LIVRES / L’EXIL MEURTRIER

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres 

Une femme, deux hommes et un mariage. Roman de Ali Kader. Enag Editions, Alger 2019, Ouvrage collectif. Chihab Editions, Alger 2019, 335 pages, 1.100 dinars. 

Un drame, trois histoires de trois jeunes gens d’un même quartier, tous trois perdus dans une Algérie qui s’ennuie et n’offre pas les débouchés (après des études pourtant «brillantes») tant promis et tant espérés. 

Sofiane, fonctionnaire, fils d’un ancien militaire, un baroudeur mis à la retraite trop tôt selon lui. Une seule envie… partir en France ! Grâce à internet, il «accroche» une compatriote déjà bien installée à Paris. En fait, assez nympho sur les bords (addict au sexe), mariée mais divorcée, deux grands enfants (pas du tout contre les «tontons» du bled ramenés régulièrement par la maman et un ex-mari pas jaloux du tout. Elle vient souvent au pays pêcher les beaux gars du pays. Mariage et régularisation des «papiers» en vue car elle a décroché, cette fois-ci, le gros, le beau et bon lot : une véritable sex-machine ! 

Lyès est un «parkingueur», ami de Sofiane (il a fait des études supérieures mais n’a pas de «piston» pour avoir un travail régulier). Lui aussi, grâce à internet, il se retrouve partant pour un «mariage en blanc»… avec la complicité d’une prostituée, une époustouflante noire de peau. Elle tombe rapidement amoureuse et enceinte de lui. Redjla dans le fond et «raciste» dans la forme, le mariage, blanc ou non, jamais ! 

Dalila, cadre dans la même entreprise que Sofiane, la trentaine passée, angoissée par un mariage qui tarde à venir, accepte d’être «mariée» (seulement par imam interposé) à un ami de son frère, un émigré islamiste bon teint et puant le fric. A Paris, elle sera littéralement séquestrée et deviendra une sorte d’esclave sexuelle enfermée à double tour dans un apparemment de banlieue. Pas de mariage devant un maire en vue ! 

Des difficultés avec la société française. Non ! Tout a l’air de baigner dans l’huile. Le drame tourne autour de l’exploitation des jeunes gens nouveaux émigrés par, cette fois-ci, des islamistes terroristes (originaires de France) préparant un attentat spectaculaire à la bombe et utilisant la naïveté des uns et des autres. Le temps de s’en apercevoir, et c’est trop tard. 

On n’en saura pas plus… 

L’Auteur : Aucune indication en quatrième de couverture. Voilà qui nous oblige à consulter Mister Google, avec le secret espoir qu’il n’ y pas d’erreurs dans le bio. 

Ingénieur agronome, (haut-) fonctionnaire du ministère de l’Agriculture… un «fou de Laghouat». 

Un auteur prolifique qui a beaucoup écrit et publié… presque toujours à l’Enag et un en France en 2015 (depuis 2010, une dizaine de romans) et un ouvrage en 2017 à l’Anep. 

A noter qu’il a aussi, récemment, publié un roman en… tamazight et en caractères latins, toujours à l’Enag, «Argaz n Yemma» («le mari de ma mère») avec toujours pour thématique centrale, l’émigration et la condition féminine (femme et enfants abandonnés au village natal) dans la société algérienne. A noter que le roman «Les femmes ne se cachent pas pour pleurer» (2016) a déjà été présenté in Mediatic. Une histoire très émouvante d’une femme ayant subi l’ablation d’un sein et qui, abandonnée par son époux, se re-construit. Une véritable parcours du combattant… très réaliste ! 

Extraits : «Les révolutionnaires sont tous partis à l’orée d’un certain été 62. Les autres, ceux qui restent ? Ils se sont empiffrés, encanaillés à l’ombre des avantages. Pourquoi s’en priver ? Après tout, l’on ne vit qu’une seule fois ! Alors, profitons-en, encanaillons-nous et berçons les naïfs avec des illusions propagées à l’aune des rendez-vous électoraux qui se succèdent en nombre et passent sans rien apporter de concret» (p 35). «Est-il donc aussi difficile de sortir d’ici que d’y entrer là-bas ? Le monde tourne à l’envers. Là-bas (note : en pays étranger), on ne nous aime pas et on nous refoule ; ici (note : en Algérie) on ne nous aime pas et on nous empêche de sortir» (p 131). 

Avis : Pour terminer vos vacances sans trop d’effort intellectuel… et très conseillé aux candidats «harragas» 

Citation : «Quelqu’un a dit : «Les hommes politiques (les responsables) sont comme des pigeons. Avant, ils te mangent dans la main ; une fois élus ou en poste, ils te chient d’en haut» (p 35) 

Ali Zamoum, le juste. Essai de Rabah Zamoum (préface de Hocine Zahouane et postface de Samir Imalayène). Inas Editions, Alger 2016, 1.000 dinars, 338 pages (Pour se souvenir d’un Juste ! Chronique déjà parue in Mediatic) 

Il ne s’est jamais arrêté de lutter. Hier, encore tout jeune, pour la libération du pays du joug colonialiste. Fait prisonnier, condamné à mort à plusieurs reprises, il erra de prison en prison jusqu’à l’Indépendance du pays en 1962. Entre-temps, son frère aîné, Mohamed Zamoum (Si Salah) commandant de la wilaya 4 historique, tombait au champ d’honneur. 

