L’Algérie a besoin d’un dinar stable

1. La perte de valeur du dinar

Les dévaluations et les dépréciations du dinar n’ont eu dans l’ensemble que des effets négatifs sur l’économie nationale. Il faut rappeler que lors de la création du dinar en 1964, un dollar des Etats-Unis valait 3,93 DA. A l’heure actuelle pour avoir un dollar, il est nécessaire de donner 119,45 DA.

a) Les causes de la perte de la valeur du dinar

Cette importante perte de valeur a été provoquée par les dévaluations qu’a subies le dinar durant les années 1990 et par les dépréciations intervenues au cours de ces dernières années. Il y a lieu, cependant, de préciser qu’elle n’est pas due uniquement aux mesures précitées. Les dépenses improductives effectuées par l’Etat et les entreprises, les distributions de revenus, de leur part, sans contrepartie en matière d’amélioration de la productivité et d’accroissement de la production de biens et de services, ont contribué à affaiblir la monnaie nationale. Il en a été de même en ce qui concerne l’octroi des crédits par les banques et les autres institutions financières à des projets fictifs ou non fiables.

Les agissements des spéculateurs et les achats excessifs de marchandises par les ménages, comme ceux portant sur les denrées alimentaires pendant le mois de Ramadhan, ont leur part de responsabilité dans la diminution de la valeur du dinar.Tous les acteurs économiques influencent cette valeur à travers leurs opérations financières et commerciales. Lorsque ces opérations sont mal engagées, mal contrôlées ou sont frauduleuses, leur impact sur le dinar ne peut être que négatif. Mais il reste que le rôle de la Banque d’Algérie dans ce domaine est le plus important, puisque sa mission principale «est de veiller à la stabilité des prix en tant qu’objectif de la politique monétaire». A cet effet, elle est tenue d’assurer la stabilité du dinar aussi bien sur le plan interne que sur le plan externe.

b) La dépréciation du dinar depuis le 2e trimestre 2014 (*)

Or, si on considère la période qui se situe entre le second trimestre 2014, semestre au cours duquel le prix du baril de pétrole a commencé à s’effondrer et à entraîner la réduction des recettes d’exportation des hydrocarbures, et le début du mois de mai 2019, le cours du dollar par rapport au dinar est passé de 79,30 à 119,45, soit une dépréciation du dinar de 50%. Ce qui est important. Certes, durant la même période, le dollar s’est apprécié par rapport à la plupart des autres devises et notamment par rapport à l’euro. Le taux de change de ce dernier contre celui du dollar a baissé de 1,36 à 1,12, soit une appréciation du dollar de 17,64%. Celle-ci a joué, bien entendu, dans l’appréciation du dollar par rapport au dinar.
Vis-à-vis du dinar, le taux de change de l’euro, qui était de 108,20 au début du second trimestre 2014, a augmenté à 134,20 au début du mois de mai 2019, soit une appréciation de 24%.

L’appréciation du dollar par rapport au dinar (50%) pendant la période en question est aussi supérieure à celle de l’euro par rapport au dinar (24%) et elle le reste même en tenant compte de son appréciation vis-à-vis de l’euro (17,64%).

La dépréciation du dinar par rapport au dollar a été, dans une certaine mesure, favorable au gouvernement qui a vu ses ressources provenant des recettes exprimées en dollars à l’origine augmenter, une fois converties en dinars à un taux plus élevé.
Cet avantage est en réalité fictif, puisque les dépenses augmentent de leur côté et peut-être plus que les recettes, du fait de la dépréciation du dinar.

2. Objectifs de la dévaluation de la monnaie dans une économie organisée et productive
Quoi qu’il en soit, la dévaluation d’une monnaie dans une telle économie est effectuée, généralement, à la suite d’une dégradation de la situation économique, pour réaliser plusieurs objectifs. Elle vise à rendre l’économie nationale plus compétitive. Ce qui induit plus d’exportations de produits, lesquels sont disponibles, de qualité et ont leurs marchés extérieurs. Elle tend également à attirer des capitaux étrangers qui peuvent s’investir dans des projets fiables ou dans l’achat d’actions dans une Bourse active. Comme elle tend à attirer plus de touristes qui trouvent un bon accueil, un hébergement convenable, des distractions variées…

L’autre but recherché à travers la dévaluation de la monnaie est la diminution de l’importation de biens et de services et celle de la sortie de capitaux. De la sorte, la balance des paiements, qui était déficitaire, devient équilibrée ou même excédentaire.

D’une manière générale, la dévaluation de la monnaie dans une économie organisée, structurée et active provoque la relance des activités, une création plus importante des emplois, une augmentation de la croissance, le rétablissement de l’équilibre des principales structures économiques.

3. Une dévaluation du dinar ne donne que des résultats négatifs

Les conditions requises pour l’obtention de tous ces résultats, dans le cas d’une dévaluation du dinar, ne sont malheureusement pas réunies en Algérie. Le pays, en dehors des hydrocarbures, n’a que peu de marchandises exportables. Il ne dispose pas de produits variés, de qualité et en quantités suffisantes, qui peuvent être facilement écoulés sur les marchés extérieurs. Cela d’autant plus que les circuits nécessaires pour l’exportation ne sont pas facilités, n’ont pas été organisés et ne sont donc pas établis.
Le climat des affaires, à cause d’une bureaucratie paralysante, de mesures contre-productives, d’une justice défaillante, de la corruption, a été de son côté peu attractif pour les capitaux étrangers.

