La presse algérienne, vraiment libre?

Par Marwan Andaloussi

« La presse la plus libre du monde arabe ». La formule est le mantra ressassé par de nombreux patrons de presse algériens durant les années 1990. Le slogan a été repris à satiété par des relais médiatiques en France et ailleurs dans le monde.

Mais qu’en est-il vraiment ?

Pour pouvoir en juger il est nécessaire d’effectuer un retour sur l’histoire de la presse algérienne, qui a joué un rôle crucial dans la confusion étourdissante qui a commencé à prévaloir en Algérie au début des années 1990 pour s’installer durablement au cours de cette décennie de la « sale guerre ». Le pays, à la suite du coup d’état militaire du 11 janvier 1992 et l’interruption d’un processus électoral, a été plongé dans un conflit sans nom, qui a fait 200 000 morts, quelque 20 000 disparus et des dizaines de milliers d’exilés. Avec de surcroit un recul considérable en matière de libertés publiques et d’Etat de droit.

Après les émeutes d’octobre 1988, un printemps arabe avant l’heure, une nouvelle Constitution démocratique a permis la libéralisation de la vie publique en Algérie notamment par la possibilité de fonder des partis politiques, des associations et syndicats libres et par la création de journaux privés. 
La Constitution de 1989 a très nettement consacré la sortie d’un système de de parti unique. Mais les ONG nouvellement créés, à l’instar du Mouvement des Journalistes Algériens (MJA), sont des forces encore balbutiantes traversées par des courants contradictoires et n’expriment le plus souvent que des revendications catégorielles.

La soudaine genèse de la presse privée

La presse algérienne privée a donc vu le jour à la faveur d’une crise de régime à la fin des années 1980 qui a permis pour une brève période une ouverture démocratique impulsée par un groupe de cadres réunis autour de Mouloud Hamrouche alors secrétaire-général de la Présidence. Malgré sa fugacité, moins de deux ans, l’interlude démocratique a permis plusieurs avancées significatives qui seront rapidement annulées ou vidées de leur sens avec la reprise en main autoritaire par l’Armée et les services de la police politique.

De fait, les journaux privés ne sont pas nés de la mobilisation de la profession, mais de la volonté du gouvernement réformateur dirigé par Mouloud Hamrouche (Septembre 1989/ Juin 1991), qui avait pour ambition une transition graduelle vers l’Etat de droit, de modifier rapidement et significativement le paysage politique du pays dans le sens de la liberté d’expression et la pluralité d’opinions.

La Loi 90 du 3 avril 1990 a concrétisé le principe constitutionnel. C’est donc sur cette base que plusieurs journaux ont rapidement vu le jour ; la grande majorité des patrons et rédacteurs en chef qui dirigeaient les rédactions provenaient de la presse d’État d’avant 1988. Afin de leur offrir les moyens financiers de leurs ambitions, le gouvernement réformateur avait permis à ces journalistes de bénéficier de deux années de salaire s’ils décidaient de quitter la presse publique pour fonder leurs propres organes. Du fait de leur appartenance aux organes de presse d’État, les journalistes bénéficiaient d’un statut voisin de celui de la fonction publique et pouvaient prétendre statutairement à des indemnités de départ. Ces nouveaux titres ont donc été pour partie financés par les journalistes eux-mêmes.

Ces avances seront les seules aides publiques directes consenties aux journalistes, les nouveaux titres n’ont pas bénéficié de concours bancaires. Ancien PDG de la banque publique CPA, au temps du gouvernement réformateur, Omar Benderra affirme que les analystes de crédit avaient systématiquement refusé de prendre en compte les demandes de financement émanant de ces nouvelles entreprises notamment au vu du manque de professionnalisme en matière de gestion financière et de l’absence de garanties. 
Les salaires payés d’avance ont servi d’assise financière de départ, des groupes de journalistes, réunis par affinités, se sont réunis en diverses coopératives de presse et sociétés d’édition pour lancer des journaux aussi bien en langue arabe qu’en français. Souvent, et c’est loin d’être anecdotique, avec des apports de bailleurs de fonds à la réputation plus ou moins sulfureuse. Un des représentants emblématiques de cette catégorie d’investisseurs a été un certain Mohamed Meguedem. Ancien responsable de l’information à la présidence de la République et proche des services de la police politique, il a été le parrain, dans tous les sens du terme, de L’Hebdo libéré, l’un des plus importants hebdomadaires (à scandales) de l’époque.

Dans un contexte politique troublé et instable, les rédactions, constituées pour l’essentiel de journalistes peu formés, ont vite été transformées en centres de propagande au service de cercles qui voyaient d’un mauvais œil l’évolution démocratique impulsée par les réformateurs.