Un homme hors du commun, un moudjahid vrai qui n’a jamais cherché à tirer un avantage matériel ou une quelconque gloriole. 

Hocine Zahouane, le préfacier, en trois points, a tracé son portrait : 

Anti-carriériste (il aurait pu faire un très beau parcours, ayant débuté, en 1962, à la tête de la wilaya de Tizi-Ouzou). Anti-apparatchik (ce qui lui avait valu bien des inimitiés au sein du Fln dont il a animé la Fédération). 

Incorruptible (résistant aux «appels» continuels de Houari Boumediene, allant – alors qu’il était directeur d’une des plus gros complexes industriels, celui du textile – jusqu’à s’opposer publiquement – et de quelle manière ! – à Belaïd Abdessaelam, alors ministre en charge omnipotent du secteur). 

Mille et une fonctions, mille et une difficultés… et, c’est au ministère du Travail, avec comme boss, Mohamed Saïd Mazouzi, un autre vrai grand de la Révolution, qu’il va s’épanouir le mieux et le plus. A la tête de la direction de la Formation professionnelle. Il y développe sa démarche novatrice, «révolutionnaire» pour H. Zahouane… retrouvant, certainement, par bien des expériences originales (dont celles culturelles avec ses «complices intimes, Kateb Yacine et M’hamed Issiakem), le chemin du combat commencé déjà durant la révolution armée à partir du village natal, Ighil Imoula, lieu de production et de publication de la Déclaration de Novembre : la libération économique, sociale et politique du citoyen. Par la suite, il s’investira dans l’humanitaire avec la Fondation «Tadjemaït» (qui continuera d’ailleurs l’œuvre du fondateur) sous l’appellation «Tagmats Ali Zamoum». 

L’Auteur : A tout seigneur tout honneur ! Ali Zamoum, décédé en septembre 2004, est né le 29 octobre 1933 à Ighil Imoula (Tizi Ouzou)… Dès sa prime jeunesse, il se forme aux côtés de son frère aîné Mohamed Zamoum, Si Salah, futur commandant de la Wilaya 4 historique et tombé au champ d’honneur en juillet 1961. 

Ali le moudjahid est fait prisonnier en février 1955…Condamné à mort à plusieurs reprises, il partagea la cellule de Ahmed Zabana la veille de son exécution. Libéré en 1962, il occupa plusieurs postes de responsabilités, dont celle de wali de Tizi Ouzou, avec toujours une grande volonté d’améliorer le sort des démunis, ce qui ne facilitera pas ses rapports avec le «pouvoir». Très proche de Mohamed Saïd Mazouzi, l’autre juste et grand ami de Kateb Yacine et de M’hamed Issiakhem. Auteur, en 1994 (Ed. Rahma), d’un ouvrage qui avait connu un immense succès, «Tamurt Imazighen… Mémoires d’un survivant». 

Rabah Zamoum est son neveu, fils de Si Salah 

Extraits : «Quand on examine le fonctionnement des ministères, quand on observe les ministres eux-mêmes, les directeurs centraux, les cadres supérieurs du pays, la bureaucratie,… nous constatons que pour eux et selon eux, tout est une réussite, ils sont forts, devenus les plus grands de tous… Je ne vois pas pourquoi ils militeraient pour une politique qui remettrait en cause leur pouvoir» (Ali Zamoum, p 75). «L’Algérie a agi comme les pays du Golfe :payer pour tout avoir sans posséder le savoir» (Rabah Zamoum, p 232). «Pendant que des spécialistes étudiant la confection de taille-crayons de plus en plus perfectionnés pour gagner des clients, d’autres spécialistes concurrents ont inventé des crayons qu’on ne taille pas. Les fabricants de mousse à raser s’ingénient à trouver le meilleur savon, les militants islamistes laissent fleurir leurs barbes. Certains cherchent à satisfaire un besoin, d’autres le suppriment, tout simplement « (Ali Zamoun, p 248). 

Avis : Un juste ? Un saint ? Un anti-héros ? Un naïf politique ? Un hyper-réaliste ? En tout cas, un vrai, un grand «homme libre» ayant l’Algérie dans le sang… et dans la vie. Jusqu’à la mort ! 

Citations : «Combien d’hommes et de femmes d’affaires, de la culture, des arts et des sciences, ont obtenu telle ou telle distinction, privilège ou récompense, non pas par leurs mérites propres mais simplement pour avoir vanté les vertus surfaites de leurs maîtres. Au fil des années, ces comportements se sont généralisés dans le paysage politique algérien. Il est devenu coutumier d’appartenir pour obtenir» (Ali Zamoum, p 135). «Trente-six idées me viennent à la tête et comme trente-six choses ne peuvent être faites en même temps, je ferai alors la trente-septième… c’est-à-dire que je vais m‘allonger sur mon lit et regarder bêtement la télé» (Ali Zamoum, p 237). «Le fait d’être Kabyle ne signifie autre chose que celui d’habiter la Kabylie. Croire qu’être Kabyles signifie qu’ils sont meilleurs est une dangereuse erreur politique. On peut être un tyran à la tête d’une Djemâa d’un village» (Ali Zamoum, p 320). 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *