Algérie / Le choix de l’anglais : l’autre lecture

par Bouchikhi Nourredine

Le choix largement plébiscité par la communauté universitaire au regard des échos des résultats, même s’ils ne sont pas encore définitifs, du sondage réalisé par le ministère de l’Enseignement scientifique, 94% d’avis favorables à la substitution du français par l’anglais dans le cycle universitaire, s’il repose sur des critères purement scientifiques et des impératifs stratégiques il n’empêche que d’autres facteurs contribuent à peser sur la balance. 

Les récentes décisions des autorités françaises en matière d’inscription dans les universités françaises n’ont pas été pour encourager les étudiants algériens en graduation ou post-graduation pour faire de la France une destination quasi automatique pour poursuivre des études supérieures du fait surtout du facteur langue ; le français est la langue étrangère la plus utilisée; les droits d’inscription autrefois symboliques et à la portée des Algériens de classe moyenne sont devenus assez prohibitifs pour la majorité des futurs postulants à une formation post-graduante dans l’Hexagone ; le cours effondré du dinar par rapport à l’euro et la difficulté de se le procurer à travers les circuits formels ainsi que les procédures fastidieuses de transfert de sommes dérisoires pour subvenir aux besoins des étudiants ne sont pas faits pour arranger la situation; les frais d’inscription comme on peut le constater sur le site de Campus France sont de l’ordre de 2770 euros pour un cycle de licence et 3770 pour un master en comparaison avec les frais d’un ressortissant français ou issu de la communauté européenne qui sont de l’ordre, respectivement de 170 et 243 euros, ces montants peuvent toutefois varier d’une université ou école à une autre. Ces frais représentent pour un étudiant algérien l’équivalent de plus de 41 fois le SMIC ; sans compter les frais d’hébergement, de restauration, de transport et autres dépenses incompressibles ; ce qui exclut de facto les classes moyennes et seuls les plus nantis qui ne sont pas toujours les meilleurs auront une chance. 

Une sélection de fait basée sur les seuls moyens financiers, une tendance à l’américaine où l’accès à l’université est une chasse gardée pour les plus riches ; pour les autres sans une hypothétique bourse offerte à des chanceux qui se distinguent par leurs aptitudes sportives ou artistiques hors du commun la seule possibilité est l’endettement qui menace l’avenir d’une grande majorité de jeunes Américains et menace même d’être une nouvelle bulle prête à éclater à tout moment à l’instar de la crise des subprimes des années 2007-2008 (crise des prêts hypothécaires) dont les conséquences ont franchi les frontières des Etats-Unis pour déstabiliser la finance mondiale. La comparaison, même si elle n’est pas tout à fait exacte car elle concerne pour le moment surtout les étrangers qui sont issus pour la plupart de pays aux ressources limitées mais c’est quand même l’amorce d’une nouvelle politique de l’enseignement supérieure qui d’ailleurs ne fait pas l’unanimité au sein même des facultés françaises car appréhendant un changement de la démographie estudiantine et un verrou à la diversité qui a caractérisé l’université française. 

Dépendre d’une seule langue sans autre alternative est un ressenti que les étudiants algériens devront résoudre dans un avenir proche ; s’ouvrir à d’autres langues pour un large éventail de choix d’universités beaucoup plus clémentes par leur offre de formation et des coûts raisonnables ; nous citons les universités des anciens pays du bloc de l’Est, la Turquie, les pays asiatiques à leur tête la Chine, pour tous ces pays maîtriser l’anglais est un atout décisif. 

Un autre facteur qui tend à décourager le choix pour la destination France est la politique d’octroi des visas qui est devenue de plus en plus restrictive ; aucune classe de demandeurs n’est épargnée tous statuts confondus ; y compris les universitaires, chercheurs ou médecins qui dans un passé récent pouvaient prétendre au visa de manière presque procédurale et qui récemment n’ont pas pu échapper à cette politique limitative ; ils sont de plus en plus nombreux à se voir refuser le visa et pour les plus chanceux d’entre eux c’est un visa de très courte durée qu’ils se voient octroyer en comparaison il n’y a pas si longtemps c’est-à-dire avant l’avènement de l’ère Macron de visas d’une validité qui pouvait aller jusqu’à cinq ans ! 

Il faut reconnaître qu’en la matière les autorités consulaires algériennes ne délivrent que rarement des visas de longue durée, un maximum d’un an est accordé aux scientifiques et chercheurs français ; ce qui n’est pas pour faciliter la réciprocité du traitement des dossiers de demande de leurs homologues algériens et ceci est un point à revoir par les autorités compétentes algériennes bien que le flux entre les deux pays soit largement plus important de l’Algérie vers la France. 