Très concrètement on a pu observer que le reportage a laissé largement la place au commentaire, à l’analyse à l’emporte-pièce et à la chronique. Dans un climat de règlements de comptes, la diffamation, l’injure et la diversion sont le registre principal de la plupart des journaux. Bien peu de plumes se tiennent à l’écart des conflits délétères au sommet du pouvoir qui prennent un tour critique dès les premiers mois de la fatidique décennie 1990. Les unes de journaux qui appellent alors ouvertement à un coup d’État militaire et sont, pour l’essentiel, consacrées à des scandales montés de toutes pièces (Cf. Affaire Benhaim, Les Banquiers qui voulaient déstabiliser l’Algérie etc…) visant le gouvernement réformateur accusé, bien à tort, « d’avoir introduit le loup islamiste dans la bergerie républicaine ».

Le point de rupture avec le journalisme

Le 23 mai 1991, la campagne électorale pour les législatives battait alors son plein, le Front islamique du salut (FIS) estimant que le découpage des circonscriptions lui était défavorable, lance un appel à une grève générale. La grève fut peu suivie, cependant, les militants du parti islamiste en occupant deux places publiques et manifestant en permanence dans les rues de la capitale, ont offert le prétexte idéal aux milieux qui souhaitaient une reprise en main autoritaire. Le désordre, très dramatisé, justifiait la fin d’une parenthèse démocratique qui mettait en question les intérêts économiques de ceux qui dirigeaient l’armée et les services de sécurité.

Loin de souscrire à une quelconque idée de dégradation de l’ordre public, le ministère de l’intérieur de son côté minimisait l’impact de ces désordres en assurant que la grève « insurrectionnelle » s’épuisait irrémédiablement.

Ces déclarations rassurantes n’ont pas suffi. A l’insu du gouvernement, dans la nuit du 3 juin 1991, les forces spéciales de la gendarmerie, sur ordre du commandement militaire, délogèrent les occupants des places publiques, faisant plusieurs morts. Cette intervention d’une grande brutalité a sonné le glas de l’expérience démocratique. Les généraux reprennent la main et font nommer un nouveau premier ministre bien plus docile que le réformateur Hamrouche. Les élections législatives qui devaient se tenir en juin sont reportées à décembre 1991.

Malgré son échec patent, la grève « insurrectionnelle » du FIS a sans aucun doute renforcé chez certaines élites « modernistes » la crainte d’une victoire du FIS. Les communistes du PAGS – dont de nombreux journalistes – joueront un rôle moteur dans ce sens en collaboration étroite avec les appareils de police politique. Les journaux ont pris parti contre les islamistes et de la sorte se sont transformés en portevoix du régime, épousant ses thèses sans réserve ni retenue.

Vint alors le premier tour des législatives le 26 décembre 1991. En dépit de prévisions contraires, le FIS, surfant sur le mécontentement populaire et le rejet du régime par l’essentiel du corps électoral, obtint sans coup férir la majorité des sièges et s’apprêtait à constituer le gouvernement à l’issue du second tour.

Les prodromes de la « sale guerre »

Sans hésitation ni nuance, l’écrasante majorité des journaux ont appelé à l’arrêt du processus électoral, en accusant les électeurs du FIS de vouloir faire de l’Algérie un autre Afghanistan ou un nouvel Iran. Une bonne partie des éditorialistes en appellent ouvertement à l’armée dont l’intervention était selon eux vitale pour « sauver l’Algérie » de « l’urne fatale », prélude à l’installation d’une théocratie.

Certains s’interrogeaient même du bien-fondé des élections en Algérie, où sept millions d’analphabètes sur une population totale d’une trentaine de millions d’habitants altéreraient le sens de toute consultation populaire. D’autres évoquaient l’instauration du suffrage censitaire. En somme, pour ces milieux « éclairés » le peuple n’était pas apte à choisir ses représentants.

La campagne de presse prépare l’opinion à des ruptures radicales. Le 11 janvier 1992, le président de la République Chadli Bendjedid est poussé à démissionner, le lendemain les élections législatives sont suspendues, il n’y aura jamais de second tour. L’armée déploie ses véhicules blindés aux carrefours stratégiques. Tous les éléments d’un coup d’État sont manifestes, pourtant les journaux nient les faits et chantent les louanges de l’armée qui a « sauvé la République ».

Dans une situation très tendue propice à toutes les manipulations, les affrontements entre services de sécurité et militants du FIS dureront plusieurs semaines aux alentours des mosquées. Les lieux de culte devenus espaces de protestation contre l’arrêt des élections, causant des dizaines de morts et entrainant des centaines d’arrestations.

