Les migrants face à un rempart en Hongrie

Alys Favreau, analyste en formation / 19.01.2016 /

En 2015, l’Europe a vécu une importante vague migratoire. À la suite des nombreux conflits se déroulant au Moyen-Orient, plus de 970 000 personnes se sont réfugiées en Europe (1). Une grande partie d’entre elles ont fait le voyage par voie maritime, soit 473 000 réfugiés. Au cours des deux dernières années, la Hongrie est devenue l’un des principaux pays d’accueil pour ceux-ci (2). Le 4 septembre 2015, la Hongrie a cependant voté une loi sur l’immigration pour tenter de circonscrire l’arrivée de migrants sur son sol. 

Une loi controversée 

À la suite de l’arrivée de nombreux réfugiés en Hongrie, le premier ministre Viktor Orban propose un projet de loi sur l’immigration. Celui-ci présente plusieurs nouveaux aspects. Premièrement, plus de pouvoirs seraient alloués à l’armée et à la police hongroise. Le gouvernement hongrois autoriserait le déploiement massif de militaires à la frontière et permettrait à la police et à l’armée de tirer sur les migrants, à condition que ce ne soit pas mortel. De plus, l’érection d’une clôture barbelée à la frontière serbe et croate permettrait de restreindre le passage de migrants illégaux en Hongrie (3). 

En ce qui concerne l’entrée au pays, le passage illégal de la frontière était considéré comme un délit depuis 1990. Dès septembre 2015, cet acte deviendrait un crime passible de 3 ans d’emprisonnement (4). Finalement, cette nouvelle loi s’oppose au plan de répartition de 160 000 réfugiés provenant principalement de l’Italie et de la Grèce, que planifiait l’Union européenne (5). 

Ce projet de loi a été adopté par 151 voix pour, 12 voix contre et 27 abstentions (6). Ainsi, peu de membres de l’Assemblée nationale hongroise contestent cette décision. Par contre, plusieurs dirigeants européens ainsi que l’Organisation des Nations unies (ONU) critiquent la loi sur l’immigration hongroise, jugée non conforme à la convention de Genève sur les réfugiés (7). Celle-ci s’objecte à sanctionner les demandeurs d’asile qui entrent dans un pays. 

Une vague de réfugiés saisissante 

En 2012, la Hongrie a dénombré 2000 migrants entrés illégalement au pays durant l’année (8). Quelques années plus tard, au début du mois de septembre 2015, 3061 réfugiés ont réussi à passer la frontière hongroise en une seule journée (9). La Hongrie a vécu une importante augmentation du nombre de réfugiés entrant au pays entre ces deux années. Le 14 septembre 2015, une journée avant la mise en place de la nouvelle loi hongroise, quelque 9000 migrants ont franchi la frontière. Le 16 septembre, soit une journée après l’instauration de la loi, seulement 277 personnes ont risqué la traversée (10). 

Environ 75 % de ces migrants qui tentent de traverser la frontière hongroise proviennent de l’Afghanistan, de la Syrie ou de l’Irak, des pays ravagés par des conflits depuis plusieurs années (11). La fuite vers l’étranger de ces milliers de personnes a causé la plus grave crise migratoire que l’Europe ait connue depuis la Deuxième Guerre mondiale (12). 

Finalement, ces migrants devront se rediriger vers d’autres pays européens pour faire une demande d’asile. La Serbie, pays voisin de la Hongrie, devra faire face à l’arrivée de migrants sur son territoire. Auparavant considéré comme un pays de transit, celle-ci devra maintenant considérer un flux important de migrants en sol serbe (13). 

Références: 

(1) Agence France Presse, Crise migratoire – La Hongrie appelée à cesser ses pratiques anti-migrants, Le Devoir, 22 décembre 2015, http://www.ledevoir.com/international/europe/45860… (11 janvier 2015). 

(2) Le Devoir, Début de la construction de la clôture anti-migrants, 14 juillet 2015, http://www.ledevoir.com/international/europe/44501… (11 janvier 2016). 

(3) Le Monde, Migrants : La Hongrie renforce les pouvoirs de la police et de l’armée, 21 septembre 2015, http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/09/21/mi… (11 janvier 2016). 

(4) Le Monde, Hongrie, une « atmosphère de guerre » contre les migrants, 15 septembre 2015, http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/09/15/ho… (17 janvier 2015). 

(5) Le Monde, La Commission européenne détaille les quotas de réfugiés par pays, 9 septembre 2015, http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/09/09/la… (17 janvier 2015) 

(6) Le Huffington Post, Hongrie : l’armée autorisée à tirer sur les migrants, nouvelle provocation signée Vicktor Orban, 21 septembre 2015, http://www.huffingtonpost.fr/2015/09/21/hongrie-ar… (11 janvier 2015). 