Quant aux importations, il est difficile de les réduire étant donné la forte dépendance, à la fois de la consommation et de la production, vis-à-vis de l’étranger en l’absence d’une production nationale, importante et diversifiée, répondant aux principaux besoins. Il a fallu ces derniers temps recourir à l’accroissement des taxes douanières et à l’interdiction d’importer certains produits pour arriver à contenir, dans une certaine mesure, les importations. Au lieu du redressement de la situation financière et économique, la dépréciation du dinar se traduit en Algérie par une hausse des prix qui diminue le pouvoir d’achat de la population, entrave les investissements, crée des difficultés aux entreprises de production et entraîne une augmentation du chômage. Le taux de change du dinar sur le marché parallèle des devises se dégrade davantage et permet aux trafiquants de s’enrichir de plus en plus. Ce qui est plus grave, c’est la perte de confiance dans la monnaie nationale, perte qui accélère notamment la fuite des capitaux. Ce sont ces effets nuisibles qu’a connus le pays, chaque fois qu’il y a eu une dévaluation ou une dépréciation du dinar.

4. Le dinar n’est pas surévalué

Continuer à soutenir que le dinar est surévalué et que sa valeur doit être par conséquent corrigée pour être équivalente à son cours sur le marché parallèle des devises n’est pas du tout réaliste. Le marché parallèle des devises est un marché spéculatif où se déroulent tous les trafics, il ne peut à ce titre constituer une référence. De toute façon, aligner le taux de change officiel du dinar sur celui pratiqué sur le marché parallèle des devises ne sert à rien, puisque aussitôt ce dernier va atteindre un niveau plus élevé. Tant que les contraintes du contrôle des changes existent, la demande de devises sur le marché parallèle reste importante et agit dans le sens de l’augmentation de leurs cours par rapport à celui officiel du dinar.

a) Comparaison du dinar au dirham marocain et au dinar tunisien

D’ailleurs, la comparaison du taux de change du dinar algérien au taux de change du dirham marocain et à celui du dinar tunisien montre qu’il n’est nullement surévalué. En effet, le dinar algérien était au moment de sa création équivalent au dirham marocain et correspondait à un dixième du dinar tunisien, alors que maintenant il faut payer 12,39 DA pour avoir un dirham marocain et 39,80 DA au lieu de 10 pour avoir un dinar tunisien. Or, la situation financière et économique en Tunisie et même au Maroc n’est pas meilleure que celle en Algérie, malgré la crise qu’elle subit du fait de la chute des prix du pétrole. La Tunisie et le Maroc souffrent d’un endettement extérieur élevé, de déficits du budget et de la balance des paiements importants, d’un fort taux de chômage. Il est certain que les deux pays bénéficient d’une production et d’exportations plus diversifiées, mais ils sont loin de disposer des mêmes potentialités que l’Algérie, potentialités que les autorités, pendant ces 20 dernières années, ont négligées, laissées à l’abandon et qu’il est temps de les mettre en œuvre pour surmonter les présentes difficultés.

Par ailleurs, le Maroc et la Tunisie ont été soumis à des programmes d’ajustement structurels sous l’égide du FMI et de la Banque mondiale, programmes qui comportent, comme toujours, une dévaluation de la monnaie. Celle-ci fait également l’objet de correction de temps à autre. Mais dans l’ensemble, les deux pays ont évité à leurs monnaies respectives une forte perte de valeur, laquelle a été acceptée par l’Algérie en ce qui concerne le dinar.

b) L’exigence d’un dinar stable

Les circonstances prévalant en Algérie requièrent une monnaie stable. Celle-ci est nécessaire, notamment pour engager un programme d’investissements importants, lequel est indispensable en vue d’accroître et diversifier la production et d’asseoir une base pour un développement économique substantiel et durable. La stabilité de la monnaie permettra d’obtenir pour les investissements, qui auront besoin d’équipements et de matériels importés, des prix abordables et encourageants.

La crise économique que connaît le pays est en train de s’aggraver en cette période transitoire. Les causes de cette aggravation sont liées aux incertitudes et aux risques de voir les légitimes revendications populaires pour un profond changement, engendrées par l’admirable sursaut national, ne pas aboutir.

Il faut espérer que les multiples et pressants appels pour satisfaire ces revendications soient écoutés et qu’une volonté réelle se manifeste pour mettre en place de nouvelles autorités. Celles-ci auront pour principale tâche de préparer le terrain en faveur de l’avènement d’un Etat de droit, respectueux de la liberté et de la dignité des citoyens et soucieux de réaliser leur bien-être. Un Etat qui soit disposé à entreprendre les actions destinées à redresser la situation politique, sociale et économique dans le pays.

Cet Etat aura besoin, entre autres, d’une monnaie stable pour créer les instruments et les conditions qu’exigent la reprise des activités et l’arrêt de la crise économique. Les décisions à prendre consistent à donner naissance à un nombre suffisant d’entreprises et de bureaux d’études dans tous les domaines, à assainir les administrations et les institutions en y renforçant les règles de contrôle et de transparence et en désignant à leur tête des responsables compétents, intègres et engagés. Il s’agit aussi de mettre fin aux improvisations et d’agir dans le cadre d’une stratégie à appliquer au moyen de plans exhaustifs et bien réfléchis comportant des programmes d’investissements productifs importants.

Par B. Nouioua , Ancien gouverneur
de la Banque centrale

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(*) La dépréciation du dinar est calculée dans ce texte d’une manière quelque peu simpliste. Les services de la Banque d’Algérie utilisent pour faire ce calcul des méthodes techniques plus élaborées, plus adaptées, indiquant que la dépréciation du dinar vis-à-vis du dollar et de l’euro, durant la période considérée, a été plus importante que celle mentionnée.


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