Les nombreux cadres algériens amenés à prendre part aux différentes manifestations scientifiques ou dans le cadre de recherche, perfectionnement ou échange ont le sentiment d’avoir été piégés par la contrainte de la langue ; c’est ainsi que dans les différents forums et rencontres ils évoquent maintenant de trouver une solution de rechange parmi lesquelles celle d’opter pour l’apprentissage de l’anglais, une manière de se faire ouvrir d’autres horizons et d’avoir plus d’opportunités. 

La politique d’octroi des visas, et ce n’est un secret pour personne, est soumise aux aléas et à la pression politique exercée notamment par le courant de l’extrême droite française qui est allée même à appeler à cesser de délivrer des visas pour les Algériens sous prétexte qu’il existe une menace «d’envahissement» en raison de la situation en Algérie décrite injustement de façon alarmante comme propice à un exil de masse mais qui en réalité n’a eu presque aucun impact sur les intentions de la majorité des Algériens intellectuels ou même candidats à l’immigration clandestine et qu’en fait la réalité du terrain a opposé un démenti formel à ces craintes infondées, bien au contraire il a été démontré une nette diminution des tentatives qui jusque-là étaient presque quotidiennes. D’ailleurs même la diaspora algérienne dont les membres sont dans une situation matérielle satisfaisante n’espère que le changement radical pour pouvoir s’investir dans leur pays qui leur offre beaucoup plus d’opportunités en raison des nombreux chantiers qui restent à monter ; 

Ces arguments pour le moins irréalistes ont certainement contribué négativement au traitement des dossiers algériens. 

En fait si tentatives il y a c’est celles des responsables véreux qui espéraient se dérober afin de ne pas se confronter à la justice pour répondre de leurs actes et méfaits. 

Les autorités algériennes occupées par d’autres questions plus lancinantes n’ont apparemment pas manifesté jusqu’à présent un grand intérêt à cette question ; c’est vrai qu’il s’agit de décisions qui relèvent de la souveraineté de chaque pays mais entre l’Algérie et la France il existe des accords bilatéraux qui devaient favoriser les échanges et la circulation des personnes des deux côtés tenant compte du poids de l’histoire et ses conséquences socioculturelles sur les deux peuples. 

Pour essayer de comprendre la nouvelle politique du gouvernement français vis-à-vis des demandes de visa il suffit d’analyser de plus près les motifs invoqués dans les refus et qui laissent parfois perplexe ; à titre d’exemple et parmi les plus fréquents des neuf motifs avancés comme justifiant le refus de visa, l’alinéa 2 : (l’objet et les conditions du séjour envisagé n’ont pas été justifiés) alors qu’il s’agit dans la plupart du temps d’un renouvellement de visa de circulation qui prouve que depuis son octroi tout s’est bien déroulé et que le postulant a effectué plusieurs voyages, des dizaines parfois sans le moindre souci ; ou l’alinéa 3 (en relation avec des ressources insuffisantes pour le séjour ou des moyens pour le retour) motif de refus argué même pour des cadres habitués à voyager régulièrement en France et parfois invités par des partenaires français et qui disposent de toutes les preuves de revenus confortables et qui de surcroît ont toujours voyagé en France et dont le statut qui a pu leur permettre de bénéficier de visas de circulation n’a pas changé depuis ! Leurs antécédents et la situation dont ils se prévalent ne permettent nullement de douter de leur sincérité ou d’un risque bien que réel mais peu probable de s’installer définitivement en France de manière illégale ; en effet il est insensé pour la plupart des cadres qui mènent une vie bien rangée dans leur pays et qui sont tenus par des obligations professionnelles et familiales qu’ils puissent troquer une situation stable pour aller s’aventurer dans la précarité et l’inconnu ; cette classe qui fait le «va-et-vient» et qui d’ailleurs est la plus au fait des réalités actuelles en France qui sont loin de refléter le paradis fantasmé surtout par ceux qui n’y ont jamais mis les pieds ne peut représenter un risque réel d’immigration illégale, bien au contraire c’est une ressource en plus pour l’économie française. 

L’explication de ce revirement est donc à rechercher ailleurs ; la raison la plus plausible serait que les autorités françaises appliquent réellement un quota drastique au détriment des Algériens qui ne tient compte que des objectifs de chiffres pour des raisons de politique intérieure malgré des affirmations parfois officielles que la réalité contredit, ou bien elles essayent de faire passer un message aux autorités algériennes qui à leurs yeux feignent de ne pas en considérer la portée ; le seul point de discorde connu est le traitement des dossiers de rapatriement des migrants clandestins et que l’Algérie a, semble-t-il, finalement accepter de prendre favorablement en charge en acceptant le retour forcé de ses citoyens. 

En fin de compte ce sont les citoyens qui en payent les conséquences de relations en dents de scie variables au gré des évènements et des politiques prônés par les partis qui se relayent à la tête de l’Etat français. 

