M. John P. Desrocher, ambassadeur des Etats-Unis à Alger, au « Le Quotidien d’Oran »: «La religion est une force qui peut servir à surmonter les conflits»

Entretien réalisé par Houari Barti

Dans cet entretien avec l’ambassadeur des Etats-Unis à Alger, M. John P. Desrocher aborde certains aspects ayant trait à la thématique du «Vivre ensemble et du dialogue inter-religieux». 

Il nous y livre sa vision et celle de son pays sur la question du dialogue interconfessionnel et du rôle que ce dernier peut jouer dans la résolution des conflits dans le monde, mais aussi sur la question des amalgames que certains cercles entretiennent, sciemment, en alimentant la confusion entre islam et terrorisme. La rencontre avec le diplomate américain s’est déroulée avant-hier à Oran, soit au lendemain de la tenue d’une table ronde consacrée à «L’Emir Abdelkader et le dialogue interreligieux», organisée par le centre Pierre Claverie à Oran, et à laquelle a pris part M. Desrocher. 

Le Quotidien d’Oran: Vous venez de prendre part à un colloque sur l’Emir Abdelkader et le dialogue des religions. A votre avis, que peut-on en retenir ? 

John P. Desrocher: Ce fut un vrai privilège de prendre part à ce que colloque hier à la salle Emir Abdelkader du centre Pierre Claverie d’Oran et de rejoindre nos amis de l’église catholique. J’ai trouvé les discussions très intéressantes. J’apprécie vraiment la valeur du travail qu’ils ont accompli. Bien sûr, la liberté de religion est l’un des principes fondateurs de mon pays. C’est inscrit dans notre Constitution. C’est également inscrit dans votre Constitution. J’ai saisi l’occasion de cette rencontre pour rappeler à quel point ce principe est fondamental pour nos deux pays. Et, bien sûr, je n’ai pas manqué de rappeler que, récemment à Washington, le secrétaire d’Etat, M. Mike Pompeo, avait accueilli plus d’une centaine de délégations diplomatiques et un millier de militants qui se sont intéressés à la question pendant tout un sommet sur la question de la liberté religieuse, ce qui, je pense, montre bien la valeur que nous accordons au concept dans son ensemble. Pour nous, la discussion d’hier a été un relais précieux. Et nous avons vraiment apprécié le travail des gens qui y ont contribué. 

Q. O.: A l’initiative de l’Algérie, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté en 2017 la résolution 72/130 proclamant le 16 mai Journée internationale pour le Vivre-ensemble en paix. Que pensez-vous de ce concept ? 

J. P. D.: Eh bien, je me souviens très bien du rôle joué par l’Algérie pour l’adoption de cette résolution. Je me souviens aussi d’avoir parlé avec l’ex-ministre des Affaires étrangères, M. Abdelkader Messahel, de cette importante résolution de l’époque. Pour moi, l’initiative est tout à fait dans le même esprit que celle du secrétaire d’Etat, M. Pompeo, qui porte sur le concept de dialogue religieux et de liberté religieuse. Je pense que Vivre-ensemble et dialogue et liberté religieux partagent les mêmes fondements. C’est une question de tolérance. Il s’agit de trouver la force dans la diversité. Et, bien sûr, aux Etats-Unis, notre modèle national s’appuie sur ces valeurs parmi d’autres. C’est vraiment le fondement de l’édification d’une nation à partir d’une population diversifiée et un principe de base du développement de notre pays, et je pense que cela correspond très bien au concept du Vivre-ensemble. 

Q. O.: Quand on parle de dialogue, cela implique qu’il y a au moins discorde. Certains parlent d’une guerre entre les religions. Qu’est-ce que vous en pensez ? 

J. P. D.: Je ne pense pas qu’on soit obligé de partir de cette hypothèse. Je pense que nous devrions supposer que la religion est une force qui peut servir à surmonter les conflits plutôt qu’une source de conflits. Certes, on ne peut pas généraliser. Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. Chaque cas est différent, mais le dialogue interreligieux peut vraiment être un outil, je pense. La religion devrait être un outil pour surmonter ces conflits. Je me souviens, il y a des décennies, quand j’étais enfant et que j’étais à l’école catholique. C’était des cours de l’école catholique, donc l’enseignement religieux de base portait sur le catholicisme romain. Mais une partie de notre programme d’études portait également sur les autres religions, sur l’histoire de ces religions et les préceptes qui les animaient. On étudiait les concepts de compréhension de ce que ces religions avaient en commun et comment les gens de foi pouvaient utiliser ces principes pour surmonter les conflits. 

Q. O.: Pensez-vous que certaines tensions à travers le monde ont comme soubassement une confrontation de religions, voire de civilisations ? 

J. P. D.: Je pense que c’est quelque peu exagéré. Je ne pense pas que la religion soit nécessairement une source de conflit et, encore une fois, je pense qu’elle peut être plutôt un moyen de résoudre les conflits. Comme je l’ai dit, c’est très rarement le cas. Peut-on choisir une source unique à ces tensions ? Ces conflits têtus ont souvent des racines historiques très complexes et je pense que nous devrions considérer la religion comme un moyen de les surmonter. 