(7) Le Monde, Hongrie, une « atmosphère de guerre » contre les migrants, op.cit. 

(8) Arte, Le rempart hongrois contre l’immigration, 18 juin 2015, http://info.arte.tv/fr/le-rempart-hongrois-contre-… (11 janvier 2015). 

(9) Le Temps, Arrivées record de migrants en Hongrie, qui appelle l’armée à l’aide, 11 septembre 2015, http://www.letemps.ch/monde/2015/09/11/arrivees-re… (11 janvier 2016). 

(10) World News Digest, Hungary shuts border with Serbia in tough response to migrant crisis ; Hungarian police spray migrants with tear gas, water cannons at border ; Other developments, 17 septembre 2015, (11 janvier 2015). 

(11) Arte, op.cit. 

(12) Agence France-Presse, L’Europe confrontée à la plus grave crise migratoire depuis 1945, La Presse, 3 septembre 2015, http://www.lapresse.ca/international/crise-migrato… (18 janvier 2015). 

(13) Le Monde, Le mur anti-migrant achevé entre la Hongrie et la Serbie, 28 août 2015, http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/08/29/le… (17 janvier 2015). 


Lire aussi :
Référendum en Hongrie sur le plan de répartition des immigrants de l’Union européenne

02.10.2016

Viktor Orban

Afin de répartir l’accueil de 160 000 migrants qui s’installent sur le continent en 2015, l’Union européenne (UE) adopte un plan prévoyant un quota pour chacun de ses membres. Pour exprimer son insatisfaction, le gouvernement hongrois de Viktor Orban tient un référendum le 2 octobre 2016. Sa position est appuyée à plus de 98 %.

En septembre 2015, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dévoile un plan de quotas d’accueil par pays des migrants provenant surtout de pays en crise (SyrieAfghanistan, etc.). Ceux-ci arrivent souvent en Europe par la Grèce et l’Italie. La Hongrie est également affectée. Dans ce plan, l’UE répartit 160 000 demandeurs d’asile, dont 1294 en Hongrie. Le gouvernement de Viktor Orban, au pouvoir depuis 2010, s’y oppose, invoquant la crainte du terrorisme, la menace identitaire et celle du fardeau des migrants sur le marché de l’emploi. Surtout, il déplore l’ingérence de l’UE dans ce qu’il considère une question nationale («Bruxelles ou Budapest»). Le 24 février, Orban annonce la tenue d’un référendumsur la question suivante : « Voulez-vous que l’Union européenne puisse prescrire l’installation obligatoire en Hongrie de citoyens non hongrois sans l’approbation de l’Assemblée nationale ? » Le gouvernement du Fidesz et du Parti populaire démocrate-chrétien, qui a fait construire un mur anti-réfugiés en 2015 sur la frontière avec la Serbie et la Croatie, fait campagne pour le Non, comme les nationalistes du parti Jobbik. Pour leur part, les formations de gauche appellent à boycotter ou annuler le vote. La validité de ce référendum est reconnue juridiquement, mais seulement sur cette question spécifique. De plus, il faut une participation de 50 % des électeurs éligibles pour qu’il soit considéré comme contraignant. Or, le 2 octobre 2016, seulement 40 % de ces derniers votent. Malgré un appui écrasant au Non, à plus de 98 %, la portée de ce résultat reste donc limitée pour Orban, la presse le qualifiant de demi-victoire ou de demi-défaite. Le premier ministre, qui a gagné en popularité depuis le début de cette crise, pense maintenant à faire adopter une modification constitutionnelle qui permettrait de rendre ce vote valide juridiquement.

Dans les médias…


Anne Dastakian, « Le boomerang référendaire »

«…Face à un public acquis, celui qui se voyait en leader charismatique de la nouvelle Europe a présenté le référendum comme une victoire, et un mandat pour lui, dans son combat au niveau européen. «Bruxelles ne pourra pas imposer sa volonté à la Hongrie, en ignorant la volonté de 99,2 % des électeurs», a-t-il déclaré avant la publication des chiffres définitifs. Et d’annoncer son intention d’ancrer dans la Constitution la prévalence du Parlement hongrois sur les traités européens. À Bruxelles, comme dans les pays du groupe de Visegrad (Pologne, République tchèque, Slovaquie), un silence poli a accueilli ses propos. «Je pense que ses ambitions européennes vont en souffrir. Comment peut-il remporter une contre-révolution culturelle en Europe s’il ne parvient pas à valider un référendum sur son sujet de prédilection dans son propre pays ?» estime le politologue Andras Biro-Nagy. L’opposition magyare, elle, a aussitôt appelé Orban à démissionner. Y compris le parti d’extrême droite Jobbik, qui a qualifié ce référendum de «sondage très coûteux». La campagne a en effet coûté près de 50 millions d’euros au contribuable magyar. Lequel place les problèmes d’éducation et de santé au premier rang de ses préoccupations, puis la corruption des élites, avant les questions migratoires. »

Marianne (France), 7 octobre 2016, p. 43.