Il est bien loin le souvenir où à l’instauration des visas les cadres et universitaires algériens disposaient d’un guichet spécial ; ils déposaient leurs demandes la matinée pour la récupérer l’après-midi même. 

Ce traitement de faveur même s’il n’est plus d’actualité aujourd’hui concerne sous une autre forme certains pays dont les ressortissants bénéficient d’un traitement de choix dans la célérité de l’étude des dossiers et qui peuvent donc avoir leurs visas dans les 48 heures. 

Les réformes adoptées par le parlement européen (17-04-2019) qui devaient faciliter l’octroi de visas aux personnes ayant des garanties morales et financières ne semblent pas encore avoir eu d’effets sur les voyageurs algériens. 

Les citoyens souvent de bonne foi et contraints par des obligations professionnelles ou académiques de faire le voyage restent les plus pénalisés ; contrairement à beaucoup de responsables nationaux qui ne se sentent pas du tout concernés car certains disposent de passeports diplomatiques, d’autres des cartes de séjour de dix ans et certains carrément de la double nationalité qui les met à l’abri des tracasseries et ne les incitent guère à défendre les intérêts des citoyens lambda. 


Lire aussi :

La compétition entre le français et l’anglais en Algérie :

quelques autres éléments du débat

par Belkacem Tayeb-Pacha

Le temps est aux langues en Algérie. Plus précisément, il est à ce débat (combien harassant ce débat !) sur la compétition entre le français et l’anglais comme langues d’enseignement dans les universités algériennes. 

Et pourtant, les choses sont claires, pour ceux qui ne sont ni dupes, ni myopes : l’anglais satisfait à deux critères que le français ne peut remplir actuellement : l’évidente facilité de son apprentissage, qui dédramatise notablement son degré de xénité, qui motive les élèves, et son emploi international dans les divers champs de la vie : scientifiques, touristiques, sportifs, économiques, culturels, etc. Oser exposer ou défendre une thèse contraire ne peut se réaliser, à notre sens, que si on accorde plus d’importance au français qu’au devenir de l’Algérie : pourquoi s’entêter à défendre le français comme moyen d’enseignement à l’université, quand on sait que c’est l’anglais qui répond le mieux aux impératifs de la recherche scientifique ? Lorsque même la langue française recourt aux anglicismes (c’est-à-dire à l’anglais !) pour s’imposer dans de nombreux domaines, qu’attendent les Algériens pour remplacer le français par l’anglais ? Ou bien, aurions-nous, quelque part, dans les entrailles, un sérieux problème avec l’altérité ? 

Si, à tout le moins, on voudrait hiérarchiser la liberté de choix sur l’utilité de l’anglais et que les Algériens, dans leur totalité, refusent cette langue comme moyen d’enseignement, on pourrait, bien sûr, tourner la page et accepter le français, comme à la fois un moyen de communication et un destin décidé au septième ciel. Mais, à en croire les statistiques, la quasi-totalité des Algériens interrogés opte pour l’anglais, comme objet et moyen d’enseignement : qu’est-ce qui empêche encore que se concrétise ce vieux rêve du peuple algérien ? 

Non seulement l’anglais doit être utilisé comme moyen d’enseignement dans l’université, les décideurs ne devraient pas négocier cette utilisation avec les étudiants et les académiciens, comme ils sont en train de le faire. Car, tout bonnement, c’est une question plus que jamais claire : au XXIe siècle et dans notre planète, c’est l’anglais qui peut le mieux servir l’Algérie, indépendamment de toute idéologie. Encore, il ne s’agit pas de remplacer le français par le latin, mais une langue vivante par une langue encore plus vivante ! 

Et s’il faut la négocier, cette question-là, ce n’est pas seulement dans l’internet, mais aussi dans le parlement, sérieusement, voire urgemment ; maintenant que la science modifie les conceptions du temps et de l’espace, à une allure vertigineuse, notre pays doit pouvoir agir à temps, faute de quoi, il risquerait d’être hors du temps. 

Encore, si l’intention des responsables est de faire acquérir la langue cible de la même manière que s’acquiert la langue maternelle, l’anglais doit être enseigné avant le début de l’enseignement formel, c’est-à-dire à la maison et dans les crèches ; il importe de savoir que plus l’enfant se développe neurophysiologiquement, plus il progresse linguistiquement (dans une chronologie décelable à la fois dans le cerveau et le langage). Cet âge critique de l’acquisition des langues -qui doit être impérativement pris en considération par l’État et les parents- n’est pas ignoré des spécialistes : le langage doit être mis en place avant l’âge de sept ans, affirme Dalgalian, un expert en sciences du langage. 