L’État d’urgence est décrété pour une année (mais il durera dans les faits une quinzaine d’années). Les maires issus du FIS sont limogés et remplacés par des administrateurs, le processus de dissolution du FIS et engagé, ce qui reste de la direction du parti islamiste entre dans la clandestinité.

Très vite des attentats sont commis contre les policiers, les gendarmes et les militaires dans un climat de confusion générale. Pour les journaux, les coupables sont désignés. La chasse au barbu peut commencer, peu importe la méthode.

« La peur doit changer de camp » : la presse de l’éradication

Plusieurs milliers de partisans et sympathisants du FIS (10 000 à 30 000 selon les diverses estimations) sont arrêtés et enfermés dans des centres d’internement administratif dans le désert algérien. Aucune poursuite judiciaire, aucune accusation n’est portée contre eux, ils ne subiront aucun procès. Des milliers de personnes ont ainsi été enfermés arbitrairement jusqu’à trois ans dans ces camps. 
Cet épisode de répression n’a inspiré à la presse aucune enquête, aucun reportage ou tout article recueillant au moins les témoignages des familles des prisonniers. Quand ils ne sont pas tus, les journaux ont donné la parole à tous ceux qui justifiaient cette action des généraux. Quand de rares personnalités critiquaient la brutalité de la répression et les atteintes aux droits de l’homme, ils se retrouvaient au banc des accusés, traités de complices du terrorisme.

Durant cette sombre période, des milliers de personnes font l’objet d’enlèvements extrajudiciaires et pour beaucoup sont portées disparues. Les alertes de la Ligue de défense des droits de l’homme ou les dénonciations répétées des familles n’ont pas eu d’échos dans la presse.

Plus encore, les rapports rigoureusement documentés des ONG comme Amnistie internationale ou Human Rights Watch sont violement critiqués par la presse.

Les journaux ont répété à la note près la partition composée par le régime. L’armée a sauvé l’Algérie des terroristes islamistes et ceux qui émettent la moindre remise en cause sont considérés comme des ennemis et complices des terroristes.

Le drame des disparus, 20 000 selon les ONG, a été un tabou absolu dans la presse algérienne durant une dizaine d’années. Si ce n’était le combat courageux des familles, qui se rassemblent chaque mercredi à Alger sous les matraques des policiers, la question des disparus serait effacée de la mémoire collective.

Un décret liberticide : l’information arme de propagande

Les attentats des premiers mois sont rapportés régulièrement par les journaux. Leurs sources ne sont jamais identifiées, les lecteurs devaient se contenter dans la plupart des cas de « sources sécuritaires », ou de « sources bien informées ». Les exactions, exécutions sommaires, tortures et autres atteintes aux droits de l’homme ne sont même pas mentionnées.

En 1994, le régime décide de mettre de l’ordre. Un arrêté interministériel daté du 17 juin, adressé aux directeurs de journaux, montre la marche à suivre en ce qui concerne le traitement de l’information sécuritaire.

Désormais, c’est une cellule de communication gouvernementale qui fournit les informations aux journaux. L’agence officielle APS est également habilitée à communiquer la version officielle des faits. Toute information ne provenant pas de ces sources est « interdite » de publication. Il est précisé à la fin du document que cet arrêté interministériel ne sera pas rendu public et qu’il s’adresse uniquement aux personnes concernées.

Mais le gouvernement ne se contente pas d’adresser un arrêté aux patrons de presse, il accompagne sa missive de recommandations précises. Il est utile de mentionner quelques extraits de ce bréviaire propagandiste :

• « une terminologie appropriée sera mise à la disposition des médias par la cellule de communication »,

• « traiter l’information systématiquement en page intérieure, sauf exception », « banaliser et minimiser l’impact psychologique de l’action terroriste et subversive et préserver le moral de la nation »,

• « médiatiser les atrocités commises par les régimes islamistes de l’Iran, du Soudan et de l’Afghanistan »,

• « mettre en évidence l’efficacité des forces de sécurité qui, même s’ils n’arrivent pas à prévenir tous les crimes, arrivent toujours à retrouver les coupables » (…). (2)

Pour Redouane Boudjemâa, professeur à l’Université d’Alger et ancien journaliste, cet arrêté « a tracé la ligne éditoriale des journaux pour de longues années ». En somme, l’ensemble des journaux avait « un seul rédacteur en chef », ironise-t-il.
En effet, les responsables des journaux étaient en lien avec le chef de l’information au sein des services de renseignements, qui dictait ce qui devait être publié ou pas. C’était un secret de polichinelle dans le milieu journalistique.

