio Cadena Nacional (RCN) a quant à lui diffusé une vidéo où les otages apparaissent enchaînés, s’adressant ainsi au président équatorien Lenin Moreno : « […] notre vie est entre vos mains (7)». Les autorités équatoriennes ont vivement réagi à la diffusion de ces images par la télévision colombienne par crainte que la vidéo compromette les négociations déjà engagées avec les ravisseurs(8). 

L’Équateur s’est retrouvé dans une situation de crise hors du commun, alors que les manifestations de solidarité envers les journalistes se sont multipliées. Malgré l’annonce d’une coopération étroite entre les deux pays, les familles et collègues des victimes ont dénoncé un manque considérable de coordination entre les autorités. En effet, le quotidien El Tiempo avait annoncé la libération des otages le 28 mars en citant des hautes sources militaires de Colombie, pour ensuite démentir cette nouvelle(9). 

Une liberté de presse fragile 

Cette attaque dirigée contre la liberté de la presse vient secouer le monde journalistique de ce petit pays d’Amérique latine. De 2007 à 2017, l’Équateur a connu une décennie difficile en matière de liberté de la presse au cours des trois mandats de son ancien présidentRafael Correa. Avec l’arrivée au pouvoir de Lenin Moreno en mai 2017, l’organisme Reporters sans frontières (RSF) voit un espoir pour la presse indépendante grâce à de possibles réformes(10). 

Malgré le contrôle et l’ingérence de l’ancien gouvernement ainsi que les derniers événements tragiques, la liberté de presse en Équateurn’a cessé de s’améliorer. De 2008 à 2016, son indice de liberté de presse a doublé. Sur une échelle de 0 à 100, où 0 désigne une absence complète de liberté et 100 une liberté totale, son indice est passé de 15 à 33 durant ces huit années(11). L’Équateur occupe aujourd’hui le 92e rang dans le classement des pays de RSF de 2018(12). Cette amélioration est considérable, compte tenu qu’il occupait le 119e rang en 2013(13). 

Références: 

1. Delcas, Marie, Equateur : les deux journalistes et leur chauffeur enlevés à la frontière avec la Colombie sont morts, Le Monde, avril 2018, https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/04/1… consulté le 21 septembre 2018. 

2. Kourliandsky, Jean-Jacques, L’Équateur bousculé par les paradoxes de la « paix » en Colombie, Espace Latinos, mars 2018, http://www.espaces-latinos.org/archives/64821, consulté le 21 septembre 2018. 

3. Anctil Avoine, Priscyll, La guerre se « réinstalle » en Colombie, Le Devoir, juillet 2018, https://www.ledevoir.com/opinion/idees/532340/la-g… consulté le 21 septembre 2018. 

4. Cedeño, César, cité dans Cabrera, Jose María León, César Cedeño: “La de Guacho es un híbrido entre organización criminal y organización insurgente”, GK, 26 mars 2018, https://gk.city/2018/03/26/cual-es-el-poder-milita… consulté le 22 septembre 2018. 

5. Delcas, Équateur : les deux journalistes et leur chauffeur, op.cit. 

6. Delcas, Marie, Trois Equatoriens enlevés par des dissidents des FARC, Le Monde, 6 avril 2018, https://abonnes.lemonde.fr/ameriques/article/2018/… consulté le 24 septembre 2018. 

7. Ibid. 

8. Ibid. 

9. Ibid. 

10. Reporters sans frontières, Équateur, 2016, https://rsf.org/fr/equateur, consulté le 24 septembre 2018. 

11. Reporters sans frontières, Indice de la liberté de presse, Équateur, Perspective monde, 2018, http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BM… consulté le 21 septembre 2018. 

12. Reporters sans frontières, Classement : Les données du classement de la liberté de la presse 2018, 2018, https://rsf.org/fr/donnees-classement, consulté le 24 septembre 2018. 

13. Reporters sans frontières, Classement mondial 2013, 2016, https://rsf.org/fr/classement-mondial-2013, consulté le 27 septembre 2018. 


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