Q. O.: Pensez-vous réellement que le dialogue des religions mettra fin aux tensions que connaissent de nombreuses zones de conflit dans le monde ? 

J. P. D.: Je pense que c’est un outil que nous ne devrions pas négliger. Je ne pense pas que c’est une solution magique à tous les problèmes, mais c’est certainement un instrument qui permet de s’en tenir aux principes fondateurs de tolérance et de paix et de comprendre la perspective des autres, y compris la perspective religieuse des autres. C’est une démarche qui peut nous aider à surmonter ces conflits même si elle ne doit pas être nécessairement la seule. Ces conflits peuvent être très tenaces. Mais, il est important que les pays essaient d’utiliser cet instrument de tolérance religieuse et de corporation religieuse pour surmonter les conflits. 

Q. O.: Quels sont les autres outils auxquels vous faites référence ? 

J. P. D.: Il y a des outils diplomatiques, des outils d’assistance. Il existe aussi toutes sortes de programmes, mais d’après mon expérience, les gens de foi ont un rôle très important à jouer pour aider les gens à surmonter leurs différences. 

Q. O.: La question palestinienne peut-elle être résolue par le dialogue interreligieux ? 

J. P. D.: Je pense que cela va au-delà de n’importe quel conflit. Peut-on compter sur un seul et unique outil pour résoudre des conflits ? Ce n’est certainement pas possible. Personnellement j’ai travaillé sur cette question il y a de nombreuses années, et le dialogue interconfessionnel a joué un rôle très important pour rassembler les communautés. Evidemment, c’est une situation très difficile. Il y a beaucoup d’embûches à surmonter. Je ne veux pas être simpliste pour dire que le dialogue interreligieux peut résoudre à lui seul tous les problèmes par magie parce qu’il ne le peut pas. Mais il reste un outil qui peut être utilisé. 

Q. O.: Et que pensez-vous de la confusion, entretenue par certains, entre islam et terrorisme ? 

J. P. D.: J’ai vécu pas mal d’années dans des pays à prédominance islamique. Il y a 1,6 milliard de musulmans dans le monde. L’islam que j’ai appris à connaître en vivant dans des pays à prédominance islamique est une religion pacifique, une religion de tolérance, une religion de soutien mutuel. Et c’est certainement cet islam qui forge mon opinion sur les 1,6 milliard de musulmans dans le monde. 

Ceci étant dit, il y a indéniablement le problème que pose un petit groupe de musulmans qui ont leurs propres agendas. Des agendas violents qu’ils tentent de mener en utilisant l’islam comme une sorte d’instrument. Mais pour moi, ces groupes ne représentent pas l’islam. L’Islam, ce sont ces gens parmi lesquels j’ai vécu pendant des années en tant que diplomate. Je ne connais aucune religion, quelle qu’elle soit, qui tolère l’usage de la violence contre des personnes innocentes, contre des femmes et des enfants. Ce n’est certainement pas ça l’islam. 

Q. O.: Que pensez-vous alors des personnes ou des groupes de personnes qui alimentent cet amalgame entre islam et terrorisme ? 

J. P. D.: Je pense qu’il est important de toujours aller à l’encontre de ce genre de discours, de toujours combattre les idées qui font cet amalgame, à répéter constamment ce que l’islam est vraiment. Et je pense que d’après mon expérience, c’est ce que font les gens de foi musulmans aussi bien que les dirigeants. Il est important de toujours repousser les concepts erronés que certains ont intrinsèquement liés. Cela peut parfois être difficile, mais nous devons toujours repousser ce genre d’idées. 

Q. O.: Vous suivez certainement le débat actuellement en cours en Algérie sur le probable recours à la langue anglaise comme langue d’enseignement à l’université. Qu’en pensez-vous ? 

J. P. D.: Vous savez la question des langues est une question fluctuante. La langue veut dire beaucoup pour les gens. Elle revêt une dimension identitaire, une dimension culturelle… Je crois que tout débat qui s’intéresse aux moyens à mettre en œuvre pour avoir de meilleurs programmes académiques, qui s’interroge sur le système éducatif en vue de le renforcer et de l’améliorer, est, en soi, un débat utile et nécessaire qui prouve que la société se porte bien. Concernant la langue anglaise, nous avons pu nous rendre compte de l’intérêt porté à l’apprentissage de cette langue par les jeunes Algériens que nous pu rencontrer, grâce notamment au développement de l’internet et des nouveaux médias. On a pu constater cet intérêt des Algériens, en particulier des plus jeunes, pour trouver leur propre chemin, et quand ils en ont la volonté, aller jusqu’à apprendre avec leurs propres moyens cette langue. Ce débat est à cet égard plus que nécessaire. Chacun doit avoir le droit de choisir ce qui l’arrange le mieux. 

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