El Watan, qui a été un des vecteurs les plus sophistiqués de la propagande publiait discrètement un article en juillet 2013 sur le départ à la retraite du fameux colonel Fawzi, responsable de la communication des services secrets. On pouvait y lire : « Très connu dans les milieux médiatiques, cet officier supérieur du Département de renseignement et de sécurité (DRS) a été pendant de longues années le faiseur de journaux.

Bénéficiant de larges pouvoirs et d’une liberté d’initiatives pas toujours tolérée dans cette institution militaire, le colonel Fawzi aura réussi à inonder le marché par une masse de journaux au tirage très limité, mais chichement servis par la publicité étatique distribuée par l’Agence nationale d’édition et de publicitaire (ANEP). Outre la gestion des agréments de nouveaux journaux et des accréditions de correspondants de la presse étrangère en Algérie, le colonel Fawzi, qui suivait de près l’activité de nombreux journalistes, tentait d’influencer par tous les moyens le contenu et l’orientation des journaux.

Il organisait également des fuites d’informations sur certains dossiers pour des objectifs pas toujours clairs. En plus de l’exploitation et de la manipulation, le colonel Fawzi faisait également dans le recrutement d’agents pour le contrôle du paysage médiatique. Il organisait également la prise en charge des agents potentiels qui contribuaient à l’analyse et traitement de l’information et de la stratégie médiatique. Il quitte ainsi ce poste – départ forcé bien entendu – après un règne qui a duré une dizaine d’années. » (3)

Dans un réquisitoire implacable contre la presse algérienne, SAS (Sid Ahmed Semiane), célèbre chroniqueur, écrit : « J’ai vu des journalistes diffuser de faux communiqués-élaborés par les bons soins de leurs amis officiers des services de renseignements- attribués le lendemain en gros caractères directement aux islamistes du GIA (1), alors qu’ils savaient que c’étaient de faux communiqués », il ajoute : « Je peux dire qu’ils étaient ces treize dernières années plus souvent proches du mensonge que de la censure. Une partie des journalistes a réellement subi la censure, cette flétrissure, mais une majorité a contribué à fabriquer le mensonge et à l’entretenir durant de longues années, avec zèle et abnégation »(4).

Rente, protection et production

Comment peut-on sérieusement prétendre être indépendant et même opposant à un régime quand celui-ci assure la sécurité physique, la manne financière et l’outil de production? 
Depuis leur création, les journaux les plus importants ont été installés dans des locaux désaffectés d’une ancienne caserne (tout un symbole) au centre de la capitale. Des bâtiments offerts par le régime à des prix modiques pour faciliter le démarrage de la presse naissante.

Tous les journaux étaient (et le sont toujours, sauf pour deux d’entre eux*) tirés par des imprimeries d’État, qui ferment les yeux sur les très grosses factures impayées. Cette méthode est un outil de pression supplémentaire qu’utilise le régime dans le cas où un journal se montre moins accommodant que d’habitude.

Si un journal « s’égare », l’imprimerie interrompt ses prestations et réclame le paiement des arriérés. En général, quelques jours suffisent pour trouver un « arrangement » afin que le contentieux soit suspendu et que les rotatives redémarrent.

La vente des journaux en kiosque n’est pas la plus importante source de revenus. C’est la publicité qui constitue les plus importantes entrées d’argent. Cynique, le régime a trouvé le moyen d’en faire une arme de persuasion. La publicité étatique (institutions, entreprises publiques et autres) est le monopole d’une agence publique (ANEP) qui distribue une très significative manne publicitaire aux journaux. Le volume de la manne publicitaire distribué est proportionnel à la capacité d’un journal à suivre la ligne de conduite dictée par le régime. Cette méthode a montré son efficacité durant de longues années. Alors que des journaux prospéraient grâce à la publicité, d’autres meurent par asphyxie. 
Durant cette longue guerre, où les principales victimes sont les civils, certaines catégories ont été particulièrement ciblées comme les policiers, les soldats, les juges ou les journalistes.

Le régime a alors offert aux patrons de journaux des logements sécurisés dans la célèbre résidence d’État du Club des pins, à l’ouest d’Alger. Du coup, les dirigeants de la presse algérienne sont devenus les voisins des hauts gradés de l’armée, des ministres et hauts fonctionnaires. Certains d’entre eux étaient armés. 
Dans le même temps, les journalistes de base, les plumes « ordinaires », sont logés dans des hôtels moins chics que la résidence d’État, partageant à deux ou trois des chambres parfois sordides.