Charles Haquet, Katalin Hajos, « La surenchère populiste »

«…En attendant que le flot des demandeurs d’asile se tarisse, Viktor Orban continue de creuser ce sillon nationaliste. Il veut modifier la Constitution pour y inclure des règles sur le droit de résidence des « citoyens non européens » sur le territoire. (…) Ces changements constitutionnels iront-ils à l’encontre des traités européens? « Non, réfute Lajos Bokros, ancien ministre des Finances, et président du parti Moma (La Hongrie aujourd’hui), de tendance libérale. C’est surtout, pour Orban, un moyen de détourner l’attention des vrais problèmes, tels que l’éducation, la santé ou la corruption. » Pour préserver ses chances lors des prochaines élections législatives, en avril 2018, le Premier ministre devra donc trouver de nouveaux exutoires. À défaut, il pourra toujours continuer à taper sur Bruxelles, son « punchingball préféré », selon la formule de Lajos Bokros. Jusqu’où ira-t-il? Pourrait-il, dans le sillage du Royaume-Uni, quitter le giron européen? À Budapest, personne n’y croit vraiment. « Orban sait à quel point les Hongrois sont attachés à l’Europe et il n’oublie pas non plus qu’il reçoit plus de 3 % de son PIB en subventions, rappelle un diplomate européen. Il pourrait profiter du soixantième anniversaire de l’insurrection de Budapest, ce 23 octobre, pour faire une déclaration fracassante. En comparant, par exemple, l’ingérence bruxelloise aux chars russes de 1956… » Sans doute trouverait-il en Europe des alliés pour justifier ses rodomontades. Car aujourd’hui, les dirigeants populistes ont le vent en poupe sur le Vieux Continent. Et Viktor Orban n’est plus, comme c’était encore le cas récemment, le vilain petit canard de l’Europe. »

L’Express (France), 12 octobre 1976.

François Brousseau, « Populisme et démocratie »

«…La Russie de 2016 est résolument installée dans ce cul-de-sac de la liberté d’expression et de diffusion, qui va de pair avec un pluralisme de façade et une restriction graduelle de l’espace politique. C’est vers ce modèle que la Hongrie semble aller à vive allure. Et depuis un an, certains dirigeants polonais rêvent d’emboîter le pas… même si, à Varsovie davantage qu’à Budapest ou à Moscou, subsistent des foyers de résistance : entreprises de presse privées, indépendantes, dynamiques (à l’écrit, dans l’audiovisuel, sur le Net)… et une société civile vigilante, prête à descendre dans la rue comme on l’a vu ces derniers mois. Quand on pense que, lors des révoltes démocratiques de 1956 (écrasée par Moscou en Hongrie) et celles (victorieuses) de 1989, Varsovie et Budapest étaient, en Europe de l’Est, les deux phares à l’avant-garde du progrès, de la résistance, de la libération ! Aujourd’hui, les médias publics y sont néo-orwelliens ; on intente des procès en sorcellerie aux dirigeants d’opposition ; on organise des référendums joués d’avance sur le refus des immigrants, du moindre immigrant. Budapest et Varsovie seraient-elles aujourd’hui à l’avant-garde d’une autre évolution : la décadence de la démocratie ? »

Le Devoir (Québec, Canada), 11 octobre 2016.

S.A., « Charlemagne : The wizard of Budapest »

«¸…«THE moment Hungary is no longer European,» wrote Milan Kundera, a Czech-born novelist, «it loses the essence of its identity.» In his own way Viktor Orban, Hungary’s prime minister, would not disagree. Having bent the Hungarian state to his will, crushed his domestic foes and spun political gold from Europe’s migrant crisis, Mr Orban now has his sights trained on the immigration-friendly elites he claims seek to destroy Europe’s nations from within. Together with Jaroslaw Kaczynski, the de facto leader of Poland, he promises a « cultural counter-revolution » in Europe, based on a defence of nation, family and Christianity. Charismatic, bombastic and unembarrassable, Mr Orban squats toad-like astride the Hungarian political landscape. His Fidesz party dominates parliament. Setbacks are skated over. On October 2nd only 40% of Hungary’s electorate cast valid votes in a referendum on the European Union’s refugee-relocation plan, well below the 50% threshold needed to give the result force. No matter: Mr Orban saluted the « excellent result » (98% of voters rejected the EU scheme) and promised to insert it into Hungary’s constitution. The formidable Fidesz spin machine manufactured sophistries to explain how an illegitimate outcome represented the inviolable democratic will of the Hungarian people. »

The Economist (Royaume-Uni), 8 octobre 2016.

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