Mais, s’agit-il vraiment d’une compétition entre l’anglais et le français ou bien entre l’anglais et le français made in Algeria ? Ne faut-il pas ausculter l’enseignement du français en Algérie, maintenant qu’il est malade, que tout le monde s’en plaint et qu’on s’oppose hystériquement à ce que l’anglais remplace le français à l’université ? 

Effectivement, ce FLE (français langue étrangère) enseigné en Algérie, qui occupe injustement la place de l’anglais, et que certain défendent énergiquement, est on ne peut plus médiocre, lacunaire. C’est un français qui renvoie à une mauvaise configuration sociolinguistique, une configuration qui le fait différencier énormément du vrai français, en l’occurrence le FLM (français langue maternelle), alors qu’en réalité, le FLE, le FLM et le FLS (français langue seconde) et les autres modes d’enseignement du français, ne sont pas différents linguistiquement, c’est-à-dire le même français doit être enseigné / appris dans le FLE, le FLM et le FLS, même si chacun d’eux requiert sa propre didactique. 

Exactement, en Algérie, on se borgne à enseigner un français phrastique, lacuneux, plus grammaticalisé que communicatif, un français fort ennuyeux, décontextualisé et amputé de la dimension interculturelle (qui est une composante de la compétence communicative) : le vocabulaire, la lecture, la conjugaison, le discours indirect, la passivation, le résumé, etc. Et, comme pour bien algérianiser ce français, on n’enseigne pas la linguistique historique, on ne propose pas la grammaire du sens, (ni même à l’université ! ), les idiotismes sont rarissimes, la typographie est à l’anglo-saxonne, on n’explique pas la raison d’être orthographique des lettres muettes comme le s de «mais» (mais on punit l’élève, quand il omet ces lettres !), on ne pratique jamais la dissertation littéraire, etc. 

Comme conséquence de cet enseignement, les élèves, dans leur majorité, utilisent un français très médiocre, à l’oral comme à l’écrit (un français hachuré, incorrect, lacuneux, hésitant, quelquefois ambigu, incompréhensible, etc.), et ne sont pas capables de repérer les enjeux d’un texte et bâtir un discours argumenté. 

En somme, si nous nous permettons un néologisme (ne serait-ce que provisoirement pour faire passer l’information), c’est mathématiquement le FLEA (français langue étrangère des Algériens), non le FLE : le plus souvent, l’élève algérien est livré à lui-même ; s’il a un professeur qui sort de l’ordinaire, s’il est un fervent autodidacte ou s’il a chez lui les moyens humains et autres de se former, il pourrait apprendre le français, faute de quoi, il n’y arriverait que par miracle. 

Outre ce méli-mélo linguistique, il y a un autre problème non moins grave dans le débat qui nous occupe : l’étrange attitude des défenseurs du français vis-à-vis de l’anglais comme moyen d’enseignement en Algérie. En effet, ceux-ci ne font pas que défendre la pérennité du français en Algérie, mais agissent en même temps comme de fervents détracteurs : au lieu d’argumenter, de relativiser, de contextualiser, d’établir ce qu’ils déclarent et d’utiliser un langage digne d’un intellectuel ou d’un scientifique, ils escamotent stratégiquement l’objet réel du débat, qui est l’utilité de l’anglais à l’université, et choisissent ce qui est le plus facile : dénigrer les arabisants et le processus d’arabisation ! 

Évidemment, cette manière de fonctionner n’est pas la méthode du savant, qui considère la chose dans son intégralité. De plus, c’est tout à fait contraire à l’éthique et à la déontologie du chercheur scientifique ; celui-ci, contrairement à ces dénigreurs, ne cède pas à ses a priori, n’invente pas des «vérités» mais passe tout au crible de la raison, mène lui-même des enquêtes et apporte des preuves. 

Pour clore – si on peut clore un débat pareil ! – il importe de rappeler ce qui suit : 

• Qu’il s’agisse d’un conflit socio-politico-linguistique ou d’un autre conflit, les enjeux idéologiques ne doivent pas passer trop avant les enjeux pragmatiques : l’utilisation de l’anglais comme objet et moyen d’enseignement en Algérie est une question sérieuse, qui concerne l’avenir du pays tout entier et ne doit pas être instrumentalisée à des fins politiques et/ou identitaires. 

• Les langues du monde devraient être considérées sur le même pied d’égalité, et le français, langue parmi les langues, est à apprécier à sa juste valeur (il est riche, utile et beau mais il n’est pas l’anglais !). 

• On peut être tout à fait intellectuellement performant, et ne pas forcément voir quels sont les enjeux d’un débat, d’un texte écrit ou de toute autre chose, si l’on y pas été professionnellement entraîné. Le très talentueux Michel Fournier, qui n’a pas eu son baccalauréat, en est l’un des milliers d’exemples. 


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