À partir de ce moment, le régime est assuré de la docilité des médias. Les patrons de journaux et les éditocrates sont les otages consentants d’un régime sanguinaire et corrupteur.

La singularité éphémère de La Nation

Ce journal demeure une anomalie dans le paysage médiatique algérien. Prônant le dialogue et la réconciliation, La Nation a été suspendu à neuf reprises par le gouvernement dans l’indifférence totale de ses confrères, qui pourtant se proclamaient défenseurs de la liberté d’expression.

Dirigé par Salima Ghezali, Prix Sakharov pour la liberté de la presse et les droits de l’homme du Parlement européen en 1997, ce journal avait publié en collaboration avec Le Monde diplomatique un dossier explosif sur la situation des droits de l’homme en Algérie en mars 1996. Le numéro a été saisi à l’imprimerie, sans que cela ne soit relayé par aucun organe de presse.

Plus gravement au regard de la déontologie, un quotidien a été jusqu’à accuser La Nation d’être l’État-major des groupes armés islamistes.

En fait, le seul crime de ce journal était qu’il croyait que « la politique sert à éviter l’irréparable », selon Saïd Djaafar, une des plumes de ce journal.

La Nation était un journal populaire avec ses 50 000 exemplaires vendus. Durant toute son existence, il n’a pas bénéficié de la moindre page de la manne publicitaire étatique ou privée. Étouffé financièrement, La Nation a fini par disparaître.

L’incroyable M. Khalifa

À la jonction des années 1990 et des années 2000, un homme d’affaire à qui tout parait réussir apparait au firmament social d’un pays traumatisé par la violence. De pharmacien dans une banlieue d’Alger, Abdelmoumen Khalifa passe sans transition au statut d’oligarque possédant une banque, une compagnie aérienne et bien d’autres entreprises. Il est également commanditaire de la célèbre équipe de soccer française l’Olympic de Marseille tout en affichant des liens d’amitié et d’affaires avec l’acteur Gérard Depardieu. Businessman et philanthrope, le néo-magnat a offert une station de dessalement d’eau de mer à la ville d’Alger.

La plupart des journaux algériens ont manifesté une sorte de fascination pour Abdelmoumen Khalifa, qui était mis en avant par le régime comme un modèle de réussite entrepreneuriale en faisant l’impasse sur les passe-droits et protections dont il bénéficiait.

Les journaux ont passé des années à tresser des lauriers à la gloire de ce génie de l’esbrouffe. Pas un seul titre n’a esquissé ne serait-ce que le début d’une enquête sur l’origine de la fortune fulgurante de ce nabab.

Là encore, ça allait de soi, les journaux répétaient le discours du régime sans se poser de questions, ni enquêter sur les affaires d’un affairiste plus que douteux.

Il faut dire que M. Khalifa était très grand seigneur avec les patrons de presse. Non seulement il les abreuvait de publicité, mais invitait aussi des journalistes dans ses avions pour des séjours luxueux à chaque fois que sa compagnie inaugurait une nouvelle ligne.

Quand Abdelmoumen Khalifa a lancé son éphémère chaîne de télévision en France, deux célèbres directeurs de journaux ont participé à une vidéo de promotion de la chaine. (5)

Mais quand le tycoon est tombé en disgrâce, tout ce beau monde s’est retourné toute honte bue contre M. Khalifa en mettant en avant l’incompétence du gouvernement.

En guise de conclusion

L’histoire de la presse algérienne reste à écrire même si elle n’est pas particulièrement flatteuse, ni honorable. Car ce parcours, à l’origine nourri d’espoir d’ouverture et de promesse de liberté, est pavé de mensonges et de cadavres, de trahisons et de manipulation. Ce parcours tragique est nimbé de mépris pour l’opinion mais aussi pour la profession elle-même. 
Seuls quelques journalistes se sont distingués par leur lucidité et leur courage. Ils sont l’honneur du journalisme algérien pour les générations futures.

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Notes

1 – GIA (Groupe islamique armé)
2 – Ghania Mouffok Être journaliste en Algérie, Éditions Reporters sans frontières 1996
3 – « Le colonel Fawzi mis à la retraite« , El Watan, 22 juillet 2013
4 – Sid Ahmed Semiane Au refuge des balles perdues, éditions La Découverte 2005 
5. https://www.youtube.com/watch?v=GSaeW_EL0vs

(*) Les quotidiens El Watan et Al Khabar possèdent depuis quelques années leur propre imprimerie.


LIBERTE – Art & Politique – Numéro 318 – Décembre 2017 / Ce texte est dédié à la mémoire du regretté Ali-Bey Boudoukha


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